"Nous ne voulons plus attendre" le cri des précaires dans toute l’Italie

jeudi 14 avril 2011.
 

Ils vivent comme des étrangers dans leur patrie. Comme des hôtes, et non comme des citoyens, dans le Pays qui devrait leur procurer des droits, des garanties, des perspectives d’avenir . Et aujourd’hui, ils ont crié, dansé et défilé dans les rues des villes italiennes pour manifester leur colère à cause de leurs conditions de travail. Les jeunes précaires ont lancé un message clair, sans ambiguïté : « Notre temps est venu ». De Rome à Naples, puis à Turin, Milan, Palerme et dans beaucoup d’autres villes. Une fête amère. Pour dénoncer encore une fois le fait que « l’on ne parvient pas à boucler les fins de mois », qu’« il n’existe pas d’amortisseurs sociaux ». Qu’ils vivent « avec le désir d’avoir une famille ». Et avec la perspective de « ne même pas réussir à partir en vacance ». Une génération qui s’est réunie pour décider que le temps d’une action commune, diffuse, incessante est venu. « Pour se réapproprier son futur et changer l’Italie ».

« Nous sommes nombreux et nous avons raison ». A Rome la street parade part de la place de la République. En tête un camion qui accueille quelques-uns des organisateurs de la manifestation. De la musique et des revendications. « Nous apportons dans la rue notre beauté, notre connaissance, notre envie d’affranchissement ». Puis viennent les chansons de l’Italie du boum économique, Il Ballo del Mattone, Sono bugiarda, Let’s twist again. Pour rappeler un lien direct avec ce Pays d’alors qui offrait à tout un chacun la possibilité de réaliser ses propres rêves, de faire ses preuves. Beaucoup de jeunes, bien sûr. Mais aussi des parents, des grands-parents, des enfants. Une voix commune : « Ce pays ne nous ressemble pas mais nous n’avons pas l’intention de l’abandonner ». Et ainsi de suite, jusqu’à construire un tableau détaillé de l’Italie de 2011 vue avec les yeux de ceux qui « perdent chaque jour un peu plus de dignité ».

« Berlusconi, ton temps a expiré ». Ensuite l’Europe qui est définie par beaucoup comme « notre terre promise ». Le modèle à atteindre. Loin de la rhétorique sur la méritocratie de « ce gouvernement dont la seule politique contre la précarité est d’éliminer les précaires ». Et le spectre de Silvio Berlusconi, de ses déclarations, de ses dernières sorties insoutenables, est partout. Des commentaires, des critiques, et le cortège explose quand le message adressé au premier ministre est lu : « Maintenant c’est nous qui demandons un sacrifice au Président du Conseil. Nous lui demandons de se retirer, car il a atteint la limite d’âge et commis le vol aggravé du présent, du futur, et de la dignité de ce pays. Puis les paroles adressées au ministre Meloni : « Tu nous as écrit une lettre. Tu dis être avec nous. Mais nous ne te croyons pas. Tu es complice de ce gouvernement, ses fautes sont aussi les tiennes.

Street parade. Le cortège traverse les rues de Rome. Nichi Vendola, Susanna Camusso, Rosy Bindi s’unissent aux étudiants, aux téléopérateurs des centres d’appels, aux stagiaires, à tous les précaires de la connaissance. Aux agit prop (AGITatori PROPagandista, des anciens du PCI = agitateurs propagandistes) et aux hommes qui, tenant le mégaphone, annoncent revendications sur revendications. Depuis ceux qui travaillent dans les services publics à ceux qui, possédant un doctorat en recherche, « mendient chaque jour ce qui devrait être garanti ». C’est aussi une street parade à thème multiple. Aux coins des rues, des flash mob et des installations donnent une représentation expressive des problèmes des précaires : le droit au logement devient « Ceux qui n’ont pas de maison, qu’ils restent dans la tente »*, puis les cerveaux en fuite et les techniciens du spectacle agitent, en larmes, des mouchoirs blancs pour dire adieu à tout espoir. Rue Labicana, avec le Colysée en toile de fond, la ville devient le lieu à exploiter pour mettre la main sur la culture : des posters et des affiches qui représentent des tableaux de Klimt et de Dali, sont superposés aux affiches électorales.

« Nous voulons un futur ». Encore de la musique avec les classiques du punk, des Ramones à Iggy Pop, utilisés comme vecteur pour décrire la condition actuelle de nombreux jeunes : « No Future ». Des notes qui accompagnent les précaires jusqu’à la scène centrale, en face de l’Arc de Constantin. Le message envoyé par Oscar Luigi Scalfaro arrache des applaudissements. Puis les mots adressés à Giorgio Napolitano, aux partis et aux organisations syndicales « afin que leurs paroles et leur proximité ne s’arrêtent pas aux déclarations ». Une génération qui dès aujourd’hui veut ouvrir un espace commun. Pour accueillir aussi d’autres voix discordantes, comme celles de jeunes de l’Afrique du Nord, qui viennent raconter leurs histoires et le sens de leur protestation. Ensuite les paroles de l’appel, presque récitées, prononcées à l’unisson : « Nous sommes les histoires de précarité que vous lisez chaque jour dans les journaux. Nous voulons un futur. Nous voulons un tout autre pays. »

Des mots qui, grâce à la toile, parviennent aussitôt aux quatre coins de l’Italie. Réseaux sociaux, Youtube. Une quantité énorme de choses à la disposition de tous ceux qui, « peut-être parce qu’ils sont obligés de ne pas s’éloigner de leur lieu de travail », n’ont pas pu descendre dans la rue aujourd’hui. Et puis il y a ceux qui, partant d’ autres villes italiennes, se sont mis aussitôt en route pour arriver ici, apportant de Naples, de Bologne, des impressions, des histoires et l’envie de changer. Une génération qui se réunit en se promettant de faire ensemble tout le chemin nécessaire pour changer l’Italie.

Par Carmine Saviano.

TRAD : DAVID MARÉCHAL


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