« Le travail doit devenir un bien collectif » (Entretien avec Jean-Christophe Le Duigou, CGT)

lundi 29 juin 2009.
 

Longtemps reléguée au second plan par la défense de l’emploi, la question du travail est revenue au centre des débats. Les souffrances des salariés, jusque dans leur expression la plus tragique, le suicide au travail, défraient régulièrement la chronique. Le chef de l’État a investi le sujet, à sa façon, en faisant de la « valeur travail » l’un de ses chevaux de bataille… C’est dans ce contexte que la CGT a décidé de « reprendre l’initiative ». L’an dernier, elle a lancé un séminaire sur le thème des « transformations du travail ». Une soixantaine de responsables syndicaux et de chercheurs de diverses disciplines ont commencé à confronter leurs témoignages et analyses, dans le but de « construire de nouvelles connaissances et de nourrir de nouvelles pratiques syndicales ». L’échange doit se poursuivre, début juillet, lors d’une deuxième séance consacrée à « l’émancipation du travail » (1). Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral, explique la démarche du syndicat.

Quelle ambition la CGT poursuit-elle en organisant ce séminaire sur le travail ?

Jean-Christophe Le Duigou. Parce que c’était un non-sens économique et social, nous nous sommes battus pendant quinze ans contre l’idéologie de la « fin du travail ». La question du travail est de retour, au coeur du débat public. Nous n’y sommes pas pour rien ! Mais la notion de « valeur travail » revient tordue, biaisée et parfois instrumentalisée pour justifier des régressions. Il y a bien sûr le « travailler plus pour gagner plus ». Mais pensons aussi à la proposition de loi dite du « travail du dimanche » ou à l’amendement Lefèbvre sur le cumul arrêt de maladie-poursuite des tâches professionnelles. Il faut lutter contre les reculs mais cela ne suffit pas. Nous devons nous saisir des potentiels de transformation du travail. Nous avons dès lors estimé que la reprise d’un dialogue approfondi chercheurs-syndicalistes était devenue indispensable. C’est ce que nous avons entrepris depuis deux ans en réunissant syndicalistes, sociologues, ergonomes, économistes autour d’un programme de « recherche-action ».

Le travail est aujourd’hui, pour beaucoup de salariés, associé à la notion de souffrance…

Jean-Christophe Le Duigou. Il y a un immense déni quant à la pénibilité du travail. Nous sommes sensibles aussi aux risques professionnels qui génèrent de véritables pathologies de masse. Nous nous battons pour faire reconnaître et reculer ces formes diverses de risques et de pénibilité. Mais nous refusons d’en rester à cette seule dimension. Les réflexions que nous avons menées montrent qu’au sein de tout processus de travail, fut-il le plus répétitif, le plus contraint, il existe une part d’initiative humaine irréductible et essentielle pour l’accomplissement de la tâche. Celle-ci est peut-être encore plus niée que la « souffrance au travail ». Il ne s’agit pas d’inventer quelque chose, mais de mettre l’accent sur ce qui est en attente de reconnaissance et qui sera indispensable pour amorcer un nouveau développement humain.

Les problématiques de l’emploi ont longtemps occulté celles du travail…

Jean-Christophe Le Duigou. La question de l’emploi, parce qu’elle est devenue si prégnante, a fait oublier le travail concret, sa nature, sa diversité et la qualité plus ou moins grande des relations au sein même de l’acte collectif de production. Certains, comme Alain Touraine, ont même théorisé cet abandon. Cela a conduit à des « politiques de retour à l’emploi » biaisées, divisant les salariés, entérinant la dévalorisation du travail. C’est toute la contradiction du dispositif du revenu de solidarité active qui veut de toute force ramener à l’emploi quel que soit le travail proposé. La redécouverte des « métiers », dans les conditions d’aujourd’hui, peut devenir une piste prometteuse pour faire valoir la reconnaissance des capacités humaines. Encore faut-il qu’ils se dégagent des normes sociales, techniques et financières actuellement imposées.

Les syndicats interviennent peu sur l’organisation du travail. Or, selon vous, cela pourrait être un moyen de changer les rapports de force dans les entreprises en faveur des salariés. Pourquoi ?

Jean-Christophe Le Duigou. Cette action revendicative sur l’organisation du travail a pu, dans le passé, être minorée. Elle recouvre pourtant deux dimensions : celle, la plus évidente, des conditions de travail ; mais aussi celle, plus complexe, de l’efficacité productive. Toutes deux ont été captées par les directions et historiquement confiées aux bureaux des méthodes. On a vu simultanément apparaître de nouvelles formes de pathologies sociales et des gâchis économiques de grande ampleur. D’un côté, les maladies professionnelles coûtent des dizaines de milliards d’euros par an. De l’autre, l’insuffisante prise en compte du facteur humain a conduit à la « civilisation de la panne ». Poser ce double problème, c’est contester le fond du rapport salarial qui, contre le versement d’un salaire, continue à exclure le travailleur des décisions le concernant dans son activité professionnelle.

Vous récusez l’idée d’un syndicalisme qui se cantonnerait à un rôle de « gestion de la souffrance » des salariés. En lieu et place, vous posez l’objectif d’une « émancipation du travail ». Quelles voies celle-ci peut-elle emprunter aujourd’hui ?

Jean-Christophe Le Duigou. Notre objectif n’est pas simplement de « rééquilibrer » la vision traditionnelle du travail. Il est d’agir pour le transformer. D’ou cette problématique de « l’émancipation du travail » qui est directement issue d’une élaboration ouvrière datant d’il y a plus d’un siècle. Qu’est-ce qu’une citoyenneté si elle est amputée de la dimension essentielle des droits d’intervention sur les décisions de gestion des entreprises, qui façonnent les conditions de travail, les autres dimensions de la vie, les conditions de la mondialisation ? Le problème n’est donc pas seulement celui de la répartition des richesses. Il est aussi de déterminer qu’est-ce que l’on produit et comment on le produit en intégrant une dimension d’écologie humaine. Notre hypothèse est que le travail ne doit pas être subordonné à la logique de la rentabilité financière mais être un bien collectif qu’il faut appréhender comme tel, gérer et développer avec des règles et des moyens spécifiques.

(1) La prochaine séance

du séminaire aura lieu

à Courcelles (centre Benoît-Frachon) les 2 et 3 juillet prochains.

Entretien réalisé par Yves Housson


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