21 octobre 1940 Mort de Willi Münzenberg, ancien chef de la propagande du Komintern (3ème Internationale)

lundi 22 octobre 2012.
 

Willi Münzenberg. Ce communiste allemand a créé le plus populaire groupe 
de presse de la République de Weimar. Animateur hors pair des grandes campagnes antifascistes, il rompit avec Staline 
et fut retrouvé pendu près de Lyon en 1940.

Hitler de profil, le bras levé et derrière lui l’image d’un capitaliste plus grand que lui, déposant une liasse de billets de banque dans sa main tendue. Ce ­photomontage de John Heartfield est titré  : le Sens du salut hitlérien. Il est sans doute le plus célèbre de l’artiste allemand, en dépit de son pseudonyme de consonance anglaise, parmi de nombreuses œuvres mobilisant la photo de presse dans le combat antinazi. Cette production de Heartfield a révolutionné l’art de concevoir la une d’un journal, en privilégiant la force démonstrative et émotionnelle d’une œuvre graphique. Ce fut là la marque de l’hebdomadaire communiste qui connut le plus fort tirage de toute la presse en Allemagne durant la République de Weimar.

AIZ, c’est sous ces initiales que l’on désigne alors dans les arrière-cours de Berlin ou de Hambourg des années 1920 le Journal illustré des ouvriers, en allemand Arbeiter Illustrierte Zeitung, qui diffuse chaque semaine plus de cent mille exemplaires malgré la crise économique qui pèse particulièrement sur le prolétariat. Son fondateur se nomme Willi Münzenberg. Pour le compte de l’Internationale communiste, dont il est l’un des cadres, l’ancien apprenti dans une fabrique de chaussures est à la tête d’un véritable empire – on parle du Konzern Münzenberg – qui possède de nombreux titres de presse, fait connaître le jeune cinéma soviétique en Allemagne et en France notamment, et, après l’arrivée ­d’Hitler au pouvoir en 1933, permettra à l’émigration antifasciste allemande de se faire entendre par des ­publications imprimées à Prague et à Paris… jusqu’à ce que ces deux capitales ne fussent tombées à leur tour sous le joug nazi.

Une rencontre exceptionnelle jouera un rôle important dans le ­destin de Münzenberg. Né à Erfurt (Thuringe) en 1889 dans la petite auberge que tient son père, le jeune homme quitte le Reich de Guillaume II
dans les premières années du 
XXe siècle pour la Suisse, où il se frotte à la condition ouvrière et s’engage dans le mouvement social-démocrate. À sa gauche bien sûr, et lorsqu’en 1914 éclate la guerre, il refuse de s’engager dans la Reichswehr et reste à Zurich… Où se trouve également le futur chef de la révolution russe de 1917, Vladimir Ilitch Oulianov, autrement nommé  : Lénine. Le dirigeant bolchevique ­remarque l’enthousiasme du jeune Allemand et les goûts qu’il manifeste pour l’agitation et la propagande – «  agit-prop  » comme on dit alors dans le jargon du mouvement révolutionnaire aussi bien en Allemagne que dans le jeune pays des soviets où les ouvriers et les soldats ne vont plus tarder à prendre le palais d’Hiver. Expulsé de la terre helvétique à la suite d’une manifestation de soutien à la révolution bolchevique, où il a pris une part plus qu’active, Willi Münzenberg rentre à Berlin en pleine révolution. L’empereur Guillaume a abdiqué, le vieux parti social-démocrate (SPD), qui a soutenu la boucherie de 14-18, est bousculé sur son flanc gauche par le mouvement spartakiste animé par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, qui seront bientôt ­assassinés. Münzenberg est à leur côté pour fonder le Parti communiste allemand (KPD) en décembre 1918.

Nous retrouvons Willi ­Münzenberg à l’aube des années 1920, à Moscou, où il participe au IIe congrès de l’Internationale ­communiste et où Lénine le charge d’en diriger la propagande. Cette ­activité internationale ne l’éloignera pas cependant du combat politique en Allemagne  : élu député du KPD au Reichstag en 1924, il verra comme tous les parlementaires communistes et sociaux-démocrates son mandat interrompu par l’installation de la dictature hitlérienne en 1933.

La première grande campagne qu’organise le jeune responsable de l’IC au sortir de la révolution ­d’Octobre a pour objectif de collecter des fonds au profit des victimes de la ­famine de 1921. Il fonde alors à Berlin un magazine populaire Sowjetrussland im Bild (la Russie soviétique en images). Peu après, c’est la création des éditions Kosmos, les plus grandes dans toute l’Allemagne, qui permettent de populariser la connaissance de l’URSS et de créer des titres qui ciblent diverses couches de la société. Outre AIZ en direction des ouvriers, s’étalent bientôt sur les présentoirs des kiosques  : Welt am Abend (le Monde Soir), Der Weg der Frau (la Voie de la femme), le magazine satirique Eulenspiegel, qui existe toujours aujourd’hui.

Münzenberg poursuivra dans l’émigration son activité de créateurs de journaux. Il s’est installé à Paris en 1933, et y met sur pied les éditions du Carrefour, qui éditent des publications antinazies en langue allemande, mais sont aussi un lieu de rencontres entre intellectuels progressistes des deux pays qui cherchent à se rassembler contre le fascisme qui étend sa domination en Europe. À Paris, Münzenberg rencontre Paul Vaillant-Couturier, le rédacteur en chef de l’Humanité, Lucien Vogel, le directeur du magazine Vu. Il ­fréquente aussi André Gide, André Malraux, Aragon, Romain Rolland. Son ­influence est grande parmi les intellectuels antifascistes du monde entier, qu’il encourage à se rassembler contre la menace fasciste. Münzenberg s’est vite imposé comme un animateur de campagnes à l’échelle internationale, dès 1926 pour tenter de sauver Sacco et Vanzetti de la chaise électrique aux États-Unis. Il organise à Bruxelles un contre-procès après l’incendie du Reichstag qui met en évidence le complot hitlérien. Ces éléments sont publiés dans le Livre brun.

De Moscou lui parviennent des informations de plus en plus précises, accablantes sur les procès qui se déroulent au mitan des années 1930, les disparitions de communistes allemands installés dans un pays qui s’est déjà fort éloigné des idéaux émancipateurs pour lesquels il s’était engagé vingt ans plus tôt au côté de Lénine. Sa propre belle-sœur, qui avait émigré à Moscou, est remise aux autorités allemandes qui la déportent au camp de Ravensbruck. Münzenberg rompt avec Staline en 1936. Invité à se rendre à Moscou, il juge prudent de rester à Paris. Il ­organise le soutien aux ­brigades ­internationales en Espagne. En 1937, ses positions antistaliniennes lui valent d’être exclu du KPD. Münzenberg ne renonce pas à son combat, il exprime ses positions dans un nouveau journal, Die Zukunft (l’Avenir)….

Quand débute la guerre, l’antifasciste allemand est interné par le gouvernement Daladier dans le camp pour étrangers de Chambaran, près de Lyon. Le 21 octobre 1940, on ­retrouvera son corps pendu à un arbre non loin de là, à Saint-­Marcellin. Les conditions de sa mort dans la campagne française n’ont jamais été clairement élucidées.

Jean-Paul Piérot, L’Humanité


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