Premier tour des élections législatives (3 juin 2012) sous un ciel pluvieux et triste

samedi 28 janvier 2017.
 

Le premier fait marquant de ce premier tour des élections législatives c’est une abstention massive, plus de 40%. La jeunesse en particulier, qui avait donné un coup d’épaule afin de chasser Sarkozy, ne s’est pas déplacée. Cela nous conduit à dégager une appréciation générale de la période qui s’ouvre avec la victoire de Hollande à la présidentielle : le peuple de gauche et la jeunesse se sont mobilisés pour chasser Sarkozy, à travers lui le gouvernement le plus réactionnaire que la France ait connu depuis Pétain et la collaboration avec l’Allemagne nazie, mais les éléments les plus conscients de ce mouvement sont étrangers à la politique de la social-démocratie et au programme de François Hollande. L’argument officiel du gouvernement disant « j’ai besoin d’une majorité parlementaire pour le changement » n’a pas mobilisé la fraction de la classe ouvrière qui a contribué à chasser Sarkozy, qui s’est reconnue dans le combat du Front de Gauche ou qui s’est abstenue dans ce premier tour.

Nous nous heurtons une nouvelle fois au cœur des institutions de la 5ème république. « Monarchie républicaine » ou bonapartisme, comme on veut, le parlement ne devient qu’une simple chambre d’enregistrement, puisque l’essentiel des pouvoirs est concentré dans les mains du chef de l’Etat qui arbitre les conflits. Le contexte conjoncturel de cette élection est difficile pour le Front de Gauche : naturellement dans les institutions actuelles le vote des électeurs de gauche donne une majorité à l’Assemblée au président Hollande et à son premier ministre. Nous ne reprenons rien de ce que nous avons avancé dans la campagne présidentielle : il faut une 6ème république et une constituante souveraine pour reconstruire le corpus politique de la république sociale et démocratique. Le gouvernement Hollande, après les quelques miettes distribuées ici et là avant les législatives, devra entrer de plein pied dans la gestion de la crise. Et l’écart, que dis-je l’abîme entre le pays réel et la représentation politique, est toujours aussi important. Rien n’est réglé. Dans cette situation difficile, le Front de gauche résiste. Quel est l’acteur qui peut maintenant changer la donne ? Sinon le peuple lui –même. Il faut une commotion sociale, elle viendra…

Dans la dernière période historique le PASOK grec a été dans l’incapacité d’offrir une voie de résistance au néo-libéralisme : après neuf grèves générales, dont les dernières étaient quasiment insurrectionnelles contre un gouvernement social-démocrate, le pays est exsangue. Les élections du 6 mai ouvre une période nouvelle, celle d’une résistance qui trouve un début de réponse politique, Syriza. La mobilisation sociale, la résistance au mémorandum européen, traduite dans les urnes, voit une progression spectaculaire de ce nouveau front politique ; Stathis Kouvelakis écrit :

« L’électorat populaire salarié des grands centres urbains qui votait de manière majoritaire pour le PASOK s’est transféré d’un coup vers Syriza. Synaspismós est le premier parti dans le grand Athènes, dans lequel vit près de la moitié de la population grecque, ainsi que dans tous les grands centres urbains du pays. Il atteint ses meilleurs scores dans les quartiers ouvriers et populaires qui étaient les bastions du PASOK, mais aussi du KKE. »

Entretien avec Stathis Kouvelakis (gauche de Syrisa)

Stathis Kouvelakis : La ligne sectaire du KKE (PC grec), qui n’a pas encore décroché la photo de Joseph Staline de son enseigne, dans la tradition de la période ultragauchiste de la 3ème Internationale et qui conduisait en Allemagne à la victoire de Hitler, perd des positions. Arrêtons-nous un instant sur ce point et revenons à la situation du mouvement ouvrier français et aux positions de l’extrême gauche. Le NPA s’était construit dans un premier temps sur la perspective de construction d’une force démocratique et anticapitaliste. Soit, cela a eu quelques succès en particulier dans la jeunesse ouvrière. Comment le faire, si d’emblée on tourne le dos, à la crise du vieux mouvement ouvrier et aux éléments qu’elle dégage, c’est-à-dire à la méthode même de construction d’un front de classe ; un nommé Léon Trotsky appelait cela le front unique ouvrier. L’essentiel des coups qui ont été portés par la direction du NPA, l’ont été contre le Front de Gauche et Jean Luc Mélenchon. La méthode NPA, avec un caractère un peu plus hystérique chez Nathalie Arthaud, c’est, je combats d’abord celui dont je suis le plus proche. Il est bien connu qu’un « social-démocrate de gauche » est plus dangereux qu’un fasciste. Nos gauchistes modernes n’ont décidément rien inventé, cette méthode c’est celle de la troisième période de l’internationale stalinienne. Un dirigeant historique de la LCR déclarait à propos de Mélenchon « nous ne voterons jamais pour un national-républicain ! » Ce à quoi un camarade du Front de Gauche lui répondait : « pendant que tu y es, tu devrais dire : national-socialiste ». On ne peut pas dire que cette politique ait suscité un grand émoi dans l’électorat populaire ; à l’heure qu’il est plusieurs composantes du NPA, et non des moindres, ont rejoint le Front de Gauche. Comment réagit la direction du NPA face à cette hémorragie ? Réponse, c’est la droite de notre parti qui rejoint le Front de Gauche. Vont-ils dire la même chose à l’encontre du courant « gauche anticapitaliste », qui est en l’occurrence la gauche du NPA, et qui se trouve aujourd’hui sur un désaccord de fond avec la direction du NPA ?...

Voyez-vous, du KKE grec au NPA français d’un côté, des anciens maoïstes de Libération à monsieur Christophe Barbier de l’autre, comment on utilise la même boite à outil pour épingler un recul ou une défaite du Front de Gauche…

Stathis Kouvelakis : Bien des commentateurs politiques diront bien sûr que la situation grecque n’est pas assimilable à la France ou l’Allemagne. Nous disons clairement que, dans la logique de la crise du système capitaliste actuelle, la Grèce sera notre avenir. Dès l’été le gouvernement Hollande devra annoncer la couleur. Les chefs sociaux-démocrates peuvent pavaner aujourd’hui, demain sera un autre jour et la crise du réformisme est loin d’être terminée. Le gouvernement Hollande sera un exécutif d’une très grande fragilité. D’autant qu’il faut rappeler que Sarkozy s’est, de son point de vue, brillamment battu pour éviter une défaite trop importante de son camps. Battu mais pas écrasé. Certes l’UMP est en crise, mais ils sont déjà en embuscade : c’est une évidence qu’il n’y a pas de vague rose et qu’ils préparent la contre-offensive.

Je sais que de nombreux militants de notre Front de Gauche vont mal vivre les résultats de ces élections. Nous avons-nous une perspective, c’est la méthode de Syriza. Je cite Kouvelakis :

« Syriza a une ligne clairement anticapitaliste, et se distingue très nettement de la social-démocratie. C’est un aspect d’autant plus important que par le passé d’importantes luttes au sein de Synaspismós ont opposé des courants favorables à une alliance avec la social-démocratie, à d’autres courants qui étaient hostiles à tout accord ou à toute coalition à quelque niveau que ce soit, y compris au niveau local, ou même dans le mouvement syndical. L’aile « sociale-démocrate » de Synaspismós a perdu le contrôle du parti en 2004 quand Alékos Alavános en a été élu président. Cette aile droite, emmenée par Fotis Kouvelis, a fini par quitter Synaspismós et a constitué un autre parti, la Gauche Démocratique (DIMAR) ; une formation qui se veut intermédiaire entre le PASOK et la gauche radicale. Syriza est donc une coalition anticapitaliste qui aborde la question du pouvoir en mettant l’accent sur une dialectique d’alliances, de conquêtes et de succès électoraux, et de mobilisation par en bas et de luttes. Syriza et Synaspismós se veulent des partis de lutte des classes, des formations qui représentent des intérêts de classe spécifiques et qui se conçoivent comme des partis porteurs d’un antagonisme fondamental par rapport au système actuel. D’où le titre « Syriza » : la « coalition de la gauche radicale ». Cette revendication de « radicalité » est un élément extrêmement fort du parti. Quand l’aile gauche a remporté la majorité en 2004, l’une des premières modifications qu’elle a apportée aux statuts du parti était la revendication explicite de la filiation au mouvement révolutionnaire et communiste grec, et à l’héritage de la révolution d’Octobre. »

Abordons maintenant le point qui était, à mes yeux du moins, le plus important de la bataille des législatives, le combat contre le FN. Une bataille de chien a été menée par la direction du PS et le gouvernement Hollande, à travers l’engagement personnel du premier ministre afin que Jean Luc Mélenchon ne passe pas devant le PS local : pour Martine Aubry et Jean Marc Ayrault, plutôt des élus corrompus et condamnés par la justice pour avoir mis les mains dans le bocal de confiture, ceux d’Hénin Beaumont, dans une région dévastée par le chômage de masse et terreau fertile d’un parti fasciste, plutôt que le dirigeant du Front de Gauche à l’Assemblée Nationale. Ce gouvernement, dont l’équipe appartient au courant le plus droitier de la social-démocratie, est soulagé et Marine Le Pen peut caracoler. Rien ne nous sera épargné : à peine les résultats proclamés, de l’Express à Libération, les attaques des nouveaux chiens de garde fusent. On retrouve en embuscade ce cher Christophe Barbier, qui, durant la campagne présidentielle titrait : « comment se débarrasser de Mélenchon ? » Ce Monsieur, éditorialiste de l’Express, explique sans vergogne que Jean Luc Mélenchon porte la responsabilité d’avoir polarisé la campagne législative sur Marine Le Pen et qu’il est le responsable objectif de son excellent score. Jean Luc Mélenchon serait donc l’allié objectif de Marine Le Pen. Vieille recette répugnante que Monsieur Barbier va chercher dans la boite à outils du stalinisme défunt : lorsque les trotskystes et les courants de la gauche social-démocrate faisaient campagne contre la politique du Parti Communiste Allemand et des dirigeants de la 3ème Internationale stalinienne qui refusaient l’unité avec la social-démocratie allemande contre Hitler et ses voyous, ces responsables politiques étaient épinglés comme les alliés objectifs du fascisme. Staline d’ailleurs les fusillait ou les envoyait au goulag… Les autres congénères de Barbier, sur les plateaux des émissions politiques de France 5 par exemple, renchérissent en expliquant qu’après tout le FN est devenu un parti présentable et compatible avec la République. Toutes proportions gardées, il est vrai que le FN est un parti populiste d’extrême droite et non une organisation fasciste remettant en cause la démocratie parlementaire et l’existence des syndicats, du moins à l’étape. Mais à la faveur d’événements sociaux de grande ampleur, c’est un champ fertile sur lequel le fascisme peut prospérer. Ne nous y trompons pas, dans l’attitude des chiens couchants de l’appareil médiatique, on retrouve là la grande peur des classes dominantes : « plutôt Hitler que le Front Populaire ! » Jean Luc Mélenchon a raté de 350 voix son pari : affronter au second tour la responsable du FN et infliger à ce parti une défaite historique, point d’ancrage décisif pour la recomposition d’une force de gauche digne de ce nom. Tel était l’enjeu. Autant dire les choses clairement, c’était un pari risqué et courageux, bravo Jean Luc ! néanmoins le Front de Gauche essuie une défaite et il nous faut lucidement en tirer un bilan politique. Les défaites divisent, les victoires rassemblent. Nous avons tout intérêt à établir lucidement le constat et surtout comment repartir au combat.


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