"Sarkozy, bilan de la casse"

mercredi 4 avril 2012.
 

Jamais, sous la Vème République, un Président n’aura connu d’emblée une telle érosion de sa cote de popularité, qui reste à un niveau très faible à l’issue de son mandat. En cause, essentiellement son style, ses mauvaises manières, sa morgue, son cynisme, comme par exemple le jeudi 1er mars dernier, lorsque, en visite dans la commune basque d’Itxassou, il avait rétorqué « moi, je ne suis pas propriétaire de quarante hectares, hein, okay ? » à Christine et Philippe Saint-Esteven, agriculteurs-éleveurs se plaignant de « vivoter » en dépit des innombrables heures de labeur quotidien (1).

Mise à l’encan

Cet opuscule auquel soixante-quatre auteurs ont prêté leur plume liste l’ampleur des dégâts sous forme d’un abécédaire de cent vingt-huit entrées. Quelques chiffres illustrent la distorsion entre les pieux discours sur la nécessité de la rigueur pour les classes populaire et moyenne et les cadeaux consentis par le chef de l’État à sa clientèle.

- Les allocations logement ont été réduites de 240 millions d’euros en 2011 ; à la même période, 14400 bénéficiaires ont reçu du Trésor 591 millions d’euros au titre du « bouclier fiscal » (2), une disposition plafonnant l’assiette globale. Le gouvernement l’a supprimée, le 28 juillet 2011.

- La loi Travail, Emploi, Pouvoir d’achat du 21 août 2007 avait abaissé le seuil à 50% du revenu déclaré d’un contribuable, intégrant la contribution sociale généralisée et celle pour le remboursement de la dette sociale. Sur cinq exercices, 2,679 milliards ont été ristournés à 83473 bénéficiaires, certains d’entre eux se voyant gratifiés à plusieurs reprises d’une cagnotte croquignolette.

- Tout en ayant très largement profité de cette mesure (elle a engrangé 100 millions en cinq ans), Liliane Bettencourt, dont la fortune dépasserait 17 milliards, n’acquitterait, selon Thomas Piketty (3), des impôts qu’à hauteur de…6%. Le 22 novembre 2011, Mediapart a révélé que l’héritière et principale actionnaire de l’Oréal a dû régler un redressement de 77 752 139 euros pour la période de 2004 à 2010. Elle avait dissimulé l’existence de douze comptes domiciliés en Suisse et à Singapour.

- Les cinq cent quatre « niches » permettent d’abriter légalement beaucoup d’argent. Manque à gagner : 75 milliards au bas mot. La fraude représente 50 milliards. Une grosse part de ce magot repose dans des coffres de « paradis fiscaux ». Chaque année, les multiples dérogations à l’impôt sur les sociétés privent la collectivité de 66 milliards. Les 10% d’individus qui détiennent 48% du patrimoine national n’éprouvent que très marginalement les effets de la « crise ». La pauvreté touche 13,5% de la population de la cinquième puissance économique. Faute de moyens, 30% de nos compatriotes ne consultent plus ni médecin, ni dentiste, et n’achètent plus de remèdes.

- La mise à l’encan de la notion de « service public » apparaît comme une des tares d’envergure de l’ère Sarkozy and co. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital, relative aux patients, à la santé et aux territoires, encadre la « modernisation des établissements ». La politique en ce domaine tend surtout à réduire le volume des dépenses, en transformant progressivement les hôpitaux en des cliniques rentables et en organisant le transfert des remboursements de la Sécurité sociale vers les mutuelles et les compagnies d’assurances. L’accroissement de l’activité constitue le moyen primordial pour gonfler les recettes, conformément au principe de la tarification à l’acte. L’encouragement d’une logique inflationniste aveugle semble contradictoire avec l’impératif de réaliser des économies. Non, pas tant que cela, car les compressions impactent le budget du personnel, par le gel de postes, comme à l’Assistance publique de Paris où il manquerait six cents infirmières, ou le non-remplacement systématique des absent(-e)s. Corollaires : une qualité des soins fatalement dégradée et des charges de plus en plus lourdes infligées à des agents au bord de la rupture.

Grandes pompes

Le décret du 29 mai 2008 avait, dans le cadre de la nouvelle carte judiciaire, réduit de 271 à 210 le nombre des Conseils prud’hommaux, chargés d’examiner des contentieux qui se multiplient dans des proportions énormes.

Que nos dirigeants aient repoussé l’âge de départ à la retraite constitue un double scandale : lorsque la droite a repris les rênes de Matignon, le 7 mai 2002, les comptes affichaient un quasi-équilibre ; notre pays est un de ceux dans l’Union européenne où les salarié(-e)s subissent des conditions et un climat de travail globalement parmi les plus pénibles. Leur imposer une rallonge relève du sadisme ! Stress, burn-out générés par la précarité, l’obligation du chiffre, les méthodes managériales, parfois la concurrence acharnée entre collègues, dans le privé comme dans la fonction publique, affectent plus de 40% des actif(-ve)s.

Alors qu’environ onze mille personnes se suicident chaque année en France, les auteurs du présent ouvrage évaluent à près de quatre cents celles qui mettent fin à leurs jours pour des motifs directement liés à l’exercice de leur profession. Le 29 février, Jérémy Buan, cadre supérieur de 28 ans, s’était défénestré du quatrième étage de la poste centrale rennaise. Le 11 mars, Bruno Peuziat (42 ans), responsable des ressources, de la gestion, de la sécurité et de la sûreté à la plate-forme du courrier à Tregunc (Finistère), s’était pendu dans les locaux de son employeur. Aucun(-e) politicien(-ne) n’avait évoqué une « tragédie nationale » ou exhorté à « la mobilisation de la République toute entière »…

N’ayant rien à gratter sur le plan intérieur, le mari de Carla Bruni espérait marquer des points en se profilant sur la scène internationale, par exemple comme un ami du peuple libyen. Aiguillonné par Bernard-Henri Lévy, « penseur » en treillis planqué, il avait jugé que le Raïs devenait infréquentable et qu’il convenait de le dézinguer.

Je rappelle que Mouammar Kadhafi avait été accueilli en grandes pompes, du 10 au 12 décembre 2007. Le tyran avait planté sa tente dans les jardins de l’Hôtel Marigny, la résidence des hôtes étrangers. Il avait commandé vingt-et-un Airbus pour un montant « catalogue » de 3,2 milliards de dollars (2,432 milliards d’euros). Le réacteur nucléaire (officiellement pour dessaler l’eau de mer !), les quatorze avions de combat Rafale et les missiles Milan n’étaient que « mirages » pour appâter le Zébulon, lequel rêvait d’amasser 7,5 milliards supplémentaires. En revanche, la croisade « Harmattan », du 19 mars au 31 octobre 2011, a coûté quelque 430 millions d’euros.

Autre champ d’intervention extérieure : l’Afghanistan, depuis fin 2001. Pour la présence du contingent (trois mille six cent femmes et hommes) dans ce bourbier permanent, nos gouvernants n’hésitent pas à débloquer entre 450 et 500 millions en douze mois, soit à peu près la moitié de ce qu’ils claquent pour « nos » forces hors de la métropole et surtout de quoi recruter douze mille enseignants dans le même laps de temps. Même si nul(-le) n’en parle, la question de l’investissement dans le socialement utile, le civil, ou dans des opérations guerrières, s’avère toujours aussi pertinente que dans les seventies où les écologistes militants et des mouvements alternatifs avaient initié ce type de réflexions.

Récapitulant quasi exhaustivement les méfaits du « sarkozysme » et de sa République si peu « irréprochable », cette très éclairante Note de la Fondation Copernic prétend fournir des éléments pour « inventer d’autres avenirs ». Avec qui, mesdames et messieurs ?...

Editions Syllepse à Paris, février 2012, 200 pages, 7 €.

(1) Vidéo visible sur Dailymotion. (2) Dans « Le président des riches » (chez Zones, septembre 2010, 228 pages, 14 euros), Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon détaillent les magouilles que favorise ce dispositif. (3) "Libération" du 13 juillet 2010.

René HAMM Bischoffsheim (Bas-Rhin)


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