Faibles revenus, privations alimentaires et conséquences

samedi 14 décembre 2013.
 

Depuis un an, les prix des produits alimentaires augmentent deux fois plus vite que l’inflation. De juillet 2012 à juin 2013, les produits qui finissent dans nos assiettes et nos verres ont vu leurs prix s’élever de 1,8 %, pour une inflation de 0,9 %. Si on ne prend en compte que les produits frais, c’est pire  : 8 % de plus pour les légumes, 8,3 % pour les fruits. Les prix des viandes, quant à eux, sont en hausse de 3,1 %. Hors produits frais, l’augmentation est de 1 %.

Les fortes pluies et le manque d’ensoleillement du printemps 2013 contribuent à cette valse des étiquettes mais ce phénomène n’est pas seulement conjoncturel, il s’inscrit dans une tendance lourde. Au cours de l’exercice précédent (juillet 2011 à juin 2012), les prix des produits alimentaires avaient déjà augmenté de 1,8 %. Lors des quatre derniers exercices (juillet 2009 à juin 2013), l’inflation s’élève à 7,4 % et le coût des produits alimentaires encore davantage, 8,8 %.

Le prix des produits frais dissuade aussi certaines familles, même si d’autres facteurs interviennent, d’adopter une alimentation équilibrée.

Bruno Vincens

Le sociologue anthropologue Jean-Pierre Poulain analyse les conséquences des privations alimentaires, en termes de carences nutritives et de propension à l’obésité.

Les familles à faibles revenus n’ont plus les moyens d’investir dans l’alimentaire. Quelles en sont les conséquences  ?

Jean-Pierre Poulain. Les privations alimentaires ont des conséquences sur la santé. Il y a d’une part le problème des carences. Les carences surviennent dans des situations de sous-nutrition où les aliments que l’on consomme ne sont pas suffisants pour apporter les nutriments dont le corps a besoin. D’autre part, les classes modestes qui se privent sont touchées par les problèmes de poids, notamment l’obésité. De fait, plus on regarde en bas de l’échelle sociale où les personnes font face à l’exclusion et à la précarisation, plus l’obésité est présente. Son taux atteint 39,3 % chez les ouvriers contre 33 %
 chez les cadres supérieurs et 24,7 % parmi les cadres moyens.

Peut-on ainsi systématiquement associer la pauvreté avec l’obésité  ?

Jean-Pierre Poulain. On trouve plus d’obésité en bas de l’échelle sociale, c’est un fait. Pour les personnes qui ont un capital économique faible et un capital culturel faible, le taux d’obésité avoisine les 35 %. Pour les personnes qui ont un capital économique faible et un capital culturel fort, ce taux descend à 25 %. Et les prévalences sont les plus faibles, pour ceux qui ont à la fois un capital économique et culturel fort. Plus largement, on distingue des individus en phase «  ascendante  » et «  descendante  ». Une personne en phase «  ascendante  » est quelqu’un qui réussit socialement via une promotion par exemple. C’est une personne qui grimpe l’échelle sociale, à la différence d’une personne en phase «  descendante  » qui fait face à un certains nombres «  d’échecs  » et de déclassements, comme par exemple le chômage ou le divorce. On constate que les personnes en surpoids sont en phase «  descendante  ». Autrement dit, le statut social peut aussi orienter le comportement alimentaire d’une personne. On peut donc associer l’obésité à une dynamique de dégradation sociale.

La précarité conditionne donc les comportements alimentaires  ?

Jean-Pierre Poulain. L’argent est un premier déterminisme. Il suffit de déambuler dans les supermarchés pour le constater  : les produits alimentaires les plus gras et les plus sucrés sont les moins chers. La calorie est peu chère. Les aliments à forte concentration calorique et énergétique sont moins chers que les produits faiblement dosés en calories. Ce n’est donc pas un hasard si les franges les plus précaires sont tout particulièrement exposées à l’obésité. D’autre part, il y a également des facteurs psychologiques qui découlent du statut social. La peur du futur conduit les plus fragiles à consommer des produits qui font grossir. On peut interpréter cela comme un réflexe «  archaïque  »  : on mange trop pour «  stocker  » par peur de ne pas pouvoir se nourrir demain. On remarque aussi un effet de «  frustration  »  : on consomme des produits sucrés, souvent très caloriques, car leur goût apporte du réconfort.

Les campagnes menées 
par l’Institut national 
de santé publique sont-elles efficaces  ?

Jean-Pierre Poulain. Malheureusement, les franges de la population qui sont réceptives au message «  mangez cinq fruits et légumes par jour  » savent déjà comment manger équilibré et sont déjà perméables à ce type d’informations. En effet, le haut de l’échelle sociale a une sensibilité au corps  : manger bien est synonyme de beauté, d’esthétique. À l’inverse, lorsqu’on vit dans la contrainte budgétaire, on n’a pas le temps de bien se nourrir car c’est un investissement sur le long terme. Certaines associations ou épiceries solidaires savent mieux délivrer ce type de messages préventifs puisqu’ils ciblent une population particulière à un moment donné.

Propos recueillis par M. Ba.


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