SYNDICAT JAPONAIS ZENZOREN « engager la discussion avec nous sur l’avenir du nucléaire"

dimanche 4 octobre 2015.
 

Responsable de la centrale syndicale Zenzoren (1,2 million d’adhérents), Keisuke Fuse évoque la spécifi cité de la tragédie. Critiquant la réaction des autorités, il pointe le risque que la catastrophe nucléaire éclipse la situation dramatique des victimes du tsunami.

Quels sentiments éprouvez-vous devant la situation actuelle à Fukushima ?

KEISUKE FUSE. À vrai dire, c’est accablant, et je n’ai pas de mots pour exprimer ce que je ressens. Il est évident que Tepco n’est pas capable de faire face aux problèmes de la centrale et qu’ils continuent de dissimuler la vérité. De ce point de vue, les gens sont vraiment contrariés.

La gestion de l’industrie nucléaire par une compagnie privée est sur la sellette...

KEISUKE FUSE. Le peuple japonais n’a pas confiance dans le gouvernement sur ce dossier. L’information donnée est tardive, insuffisante. Pour les gens, Tepco et le gouvernement portent la même responsabilité. En effet, Tepco est une entité privée mais cette compagnie est étroitement contrôlée par le gouvernement. Nous avons besoin d’un changement fondamental de la politique énergétique.

Comment percevez-vous, à ce jour, les conséquences économiques et sociales de la catastrophe ?

KEISUKE FUSE. La majeure partie de l’est du Japon est affectée par les conséquences du tsunami, et l’on compte plus de 20 000 morts ou disparus, et près de 340 000 personnes ont été évacuées. L’économie japonaise sera impactée sur une grande échelle et pour longtemps. À ces difficultés, il faut ajouter l’accident nucléaire et ses effets sur l’économie, tels que les coupures de courant dans la région de Kanto et la contamination des légumes. À ce jour, la mesure exacte des dommages n’a pas encore été prise, et il est difficile de dire l’impact sur les travailleurs. Mais nous allons certainement avoir une augmentation du chômage, et je suis certain que les employeurs vont tenter d’utiliser la tragédie pour nous demander d’accepter des baisses de salaires et une dégradation des conditions de travail.

Comment appréciez-vous la réponse du gouvernement aux événements ?

KEISUKE FUSE. Nous sommes très mécontents. Le secrétaire général du gouvernement, Yukio Edano, consacre l’essentiel de sa conférence de presse quotidienne à la seule question des centrales nucléaires. Le désastre nucléaire est très grave, mais il n’y a pas que ça. Nous avons encore 20 000 disparus suite au tsunami. De nombreux corps sont sous les décombres ou dans l’eau, leurs familles les recherchent désespérément. J’ai parfois l’impression que l’accident nucléaire fait écran entre Tokyo et les zones dévastées de Tohoku, ce qui nous empêche de leur apporter secours comme il faudrait. Il faut bien voir que cette catastrophe est totalement différente de celles que nous avons véçues. Quand un violent séisme a détruit Kobe en 1995 et tué 6 000 personnes, dix jours après on ne dénombrait que 51 disparus. Cette fois-ci, dix jours après le tsunami, nous avons 20 000 disparus. Le tsunami a tout balayé, y compris les bureaux des administrations locales. Des masses énormes de débris empêchent les sauveteurs et les familles de retrouver leurs proches. J’espère que vous comprenez la spécificité de cette tragédie sans précédent. Le gouvernement, lui, se montre incapable de l’affronter. Le manque d’informations précises provoque la panique dans la population. C’est pratiquement le cas à Tokyo ces jours-ci, mais l’on survit, tout en restant à la merci des ennuis que pourrait causer une coupure générale de courant décidée par Tepco.

Quel rôle jouent, dans ces circonstances, les fédérations et les militants de votre syndicat ?

KEISUKE FUSE. Dès le début, nous avons entrepris d’apporter des secours dans les trois zones les plus touchées de Miyagi, Iwate et Fukushima. Nous avons aussi immédiatement pris contact avec d’autres organisations démocratiques, telles que la Fédération des agriculteurs et la Fédération japonaise des institutions médicales démocratiques (Miniren). Puis, nous avons envoyé une équipe médicale au centre hospitalier de Miyagi, affilié à Miniren. En outre, nous avons appellé tous nos adhérents à collecter des fonds dans tout le pays. Maintenant, nous modifions notre activité de solidarité pour l’inscrire dans une perspective de plus long terme. Dans les préfectures les plus touchées, nos organisations locales font leur maximum pour que l’emploi, les conditions de travail soient maintenus. Zenzoren a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’emploi décent dans les zones dévastées.

Que peuvent faire les salariés, les syndicalistes de France pour manifester leur solidarité ?

KEISUKE FUSE. Zenzoren apprécie beaucoup les nombreux messages de solidarité que nous recevons de France. Nous sommes reconnaissants à la CGT, et son association Avenir social, qui collectent des fonds pour les victimes japononaises. Nous serions très heureux si vous participiez à ce mouvement de solidarité financière. Nous remercions également la CGT qui traduit et publie chaque jour sur son site Web les nouvelles que nous lui envoyons, et je souhaite que le plus grand nombre de gens suivent notre situation. Enfin, nous apprécierions si le peuple français engageait la discussion avec nous sur l’avenir du nucléaire, dans la mesure où nos deux nations s’appuient largement sur cette source d’énergie.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR YVES HOUSSON, L’Humanité


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