Réforme Révolution (exposé de formation LCR)

jeudi 6 septembre 2018.
 

Je mets en ligne ce document de formation LCR d’une part parce qu’il synthétise l’orientation stratégique de cette organisation d’autre part comme une des références pour un article sur les mêmes questions que j’écrirai plus tard (Jacques Serieys).

Introduction

Notre objectif est la création d’une société socialiste capable de satisfaire les besoins sociaux, débarrassée de toutes les formes d’exploitations et d’oppressions, où les grands choix collectifs relèvent du débat démocratique.

Une telle société est impossible si les grands moyens économiques restent aux mains des capitalistes. Tel est le constat dont partent tous les courants du mouvement ouvrier depuis l’origine.

Comment construire ce socialisme ? La classe dominante acceptera-t-elle de céder volontairement le pouvoir, par exemple à la suite d’élections, acceptera-t-elle d’être éliminée par la voie des réformes ?

I. La révolution est-elle nécessaire ?

Dans la société socialiste que nous voulons construire, la population dirigera elle-même la société et l’économie pour satisfaire ses besoins. Pour permettre que les décisions soient prises par tous à l’issue de débats démocratiques et qu’elles puissent s’appliquer, il faut exproprier les grands capitalistes et construire une organisation totalement différente du pouvoir politique et de l’administration. Comment arriver à cela ?

Si on pouvait engager une émancipation véritable par une victoire électorale, ce serait merveilleux. Mais ce n’est pas le cas, toute l’expérience historique le montre. Dès qu’un processus électoral s’accompagne d’une mobilisation des salariés et que les nouveaux dirigeants politiques, sur la base de cette mobilisation, envisagent de remettre en cause l’ordre capitaliste, la classe dominante réagit. En 1936, la république espagnole a du faire face au coup d’Etat de Franco. En 1973, au Chili, les militaires ont renversé le gouvernement du président Allende.

La classe dominante est organisée et fait tout pour conserver son pouvoir, essentiellement au travers de L’Etat qui dispose d’appareils de répression et de domination très puissants(voir le thème sur l’état). Quel que soit le processus par lequel les salariés s’engagent à remettre en cause ce pouvoir capitaliste d’organiser la société, il y aura une résistance acharnée. Si on veut le socialisme, il faut se donner les moyens de vaincre cette résistance.

Nous n’avons aucun goût pour les affrontements violents. Nous savons les effets de la violence, déjà présente à travers le monde, l’anarchie du système capitaliste produit dès aujourd’hui misère et guerres. Mais dès lors qu’on sait qu’il y aura cette résistance des possédants à vaincre, il faut préparer les conditions les meilleures pour gagner, par une intervention de millions de travailleurs décidés à changer le monde.

II. La révolution à travers l’histoire

Les modifications de régime social qui se sont produites à travers l’histoire ont le plus souvent été le résultat d’un changement brusque et violent, par suite de guerres, de révolutions ou d’une combinaison entre les deux.

S’il est vrai qu’il n’y a pas aujourd’hui un Etat établi qui ne soit le produit de tels bouleversements, il serait néanmoins totalement erroné de penser que l’utilisation de la violence suffise à modifier la structure sociale.

• pour qu’une révolution se produise, il faut que les bases matérielles d’une nouvelle société existent

Pour qu’une révolution transforme réellement la société et les conditions d’existence des classes laborieuses, il faut qu’elle ait été précédée d’une évolution qui crée, au sein de l’ancienne société, les bases matérielles (économiques, techniques, etc ..) et humaines (les classes sociales) dotées de caractéristiques spécifiques de la société nouvelle. Lorsque ces bases font défaut, les révolutions finissent toujours par reproduire plus ou moins les conditions qu’elles avaient voulu abolir.

De même que c’est une évolution en profondeur de la société féodale qui a rendu possible le passage à une autre société, la société bourgeoise, c’est une évolution en profondeur de la société bourgeoise qui rend possible la transformation socialiste de la société.

Mais possible, pour les révolutionnaires, n’a jamais signifié fatale ou automatique.

• pour qu’une révolution aboutisse à une transformation progressiste de la société il faut que des évolutions importantes se produisent dans la conscience des masses.

La révolution peut se produire lorsque l’exploitation et l’oppression qui semblaient « naturelles » et éternelles deviennent insupportables à de larges masses qui perçoivent dans la lutte la réalité des rapports sociaux. En devenant les acteurs de leur propre vie, les opprimés remettent en cause tous les anciens rapports humains, libèrent la société de tous les carcans conservateurs.

Une révolution socialiste n’est pas un « putsch » organisé secrètement par une minorité de conspirateurs : Marx, en son temps, a consacré beaucoup d’énergie à polémiquer contre les « blanquistes » (c’est-à-dire les partisans des théories du révolutionnaire français Blanqui qui négligeait l’action de masse pour se concentrer sur des conspirations). Une révolution suppose qu’au moins une fraction des masses soit politisée dans le sens d’une émancipation et qu’un (ou des) parti(s) révolutionnaire(s) liés aux masses existent. Pour un parti révolutionnaire, l’action ouverte parmi les travailleurs est essentielle.

III. Les révolutionnaires et la lutte pour les réformes

Les révolutionnaires ne négligent jamais les luttes pour des réformes qui améliorent le sort des travailleurs, car de telles victoires renforcent la confiance dans l’action collective, et le rapport de force vis-à-vis de la bourgeoisie. Comme l’écrivait Marx en 1865 dans « Salaire, prix et profit » : « Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure », Mais « les ouvriers ne doivent pas s’exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne. Ils luttent contre les effets et non contre les causes ». Marx pose ainsi à la fois la nécessité de la lutte quotidienne pour les salaires, les réformes susceptibles d’améliorer la situation des salariés. Mais en montre aussi les limites.

Le réformisme est l’illusion de la possibilité d’une abolition du capitalisme, de la construction du socialisme par l’accumulation de réformes, de modifications graduelles qui transformeraient la société par une maturation linéaire, quasi « naturelle ». Cette illusion réformiste existe chez les travailleurs, elle peut parfois s’accompagner d’une combativité réelle dans les luttes face à des attaques patronales.

Le réformisme organisé dans une partie du mouvement ouvrier s’appuie sur ces illusions pour développer une stratégie qui ne s’attaque pas au pouvoir de la bourgeoisie, et s’oppose aux perspectives révolutionnaires :

-  par l’idée du programme maximum et du programme minimum. Les organisations réformistes du mouvement ouvrier mènent les luttes quotidiennes pour des réformes immédiatement réalisables, comme les augmentations de salaires, le renforcement de la législation sociale en refusant tout lien entre les luttes et la perspective de changement de société. Certaines abandonnent tout simplement une telle perspective. D’autres parlent de transformation sociale, mais seulement lors des fêtes ou des meetings électoraux, comme une référence générale qui n’a pas de conséquence du point de vue pratique.

-  la division entre le syndicat et la politique.

D’un côté on organise la lutte économique de manière dispersée, en une multitude de luttes partielles. De l’autre la lutte politique est menée, non par les grandes masses dans l’action, mais conformément aux formes de l’Etat bourgeois, par voie représentative, par pression sur les élus.

Les partis réformistes proviennent historiquement d’une dégénérescence du mouvement ouvrier dans les périodes de développement relativement paisible du capitalisme, lorsqu’il accorde des satisfactions plus ou moins substantielles aux travailleurs. Le réformisme s’est ainsi développé à la fin du XIX° à l’époque des grandes conquêtes de l’impérialisme qui permettaient de redistribuer des avantages à certaines catégories de salariés. C’est l’origine du réformisme social-démocrate. La trahison brutale des partis sociaux démocrates en 1914, acceptant la défense de leur bourgeoisie contre l’unité des travailleurs au delà des frontières adoptée dans les congrès internationaux, est une rupture. C’est à partir de ce moment que les révolutionnaires, comprenant que la référence au socialisme dans les discours sans stratégie pour abolir le capitalisme ne pouvait conduire au changement de société ont décidé de construire des partis révolutionnaires indépendants des partis sociaux démocrates, les partis communistes. Une vingtaine d’années plus tard, par un autre processus, les partis communistes d’origine stalinienne ont aussi renoncé à la transformation révolutionnaire de la société et se sont convertis au réformisme.

Jusqu’aux années 60, les réformistes disaient ne diverger avec les révolutionnaires que sur les moyens. Aujourd’hui, les sociaux-démocrates ont renoncé ouvertement au socialisme, leur horizon est un capitalisme « humanisé ».

Certains courants du mouvement ouvrier, par réaction aux dérives réformistes, ou des militants radicaux méprisent les luttes pour les réformes, la défense des acquis. De fait une telle attitude implique l’acceptation d’une détérioration de la situation de la classe ouvrière, jusqu’au jour où celle-ci serait capable de jeter bas le régime capitaliste par la révolution. Elle oublie que des travailleurs de plus en plus divisés et démoralisés par leur incapacité de défendre leur niveau de vie, leur emploi, leurs libertés et leurs droits élémentaires, ne sont guères aptes à affronter victorieusement une classe dotée de la richesse et de l’expérience politique qui sont celles de la bourgeoisie moderne.

La démarche transitoire

Nous voyons l’émancipation des travailleurs et le renversement du capitalisme comme l’aboutissement d’une phase durant laquelle la cohésion et la solidarité de classe sont décuplés, la confiance des exploités et des opprimés dans leurs propres forces est croissante, le prolétariat a accumulé des force organisationnelles de plus en plus importantes. Toutes ces transformations subjectives ne peuvent résulter de la seule propagande ou éducation littéraire, mais sont le produit de succès remportés dans les luttes courantes, c’est-à-dire des luttes pour des réformes.

Nous savons que la bourgeoisie peut accorder des concessions aux travailleurs en lutte, pour éviter que leurs combats ne se développent au point de menacer l’exploitation capitaliste, en se préparant à reprendre d’une main ce qu’elle a accordé de l’autre. Les actions de masse ont en général pour objectif la satisfaction immédiate de besoins. Le rôle des révolutionnaires est d’amener les masses à se donner comme objectifs de leurs luttes courantes des revendications transitoires, dont la réalisation est incompatible avec le fonctionnement normal de l’état capitaliste et de l’appareil d’état bourgeois. Une lutte de masse sur de tels objectifs provoque une contestation d’ensemble du régime capitaliste. Il en va ainsi de la revendication de l’interdiction des licenciements par exemple. De telles revendications ne sont pas seulement valables en période révolutionnaire. La conscience des masses ne peut se développer dans un sens révolutionnaire que si celles-ci accumulent des expériences de lutte qui ne se limitent pas aux revendications partielles réalisables dans le cadre du système capitaliste à un moment donné. La lutte pour des revendications transitoires, qui partent de besoins immédiats et posent la question du pouvoir ou de la propriété peut s’étendre et faire naître une crise révolutionnaire, en amenant les travailleurs à contester le régime capitaliste.

Il est donc possible de combiner une participation active des révolutionnaires à des luttes pour des réformes immédiates avec la préparation des travailleurs les plus conscients à des luttes anti-capitalistes d’une ampleur telle qu’elles provoquent une crise révolutionnaire dans la société.

« Le réformisme n’est pas le produit automatique de telles luttes ou de tels succès. Il en est le résultat seulement si l’avant-garde ouvrière s’abstient d’éduquer la classe dans la nécessité d’un renversement du régime ; si elle s’abstient de combattre l’influence de l’idéologie petite-bourgeoise et bourgeoise au sein de la classe ouvrière ; si elle s’abstient d’engager en pratique des luttes de masse extra-parlementaires, anti-capitalistes, visant à dépasser le stade des réformes » ( Ernest Mandel).

IV. Le cours de la lutte de classe

Le cours même des luttes de classe n’est pas une suite continue de progrès : il ne suffit pas de laisser se dérouler l’écheveau pour trouver au bout le socialisme. Au contraire l’action ouvrière évolue de façon discontinue.

Spontanément elle oscille entre la révolte, expression brusque d’instinct de classe pour en découdre avec les patrons et ceux qui les servent, et la volonté d’améliorer sa condition, en se résignant à un monde où règne l’inégalité et dont la fraternité est absente.

Toute action de la classe ouvrière est le produit d’une lente accumulation de mécontentements, de ressentiments, de préoccupations, d’indignation qui éclate à la surface, parce qu’à un moment, les travailleurs :

-  cessent de se laisser intimider ou réprimer par la contrainte violente des gouvernants ou de la hiérarchie de l’entreprise,

-  ont soudain le sentiment que leurs motifs de colère ne peuvent obtenir des remèdes par la voie des suppliques, des pétitions ou des négociations à froid, mais exigent une action directe,

-  n’acceptent plus comme inévitable, permanente, naturelle, l’exploitation et l’oppression, parce qu’ils ont pris conscience de leur force.

Mais chacun sait que cette capacité de mobilisation n’est pas égale dans le temps. C’est ainsi qu’une fois le combat terminé la classe tend inévitablement à se disperser au moins partiellement.

Toute perspective révolutionnaire est fondée sur l’action de masse et doit donc accorder une importance énorme aux fluctuations de l’état d’esprit des masses, de leurs capacité de riposter aux coups de l’adversaire ou de passer à l’offensive.

A chaque étape de l’évolution, les révolutionnaires doivent tenir compte de cette réalité, d’une part en mettant à profit les époques de « stagnation politique », de développement dit « paisible », en avançant à pas de tortue pour accroître la conscience, la force et la combativité des travailleurs les plus avancés politiquement, d’autre part en orientant les luttes dans les périodes de grande activité pour les rendre capables de grandes tâches.

En effet, « dans les grands mouvements historiques, vingt années ne sont pas plus qu’un jour, bien que par la suite, puissent venir des journées qui concentrent en elles vingt années » (correspondance Marx-Engels).

Une révolution éclate, indépendamment du désir des révolutionnaires, lorsque les masses décident d’en finir avec des conditions d’existence qui leur semblent insupportables, quand la société est bloquée par des contradictions insurmontables :

-  ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant,

-  ceux d’en bas ne veulent plus subir comme avant,

-  ceux du milieu basculent du côté de la classe exploitée qui veut se libérer.

La révolution s’exprime d’abord par une grave crise, qui peut se produire dans des situations diverses : une mobilisation suite à un processus électoral, une grève générale, une réaction de masse à un coup d’état réactionnaire, une guerre, etc…

Les masses veulent résoudre cette crise, et s’affrontent pour cela aux responsables de la situation.

Le rôle des révolutionnaires est alors de proposer des revendications transitoires, qui permettent au mouvement des masses de se tracer une voie vers leurs véritables adversaires, les capitalistes et l’appareil d’état.

C’est dans ce mouvement de masse que la classe ouvrière devient actrice de son avenir, elle peut alors prendre conscience de sa force et s’organiser démocratiquement, dans des comités, des structures de contrôle ouvrier ( qui se sont appelés dans les périodes révolutionnaires du siècle passé les soviets, les conseils ouvriers …) qui sont les embryons du futur pouvoir des travailleurs.

Dans cette situation se crée une période de double pouvoir dans laquelle s’affrontent deux légitimités :

-  l’ancien ordre des choses, le passé que les dominants essaient de maintenir en n’hésitant pas à recourir aux méthodes les plus violentes, en piétinant les principes démocratiques dont ils se réclament,

-  les possibilités nouvelles qui s’expriment sous la forme d’une centralisation des comités, des structures de contrôle ouvrier qui doit se défendre contre les attaques de l’adversaire pour réaliser leurs objectifs.

La révolution, le renversement radical, en peu de temps des structures économiques et politiques du pouvoir des capitalistes par cette action de millions de travailleurs est le dénouement de cette crise. L’état bourgeois est détruit et remplacé par le pouvoir des travailleurs, les entreprises sont gérées par les travailleurs, la société socialiste peut se construire, comme société communautaire sans classe, dans laquelle la richesse assure le développement harmonieux de tous les individus ( voir thème le socialisme) .

Le dénouement de la crise révolutionnaire en faveur des exploités et des opprimés nécessite une force politique qui ait conscience des obstacles et centralise efficacement la lutte des masses, un parti révolutionnaire ( voir thème le parti révolutionnaire).

Conclusion

Dans la période où le capitalisme donnait du « grain à moudre » aux appareils syndicaux et politiques réformistes, et des miettes à la classe ouvrière, l’idée d’une accumulation de réformes pour changer la société pouvait avoir un certain succès.

De ce point de vue, la période actuelle de mondialisation libérale est une rupture. Les partis réformistes dominants se sont accommodés du système, il accompagnent souvent la régression sociale.

Il apparaît plus clairement qu’il n’y a pas de résistance efficace possible contre l’entreprise de déréglementation des droits des travailleurs, des jeunes, des femmes, sans des luttes qui ne se laissent pas arrêter par la société privée, le respect des institutions en place, les directions syndicales et politiques « majoritaires ».

Etre révolutionnaire, c’est se doter d’une stratégie et d’un parti qui permettre la victoire le la perspective socialiste. Pour cela, il faut intégrer les évolutions de la société et les expériences de tous les combats qui ont permis des progrès pour ceux d’en bas.

Cet exposé propose plusieurs documents en complément. Le lecteur peut y accéder sur ce site en cliquant sur les titres ci-dessous :

De l’antiparlementarisme et des réformes (Intervention de Paul Lafargue au Ve congrès national du PS SFIO le 15 octobre 1908)

ETAT, EXERCICE ET CONQUÊTE DU POUVOIR (par Léon BLUM 1947)

Bernstein, révisionnisme, réforme et révolution (extrait de Réforme sociale et révolution ? Rosa Luxembourg 1898)

La grève générale (exposé d’Ernest Mandel)

Pourquoi sommes nous révolutionnaires aujourd’hui (Ernest Mandel janvier 1989)


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