2 décembre 1956 Castro, Guevara et 80 guerilleros débarquent à Cuba sur le Granma

dimanche 3 décembre 2023.
 

Le 2 décembre 1956, Fidel Castro accoste avec le Granma sur l’île de Cuba. Partis à 82 guérilleros, ils ne sont qu’une poignée à ne pas être arrêtés ou tués. Le rapport de force avec le régime de Fulgencio Batista semble fort défavorable, mais c’est déjà le début de la victoire.

Après avoir attaqué la caserne Moncada, le 26 juillet 1953, Fidel Castro reste vingt et un mois dans les geôles cubaines. Il en sort auréolé d’un prestige de libérateur, et annonce un exil au Mexique, pour mieux préparer le renversement de la dictature de Batista, une lutte à mort. Avant de quitter Cuba (ou le Mexique  ?), il aurait déclaré  : « D’une expédition comme celle-ci, on en revient avec la tête du tyran, ou on en meurt. »

Au Mexique, Fidel est entouré d’une garde rapprochée, Raul, Camilo, dans laquelle le Che prend de plus en plus d’importance. Che Guevara admire Fidel, il lui écrit même une ode à la poésie pompeuse, « En avant, ardent prophète de l’aube / par des chemins lointains et inconnus / allons libérer ce grand lézard vert / que tu aimes tant ». Fidel se procure un ranch pour couvrir l’entraînement militaire des fidélistes  : l’immense ranch San Miguel, de l’hacienda de Chelco, à 50 km au nord de Mexico, appartient à un personnage pittoresque, qui a combattu aux côtés de Pancho Villa. Le groupe de guérilleros s’y livre à un entraînement sévère, jusqu’au jour où il est détecté par la police, et arrêté.

Une traversée homérique

Lors de l’interrogatoire, Fidel tente de brouiller les cartes, mais Che déclare  : « Oui, je suis communiste », ce qui déclenche un tsunami contre le groupe qui prépare « l’invasion ». Les apprentis guérilleros bénéficient de l’expérience du général Alberto Bayo, né à Cuba, mais un ancien de la guerre d’Espagne. Un personnage haut en couleur. La pression policière oblige les castristes à accélérer les préparatifs du débarquement sur la côte occidentale cubaine.

Pour Fidel, l’année 1956 devait être l’année décisive de la révolution. Le 23 novembre, les « expéditionnaires » sont regroupés à Pozo Rico, au sud du port pétrolier mexicain de Tuxpan. La nuit du 24, par gros temps, 82 novices embarquent avec force matériel, armement, nourriture, sur un yacht, surchargé à l’extrême, et qui peine à avancer. La traversée est homérique. Les hommes vomissent, les tripes tordues par le mal de mer, le « bote » prend l’eau, perdu et ballotté dans le golfe du Mexique… La traversée doit durer cinq jours, pour coïncider avec la date symbolique du 26 (en référence à l’attaque de la caserne Moncada), et avec le soulèvement que le Mouvement du 26 juillet (qui s’est énormément développé en ville depuis 1953) et son exceptionnel leader, Frank Pais, préparent à Santiago. Le débarquement doit contribuer à mettre le feu aux poudres. Cependant, l’insurrection éclate quarante-huit heures avant l’arrivée du Granma et s’éteint rapidement, éliminant tout effet de surprise. L’armée (50 000 hommes au total), l’aviation et la marine patrouillent à la recherche des expéditionnaires du Granma.

Mais, voilà, le rafiot transforme les libérateurs en naufragés, il accoste le 2 décembre, à plusieurs kilomètres de l’endroit prévu (la plage de las Coloradas) et s’enlise à quelques centaines de mètres de la côte, dans une mangrove. « L’expert en navigation » tombe à l’eau et est difficilement repêché. Les sinistrés, les boyaux enfin libérés, sont contraints de marcher jusqu’à la côte, de l’eau jusqu’à la poitrine, et doivent abandonner beaucoup de provisions et de munitions. Une armée de fantômes, épuisés, affamés. Cette « marche asthmatique », selon Paco Ignacio Taibo II, est immédiatement repérée par l’aviation et les patrouilles en mer qui attendaient, sur les dents, l’arrivée des castristes. Impossible, vraiment, de compter sur le facteur surprise.

Lorsque le groupe évacue le yacht, ce dernier coule. Plus tard, Fidel comparera le Granma à une « coquille de noix dansant dans le golfe du Mexique ».

Le Che est blessé

Le 5 décembre, les rebelles se reposent près d’un petit bois, sur le chemin de la si attendue Sierra Maestra, qu’il leur faut rejoindre pour y créer les maquis, et les bases de « l’Armée rebelle ». À 16 h 30, une pluie de feu s’abat par surprise sur le groupe des « expéditionnaires ». C’est la panique. Fidel considère toujours qu’il s’agit du moment le plus dramatique de sa vie, où tout peut basculer. Le Che est blessé. Les hommes s’éparpillent, quelques-uns se réfugient dans un champ de canne à sucre, Fidel et deux compagnons restent cinq nuits et cinq jours cachés sous la paille et les feuilles d’une cannaie récemment récoltée. De petits bombardiers légers B-26 pilonnent le secteur. Alegria de Pio devient un véritable désastre. Mais on raconte que Fidel murmure « nous sommes en train de gagner »… À ses côtés, Universo et Faustino se taisent.

À La Havane, l’United Press International, agence américaine, annonce la mort de Fidel et de Raul. Effectivement, le groupe de 82 est quasiment exterminé. Une quinzaine d’entre eux sont capturés et assassinés sur-le-champ. Fidel parvient avec ses deux compagnons (« je suis commandant en chef de moi-même et de deux hommes »), au bout de treize jours, à retrouver, dans la Sierra, Raul et quelques rescapés. Au total, huit hommes et sept armes  ; puis une douzaine. Fou de joie, sûr de sa destinée, et avec une foi inébranlable dans sa mission et en ses chances, alors que la situation est désespérée, Fidel s’écrie  : « Cette fois-ci, nous avons vraiment gagné la guerre. Les jours de la tyrannie sont comptés. »

Jean Ortiz

Toujours un poing levé et une main tendue, Jean Ortiz est un internationaliste assumé.


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