La privatisation, c’est mauvais pour la santé

samedi 9 avril 2011.
 

« Il n’y a pas de privatisation de la santé », déclarait en 2009 Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé. Tout semble pourtant prouver le contraire. Les dernières réformes (plan hôpital 2007 et la loi HPST) ont mis en place une série de mesures qui remettent en cause le secteur public hospitalier. L’alignement des tarifs entre le public et le privé, les contrats de partenariat public-privé (PPP) ou les exigences de rentabilité avec l’introduction de pratiques managériales pour un « hôpital entreprise » sont autant de signes d’une rupture avec les valeurs qui fondent les missions de l’hôpital public. Dernier en date, un amendement à la loi Fourcade qui facilite l’attribution des missions de service public aux cliniques commerciales. Pas vraiment étonnant quand on sait que les rapports publics, dont sont issues ces réformes de l’hôpital engagées depuis 2003, ont tous été rédigés, pour partie au moins, par des personnalités ayant des liens avec le secteur privé. On ne s’étonnera donc pas qu’ils glorifient la « performance » et « l’efficience », en appelant à l’accélération des « restructurations », mot venant lui-même de l’économie industrielle.

LE BLOC OPÉRATOIRE DE L’HÔPITAL FERME À 18 H 30

Le cas du centre hospitalier de Melun, en Seine-et-Marne, est emblématique de ce nouveau système. Depuis juin 2009, le bloc opératoire de l’hôpital est fermé dès 18 h 30. De fait, les malades qui déclenchent des complications en fin d’après midi, de même que les patients arrivés aux urgences, sont envoyés dans un autre établissement. Ou parfois, situation ubuesque, « ils sont opérés à la maternité lorsque leur cas est jugé vital, à condition que le bloc soit libre », regrette Fabienne Bézio, secrétaire de la CGT de l’hôpital de Melun, dénonçant une décision prise pour « alléger les charges », sachant « que tout a été fait pour le fermer ». « Cette fermeture du bloc chirurgical met en péril la vie des patients et affaiblit l’hô pital », s’insurge un médecin, qui préfère garder l’anonymat en raison des « pressions exercées sur le personnel ». En 2008, on comptait six chirurgiens viscéraux pour seulement deux aujourd’hui. Et depuis 2010, l’établissement a perdu son agrément pour la cancérologie chirurgicale. La radiothérapie, qui faisait l’objet d’un groupement public-privé, va sans doute être cédée dans sa totalité à une clinique privée courant 2011. Et d’après la CGT, le bloc chirurgical pourrait fermer ses portes en septembre prochain. « En cinq ans, l’offre de soins s’est notablement réduite sur Melun », résume Laurent Tsakiris, gastro-entérologue au centre hospitalier.

LE PRIVÉ SE PARTAGE LA PART DU GÂTEAU LA PLUS GROSSE

Les personnels auraient pu espérer que cette hémorragie s’arrête avec la création d’un nouvel hôpital sur Melun, si le projet ne prévoyait pas de confier à un partenaire privé l’ensemble des opérations chirurgicales planifiées. L’agence régionale de santé (ARS) a en effet demandé, en 2010, la réunion des trois cliniques de Melun et de l’hôpital sur le même site. Le projet est sans ambiguïté : « Le privé se partage la part du gâteau la plus grosse et la plus rentable », résume Fabienne Bézio. Selon la CGT, la structure même du bloc opératoire serait confiée au privé, ce qui conduirait l’hôpital à louer les services du bloc. La maternité resterait dans le giron public et les urgences seraient partagées entre les deux entités. « Vu la situation, l’hôpital de Melun est contraint de négocier rapidement avec un secteur privé devenu très fort », déplore Laurent Tsakiris, dans une lettre adressée au professeur André Grimaldi, fer de lance du mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP). « Le projet qui va être conclu va offrir à un groupe privé des millions d’euros de financement public mais également des conditions de fonctionnement complètement déséquilibrées dans le cadre du système de tarification actuel, qui privilégie les séjours courts et programmés et les actes techniques. Le secteur privé restant libre de choisir ses patients et d’effectuer ses actes programmés (chirurgie) ou rentables (cardiologie interventionnelle, cancérologie). Le secteur public assurant la médecine, la psychiatrie, les urgences, la réanimation », explique le médecin. « On ne fait pas la même activité. Nous, on s’occupe des cas les plus lourds… Mais c’est là toute la stratégie de démembrement du service public », renchérit son collègue anonyme. Cette répartition des activités parfaitement inégale, et la volonté affichée de considérer l’offre de soins globalement, publique ou privée, risque d’aboutir à moyenne échéance à maintenir les hôpitaux publics en déficit chronique, avec comme seule variable d’ajustement le personnel paramédical et médical.

Le hold-up des cliniques

Introduction en Bourse, OPA, fusions, acquisitions… Une fraction du secteur de l’hospitalisation est entrée dans l’ère de la finance.

Sur les 45 millions de personnes hospitalisées chaque année, l’hôpital public en prend en charge 57 %, les cliniques privées, 34 %. Même si l’hôpital public domine, la France est néanmoins le pays d’Europe où la part de marché du secteur commercial est la plus élevée. Notre pays attire de nombreux investisseurs : la Générale de santé, premier groupe européen, est ainsi dotée de capitaux majoritairement italiens ; le groupe Vitalia, qui a acquis 46 cliniques en deux ans, appartient au fonds de pension Blackstone, lui-même détenu à 10 % par l’État chinois ! Capio (26 établissements) est détenu par des fonds américains et européens tandis que Médi-Partenaires (22 cliniques) appartient à des investisseurs britanniques. Chez Vedici, c’est l’international Apax qui tient les cordons de la Bourse. Quel intérêt pour ces organismes plutôt habitués au CAC 40 qu’aux salles d’attente ? Tous ces groupes misent sur les réseaux pour réaliser des économies immédiates allant jusqu’à 3,5 %. Ainsi, le taux de rendement des capitaux investis dans les cliniques a bondi de 10,8 % en 2004 à 15,7 % en 2010. Et la Générale de santé, cotée en Bourse, a pu reverser 420 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2006. Peu de marchés permettent d’obtenir cette rentabilité. D’autant que l’investissement s’annonce durable : on vit de plus en plus vieux, donc on est de plus en plus malade… Qui plus est, la situation est entérinée par les politiques de santé. « Ce sont les mesures de privatisation, mises en place par les ministres de la Santé successifs, qui ont permis aux tenants du capital financier de s’emparer du système de santé initialement solidaire », explique Frédéric Pierru, sociologue de la santé. Néanmoins, depuis quelques années, le taux de rentabilité des cliniques s’érode du fait des limites à la rationalisation industrielle de la pratique médicale et de la stagnation des « parts de marché » concentrées sur la chirurgie programmable et les soins facilement standardisables. La hausse de leur chiffre d’affaires n’a été que (!) de 4,4 % en 2007 et 3,5 % en 2008, après une croissance de 6,7 % en 2006 et 8,7 % en 2005. C.

A. C.

Les rêves libéraux du Medef exaucés par le pouvoir

Ce texte de novembre dernier révèle comment le syndicat patronal « inspire » le gouvernement dans ses décisions sanitaires.

Un système de santé trop solidaire

Selon le Medef, « il convient de conforter notre système de santé en y introduisant des réformes courageuses au plus tôt, sans doute après les élections présidentielles de 2012 ». Comprenez : n’est-il pas injuste que l’assurance maladie obligatoire (AMO) soit financée à 90 % par les actifs et seulement à 10 % par les retraités ? Alors même que les prestations de santé ne concernent que 60 % des actifs et 40 % des retraités : un pactole de cotisations qui échappe aux chasseurs de profits.

Le public dans l’étau de la « concurrence »

Mettre en concurrence les établissements publics et privés de chaque région constituerait « une première incitation pour l’ensemble des hôpitaux à améliorer leur efficience ». Pour cela, il est nécessaire de « définir des missions claires d’optimisation des budgets pour les directeurs d’ARS », comme « favoriser la recherche de mutualisation, d’externalisation de services périphériques de l’offre de soins », de « reconversion de lits d’hôpitaux en lits de soins de suite »… On apprend ainsi qu’une « réduction de seulement 10 % de l’écart de coût entre le secteur public et le secteur privé engendrerait une économie de 1 milliard d’euros par an ».

Le gâteau de l’externalisation

« Considérant que le budget des fonctions non soignantes de l’hôpital équivaut à 30 % de son budget total, on peut en conclure que l’externalisation pourrait représenter une source d’économie de 15 % en moyenne de son budget, donc 2 milliards d’économie par an. » Ou une bonne part nouvelle pour le privé…

Soigner moins pour gagner plus

« Les ALD doivent être maîtrisées », assène le Medef. En 2007, les dépenses des affections de longue durée (ALD) représentent près de 80 milliards d’euros et concentrent près de 65 % des remboursements de l’assurance maladie. « On ne peut pas ne pas se focaliser sur les ALD », prétend le Medef, qui estime que le nombre de patients admis en ALD augmente beaucoup plus rapidement (5,3 % par an) que la population globale (1,3 %). « Il est nécessaire de revenir à une situation plus normale (le taux de 15 % de la population en ALD est le plus élevé de l’Union européenne). » Pour in fine « diminuer les flux entrants ».

Culpabiliser et racketter les « usagers »

Franchises, déremboursements de médicaments, dépassements d’honoraires. Il faut amplifier cette tendance. « La voie des franchises dont on sait qu’elle est efficace mériterait d’être approfondie, même si elle est mal tolérée par les Français. » S’agissant des dépassements d’honoraires, le Medef demande que la création d’un secteur optionnel encadré « soit menée à son terme ». Il est également indispensable de « renforcer le contrôle des arrêts de travail » ou encore de « cibler les médecins prescripteurs qui exagèrent ». À long terme, les usagers doivent être rendus « responsables de leurs dépenses santé par le biais de l’assurance complémentaire ».

L’humanité coûte trop cher

Il est « indispensable d’endiguer l’explosion de l’aide médicale d’État ». Selon le Medef, le panier de soins de l’AME rend notre pays « tout particulièrement attractif » au sein de l’OCDE. Une proposition avancée : « revoir le dispositif à la baisse ».

Médicament : touchez pas au grisbi !

Surtout, ne touchez pas au pactole des industries pharmaceutiques. Car en ce qui concerne les coûts des médicaments remboursés par la Sécu, « tout a été fait (…) en matière de maîtrise des coûts » ! A. C. Extraits de la position du groupe de travail santé du Medef en date du 2 novembre 2010.

A. C.


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