Le peuple tunisien est le héros de notre temps en Méditerranée

samedi 18 janvier 2014.
 

J’avais l’esprit plein du travail d’écriture sur les stratégies de la violence quand j’ai su que nous rencontrions au siège du PG Hamma Hammami, le porte-parole du Front populaire Tunisien. Quel homme mieux que celui-ci peut m’en apprendre davantage sur la violence et la riposte à la violence ? Car lui est confronté directement et concrètement a la question comme à une question de vie ou de mort. Hammami est un homme à qui nous portons un respect considérable. J’ai dit "respect" car c’est là un sentiment plus construit intellectuellement que l’admiration, par exemple. Ce n’est pas de cette rencontre à Paris qu’est né ce sentiment. Mais de Tunis. J’ai vu de près pour la première fois Hamma dans une réunion de format restreint, juste aux lendemains de l’assassinat de Chokri Belaïd. La Tunisie retenait son souffle. C’était des heures sombres d’angoisse et de peurs. Comme souvent l’impression première peut nous apprendre beaucoup si on la médite. Hamma était très marqué. Sa voix restait posée mais je le sentais, comme nous l’étions tous, envahi par l’idée du déferlement que le meurtre de Chokri pouvait déclencher. Les islamistes allaient-ils commencer un cycle du type des escadrons de la mort latino-américain ? Comment riposterait-on alors ? Quelques-uns des nôtres allaient-ils rendre coup pour coup ? Ou nous mènerait une telle escalade ? Le tour de table a eu lieu pour répondre avec amitié à nos questions. Une tâche de plus pour une équipe déjà éreintée de travail. Mais Hamma, dans cette situation, en portait plus que d’autres sur le dos. Parce qu’il est la figure de proue du Front. Il assume sa tâche avec un total engagement. Il s’est démis de ses fonctions de parti pour accomplir la tâche qui lui a été confiée par le Front.

Ses camarades comme lui-même ont une longue expérience politique et tous leurs comportements sont encore profondément marqués par les réflexes de la clandestinité. J’ai d’ailleurs noté comment Hamma en appelle au dépassement de cette culture spontanée tout en étant vigilant à en conserver le réalisme. Car, en dépit du silence médiatique en France et du lamentable soutien de Hollande et de son gouvernement au pouvoir islamiste et à ses alliés, la Révolution tunisienne n’est pas terminée, 3 ans après son déclenchement le 14 janvier 2011. Et les rebondissements sont rarement tranquilles. Quelques meurtres le rappellent. Mais à chaque fois que certains ont tenté d’étouffer ou de "terminer" cette Révolution, le peuple tunisien s’en est mêlé. Par exemple, une véritable insurrection civique s’est déclenchée après l’assassinat du député Mohamed Brahmi. Le 6 août dernier, selon les comptages effectués sur des images satellites états-uniennes, 475 000 manifestants étaient alors dans la rue pour refuser la violence politique et dénoncer le coup d’Etat rampant des islamistes. Rapporté à une Tunisie de 10 millions d’habitants, c’est comme si 3 millions de Français descendaient dans la rue. Dans les 6 mois qui ont suivi ce nouvel assassinat, le Front populaire a concentré ses forces sur la lutte démocratique et pour les libertés. Il a pour cela été à l’initiative de la constitution d’un Front de Salut national, avec l’ensemble des composantes, y compris libérales, de l’opposition au pouvoir islamiste. Pour autant, il ne s’est pas dilué dans ce rassemblement. Et, en dépit du « danger-de-la-droite-et-de-l’extrême-droite » brandi par les « grands frères » français, qui les appellent à se cacher aux élections sous le logo grande taille du Front de Salut national, le Front populaire maintient l’autonomie de ses candidatures. Une forte pression sociale et populaire a été construite notamment avec le sit-in de la place du Bardo devant l’assemblée constituante et plusieurs marches civiques. Je ne suis pas prêt d’oublier celle du 7 septembre dernier à Tunis. J’ai eu l’honneur d’y prendre la parole. Bref, cette stratégie, c’est celle de l’éducation populaire de masse et le refus clairement énoncé et argumenté de la violence. Cette stratégie qui a fini par payer. Le dialogue national engagé sous les auspices du puissant syndicat ouvrier UGTT a obtenu la démission du gouvernement islamiste. Ennahdha a donc dû quitter le pouvoir qu’elle occupe de manière illégitime depuis que l’Assemblée constituante a épuisé le mandat de un an qui lui avait été donné lors de son élection le 23 octobre 2011. Puis, coup sur coup, une série de victoires fondatrices ont été arrachées dans l’enceinte du Parlement. Le point de départ est une fois de plus une réplique à une tentative de passage en force des Enhadistes.

Le Front populaire et plus largement les Tunisiens, ont d’abord remporté une victoire remarquable contre la violence des religieux. C’est une nouvelle provocation haineuse d’un député d’Ennahdha qui l’a précipitée. Ce député se fait appeler cheikh Habbib Hellouze. Il a désigné samedi dernier son collègue député du Front populaire Mongi Rahoui comme "ennemi de l’Islam", en appelant "le peuple à prendre les mesures adéquates contre lui". Chez les extrémistes, cela constitue un appel religieux au meurtre pour apostasie, sous le nom de "takfir". Diffusé à la radio, cet appel au meurtre, a immédiatement suscité une émotion considérable. Mongi Rahoui, l’homme à abattre, je l’avais rencontré en septembre à Tunis. Il était déjà équipé en permanence d’un gilet pare-balle. Et je l’avais accueilli au Parlement européen en novembre, toujours aussi ferme et posé, cette fois ci sans gilet. Il se lève dans l’Assemblée et interpelle son accusateur fanatique : « Combien de temps encore faut-il que le sang coule pour revenir à la raison ? Aujourd’hui, ma femme ne peut plus vivre à la maison, mon fils est perturbé en cette période de révision pour ses examens ! Je suis musulman, mon père est musulman, mon grand-père est musulman ! Je n’attends pas que le cheikh des menteurs me le certifie ! » L’émotion fut considérable ! Dans l’impossibilité de cautionner publiquement un tel appel au meurtre, le parti islamiste Enahda fut obligé de prendre ses distances. Spectaculaire : il est alors obligé d’accepter ce qu’il avait toujours refusé jusqu’à alors : la proscription constitutionnelle du "takfir" et de toutes les incitations à la violence au nom de la religion. Cette avancée est aussitôt inscrite dans l’article 6 de la Constitution en cours de discussion à l’assemblée constituante. Cet article introduit aussi pour la première fois dans une Constitution d’un pays arabe la "liberté de conscience", en complément de la liberté de culte et de croyance. C’est une avancée historique non seulement pour la Tunisie, mais plus largement pour l’émancipation de l’humanité. Car cela peut servir d’exemples à d’autres. Certes, l’Islam est toujours reconnu comme religion de la société tunisienne comme elle l’était depuis le compromis adopté par Bourguiba après l’indépendance. Mais les tentatives des islamistes pour faire de la religion une source de droit ont toutes été mises en échec. La charia n’aura pas sa place dans la Constitution tunisienne, contrairement à ce qu’escomptaient au départ les islamistes. Une autre avancée historique vient de se produire dans la discussion de la Constitution : l’affirmation d’une stricte égalité entre "citoyen et citoyenne" et l’interdiction de toute discrimination entre homme et femme. Là aussi, il s’agit d’un texte unique dans le monde arabe. La discussion de la suite des articles de la Constitution se poursuit et devrait aboutir d’ici 4 semaines.

Une fois la Constitution enfin adoptée et le nouveau gouvernement formé, s’ouvrira une nouvelle phase civique pour le Front populaire pour porter son programme économique et social devant les électeurs. La relance de l’activité, le partage des richesses, le retour de l’Etat et de la planification dans le développement du pays sont autant d’axes d’action urgente qui distinguent le Front populaire de toutes les autres forces politiques tunisiennes. En l’état actuel des choses, le Front a décidé à l’unanimité des 13 forces qui le composent de partir uni comme Front populaire aux prochaines élections législatives et présidentielles. Selon les sondages, il est bien installé comme la 3ème force du paysage politique tunisien. Dans cette nouvelle phase, les mobilisations sociales et civiques, mais aussi écologiques joueront un rôle décisif. Le Front populaire a bien conscience qu’elles sont la clef du rapport de force dans la société qui déterminera le résultat des urnes. Alors que nos camarades viennent de traverser l’année la plus dure et meurtrière depuis le début de la Révolution, l’avenir est donc à nouveau ouvert pour la Révolution tunisienne. Nous leur avons dit toute notre disponibilité pour soutenir toutes les initiatives de solidarité et d’échange. Nous avons la conviction que nous formons avec les peuples du Maghreb une société commune méditerranéenne. C’est la thèse que j’ai développée au meeting de la plage du Prado à Marseille. Le peuple tunisien est le héros de notre temps en Méditerranée car il est en train de démontrer concrètement que le monde arabe n’est nullement voué au despotisme. L’aveuglement du PS français et des sociaux-démocrates européens à ce sujet est définitivement consternante et criminelle. Nous savons qu’au-delà du soutien politique aveugle que François Hollande et son gouvernement ont apporté au gouvernement d’Enahda, le PS français a financé les alliés des islamistes, notamment le parti Ettakatol, sans lesquels ceux-ci n’auraient jamais eu de majorité à l’Assemblée. Bien des supplices auraient été épargnés aux Tunisiens et bien du temps aurait été gagné. Mais la Révolution citoyenne a été plus forte qu’eux.


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