Le socialisme néomoderne : un outil précieux

mardi 11 mai 2021.
 

Mise en contexte et notes de lecture sur Le socialisme néomoderne.

Des fondements nouveaux pour la philosophie politique et pour une société socialiste néomoderne.

Réflexions sur le socialisme néomoderne de Jacques Généreux (Ed. du Seuil) par H. Debonrivage

La crise économique et financière actuelle focalise toutes les attentions à gauche comme à droite mais celle-ci n’est que la partie émergée de l’iceberg d’une crise généralisée, non seulement du capitalisme contemporain qui s’est de plus en plus financiarisé mais d’une crise politique plus générale encore. Non seulement le libéralisme est à bout de souffle mais aussi les modèles alternatifs qui ont été développés au 20ème siècle ; : échec cinglant du socialisme étatique (improprement appelé communiste), épuisement des modèles sociaux-démocrates y compris scandinaves, échec de la gauche plurielle en France pour résoudre les problèmes sociaux majeurs.

Et à défaut d’idées nouvelles , les partis dominants (UMP et PS en France) deviennent des entreprises de marketing politique : la politique n’est réduite progressivement à n’être, en-deçà ou au-delà des mots, qu’un gagne-pain (selon l’expression de Bourdieu) , c’est à dire une pourvoyeuse d’emplois, de gains et de profits narcissiques. Cette absence d’idées est occultée par des discours gestionnaires, sécuritaires et sociétaux. On ne peut donc être surpris des multiples ralliements, revirements, reconversions en tous genres, notamment dans des institutions internationales au service du libéralisme économique,( sous prétexte de "réalisme") on ne peut être surpris de ces pertes de repères qui frappent non seulement le PS mais aussi, dans une certaine mesure aussi la droite qui est devenue moins assurée dans sa foi aux bienfaits du libre marché non régulé. Pendant ce temps les conditions de travail et de vie se dégradent, les acquis sociaux se dissolvent. L’avenir des enfants devient problématique dans toutes les couches sociales, sauf pour une très petite frange de la population à patrimoine élevé.

Face à cette situation, la gauche du PS est encore trop morcelée malgré de nombreuses convergences idéologiques. Grâce à une réflexion collective approfondie, ce morcellement pourrait être surmonté et aboutir à l’émergence d’une force politique nouvelle alternative de gauche. En attendant, cette gauche ne propose pas encore d’alternative unitaire ralliant toutes les forces situées à gauche du PS si ce n’est que des catalogues programmatiques de type syndical ou des convergences d’actions, souvent défensives et sans lendemain, ou encore des alliances électorales dont le contenu stratégique occupe l’essentiel du champ de ses discussions.Or si le problème des alliances n’est pas à négliger, la réflexion politique ne serait se résoudre à ce seul aspect ou à de simples mesures programmatiques.

La construction du front de Gauche constitue un pas en avant mais devrait pouvoir s’élargir comme cela a pu commencer à se faire au niveau local et surtout devrait approfondir les liens entre organisations qui ne devraient pas se réduire à une simple alliance électorale.

La Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE)15, Les Alternatifs le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP), le Parti communiste des ouvriers de France (PCOF) et l’association République et socialisme se sont prononcés pour un accord national avec les composantes du Front de gauche Les militants de la Creuse et de la Corrèze, par exemple, ont démontré que cette politique d’unité était productive sur le plan électoral.

Cette gauche souffre donc d’une triple carence : une absence de projet de société alternatif fondé sur de nouvelles bases (absence de réflexion sur les fondements), une absence de structure organisationnelle d’un type nouveau conciliant la verticalité traditionnelle et l’horizontalité respectant les diversités et favorisant l’émergence de formes nouvelles de réflexion collective et d’action. Un aspect de cette carence organisationnelle est le déficit de liens des intellectuels avec les couches populaires. Enfin, une déficience d’audience liée à plusieurs facteurs endogènes et exogènes.

Concernant son audience, malheureusement pour elle, la gauche du PS n’a pas compris que la bataille politique prioritaire qui vaille pour elle est la conquête des médias, la dénonciation et la levée de la censure. De fait elle supporte par rapport au PS et à l’UMP une inégalité énorme dans sa présence dans le champ médiatique. Il existe une disproportion colossale entre le temps et !’espace de parole de l’UMP ou du PS et le sien. Cette situation devrait être ressentie comme insupportable car quelque soit la qualité de ses projets, de ses programmes, quelque soit la qualité intellectuelle et morale de ses représentants, quelque soit la qualité du travail fourni sur le terrain, sans audience suffisante, tout cela n’est que néant, ou tout au plus, quantité négligeable pour 90% ou 95% du corps électoral français.

Une conséquence importante de cette situation est l’absence de relais politique crédible de masse pour satisfaire les revendications syndicales et associatives qui trouvent en face d’eux un pouvoir toujours plus arrogant ou intransigeant. Cette absence d’unité forte et de projet unitaire engendrent le désespoir et la rancœur des couches populaires qui se réfugient dans l’abstention, la dépolitisation . Plus grave encore, cette division et absence d’alternative unitaire crédible pour la majorité de la population peut favoriser le développement de mouvements fascistes récupérateurs de la désespérance et de la souffrance sociale.

Heureusement, certaines régions ont montré que cette tendance pouvait être inversée en construisant un front de gauche élargi (incluant notamment le NPA). Mais même dans ces situations beaucoup de travail de réflexion reste à faire pour cimenter l’unité sur des fondations idéologiques communes solides.

Le danger habituel est que toute l’énergie des militants soit absorbée dans des tâches électorales, de gestion et de représentation. Il ne reste alors plus de temps pour réfléchir, tisser de nouveaux réseaux entre organisations. Certes la tenue des congrès constitue un temps de réflexion mais celle-ci ne laisse pas assez de place à ce que l’on a coutume d’appeler philosophie politique. Nous sommes loin de l’époque où, par exemple, les militants communistes étudiaient, dans les "Ecoles du Parti" le traité de philosophie de Georges Politzer ! Il ne s’agit pas ici d’être nostalgique mais de rappeler que depuis nos hommes politiques sont devenus souvent des gestionnaires prisonniers de ce que Bourdieu appelait "l’intelligence pratique".

Mais la lecture des "Lignes d’horizon" du PG tempère mes propos quelque peu pessimistes : ce document collectif ouvre la voie à une réflexion plus profonde et pose le problème de la définition d’une véritable identité de gauche sans réduire celle-ci à un quelconque "anti" : anti sarkozisme, anticapitalisme, antlibéralisme ou autre. On ne peut en effet définir un système de valeurs ou une idéologie politique par simple opposition (ce que font souvent les adolescents) mais surtout par affirmation d’une autre représentation du monde et d’un autre projet de société.

Or, le livre de Jacques Généreux, le socialisme néomoderne, arrive, si j’ose dire, au bon moment, car après avoir fait un bilan du libéralisme et des expériences socialistes, en montrant comment leurs fondements (ou du moins une partie de leurs fondements) les mènent à leur perte, il refonde sur de nouvelles bases ce qu’il appelle la société de développement humain ou le socialisme néomoderne. Nouvelles bases ? JG creuse large et profond car sa prospection des sociétés passées à l’aide des science de l’Homme, le conduit à identifier des invariants anthropologiques incontournables pour la construction de toute société humaine, invariants qu’il va utiliser, en les adaptant, pour construire les 20 fondements anthropologiques du socialisme néomoderne.

Mais que signifie socialisme pour J.Généreux ?"Ainsi, pour moi, le mot « socialisme » désigne une théorie politique fondée sur une conception sociale de l’être humain, à savoir que l’être humain, sa conscience, sa personnalité, ses motivations, ses capacités, etc., se construisent dans et par la relation avec les autres hommes, si bien que chacun est à la fois acteur de la vie des autres et acté par la vie des autres. Cette conception est simultanément à l’opposé de l’individualisme méthodologique et du holisme, parce qu’elle récuse aussi bien tout déterminisme social que tout déterminisme individuel. Il n’y a dans le socialisme méthodologique aucun déterminisme, il n’y a qu’une interaction entre les êtres, d’une part, et entre les êtres et la société qu’ils constituent ensemble, d’autre part. L’histoire de cette interaction est contingente et pour cette raison ouverte à l’action politique qui vise à l’orienter.

L’orienter dans quel but et comment ? Dans le but d’une égale et réelle liberté pour tous ; par la transformation de la société en sorte que celle-ci renforce les liens solidaires et les possibilités d’association qui étendent la capacité de tous. Le socialisme est donc ici défini par une méthode d’analyse de la société et par le projet d’une construction sociale de la liberté. Ce socialisme-là n’est pas un postulat arbitraire, c’est un cadre de raisonnement politique rigoureusement fondé par l’étude des connaissances disponibles sur la façon dont les êtres humains se construisent, grandissent et vivent en société.(p55)

JG définit ce socialisme comme socialisme méthodologique fondée sur une conception scientifique et non idéologique ou métaphysique de la nature humaine. Mais tout cela n’exclut pas , bien au contraire sa référence à Marx et Jaurès : " Cette refondation anthropologique ne dissout pas pour autant le double héritage de la morale et de la science socialistes du XIXe siècle. Nous verrons que, d’une certaine manière, elle réunit ces deux traditions en opérant la synthèse véritable de leurs intuitions. L’idéal humaniste de Jaurès ou de Malon et le matérialisme historique de Marx ou d’Engels sont insuffisants si on les oppose. Ils ouvrent au contraire un nouvel horizon quand on soumet l’humanisme du premier à l’ambition scientifique du second. Le socialisme néomodeme est le discours politique fondé sur une science de la nature humainel6.( 15. Ci-après, par « anthropologie générale » ou par « science de l’homme », je désigne l’ensemble des disciplines pourvoyeuses d’informations sur la constitution, le fonctionnement, le développement personnel et collectif des êtres humains. Cela inclut notamment la paléoanthropologie, l’éthologie, la psychiatrie, la psychanalyse, la neurobiologie, la psychologie, la sociologie, l’économie, l’histoire, l’archéologie, l’ethnologie, etc.)

Cela ne signifie pas non plus que JG partage la vision sociologique marxiste du 19ème siècle.

Comme l’affirmèrent plus tard par exemple les auteurs marxiens Henri Lefèvre ou Maurice Godelier, JG précise : "La science de l’homme nous met aussi sur la voie d’un nouveau matérialisme historique. D’une part, les conditions matérielles de production et d’existence ne sont pas des infrastructures déterminant des superstructures idéologiques (idées, croyances, conventions sociales, etc.) ; en réalité, toutes les activités intellectuelles, morales et symboliques des êtres humains sont aussi matérielle aussi déterminantes que les autres formes matérielles d’existence. D’autre part, l ’histoire réelle de l’humain n’est pas d’abord celle des rapports de force économiques entre classes antagonistes. La constitution biologique, la psychologie des humains se sont forgées (des millions d’années durant) et se sont stabilisées dans le cadre petites communautés de chasseurs cueilleurs."

On comprendra alors pourquoi JG accorde une place de choix à la psychologie dans son livre bien que l’auteur soit de formation économique.

Pour autant, il n’a pas une conception substantialiste de la nature humaine. Pour lui :"Par « nature humaine », on entend donc des fonctionnements de l’être humain, invariants dans leur mécanisme mais d’une variété infinie dans leurs manifestations, parce que celles-ci résultent de l’interaction complexe de multiples facteurs (génétiques, familiaux, culturels, institutionnels, etc.), dans le contexte singulier d’une histoire personnelle unique, elle-même encastrée dans une histoire collective particulière."

L’auteur définit 20 fondements anthropologiques qui s’opposent aux conceptions individualistes qui sont des idéologies légitimant le capitalisme contemporain : l’humain est un être social, aucun comportement n’est génétiquement codé, la liberté réelle est construite par la richesse des liens sociaux, etc

A partir de ces fondements anthropologiques en accord avec la nature humaine, et qui définit ainsi un ordre social naturel, JG inverse la problématique de la liberté : "Le problème politique majeur n’est pas d’introduire un ordre social sans détruire la liberté naturelle : il est d’introduire de la liberté dans l’ordre social naturel" .

On pourrait donc risquer cette boutade : Jacques Généreux est un Jean-Jacques Rousseau des temps modernes !Il défend alors l’idée que la société est un bien en soi. "Pour un être social la société n’est pas un contrat facultatif d’échange de services, c’est le lieu inéluctable et le moyen même de l’existence. La société comme ses institutions constituent dès lors un bien en soi, et non unmal nécessaire."

L’auteur rejette donc une conception contractualiste (ou utilitariste) de la société où les droits sont conçus comme contreparties des obligations engendrant alors la compétition individualiste ou solidaire.

Il y substitue une société de coopération solidaire.

JG aborde aussi une question qui prend de plus en plus d’importance en Europe : le communautarisme mais sous un angle plus général et distancié : quels peuvent être les rapports d’une communauté avec la société ?

Il discerne dans toute société les liens intracommunautaires et les liens intercommunautaires ; il distingue alors quatre dynamiques de liens possibles : "Selon que la société favorise ou contrarie les liens intracommunautaires et le liens entre communautés, on identifie quatre dynamiques : la dissociété individualiste qui réprime ces deux types de liens ; la dissociété communautarisée qui soutient les liens intracommunautaires pour mieux séparer les communautés ; l’ hypersociété qui dissout les liens intracommunautaires pour fondre les êtres singuliers dans un tout social homogène ; la société de progrès humain qui s’efforce de soutenir et de concilier tous les liens sociaux. Cette dernière voie est celle du socialisme : elle ne construit pas la communauté politique en détruisant les appartenances singulières, elle n’abolit ni la diversité des identités ni la conflictualité inhérente à cette diversité ; elle préserve au contraire une humanité pleine, c’est-à-dire contradictoire, tendue entre l’être soi et l’être avec, et, comme le mouvement même de la vie, s’appuie sur cette contradiction pour engendrer la dialectique positive des liens qui libèrent."

En analysant les aspirations fondamentales de l’être humain, par nature social, en actualisant la notion de nature humaine à la lumière des sciences contemporaines, en prenant appui sur les fondements anthropologiques, JG définit méthodiquement les principes de philosophie politique d’une société socialiste néomoderne, principes, qui, à leur tour, expliquent et justifient des mesures politiques concrètes : répartition des richesses, nécessité d’un secteur public puissant qui n’exclut pas une économie plurielle où le travailleur est aussi citoyen sur son lieu de travail. Il aborde, entre autres problèmes plus concrets : le rôle de l’impôt, la politiques du logement, de santé, d’éducation, l’abandon du productivisme, etc.

Il ne s’agit donc pas seulement de reprendre les principes de philosophie politique de Locke, Rousseau, Montesquieu, Tocqueville, Marx, Weber, ou Rawls, etc à des fins de pur exercice ou satisfaction intellectuels, mais de refonder une philosophie politique moderne pour donner assise à de nouvelles institutions, à une économie au service de l’humain et non au service d’une poignée de prédateurs, et aussi de permettre la construction et la vie de relations humaines non violentes et solidaires. Et ce qui fait le caractère exceptionnel de ce livre est bien l’ampleur de son approche pour définir avec méthode les nouveaux fondements d’une société alternative.

De même que les œuvres des philosophes des Lumières ont permis de penser et construire les démocratie modernes, l’œuvre de J.G permet de penser et de construire une société post-capitaliste et post-socialiste étatique.

Il serait trop long de mentionner ici tous les thèmes abordés par JG, car son livre constitue, d’une certaine manière, un véritable traité complet de philosophie et de sociologie politique : toutes les questions fondamentales sont abordées : justice, égalité et inégalité, responsabilité, coopération, solidarité, fraternité, contractualité, propriété, rapport de l’Homme à la Nature et au vivant ;notion de croissance ou décroissance économique, rapport entre conceptions économique et écologie, etc

Nous nous arrêterons sur une question que beaucoup considèrent comme prioritaire : quel type de système ou de fonctionnement économique propose notre professeur d’économie JG ? Nationalisations massives, étatisation, entreprises autogérées, société du tout marché ou économie planifiée ? Les esprits avides de simplicité resteront sur leur faim.

Après avoir étudié les rapports entre capitalisme et économie de marché, (p337 et suivantes) JG propose une société à "économie plurielle". (qui n’a pas grand chose à voir avec l’expérience de la "gauche plurielle". (p352 et suiv.) "Une économie plurielle est constituée par une grande variété d’organisations productives : associations d’économie solidaire, coopératives, mutuelles, entreprises individuelles, PME privées, grandes entreprises publiques ou mixtes, sociétés de personnes et de capitaux, etc. Le progrès humain passant notamment par la sociodiversité et le progrès de la coopération, les politiques publiques doivent favoriser la libre création de formes multiples d’ organisations productives fondées sur l’association et la solidarité de leurs membres."

Mais il s’agit pour JG de réaliser ce que ni les libéraux, ni les socialistes étatiques n’ont réussi à réaliser : concilier démocratie et économie à tous les niveaux de la société et, au premier rang, au niveau de l’entreprise : "Le principe d’égalité impose l’égalité de pouvoir, de droits et de dignité pour chaque membre de la société. Aucun citoyen ne doit être en capacité de dominer un autre citoyen du fait de sa position sociale, économique, hiérarchique, etc. Cela implique notamment un nouveau droit des sociétés privées qui distingue l’entreprise (bien commun à tous les acteurs) des capitaux (propriété privée de leurs détenteurs) et qui assure la participation de tous les acteurs de la production à la direction de l’entreprise et à l’affectation de ses résultats. Une économie humaine ne peut comporter aucune institution dans laquelle un seul des acteurs en présence peut imposer sa domination sur tous les autres et se voir attribuer la propriété privée d’une production collective. Cette seule réforme est en soi la fin de la firme capitaliste au sens strict. L’égalité nécessite aussi un renforcement des droits sociaux dans toutes les formes d’entreprises, capitalistes ou non."

Les organisations syndicales voient leur rôle et pouvoir accrus : " La réalité de ces droits suppose, notamment, des moyens et des droits renforcés pour les représentants syndicaux des salariés, une administration du travail dotée des moyens de contrôle et des effectifs nécessaires."

Oui, mais qui organise et décide des orientations de l’entreprise ou, à un niveau plus élevé, des orientations économiques d’une région ou du pays ?

JG, dans l’application méthodique des principes expliqués dans les chapitre précédents (son ouvrage constitue un tout cohérent), se réfère alors au principe de souveraineté populaire démocratique et à la Loi : " Par ailleurs, le principe de souveraineté impose que le peuple est seul souverain pour décider (via ses représentants ou directement) de l’ensemble des règles organisant la vie de la société. Appliqué à la vie économique, ce principe a quelques conséquences majeures :

- les lois et règlements appliqués aux activités économiques ne peuvent émaner que d’autorités élues par le peuple et responsables devant lui (ce sont ces lois et règlements que je désigne ci-après par « la loi démocratique ») ;

- la loi démocratique décide des activités qui appartiennent à la sphère privée ou publique, à la sphère marchande ou non marchande ;

- il n’y a pas de « libre concurrence » ; seuls les citoyens ont un droit à la liberté ; la loi démocratique décide le champ d’application (les secteurs) et les modalités de la concurrence ;

- la propriété d’un actif quelconque ne confère à son détenteur aucun droit sur autrui ou sur la société autre que le droit à la protection de cette propriété par la loi (voir les développements sur la propriété à la section suivante) ;

- la loi démocratique est toujours supérieure aux contrats, c’est-à-dire à l’ensemble des arrangements particuliers négociés entre des individus ou des organisations privées ou publiques.

Quoique les principes ci-dessus semblent aller de soi, ils constituent en réalité une révolution complète de la culture économique dominante…."

JG rappelle alors en quoi cette "culture économique dominante" repose sur des principes anthropologiques et philosophiques erronés. (Rappelons ici que dans son livre précédent La disociété, JG fait une étude approfondie des fondements philosophiques et économiques du libéralisme en montrant leurs apports historiques positifs dans leur remise en cause du féodalisme et de l’ancien régime mais aussi en en montrant leurs limites et leur nature non scientifique ou métaphysique.)

Remarquons que sur ce point crucial de la nécessité d’une véritable démocratie économique, JG rejoint j’analyse de Jean Lojkine : la double impasse de l’étatisme et du mouvementisme dans son livre La crise des deux socialismes : leçons théoriques ; leçons politiques.(Ed. Le Temps des cerises). Voici ce que dit cet auteur : " Les expériences soviétiques mais aussi les expériences de gouvernement de la gauche « plurielle » (PS-PC-Écologistes) dans les pays capitalistes développés n’ont-elles pas prouvé que toute tentative de transformation sociale par le haut était vouée à un double échec : politique et économique ? Un échec politique : sans liaison avec la mobilisation consciente des masses populaires, avec leur appropriation des objectifs poursuivis, il n’y a pas de dépassement véritable du capitalisme, de passage durable au socialisme, et plus encore à une société communiste conçue comme la « libre association des producteurs ».

La prise de pouvoir "par en haut" sur les grands moyens de production et d’échange n’est donc pas le socialisme, car il n’y a pas libre appropriation individuelle et collective. La coupure profonde en URSS entre le prolétariat des usines et des champs et le parti unique bolchevique a abouti à une dépolitisation massive, l’envers d’une dictature du parti-État. L’échec politique entraîne l’échec économique : la non remontée des informations d’en bas, l’absence de coopérations horizontales entre collectifs de travail, entre unités économiques ont entraîné la démotivation, la démobilisation des ouvriers et des paysans, des cadres techniques ; la collectivisation forcée des campagnes a abouti à un désastre économique (énormes gâchis et gestions bureaucratiques inefficaces dans les entreprises collectivisées et les kolkhozes) ; l’indifférence politique qui en est résultée, explique l’extrême facilité avec laquelle la nomenclatura soviétique s’est convertie à l’économie capitaliste et a liquidé les institutions soviétiques.

Dans un autre contexte, capitaliste, mais relativement démocratique (État de droit, liberté d’expression, pluralisme partisan), les expériences de transformation sociale initiée en Europe par les gouvernements de la gauche plurielle (avec ou sans les PC) et les social-démocraties ont aussi buté sur la non intervention des masses populaires au niveau politique et économique." (p67 et suiv. : fin de citation de Lojkine)

Mais la démocratie économique (et politique) nécessite un bon niveau de formation des citoyens et un cadre institutionnel permettant que la Loi ne soit pas celle qui défende essentiellement les intérêts d’une classe dominante de privilégiés ou d’exploiteurs mais soit au service de tous.

Pour JG, ceci est rendu possible parla mise en place d’une république sociale.

"La « république sociale », chère à Jaurès, est une expression hélas tombée en désuétude dans la bouche des élus socialistes, à quelques exceptions notables, dont celle de Jean-Luc Mélenchon8• Quelle est donc cette république ? Elle est celle qui intègre les citoyens, non par la seule égalité politique, mais aussi par l’égalité sociale et par la solidarité sociale, celle qui attache le plus haut prix à l’éducation citoyenne de chacun de ses enfants, celle qui construit un espace public laïc transcendant toutes les appartenances singulières, non pour aliéner le droit à la différence, mais pour créer un monde commun à tous les différents, un monde où s’enracine le désir de vivre ensemble."

Cette république sociale doit éviter le double écueil de l’hypersociété et de la dissociété et s’inscrire dans une société de développement humain pour reprendre sa terminologie.

Cette république ne doit donc pas être monolithique et fermée. " La république socialiste ne peut pas mépriser les croyances, les cultures ou les traditions spécifiques, parce que la liberté des individus se construit et s’exprime aussi en elles, parce que l’individu en chair et en os ne s’émancipe pas en détruisant des liens sociaux, mais au contraire en les multipliant et en les diversifiant."

Mais certains diront "Tout ça c’est bien beau, c’est généreux, mais pour moi, ce qui compte, c’est le concret : me loger, me soigner,…" Il n’y a pas d’opposition entre traitement des problèmes sociaux concrets et réflexion sur les fondements mais cohérence : la force d’une vraie gauche est de montrer que sa politique sociale et économique repose sur des fondements rationnels, scientifiquement valides, répond aux besoins humains fondamentaux, ce que les libéraux ne peuvent faire du fait que le fondement philosophique de leur action n’a pas d’assise scientifique valide.

Leur soutien permanent au groupe prédateur trouve pour eux son fondement dans cette conception erronée : l’Homme est par nature et essentiellement un prédateur, un égoïste. Mais comme l’explique JG, les libéraux n’acceptent jamais les débats de fond car beaucoup savent parfaitement que leur action politique ne repose sur aucun socle en accord avec les sciences de l’Homme. Alors ils voilent leur indigence par le "pragmatisme", "la faillite des idéologies", la manipulation des émotions, etc

Il est assez incroyable de constater qu’un ouvrage d’une telle qualité, d’une telle envergure n’ait pas été l’objet d’une vaste publicité dans les médias et notamment dans la presse qui se dit de gauche alors que nombreux ouvrages bavards ou insignifiants sont placés en tête de gondole dans le supermarché médiatique. Mais c’est peut-être le reflet de l’indigence intellectuelle d’une certaine sphère politico-médiatique dont l’activité essentielle est la personnalisation de la vie politique, l’anecdotisme, la narration factuelle ou narcissique et l’électoralisme. On pourrait être "plus optimiste" en disant que ce livre est trop dérangeant et que la chape de plomb du silence s’impose pour les principaux médias.

Mais peut-être aussi que Jacques Généreux est trop en avance sur son temps et que la valeur de son œuvre sera comprise, comme pour Van Gogh, qu’après sa mort ? Mais peut-être suis-je ici un peu trop pessimiste !!

Espérons que son travail permette aux multiples courants politiques à gauche du PS de "se remettre à niveau" (au niveau de leur temps) et trouver un fondement commun à la philosophie politique qui guide et donne du sens à leur action, au-delà des éternels discours sur "l’urgence sociale" et des plate-formes programmatiques que syndicats et associations sont capable d’élaborer, et surtout au-delà des tactiques et stratégies électorales alimentaires et claniques.

Hervé Debonrivage


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