11 août 1792 Suffrage universel masculin

vendredi 10 avril 2020.
 

1792 : suffrage universel masculin, instauré brièvement le 11 août 1792, après la mise en place d’un Conseil exécutif provisoire et la décision de convoquer une nouvelle Assemblée, la Convention nationale (21.09.1792 - 26.10.1795). Les élections législatives se déroulent du 2 au 6 septembre 1792, mais, étant donné la Terreur, le suffrage est limité : La participation électorale, très faible, dans les départements est de 11,9 % du corps électoral, contre 10,2 % en septembre 1791, alors que le nombre d’électeurs a plus ou moins doublé4.

Lorsqu’en 1848 le suffrage « universel » remplace le suffrage « censitaire », il n’a d’universel que le nom puisque les femmes en sont exclues. Il faudra attendre encore un siècle pour qu’elles puissent voter. Et aujourd’hui il reste encore à conquérir le droit de vote pour les immigrés non européens.

Le dimanche 23 avril 1848, des milliers de paysans, venant de leur village, et conduits par leur maire, convergèrent vers le chef-lieu de leur canton afin d’élire leurs représentants à une Assemblée constituante. Celle-ci avait été convoquée par le gouvernement provisoire né de la révolution de février 1848. Dès le 2 mars, il avait décrété que le suffrage serait « universel et direct ». C’était la première expérience de masse du suffrage « universel » (seulement masculin certes), depuis la Révolution française. En effet, pour l’élection de la Convention en 1792, le droit de suffrage avait été accordé à presque tous les hommes adultes (domestiques et assistés exceptés) et la Constitution de 1793 avait même levé cette exception.

Alors que la monarchie restaurée après 1814 avait très fortement limité le droit de vote, la revendication du suffrage « universel » était peu à peu devenue populaire, sous l’influence des républicains, en particulier dans les villes. Et pourtant, en mars 1847 encore, le premier ministre Guizot avait déclaré à la Chambre  : «  Il n’y a pas de jour pour le suffrage universel.  » Le terme «  universel  » alors s’oppose à «  censitaire  ». Il signifie qu’il n’est plus nécessaire de payer un impôt même minime pour voter et que seuls sont pris en compte l’âge (vingt et un ans), un domicile connu de quelque durée et le fait de n’être pas jugé indigne ou incapable, par décision de justice. En 1848, comme après le 10 août 1792, le suffrage «  universel  » est donc une conquête révolutionnaire. Et elle est de grande ampleur puisqu’on passa de 240 000 électeurs législatifs en 1846 à plus de 9 millions en avril 1848. Certes, des militants comme Blanqui auraient voulu qu’on retarde les élections pour instruire le peuple. Celui -ci participa néanmoins massivement, et dans l’ordre, à cette première élection. En décembre 1848, ces mêmes électeurs élurent aussi le président de la République, et c’est Louis-Napoléon Bonaparte qui l’emporta. Cette conquête quarante-huitarde ne put être remise en cause durablement, mais après le coup d’État du même Louis-Napoléon (2 décembre 1851), le pouvoir dévoya le suffrage par des méthodes plébiscitaires ou par un encadrement autoritaire des élections et il revint à la Troisième République de faire fonctionner le suffrage universel de façon à peu près correcte.

L’exclusion des femmes de la vie politique, qui correspondait certes à l’état des mentalités dominantes à l’époque, constituait cependant une anomalie de taille qui fut signalée par les féministes dès la Révolution, puis en 1848 et surtout à partir des années 1860. Alors que la France avait été très en avance en Europe sur l’extension du suffrage à la masse des hommes, il fallut attendre chez nous jusqu’en 1944, pour que la revendication du vote des femmes obtienne satisfaction. Ce retard s’explique par les conditions politiques propres à la France. Si les communistes, les socialistes et certains chrétiens étaient favorables au vote féminin, en revanche pesaient en sens inverse une certaine faiblesse du mouvement féministe par comparaison avec l’Angleterre, la crainte chez une partie des républicains, les radicaux notamment, que le suffrage féminin ne mette en danger la République à cause de l’influence que le clergé catholique conservait dans la population féminine, et l’influence excessive dans les institutions d’une assemblée à dominante rurale, le Sénat. Même le Front populaire ne mit pas en œuvre le vote féminin. C’est seulement à l’issue de la Seconde Guerre mondiale que le général de Gaulle, interprète sur ce point des forces de la Résistance, 
institua, par l’ordonnance du 21 avril 1944, le droit de suffrage féminin. Ajoutons que ces résistances à élargir le droit de suffrage concernèrent aussi les populations autochtones des colonies françaises (en dehors d’une fraction du Sénégal, des Antilles et de La Réunion) et c’est seulement en 1946 que ce droit leur fut accordé dans le cadre de l’Union française. 
Enfin, en 1974, l’âge électoral fut abaissé à dix-huit ans, effet distancié des événements de 1968. Ainsi la notion de suffrage «  universel  » s’est élargie avec le temps. L’accès au suffrage, au moins municipal, des immigrés non européens reste en suspens. Mais à quoi sert d’avoir le droit de vote si on ne l’exerce pas  ? Le progrès très préoccupant de l’abstention interroge actuellement notre démocratie surtout alors que les types d’élection se sont multipliés  : présidentielle (1962 – Ire élection en 1965), régionales (1985 et 1986), européennes (1977 et 1979). Il n’en reste pas moins que les moments électoraux restent des moments importants de la vie politique française et que le suffrage universel reste bien le grand juge et l’arbitre fondamental de notre vie politique.

Dès que le suffrage universel fut institué, 
les conditions de son exercice suscitèrent 
des critiques et des projets de réforme. 
Au départ, la préoccupation principale 
fut de soustraire le vote aux influences 
de l’État, des notables ruraux, des patrons 
ou de l’Église. Puis, afin d’aboutir à une plus juste représentation, la question, toujours ouverte d’ailleurs, de la représentation proportionnelle s’imposa. Le référendum, d’abord très contesté parce qu’il tendait à se transformer en plébiscite, finit par être accepté, à partir 
de 1945, et son domaine a été plus tard élargi. Le débat électoral a de plus en plus subi l’influence des grands médias (radio puis télévision), d’abord dominés par l’État puis passés en partie aux mains du privé. Si la parité hommes-femmes au niveau des candidatures a été imposée désormais par la loi, la représentation des femmes dans les assemblées élues reste minoritaire. Enfin la revendication, au-delà des élections, d’une démocratie plus «  participative  » est désormais d’actualité.

Raymond Huard, L’Humanité


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