Aujourd’hui, la plupart des gens pensent, , que le marxisme est compliqué ; cette impression est d’ailleurs renforcée par les adversaires du socialisme. De plus beaucoup d’intellectuels qui se disent « marxistes » encouragent ce mythe : ils cultivent délibérément des phrases obscures et de mystiques expressions qui donnent l’impression qu’ils possèdent une connaissance qui serait refusée aux autres.
Il est ainsi à peine surprenant que beaucoup de socialistes, qui travaillent 40 heures par semaine à l’usine, dans les mines ou au bureau pensent qu’ils n’auront ni le temps ni l’opportunité de le comprendre.
En fait, les idées de base du marxisme sont extrêmement simples. Elles permettent de comprendre, comme aucune autre théorie, la société dans laquelle nous vivons. Elles expliquent les crises économiques, pourquoi il y a tant de pauvreté au milieu de l’abondance, les coups d’États et les dictatures militaires, pourquoi les merveilleuses innovations technologiques envoient des millions de personnes au chômage, pourquoi les " démocraties " soutiennent les tortionnaires.
Pendant ce temps, les idéologues bourgeois, qui dénaturent tant les idées marxistes, tournent en rond dans un monde qu’ils ne comprennent pas et expliquent encore moins.
Cependant, si le marxisme n’est pas difficile, il y a un problème pour quiconque essaie de lire Marx pour la première fois. Il écrivait il y a plus d’un siècle. Il utilisait le langage de l’époque, avec des références aux événements et personnes de cette période, qui étaient alors familiers à pratiquement tout le monde mais qui ne sont connus que par des historiens spécialisés. Je me rappelle mon désarroi lorsque, encore à l’école, j’ai essayé de lire sa brochure " Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte ". Je ne savais ni ce qu’était Brumaire ni qui était Louis Bonaparte. Combien de socialistes ont abandonné l’espoir de comprendre le marxisme après de telles expériences ?
C’est la raison d’être de ce livre : fournir une introduction aux idées marxistes. Cela rendra la tâche plus facile aux socialistes pour comprendre ce que disait Marx, ainsi que le développement du marxisme à travers des personnes comme Engels, Luxemburg, Lénine, Trotsky et d’autres moins connus.
A la fin de cette brochure, il y a une liste de classiques de la tradition marxiste qui permettent d’aller plus loin.
Pourquoi aurions-nous besoin d’une théorie ? On sait qu’il y a la crise, qu’on se fait voler par nos patrons. On sait qu’on est tous en colère. On sait qu’on a besoin du socialisme. Tout le reste, c’est pour les intellectuels. On entend souvent ce genre de discours chez les militants socialistes et syndicaux. Ce point de vue est fortement encouragé par les antisocialistes, qui essaient de donner l’impression que le marxisme est une doctrine obscure, compliquée et ennuyeuse.
Les idées socialistes, disent-ils, sont ’abstraites’. Elles semblent géniales en théorie, mais la réalité est complètement différente.
Le problème avec ce genre d’argument est que ceux qui le mettent en avant ont en général leur propre ’théorie’, même s’ils refusent de le reconnaître. Posez-leur n’importe quelle question sur la société, ils essaieront d’y répondre avec une généralisation ou une autre. Quelques exemples :
’Les gens sont naturellement égoïstes’
’En bossant assez dur, tout le monde peut arriver au plus haut niveau’ ’S’il n’y avait pas les riches, il n’y aurait pas assez d’argent pour fournir du travail aux autres’
’Si seulement on pouvait éduquer les travailleurs, la société changerait’
’Si le pays est dans un tel État c’est parce qu’on a perdu toute valeur morale’
Au cours de n’importe quelle discussion, dans le bus ou à la cantine, vous pourrez entendre des dizaines de phrases de ce genre. Tout le monde a dans la tête des idées sur pourquoi la société est ce qu’elle est, et comment améliorer sa propre situation. Ces idées sont toutes des ’théories’ de la société.
Quand quelqu’un dit qu’il n’a pas de théorie, ce qu’il veut dire en réalité, c’est qu’il n’a pas clarifié ses idées.
C’est particulièrement dangereux pour quiconque veut changer la société, car les journaux et la télévision remplissent sans cesse nos esprits de tentatives d’explication de cette société. Ils espèrent que l’on va accepter ce qu’ils disent sans se poser de questions.
Mais on ne peut se battre de manière efficace, pour changer la société, sans savoir ce qui est faux dans tous ces arguments.
Cela a été montré pour la première fois, il y a 150 ans. Dans les années 1830 et 1840, le développement de l’industrie, dans des zones comme le nord-ouest de l’Angleterre, entraîna des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vers des boulots misérablement payés. Ils étaient contraints d’endurer des conditions de vie d’une incroyable difficulté. Ils commencèrent à se défendre à travers les premières organisations de masse de travailleurs - les premiers syndicats, et en Angleterre le premier mouvement pour les droits politiques des travailleurs, le Chartisme. Aux côtés de ces mouvements, apparurent les premiers petits groupes de personnes décidées à se battre pour le socialisme.
Immédiatement, se posa le problème de savoir comment le mouvement des travailleurs pouvait atteindre ses objectifs.
Certaines personnes pensaient qu’il était possible, avec des moyens pacifiques, de persuader les dirigeants de la société de changer les choses.
La force ’morale’ de la masse, des mouvements non-violents permettraient des améliorations pour les travailleurs. Des centaines de milliers de personnes s’organisèrent, manifestèrent, travaillèrent à la construction d’un mouvement se basant sur de telles conceptions - pour terminer vaincues et démoralisées.
D’autres reconnurent le besoin d’utiliser la ’force physique’, mais pensèrent qu’elle devait être utilisée par de petits groupes de conspirateurs détachés du reste de la société. Ces conceptions, elles aussi, amenèrent à la défaite et à la démoralisation, des dizaines de milliers travailleurs.
D’autres encore croyaient que les travailleurs pouvaient gagner grâce à des actions économiques sans se confronter à l’armée et à la police. Encore une fois ces arguments conduisirent à des actions de masse. En Angleterre, en 1842, eut lieu la première grève générale de l’histoire du monde, dans les zones industrielles du nord. Des dizaines de milliers de travailleurs ont résisté pendant quatre semaines jusqu’à ce que la faim et les privations les forcent à retourner au travail.
Ce fut à la fin de la première période des luttes des travailleurs, en 1848, que le socialiste allemand Karl Marx exposa ses idées en totalité, dans le Manifeste du parti communiste.
Ses idées ne tombaient pas du ciel. Elles essayaient de fournir une base de réponse aux questions soulevées par les mouvements de travailleurs de l’époque.
Les idées que Marx a développées sont toujours d’actualité. Il est stupide de dire, comme beaucoup de personnes le font, qu’elles doivent être dépassées parce que Marx les écrivit, il y a plus de 150 ans. En fait, toutes les notions sur la société contre lesquelles Marx polémiquait sont actuellement toujours très répandues. Comme les Chartistes qui défendaient la ’force morale’ contre la ’force physique’, les socialistes débattent aujourd’hui de la ’voie parlementaire’ ou de la ’voie révolutionnaire’. Parmi les révolutionnaires, les débats pour ou contre le ‘terrorisme’ sont aussi vivants qu’ils l’étaient en 1848.
Les Idéalistes
Marx ne fut pas la seule personne à essayer de décrire ce qui n’allait pas dans la société. A l’époque où il écrivait, de nouvelles inventions dans les usines permettaient de créer des richesses à une échelle inimaginable pour les générations précédentes. Pour la première fois, il semblait que l’humanité avait les moyens de se défendre contre les calamités naturelles qui furent la plaie des générations passées.
Pourtant, cela ne signifia pas une quelconque amélioration dans la vie de la majorité de la population. Au contraire. Les hommes, les femmes et les enfants qui peuplaient les nouvelles usines, vivaient dans de bien pires conditions que leurs grands-parents qui avaient trimé au champ. Leurs salaires leur permettaient à peine de survivre ; et des périodes de chômage de masse aggravaient encore plus leur situation. Ils étaient entassés dans de misérables bidonvilles dépourvus de service sanitaire et exposés à des épidémies monstrueuses.
Le développement de la civilisation, au lieu d’apporter un bonheur et un bien-être général, donna naissance à une plus grande misère. Tout cela fut observé non seulement par Marx, mais aussi par d’autres grands penseurs de l’époque - les poètes anglais Blake et Shelley, les Français Proudhon et Fourier, les philosophes allemands Hegel et Feuerbach.
Hegel et Feuerbach appelèrent l’État de malheur dans laquelle l’humanité se trouvait, ’l’aliénation’ - un terme encore souvent employé. Par aliénation, Hegel et Feuerbach entendaient que les hommes et les femmes se trouvaient continuellement opprimés et dominés par ce qu’eux-mêmes avaient fait dans le passé. Ainsi, concluait Feuerbach, les gens développèrent l’idée de Dieu - et ainsi, s’y sont soumis, se sentant misérables parce qu’ils ne pouvaient vivre conformément à ce qu’ils avaient fait. Plus la société avançait, plus les gens se sentaient misérables, ’aliénés’.
Dans son premier écrit, Marx reprit cette notion ’d’aliénation’, et l’appliqua à la vie de ceux qui créaient les richesses de la société : « Le travailleur devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesses, que sa production croît en puissance et en volume. La dépréciation du monde des hommes augmente, en proportion directe, de l’augmentation de valeur du monde des choses... L’objet que le travail produit, l’affronte comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur... ».
Au temps de Marx, les explications les plus populaires de ce qui n’allait pas dans la société, étaient du type religieux. La misère de la société, entendait-on, venait de l’échec des gens à faire ce que Dieu voulait qu’ils fassent. Si seulement ils ’renonçaient tous au péché’, tout irait bien. Une vue similaire est très répandue de nos jours, bien qu’elle ne se veuille plus religieuse. Elle affirme que ’pour changer la société, on doit se changer soi-même d’abord’. Si seulement, les hommes et les femmes pouvaient, individuellement, se guérir eux-mêmes de ’l’égoïsme’ ou du ’matérialisme’, alors la société irait immédiatement beaucoup mieux.
Une autre position, du même type, disait qu’il faudrait non plus changer tous les gens, mais seulement quelques-uns, ceux qui exercent le pouvoir. L’idée était de rendre les riches et les puissants ’raisonnables’.
L’un des premiers socialistes anglais, Robert Owen, commença par essayer de convaincre des chefs d’entreprises d’être plus raisonnables avec leurs travailleurs. La même idée est toujours dominante, au sein des partis socialiste et communiste, y compris leur aile gauche. Notez comment ils appellent toujours les crimes des patrons, des ’erreurs’, comme si un peu de discours pouvait persuader la haute finance de relâcher son étau sur la société.
Marx appela ces positions des positions ’idéalistes’. Non parce qu’il était contre les gens qui ont des ’idées’, mais parce que ces positions affirment que les idées existent indépendamment des conditions dans lesquelles les gens vivent.
Les idées des gens sont intimement liées aux conditions dans laquelle ils vivent. Prenons, par exemple, ’l’égoïsme’. La société capitaliste actuelle nourrit l’égoïsme - même si des gens essaient, sans arrêt, de faire preuve de solidarité. Un travailleur qui veut le meilleur pour ses enfants, qui veut pour ses parents les meilleures conditions de retraite, se trouve dans l’obligation de se battre continuellement avec les autres - pour avoir un meilleur travail, plus d’heures-sups, pour être le premier à l’embauche.
Dans ce genre de société, on ne peut se débarrasser de ’l’égoïsme’ ou de ’l’avarice’, en essayant de changer les esprits des gens.
C’est même encore plus ridicule, de parler de changer la société en changeant les idées des ’personnes haut placées’. Imaginez que vous réussissez à gagner un grand patron aux idées du socialisme et qu’il arrête d’exploiter ses travailleurs. Il perdra tout simplement contre des employeurs rivaux, et sera éjecté des affaires.
Même pour ceux qui dirigent la société, ce ne sont pas les idées qui importent, mais la structure de la société dans laquelle ils défendent ces idées.
Pour le dire autrement, si ce sont les idées qui changent la société, d’où viennent alors les idées ? Nous vivons dans un certain type de société. Les idées mises en avant par la presse, la télévision, le système scolaire etc. défendent cette société. Comment quelqu’un aurait-il pu développer des idées complètement différentes ? Parce que leurs expériences quotidiennes entrent en contradiction avec les idées officielles de notre société.
Par exemple, on ne peut expliquer pourquoi il y a beaucoup moins de personnes croyantes aujourd’hui qu’il y a 100 ans, simplement en termes de succès de la propagande athée. On doit expliquer pourquoi les gens, aujourd’hui, sont réceptifs aux idées athées, alors qu’ils ne l’étaient pas il y a 100 ans.
De la même manière, si on veut expliquer l’impact des ’grands hommes’, on doit pouvoir expliquer pourquoi d’autres personnes ont accepté de les suivre. On ne peut pas dire, par exemple, que Napoléon ou Lénine changèrent l’histoire, sans expliquer pourquoi des millions de personnes acceptèrent de faire ce qu’ils suggéraient. Après tout, ils n’étaient pas hypnotiseurs de masse. Quelque chose dans la vie de la société, à un certain moment, conduisait les gens à penser que ce qu’ils disaient semblait correct.
On ne peut comprendre comment les idées changent l’histoire que si l’on comprend d’où viennent ces idées et pourquoi les gens les ont acceptées. Cela impose de regarder au-delà des idées et s’intéresser aux conditions matérielles de la société où elles apparaissent. C’est pour cela que Marx insistait : " Ce n’est pas la conscience qui détermine les êtres, mais l’être social qui détermine la conscience ".
Les idées, par elles-mêmes, ne peuvent pas changer la société. C’était l’une des premières conclusions de Marx. Comme un certain nombre de penseurs avant lui, il insista sur le fait que pour comprendre la société, on doit voir les êtres humains comme faisant partie du monde matériel.
Les comportements humains sont déterminés par les forces matérielles, comme les comportements de n’importe quel autre objet naturel. L’étude de l’humanité faisait partie de l’étude scientifique du monde naturel. Les penseurs de ce type étaient appelés les matérialistes.
Marx vit dans le matérialisme une énorme avancée par rapport aux différentes notions idéalistes et religieuses de l’histoire. Cela signifiait que l’on pouvait discuter, scientifiquement, du changement des conditions sociales. On ne dépendait plus des prières à Dieu ou d’un ’changement spirituel’ de la population.
Le remplacement de l’idéalisme par le matérialisme fut le remplacement du mysticisme par la science. Mais les explications matérialistes du comportement humain ne sont pas toutes correctes. Tout comme il y eut des théories scientifiques erronées en biologie, en chimie ou en physique, il y eut des tentatives erronées pour développer des théories scientifiques de la société. En voici quelques exemples :
Une vision très répandue, matérialiste et non-marxiste, soutient que tous les hommes sont des animaux, qui se comportent ’naturellement’. Comme il est naturel aux loups de tuer ou aux agneaux de rester placides, il est naturel à l’homme d’être agressif, dominateur, compétitif et cupide (et cela implique, pour les femmes d’être douces, soumises, déférentes et passives).
Une formulation de cette opinion se trouve dans le best-seller, Le Singe Nu. Les conclusions tirées de ce genre d’analyse, sont presque invariablement réactionnaires. Si les hommes sont naturellement agressifs, dit-on, alors il n’y a pas d’espoir de changer la société. Les choses reviendraient toujours au même. Les révolutions seraient toujours condamnées à l’échec. Mais la ’nature humaine’ varie en fait, d’une société à l’autre.
Par exemple, la compétition, prise pour acquis dans notre société, existait à peine dans beaucoup de sociétés antérieures. Quand des scientifiques cherchèrent à faire passer des tests de QI à des amérindiens Sioux, ils se sont aperçus que les Indiens ne comprenaient pas pourquoi ils ne devaient pas s’entraider pour répondre aux questions. Ils vivaient dans une société de coopération intime, non de compétition.
De même pour l’agressivité. Quand les esquimaux rencontrèrent pour la première fois des européens, ils ne comprenaient pas la signification du mot ’guerre’. L’idée qu’un groupe de personnes essaie d’en tuer un autre leur semblait complètement folle.
Dans notre société, il semble ’naturel’ que les parents doivent aimer et protéger leurs enfants. Pourtant, en Grèce Antique, dans la ville de Sparte, il était tout aussi ’naturel’ de laisser leurs enfants dans la montagne, pour voir s’ils survivaient au froid.
Les théories de ’l’immuable nature humaine’ ne fournissent aucune explication des grands événements de l’histoire. Les pyramides d’Egypte, les splendeurs de la Grèce Antique, les empires romains et incas, les cités industrielles modernes, sont mis au même niveau que les paysans illettrés du début du Moyen Age. Tout ce qui importe c’est le ’Singe Nu’ - pas les civilisations magnifiques que le singe a construites. Il devient alors impossible de comprendre pourquoi certaines sociétés réussirent à nourrir les ’singes’, alors que d’autres les laissèrent mourir de faim par millions.
Beaucoup de gens acceptent une théorie matérialiste différente, qui met en avant le fait qu’il est possible de changer les comportements humains. Tout comme les animaux peuvent être dressés pour se comporter différemment dans un cirque que dans la jungle, les comportements humains, de la même manière, peuvent être changés. Si seulement les bonnes personnes prenaient le contrôle de la société, la ’nature humaine’ pourrait alors être changée.
Cette théorie est certainement plus avancée que le ’singe nu’. Mais comme explication de la société dans son ensemble, elle est incorrecte. Si tout le monde est complètement conditionné dans notre société, comment est-il possible pour une personne de s’élever au-dessus de la société et découvrir comment changer les mécanismes de conditionnement ? Y a-t-il une minorité choisie par Dieu, qui serait immunisée aux pressions qui dominent toutes les autres personnes ? Si nous sommes tous des animaux dans un cirque, qui est le dresseur de lions ?
Ceux qui défendent cette théorie en arrivent à la conclusion que, soit on ne peut rien faire (comme ceux du ’singe nu’), soit il faut attendre un changement produit par quelque chose d’extérieur à la société - Dieu, un ’grand homme’, ou le pouvoir des idées individuelles. Leur ’matérialisme’ se transforme en une nouvelle version de l’idéalisme.
Comme Marx le signalait, cette doctrine amène nécessairement à diviser la société en deux parties, dont une serait supérieure à la société. Cette théorie ’matérialiste’ est souvent réactionnaire. L’un des adhérents actuels les plus connus, de cette théorie est le psychologue américain de droite, Skinner. Il veut conditionner les gens pour qu’ils se comportent d’une certaine manière. Mais, puisque lui-même est un produit de la société américaine, son ’conditionnement’ revient, surtout, à ce que les gens se conforment à cette société.
Une autre théorie matérialiste explique toutes les souffrances dans le monde par la ’pression de la population’. Cette théorie s’appelle communément, le malthusianisme, développé pour la première foi par Malthus, un économiste anglais de la fin du XVIIIème. Mais elle ne peut expliquer pourquoi les États-Unis brûlent du maïs pendant que les gens meurent de faim en Inde. Pas plus qu’elle n’explique pourquoi il n’y avait pas assez de nourriture pour nourrir 10 millions de personne, il y a 150 ans, aux États-Unis, alors qu’aujourd’hui, il y en a assez pour en nourrir 200 millions.
Cette théorie oublie que pour chaque bouche supplémentaire à nourrir, il y a aussi une personne supplémentaire capable de travailler et de produire des richesses.
Marx appela toutes formes erronées d’explications, des formes de matérialisme ’mécanique’ ou ’vulgaire’. Elles oublient toutes que, en plus de faire partie du monde matériel, les êtres humains sont aussi des créatures vivantes et agissantes, dont les actions changent le monde.
L’interprétation matérialiste de l’histoire
« Les hommes peuvent être distingués des animaux par la conscience, la religion ou tout ce vous voulez. Ils commencent eux-mêmes à se distinguer des animaux dès qu’ils produisent leurs moyens de subsistance - leur nourriture, abri et vêtement ».
Avec ces mots, Karl Marx fit remarquer, d’abord, en quoi se distinguait son explication du développement de la société. Les êtres humains sont des animaux descendants d’une créature ressemblant à un singe. Comme les autres animaux, leur premier souci est de se nourrir eux-mêmes et de se protéger du climat.
La façon dont les animaux le font dépend de leur héritage biologique. Un loup reste en vie, en chassant et tuant sa proie, d’une manière déterminée par des instincts biologiques hérités. Il se tient au chaud lors de nuits froides grâce à sa fourrure. Il élève sa progéniture selon une procédure héritée.
Mais la vie humaine n’est pas figée de cette manière. Les humains qui parcouraient la terre, il y a 10 000 ou 30 000 ans vivaient une vie bien différente de la nôtre. Ils vivaient dans des grottes ou des trous dans le sol. Ils n’avaient aucun moyen de stocker la nourriture ou l’eau, ils dépendaient de la collecte de baies ou de la viande d’animaux sauvages tués à coups de pierres. Ils ne savaient ni écrire, ni compter au-delà de leurs dix doigts. Ils n’avaient aucune connaissance autre que leur voisinage immédiat ou de ce qu’avaient fait leurs ancêtres.
Pourtant leur apparence physique était similaire il y a 10 000 ans à celle de l’homme moderne. Lavé, rasé, habillé, l’homme des cavernes pourrait marcher dans la rue sans que personne ne le remarque.
Comme l’archéologue Gordon Childe nota :
« Les squelettes les plus anciens de notre espèce remontent à la fin de la dernière glaciation... Depuis la première apparition des squelettes d’homo sapiens dans les archives géologiques... l’évolution physique de l’homme s’est presque arrêtée, alors que son évolution culturelle ne faisait que commencer ».
La même observation est faite par un autre archéologue, Leakey : « Les différences physiques entre les hommes des cultures Aurignacienne et Magdalénienne (il y a 25000 ans) d’une part, et l’homme moderne d’autre part sont négligeables, alors que les différences culturelles sont incalculables ».
Par ’culture’ les archéologues entendent les choses que les hommes et les femmes apprennent et enseignent (comment faire des vêtements à partir de fourrure et de laine, comment construire une maison, comment fabriquer des pots avec de l’argile, comment faire du feu), à l’opposé des choses que les animaux font instinctivement.
La vie des tous premiers hommes était déjà grandement différente de celle des autres animaux. Ils avaient en effet la possibilité d’utiliser les capacités particulières aux hommes - cerveau important, membres supérieurs capables de manipuler des objets - pour commencer à transformer leur environnement selon leurs besoins. Cela signifiait que les hommes pouvaient s’adapter à de multiples environnements différents, sans changer de forme biologique. Les humains ne réagissaient plus simplement aux conditions extérieures. Ils pouvaient agir sur ces conditions, commençant à les changer à leur propre avantage.
Au départ, ils utilisaient des bâtons et des pierres pour attaquer des bêtes sauvages, ils allumaient des torches grâce à des sources de feu naturelles pour avoir de la chaleur et de la lumière, ils s’habillaient avec de la végétation et des peaux d’animaux. Sur plusieurs dizaines de milliers d’années, ils apprirent à faire du feu eux-mêmes, à tailler des pierres avec d’autres pierres, obtenir de la nourriture des grains qu’ils semaient, à la stocker dans des pots d’argile, à domestiquer certains animaux. Relativement récemment - il y a 5000 ans, sur un demi-million d’années de l’histoire humaine - ils apprirent le secret de la transformation des minerais en métaux qui pouvaient être utilisés pour fabriquer des outils fiables et des armes efficaces.
Chacune de ces avancées a eu un impact énorme, non seulement en rendant plus facile aux humains le fait de se nourrir et de se vêtir, mais aussi en transformant l’organisation même de la vie humaine. Dès le départ, la vie humaine était sociale. Seul l’effort collectif de plusieurs personnes pouvaient leur permettre de tuer des bêtes, de réunir de la nourriture et d’entretenir le feu. Ils devaient coopérer.
Cette coopération continuelle permit aussi de développer la communication, en émettant des sons et en développant le langage. Au départ, les groupes sociaux étaient simples. Il n’y avait pas assez de produits naturels pour permettre des groupes d’une taille plus importante que peut-être une vingtaine de personnes. Tous les efforts servaient aux tâches primaires d’obtenir de la nourriture, ainsi tout le monde faisait le même travail et vivait la même vie.
Sans aucun moyen de stocker de la nourriture, il ne pouvait y avoir de propriété privée, ni de classe sociale, il n’existait pas non plus de butin pour motiver la guerre.
Il y avait, jusqu’à récemment encore, des centaines de sociétés, dans différentes parties du globe, qui fonctionnaient comme cela - parmi certaines tribus indiennes d’Amérique du Nord et du Sud, en Afrique équatoriale et dans l’océan pacifique, les Aborigènes d’Australie. Ces personnes n’étaient pas moins intelligentes que nous et ne possédaient de ’mentalité primitive’. Pour survivre, les Aborigènes australiens par exemple, devaient apprendre à reconnaître des milliers de plantes et les habitudes de nombreux animaux différents.
L’anthropologue Pr. Firth décrit comment :
« les tribus australiennes... connaissent les habitudes, les marques, lieux de reproductions et les fluctuations saisonnières de tous les animaux, poissons et oiseaux de leur territoire de chasse. Ils connaissent les propriétés externes et certaines moins visibles des roches, pierres, cires, gommes, plantes, fibres et écorces ; ils savent faire du feu ; ils savent appliquer la chaleur pour supporter la douleur, arrêter une hémorragie et limiter la putréfaction de la nourriture ; ils savent aussi utiliser le feu et la chaleur pour durcir certains bois et en adoucir d’autres... Ils connaissent les phases de la lune, le mouvement des marées, le cycle planétaire, et les successions et durée des saisons ; ils ont mis en corrélation des fluctuations climatiques, comme les vents, les variations annuelles de température et d’humidité, et les flux de la croissance et la présence des espèces naturelles... En plus, ils font une consommation intelligente des animaux tués pour la nourriture ; la chair du kangourou est mangée, les os des jambes servent à la fabrication d’outils en pierre ou comme épingles, les tendons deviennent des attaches de javelots, les griffes sont montées en collier avec de la cire et des fibres, le gras mélangé à de l’ocre rouge pour faire de la peinture... Ils connaissent certains principes mécaniques simples et tailleront un boomerang jusqu’à ce qu’il ait la bonne courbe... » Ils étaient plus ’intelligents’ que nous pour survivre dans le désert australien. Ce qu’ils n’avaient pas appris était à planter des graines et à cultiver leur propre nourriture - ce que nos ancêtres apprirent, il y a 5000 années de cela, après avoir été sur terre pendant une période cent fois plus longue.
Le développement de nouvelles techniques pour créer des richesses - les moyens de la vie humaine - a toujours donné naissance à de nouvelles formes de coopération entre les hommes, à de nouvelles relations sociales. Par exemple, lorsque les gens apprirent pour la première fois à produire leur nourriture (en plantant des graines ou en domestiquant des animaux) et à la stocker (dans des pots en terre), il y eut une vraie révolution dans la vie sociale - appelée par les archéologues ’la révolution néolithique’. Les hommes devaient coopérer pour défricher la terre et faire la récolte, comme pour chasser les animaux. Ils pouvaient vivre en un nombre beaucoup plus grand qu’avant, ils pouvaient stocker de la nourriture et commencer à échanger des produits avec d’autres tribus.
Les premières villes pouvaient se développer. Pour la première fois, il y avait la possibilité pour quelques personnes de vivre sans que cela implique pour eux de chercher de la nourriture en permanence : certains allaient se spécialiser dans la fabrication des pots, d’autres dans la recherche du silex et plus tard du métal pour faire des outils, d’autres effectuant des tâches administratives élémentaires pour la tribu. Plus insidieusement, les stocks de nourriture fournissaient un mobile pour faire la guerre.
L’humanité avait trouvé une nouvelle façon de s’adapter au monde qui l’entourait, une nouvelle façon d’adapter le monde à leurs besoins. Mais en même temps, sans s’y attendre, les gens ont transformé la société dans laquelle ils vivaient et avec elle leurs propres vies. Marx résuma ce procédé : un développement des " forces de production " change les " relations de production ", et ainsi la société.
Il existe beaucoup d’autres exemples.
Il y a 300 ans, l’immense majorité des gens de ce pays vivaient toujours de la terre, produisant des richesses selon des méthodes qui n’avaient pas changé depuis des siècles. Leur horizon mental se bornait à leur village et leurs idées étaient fortement sous l’influence du clergé local. La plupart d’entre eux ne savaient ni lire ni écrire et n’apprendraient jamais à le faire. Plus tard, il y a 200 ans, l’industrie commença à se développer. Des dizaines de milliers de personnes furent envoyées à l’usine. Leurs vies furent complètement transformées. Maintenant, ils vivaient dans de grandes villes, non dans de petits villages. Ils avaient besoin de qualifications inimaginables pour leurs ancêtres, comprenant entre autres la lecture et l’écriture. Les chemins de fer et les bateaux à vapeur rendirent possible les voyages sur la moitié de la terre. Les vieilles idées martelées par le clergé ne correspondaient plus à la situation. La révolution matérielle dans la production fut aussi une révolution de leur façon de vivre et de leurs idées.
Des changements similaires affectent toujours de nombreuses personnes. Prenons les personnes du d’Afrique, du Maghreb, du Bangladesh ou de la Turquie qui sont venues en France, en Angleterre et en Allemagne, pour chercher du travail. Beaucoup trouvèrent que leurs anciennes traditions et idées religieuses ne correspondaient plus à leur nouvelle vie.
Ou encore, comment il y a 50 ans, la majorité des femmes commencèrent à travailler hors de la maison, et comment cela les conduisit à s’affronter aux vieilles attitudes qui faisaient d’elles, quasiment, la propriété de leurs maris.
Les changements dans la façon dont les hommes produisaient leur nourriture, leurs vêtements et leurs abris, amenèrent des changements dans l’organisation de la société et dans l’attitude des gens. C’est le secret des changements sociaux - historiques, que les penseurs avant Marx (et beaucoup d’autres depuis), les idéalistes et les matérialistes mécaniques, ne pouvaient pas comprendre.
Les idéalistes voyaient le changement - mais, ils disaient que ça tombait du ciel. Les matérialistes mécaniques voyaient que l’homme était conditionné par le monde matériel, mais ne pouvaient comprendre comment les choses pouvaient changer. Ce que Marx remarqua c’est que si les êtres humains sont conditionnés par le monde qui les entoure, ils agissent et réagissent sur leur environnement, travaillant à le rendre plus habitable. Ce faisant, ils changent aussi les conditions dans lesquelles ils vivent, et ainsi se changent eux-mêmes.
La clé de la compréhension des changements historiques réside dans la compréhension des moyens qu’utilisent les êtres humains pour se nourrir, se vêtir, et trouver un abri. C’était le point de départ de Marx. Mais cela ne signifie pas que des améliorations technologiques produisent automatiquement une meilleure société ou même que de nouvelles inventions technologiques changent automatiquement cette société. Marx rejeta cela (parfois appelé le déterminisme technologique). Toujours et encore, dans l’histoire, les gens ont rejeté de nouvelles méthodes pour améliorer la production parce qu’elles entraient en conflit avec les attitudes ou les formes de la société qui existaient déjà.
Par exemple, sous l’empire romain, il y eut beaucoup d’innovations pour produire plus de blé sur une surface de terrain donné, mais les gens ne les utilisèrent pas car elles demandaient aux esclaves plus de dévotion au travail que ne pouvait leur donner le fouet. Quand l’Angleterre dirigeait l’Irlande, au XVIIIème siècle, elle essaya d’y stopper le développement de l’industrie, car il entrait en conflit avec les intérêts des hommes d’affaires de Londres.
Si quelqu’un propose de tuer toutes les vaches sacrées pour éradiquer la famine en Inde, ou de nourrir tout le monde en Angleterre avec de succulents steaks à base de viande de rat, il sera ignoré à cause de préjugés établis.
Les développements dans la production se heurtent aux anciens préjugés et aux anciennes méthodes d’organisation de la société, mais ils ne les renversent pas automatiquement. Beaucoup d’êtres humains se battent contre le changement - et ceux qui veulent utiliser de nouvelles méthodes de production doivent se battre pour ce changement. Si ceux qui s’y opposent gagnent, alors les nouvelles formes de production ne peuvent être appliquées et la production stagne ou même recule.
Dans la terminologie marxiste : quand les forces de production se développent, elles entrent en conflit avec les relations sociales préexistantes et les idées qui s’appuient sur les anciennes forces de production. Soit les personnes qui s’identifient avec les nouvelles forces de production gagnent ce conflit, soit ce sont celles qui s’identifient avec le vieux système. Dans le premier cas, la société progresse, dans l’autre elle stagne ou même régresse.
Nous vivons dans une société divisée en classes, dans laquelle une minorité de personnes possède une énorme partie de la propriété privée, et la plupart d’entre nous, quasiment rien. Naturellement, nous pensons tous qu’il en fut toujours de même. Mais en réalité, pendant la plus grande partie de l’histoire humaine, il n’y avait pas de classes, pas de propriété privée, pas d’armée, ni de police. Telle était la situation pendant les 50 000 ans du développement humain jusqu’à il y a 5000 à 10 000 ans.
Tant que le travail d’un homme ne permettait pas de produire plus de nourriture que ce dont il avait besoin pour vivre, il ne pouvait y avoir de division en classes. En effet, quel était l’intérêt d’avoir des esclaves si tout ce qu’ils produisaient ne servaient qu’à les nourrir ?
Mais à partir d’un certain moment, les avancées dans la production rendaient les divisions de classes non seulement possibles mais nécessaires. Suffisamment de nourriture pouvait être produite pour laisser un surplus après que les producteurs immédiats en avaient pris assez pour rester en vie. Et les moyens existaient pour la stocker et la transporter d’un endroit à un autre.
Les gens, dont le travail produisait toute cette nourriture, auraient pu simplement manger ce supplément de nourriture. Puisqu’ils vivaient une vie assez misérable, ils pouvaient être fortement tentés. Mais cela les aurait laissés à la merci des ravages de la nature, qui pouvaient être la famine ou une inondation l’année suivante, et aux attaques de tribus affamées avoisinantes.
C’était, au début, un net avantage pour tout le monde, si un groupe spécial de personnes prenait en charge cette richesse supplémentaire, la stockait contre de futurs désastres, l’utilisait pour soutenir les artisans, construire des moyens de défense et en échangeait une partie avec d’autres tribus contre des objets utiles. Ces activités commencèrent à se développer dans les premières villes, où des administrateurs, des marchands et artisans apparurent. Du besoin de noter, sur des tablettes, les traces des différentes sortes de richesses, apparut le développement de l’écriture.
Ainsi furent les premiers balbutiements de ce qu’on appelle " la civilisation ". Mais - et c’est un mais de taille, tout cela était basé sur le contrôle des richesses par une petite minorité de la population. Et cette minorité utilisait cette richesse pour son propre bien autant que pour le bien de la société dans son ensemble.
Plus la production se développait, plus les richesses s’entassaient dans les mains de cette minorité - et plus elle se détacha du reste de la population.
Les règles, qui existaient en tant que moyen pour permettre à la société de vivre, devinrent les ’lois’, insistant sur le fait que la richesse et la terre qui la produisait étaient la ’propriété privée’ de la minorité. Une classe dominante avait vu le jour et les lois défendaient son pouvoir.
On pourrait se demander s’il aurait été possible pour la société de se développer autrement, s’il aurait été possible pour ceux qui travaillaient la terre de contrôler ce qu’ils produisaient ?
La réponse doit être négative, pas à cause de la ’nature humaine’, mais parce que la société était toujours très pauvre. La majorité de la population terrestre était trop occupée à gratter le sol pour une vie de misère, pour avoir le temps de développer l’écriture et la lecture, de créer des œuvres d’arts, de construire des bateaux pour le commerce, de repérer le mouvement des étoiles, de découvrir les rudiments des mathématiques pour prévenir les crues des rivières ou comprendre comment des canaux d’irrigation devaient être construits. Toutes ces choses ne pouvaient être découvertes que si toutes les nécessités de la vie étaient prises en charge par la masse de la population, ce qui permettait à une minorité privilégiée de ne pas avoir à trimer du lever au coucher du soleil.
Cependant, cela ne signifie pas que la division de la société en classes reste nécessaire aujourd’hui. Le dernier siècle a été le témoin d’un développement de la production inimaginable pour les générations passées.
La pauvreté naturelle a été dépassée - ce qui existe, maintenant, est une pauvreté artificielle, créée par des gouvernements qui détruisent des stocks de nourriture.
La société de classes, aujourd’hui, ne pousse plus en avant l’humanité, au contraire, elle la retient.
Ce ne fut pas seulement le premier changement d’une société purement agricole en des sociétés urbaines qui donna naissance à de nouvelles divisions de classes. Le même processus apparut chaque fois que de nouvelles façons de produire des richesses commencèrent à se développer.
Ainsi, en France, il y a 1000 ans, la classe dirigeante était composée de barons féodaux qui possédaient la terre et vivaient sur le dos des serfs. Mais quand le commerce se développa à une large échelle, apparut à leur côté, dans les villes, une nouvelle classe privilégiée de riches marchands.
Et quand l’industrie commença à se développer à une échelle substantielle, leur pouvoir fut disputé par les propriétaires d’entreprises industrielles.
A chaque stade de développement de la société, il y eut une classe opprimée dont le travail physique créait la richesse, et une classe dominante qui contrôlait cette richesse. Mais au cours du développement de la société, les deux classes subirent des changements.
Dans les sociétés esclavagistes de la Rome Antique, les esclaves étaient la propriété personnelle de la classe dirigeante. L’esclavagiste possédait les biens produits par l’esclave parce qu’il possédait l’esclave, de la même manière qu’il possédait le lait produit par sa vache parce qu’il possédait la vache.
Dans la société féodale du Moyen Age, les serfs possédaient leurs propres terres, et possédaient ce qu’ils en tiraient ; mais, en retour de la possession de leur terre, ils devaient travailler un certain nombre de jours chaque année sur les terres du seigneur. Leur vie était divisée - peut-être la moitié du temps travaillaient-ils pour le seigneur et l’autre moitié pour eux-mêmes. S’ils refusaient de travailler pour le seigneur, ce dernier pouvait les punir (fouet, prison ou pire).
Dans la société capitaliste moderne, le patron ne possède pas physiquement le travailleur et ne peut pas le punir physiquement si celui-ci ne veut pas travailler gratuitement pour lui. Mais le patron possède les usines où le travailleur doit avoir un boulot s’il veut rester en vie. Ainsi, il lui est très facile de forcer les travailleurs à accepter un salaire qui est bien inférieur à la valeur des biens qu’ils produisent.
Dans chaque cas, la classe dirigeante contrôle toutes les richesses qui restent, une fois que les besoins les plus élémentaires des travailleurs sont satisfaits. L’esclavagiste veut garder sa propriété en bon État, il nourrit donc son esclave de la même manière que vous faites le plein de votre voiture. Mais tout ce qui reste comme richesses, après avoir nourri cet esclave, l’esclavagiste s’en sert pour son propre bien-être. Le serf doit se nourrir et s’habiller grâce au travail qu’il fournit sur sa terre. Tout le travail supplémentaire fourni sur la terre du seigneur va au seigneur.
Le travailleur moderne reçoit un salaire. Toutes les autres richesses qu’il crée vont à ses employeurs sous forme de profits, intérêts ou rentes.
La lutte de classes et l’État
Les travailleurs ont rarement accepté leur sort sans résister. Il y eut des révoltes d’esclaves en Egypte ancienne et en Rome antique, révoltes de paysans en Chine Impériale, guerres civiles entre les riches et les pauvres dans les villes de la Grèce ancienne, à Rome et pendant la Renaissance en Europe.
C’est pourquoi Karl Marx commença Le Manifeste du parti communiste en insistant : " l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte de classes. " Le développement de la civilisation a eu lieu par l’exploitation d’une classe par une autre, et ainsi par leurs luttes.
Aussi puissants un pharaon d’Egypte, un empereur romain ou un prince médiéval soient-ils, aussi luxueuses leurs vies puissent être et quelque soit la beauté de leurs palaces, ils ne pouvaient rien faire s’ils ne s’assuraient pas que les biens produits par les paysans ou les esclaves les plus misérables passent entre leurs mains. Ils ne pouvaient le faire que si, à côté de la division en classes, ils ne développaient pas quelque chose d’autre - un contrôle sur les moyens de la violence, par eux-mêmes ou par ceux qui les soutenaient.
Dans les sociétés antérieures, il n’y avait pas d’appareil armé, pas de police et pas de gouvernement séparés de la majorité de la population. Même il y a 50 ou 60 ans, dans certaines parties de l’Afrique, par exemple, il était possible de trouver des sociétés qui fonctionnaient encore comme ça. Une grande partie des tâches accomplies par l’État, dans notre société, était accomplie, simplement, sans formalités, par toute la population ou une réunion de représentants.
De telles réunions jugeaient le comportement de telle ou telle personne qui était accusée d’avoir brisé une importante règle sociale. La punition était appliquée par toute la communauté - par exemple en obligeant la personne à partir. Puisque tout le monde était d’accord avec la punition, une police séparée n’était pas nécessaire pour rendre le jugement effectif. Si la guerre arrivait, tous les jeunes hommes allaient au combat avec des chefs élus pour l’occasion, une fois encore sans structure militaire séparée.
Mais, dans une société où une minorité a le contrôle sur presque toute la richesse, ces méthodes simples pour faire régner ’la loi et l’ordre’ et pour faire la guerre ne peuvent plus être utilisées. Chaque réunion de représentants ou chaque groupe de jeunes hommes en armes prendrait, à coup sûr, une position de classe.
Le groupe privilégié ne pouvait survivre que s’il détenait le monopole de la création et de l’amélioration des punitions, des lois, de l’organisation des armées, de la production d’armes. Ainsi la séparation en classes s’accompagna de l’apparition et du développement de groupes de juges, de policiers et d’agents des services secrets, de généraux, de bureaucrates - à qui la classe privilégiée donna une partie de ses richesses pour qu’ils protègent son règne.
Ceux qui servaient dans les rangs de cet ’État’ étaient entraînés à obéir sans hésitation aux ordres de leurs ’supérieurs’ et étaient coupés de tous liens sociaux avec la masse exploitée de la population. L’État s’est développé en une machine à tuer dans les mains de la classe privilégiée. Et il pouvait être une machine hautement efficace.
Bien sûr, les généraux qui dirigeaient cette machine se détachaient souvent d’un empereur ou d’un roi, et essayaient de prendre leur place. La classe dirigeante, après avoir armé un monstre, ne pouvait pas toujours le contrôler. Mais puisque la richesse nécessaire pour le fonctionnement de la machine à tuer venait de l’exploitation des masses laborieuses, chaque révolte de ce type conduisait à une société qui continuait à fonctionner selon les vieilles méthodes.
A travers l’histoire, ceux qui voulaient sincèrement changer la société se sont retrouvés confrontés, non seulement à la classe dominante, mais aussi à une machine armée, un État, qui servait ses intérêts.
Les classes dominantes, et avec elles le clergé, les généraux, les policiers et les lois, émergèrent, au départ parce que, sans elles, la civilisation ne pouvait se développer. Mais ensuite, une fois au pouvoir, elles trouvèrent intérêt à freiner ce développement. Leur pouvoir dépend de leur capacité à forcer ceux qui produisent les richesses à les leur céder. Elles sont alors opposées à de nouveaux modes de production, mêmes s’ils sont plus efficaces que les anciens, tant qu’ils n’en ont pas le contrôle.
Elles craignent tout ce qui peut conduire les masses exploitées à développer leur initiative et leur indépendance. Elles craignent aussi de nouveaux groupes de privilégiés, suffisamment riches pour avoir des armes et des armées sous leurs propres ordres. A partir d’un certain moment, elles n’aident plus au développement de la production, mais au contraire cherchent à l’étouffer.
Par exemple, en Chine Impériale, le pouvoir de la classe dirigeante reposait sur la possession des terres, son contrôle sur les canaux et les barrages qui servaient à l’irrigation et empêchaient les inondations. Ce type de contrôle formait les bases du développement d’une civilisation qui dura 2000 ans. Mais à la fin de cette période, la production n’était pas plus avancée qu’au début - malgré la prospérité de l’art chinois, la découverte de l’imprimerie et de la poudre, alors qu’au même moment l’Europe médiévale stagnait.
La raison était que, lorsque de nouvelles formes de production apparaissaient, cela se passait dans les villes, sur l’initiative des marchands et artisans. La classe dominante craignait cette montée en puissance de groupes sociaux qu’ils n’avaient pas entièrement sous leur contrôle. Ainsi, périodiquement, les autorités impériales prirent des mesures très dures pour écraser les économies naissantes des villes, pour réduire la production à zéro et détruire le pouvoir de ces nouvelles classes sociales.
Le développement de nouvelles forces de production - de nouvelles façons de produire des richesses - entrait en conflit avec les intérêts de la vieille classe dirigeante. Une lutte se développait dont l’issue déterminait l’avenir de la société tout entière.
Parfois, comme en Chine, ces nouvelles formes furent dans l’impossibilité de se développer, et la société resta plus ou moins au même niveau pendant une longue période.
Certaines fois, comme ce fut le cas pour l’Empire romain, l’incapacité pour les nouvelles formes de se développer signifia qu’il n’y avait pas assez de richesses produites pour maintenir la société sur ses vieilles bases. La civilisation s’effondra, les villes furent détruites et les gens retournèrent à une forme de société, agricole et arriérée.
Et d’autres fois, une nouvelle classe, celle qui développait les nouvelles formes de production, fut capable de s’organiser et d’affaiblir et enfin se débarrasser de l’ancienne classe dirigeante, et avec elle ses lois, ses armées, son idéologie, sa religion. Alors, la société pouvait progresser.
Dans chaque cas, que la société avance ou recule, cela dépend de qui gagne la guerre entre les classes. Et comme dans chaque guerre, la victoire n’est acquise d’avance pour aucun des camps, tout dépend de l’organisation, de la cohésion et de la direction de chaque classe en présence.
L’un des arguments les plus ridicules que l’on entend, est que les choses ne pourraient être différentes de ce qu’elles sont actuellement. Pourtant les choses ont été différentes. Et pas dans un coin retiré du globe, mais dans ce pays, il n’y a pas si longtemps. Il y a 250 ans, les gens vous auraient pris pour un fou, si vous aviez décrit le monde dans lequel nous vivons maintenant, ses immenses villes, ses grandes usines, ses avions, ses expéditions dans l’espace - même les chemins de fer dépassaient les limites de leur imagination.
Car ils vivaient dans une société qui était presque exclusivement rurale, dans laquelle la plupart des gens n’avaient jamais quitté leur village au delà d’un rayon de plus de dix kilomètres, dans laquelle le mode de vie était basé, et ce, depuis des milliers d’années, sur le rythme des saisons.
Mais déjà, il y a 700 ou 800 ans, un développement s’était amorcé qui devait remettre en question tout le système. Des groupes d’artisans et de marchands commencèrent à s’établir dans les villes, pas en étant au service d’un seigneur quelconque comme c’était le cas pour le reste de la population, mais en échangeant des biens avec différents seigneurs et serfs contre de la nourriture. De plus en plus, ils utilisèrent des métaux précieux comme moyens de mesurer ces échanges. En peu de temps, chaque échange devint l’occasion de récupérer un peu plus de métal précieux, de faire un profit.
Au début les villes devaient jouer sur les rivalités entre les seigneurs pour survivre. Mais, avec les progrès faits par leurs artisans, elles gagnèrent en influence. Les ’burgers’, les ’bourgeois’ ou les ’classes moyennes’ devinrent une classe au milieu de la société féodale du M oyen âge. Cependant, ils obtenaient leurs richesses par un moyen radicalement différent de celui des seigneurs qui dominaient la société.
Un seigneur féodal vivait directement des produits agricoles qu’il était capable d’obtenir en forçant les serfs à travailler sur sa terre. Il utilisait son pouvoir personnel pour les y obliger, sans avoir à les payer. Alors que les classes les plus riches des villes vivaient de la vente de produits non-agricoles. Ils payaient un salaire, tous les jours ou toutes les semaines, aux travailleurs pour qu’ils produisent pour eux.
Ces travailleurs, souvent des serfs en fuite, étaient ’libres’ d’aller et venir à leur guise - une fois qu’ils avaient fini le travail pour lequel ils étaient payés. La ’seule’ obligation qu’ils avaient à travailler étaient qu’ils mouraient de faim s’ils ne trouvaient pas un travail. Les riches pouvaient s’enrichir car plutôt que de mourir de faim, les travailleurs ’libres’ acceptaient moins d’argent pour leur travail que la valeur des biens qu’ils produisaient.
Nous reviendrons sur cela plus tard. Pour l’instant, ce qui importe c’est que les bourgeois et les seigneurs féodaux obtenaient leurs richesses de façons différentes. Cela les amenait à concevoir la société de manière différente.
L’idéal du seigneur féodal était une société dans laquelle il avait le pouvoir absolu sur ses propres terres, libéré de toute loi écrite, sans intrusion d’entité extérieure, avec l’impossibilité pour ses serfs de s’enfuir. Il voulait que les choses restent comme elles l’étaient sous le règne de son père et de son grand-père, et que tout le monde accepte cette hiérarchie sociale dans laquelle il était né.
Les membres de la nouvelle bourgeoisie riche voyaient, nécessairement, les choses d’une autre manière. Ils voulaient réduire le pouvoir des seigneurs ou rois d’interférer avec leur commerce ou voler leurs richesses.
Ils rêvaient d’y parvenir au moyen d’un ensemble fixe de lois, écrites et appliquées par leurs propres représentants. Ils voulaient libérer les classes les plus pauvres du servage, pour les permettre de travailler (et d’augmenter leur profit) dans les villes.
Comme eux-mêmes, leurs pères et grands-pères avaient souvent dû vivre sous le joug des seigneurs féodaux et ils ne voulaient certainement pas que cela continue.
En d’autres termes, ils voulaient révolutionner la société. Leurs conflits avec l’ordre ancien n’étaient plus seulement économiques, mais aussi idéologiques et politiques. Idéologique signifiait religieux, dans une société d’illettrés où la source dominante des idées générales sur le monde était l’Eglise.
Puisque l’église médiévale était dirigée par des évêques et des abbés qui eux aussi étaient des seigneurs féodaux, elle propageait des positions pro-féodales, accusant de ’pécheresses’ la plupart des activités des bourgeois urbains.
Ainsi, en Allemagne, Hollande, Angleterre et en France, au XVIème et XVIIème siècles, la classe moyenne se rallia à sa propre religion : le protestantisme - une idéologie religieuse qui prêchait l’épargne, la sobriété, l’effort (spécialement pour les travailleurs) et l’indépendance des congrégations de la classe moyenne par apport à la puissance des évêques et des abbés.
La classe moyenne créa un Dieu à son image, en opposition au Dieu du Moyen âge.
Maintenant, on nous apprend à l’école ou à la télévision que les grandes guerres religieuses et les guerres civiles de cette époque n’étaient que des guerres à propos de divergences religieuses, comme si les gens étaient suffisamment stupides pour se battre et mourir parce qu’ils n’étaient pas d’accord au sujet du rôle du sang et du corps du Christ dans la Sainte Communion. Beaucoup plus était en jeu - le conflit entre deux formes de sociétés complètement différentes, basées sur deux façons différentes d’organiser la production des richesses.
En Angleterre, la bourgeoisie gagna. Aussi gênant que cela puisse-t-être pour la classe dirigeante actuelle, leurs ancêtres consacrèrent leur pouvoir en coupant la tête d’un roi, en justifiant leurs actes par les extravagances des prophètes de l’Ancien Testament.
Mais, ailleurs, la première manche fut pour l’ancien régime. En France et en Allemagne, les révolutionnaires bourgeois protestants furent balayés par les guerres civiles (bien qu’une version féodale du protestantisme survécut en tant que religion dans le nord de l’Allemagne). La bourgeoisie dut attendre deux siècles et plus pour savourer la victoire, durant la seconde manche qui eut lieu sans le prétexte religieux, en 1789, à Paris.
Exploitation et plus-value
Dans les sociétés esclavagistes et féodales, les classes supérieures devaient avoir des contrôles légaux sur la masse de la population laborieuse. Autrement, ceux qui servaient le seigneur féodal ou l’esclavagiste se seraient enfuis, laissant la classe privilégiée sans personne pour travailler pour elle.
Mais le capitaliste n’a pas besoin, en général, de tels contrôles légaux sur les travailleurs. Il n’a pas besoin de les posséder, pourvu qu’il s’assure que le travailleur qui refuse de travailler pour lui mourra de faim. Au lieu de posséder le travailleur, le capitaliste peut prospérer tant qu’il possède et contrôle la source de vie des travailleurs - les machines et les usines.
Les nécessités matérielles de la vie sont produites par le travail humain. Mais ce travail est à peu près inutile sans outils pour cultiver la terre et raffiner les matières premières. Les outils peuvent varier énormément - du simple instrument agricole tels que les faux et les charrues aux machines compliquées qu’on rencontre dans les usines automatisées modernes. Mais sans outils le plus compétent de tous les travailleurs est incapable de produire les choses utiles à la survie.
C’est le développement de ces outils - généralement appelés ’les moyens de production’ - qui sépare l’homme moderne de son lointain ancêtre de l’âge de pierre. Le capitalisme se base sur la propriété de ces moyens de production par une minorité. En Angleterre aujourd’hui, par exemple, 1% de la population possède 84 % des stocks et des parts dans l’industrie.
Entre leurs mains se trouve concentré le contrôle effectif sur une large majorité des moyens de production - les machines, les usines, les champs pétroliers, les meilleures terres agricoles. La masse de la population ne peut survivre que si les capitalistes lui permettent de travailler avec ses moyens de production. Cela donne aux capitalistes un immense pouvoir pour exploiter le travail des autres personnes - même si au regard de la loi ’tous les hommes sont égaux’.
Cela prit des siècles aux capitalistes pour construire leur total monopole sur les moyens de production. En Angleterre, par exemple, les parlements du XVIIème et XVIIIème siècles, durent voter une succession de lois baptisées ’Enclosure Acts’, qui expulsèrent les paysans de leurs propres moyens de production, la terre qu’ils cultivaient depuis des siècles. La terre devint la propriété d’une section de la classe des capitalistes et la masse rurale fut obligée de vendre son travail aux capitalistes sous peine de mourir de faim.
Une fois que le capitalisme réussit à monopoliser les moyens de production, il pouvait se permettre de laisser à la masse de la population une apparence de liberté et d’égalité dans les droits politiques avec les capitalistes. Car quelque soit la ’liberté’ qu’avaient les travailleurs, ils devaient toujours travailler pour vivre.
Les économistes pro-capitalistes ont une explication simple de ce qui se passe. Ils disent qu’en payant des salaires, le capitaliste achète le travail des travailleurs. Il doit payer un juste prix pour cela. Sinon, ce travailleur s’en ira travailler ailleurs. Le capitaliste donne ’une journée de salaire équitable’. En retour, les travailleurs doivent donner ’une journée de travail équitable’.
Comment alors expliquent-ils les profits ? Ce sont, prétendent-ils, une ’récompense’ pour le capitaliste pour son ’sacrifice’ c’est-à-dire en permettant l’utilisation de ses moyens de production (son capital). C’est un argument qui ne convaincra guère un travailleur qui y réfléchit un moment.
Prenons une compagnie qui annonce un ’ taux net de profit’ de 10 pour cent. Cela veut dire que si le prix de toutes les machines, usines etc. qu’elle possède est de 100 millions de francs, alors il reste 10 millions de francs de bénéfice après avoir payé les salaires, les matières premières et le remplacement des machines usées pendant l’année.
Pas besoin d’être un génie pour s’apercevoir qu’au bout de 10 ans, la compagnie aura un bénéfice total de 100 millions de francs - exactement l’investissement initial.
Si c’est ce ’sacrifice’ qui est récompensé, alors, sûrement, après les dix premières années, tous les profits devraient cesser. Car après cette période, les capitalistes auront récupéré la totalité de leur investissement initial. En fait, le capitaliste est deux fois plus riche qu’avant. Il possède toujours son investissement original et les profits accumulés.
Les travailleurs, durant la même période, ont sacrifié la plus grosse partie de leur énergie en travaillant huit heures par jour, 47 semaines par an, à l’usine. Sont-ils devenus deux fois plus riches qu’ils étaient au début ? Ce n’est certainement pas le cas. Même si un travailleur économise scrupuleusement, il ne sera pas capable d’acheter beaucoup plus qu’une télévision couleur, un chauffage bon marché ou une voiture d’occasion. Le travailleur ne pourra jamais réunir la somme nécessaire pour acheter l’usine dans laquelle il travaille.
La ’journée de travail équitable’ pour une journée de salaire équitable a multiplié le capital du capitaliste, tout en laissant le travailleur sans capital et sans autre choix que de continuer à travailler pour à peu près le même salaire. Les ’droits égaux’ des capitalistes et des travailleurs ont augmenté l’inégalité.
Une des grandes découvertes de Karl Marx fut l’explication de cette anomalie apparente. Il n’y a pas de mécanismes qui forcent le capitaliste à payer ses travailleurs la valeur totale du travail qu’ils effectuent. Un travailleur employé, par exemple, dans l’industrie à l’heure actuelle, peut créer 4000 francs de richesse par semaine. Mais cela ne signifie pas qu’il ou elle sera payé(e) cette somme. Dans 99 % des cas, ils seront payés beaucoup moins.
L’alternative qu’ils ont au travail est la faim (ou les sommes misérables donnés par les Assedic). Ainsi, ils ne demandent pas la totalité de la valeur de ce qu’ils produisent, mais juste assez pour avoir un niveau de vie plus ou moins acceptable. Le travailleur est payé juste assez pour pouvoir mettre toutes ses forces, toute sa capacité à travailler ( ce que Marx appelait sa force de travail ) à la disposition des capitalistes chaque jour.
Du point de vue du capitaliste, du moment que les travailleurs sont suffisamment payés pour rester en bonne santé pour travailler et pour élever ses enfants qui seront une nouvelle génération de travailleurs, alors ils sont payés de manière équitable pour leur force de travail. Mais le montant des richesses nécessaires pour garder les travailleurs en bonne santé est considérablement inférieur au montant des richesses produites par leur travail - la valeur de leur force de travail est considérablement inférieure à la valeur de leur travail.
La différence va dans la poche du capitaliste. Marx appela cette différence la ’plus-value’.
La reproduction élargie du capital.
Dans les écrits des économistes pro-capitalistes, on remarque rapidement qu’ils partagent tous la même croyance étrange. L’argent, si on les écoute, a des propriétés magiques. Il peut grandir comme une plante ou un animal. Quand un capitaliste pose son argent à la banque, il s’attend à ce qu’il fructifie. Quand il investit dans des actions de Promodès ou de Total, il s’attend à des rentrées d’argent frais, chaque année, sous la forme de dividendes. Karl Marx se rendit compte du phénomène, qu’il appela " la reproduction élargie du capital ", et chercha à l’expliquer. Comme nous l’avons déjà vu, son explication ne commença pas par l’argent, mais par le travail et les moyens de production. Dans la société actuelle, ceux qui sont assez riches peuvent acheter des moyens de production. Ils peuvent obliger tout le monde à leur vendre le travail nécessaire au fonctionnement de ces moyens de production. Le secret de la " reproduction élargie du capital ", de la propriété miraculeuse qu’a l’argent à grossir pour ceux qui en ont beaucoup, réside dans le fait de vendre et d’acheter cette force de travail.
Prenons l’exemple d’un travailleur, que nous appellerons Jean, qui a un patron M.Dupont. Le travail que peut accomplir Jean en huit heures créera un montant supplémentaire de richesses - valant peut-être 500 francs. Mais Jean acceptera d’être payé beaucoup moins que ça, puisque l’alternative sera les prestations sociales. Les efforts des élus capitalistes, souvent de droite, permettent de s’assurer qu’il n’aura que 120 francs par jours de prestations pour se nourrir, lui et sa famille. Ils expliquent que donner trop détruira ’la motivation pour aller bosser’.
Si Jean veut obtenir plus que 120 francs par jour, il doit vendre sa capacité à travailler, sa force de travail, même si on lui offre beaucoup moins que les 500 francs qu’il peut produire chaque jour. Il acceptera de travailler pour, peut-être, 300 francs par jour. La différence, les 200 francs, ira dans la poche de M.Dupont. C’est la plus-value de M.Dupont.
Parce qu’il a eu assez d’argent pour s’acheter le contrôle des moyens de production, au départ, M.Dupont peut s’assurer de devenir plus riche de 200 francs par jour et par travailleur qu’il emploie. Son argent continue de grossir, son capital augmente, pas à cause de curieuses lois de la nature, mais parce que ce contrôle sur les moyens de production lui permet d’obtenir la force de travail de quelqu’un d’autre à bon marché.
Bien entendu, M.Dupont ne récupèrera pas forcément les 200 francs en totalité - il est possible qu’il loue l’usine ou le terrain, il a peut-être emprunté une partie de sa richesse initiale à d’autres membres de la classe dirigeante. Ils demandent en retour une part de la plus-value. Il perd peut-être 100 francs sous formes de rentes, d’intérêts ou de dividendes, le laissant avec ’seulement’ 100 francs.
Ceux qui vivent de dividendes n’ont probablement jamais vu Jean de leur vie. Néanmoins, ce n’est pas le pouvoir mystique de la pièce de 1 franc qui leur donne leurs richesses, mais la sueur bien physique de Jean. Les dividendes, les intérêts et les profits viennent tous de la plus-value.
Comment décide-t-on combien Jean sera payé pour son travail ? Le patron essaiera de le payer le moins possible. Mais en pratique, il y a des limites qu’il ne peut dépasser. Certaines de ces limites sont physiques - il n’est pas raisonnable de payer un salaire si misérable aux travailleurs qu’ils souffrent de malnutrition et qu’il soient incapables de travailler. Ils doivent être capables d’aller et de revenir du travail, d’avoir un endroit pour se reposer la nuit, de telle sorte qu’ils ne s’endorment pas sur les machines.
De ce point de vue là, il vaut même mieux lui permettre de s’offrir quelques ’petits luxes’ - comme quelques demis ou une bouteille de vin chaque jour, la télévision, et même des vacances. Cela permet de reconstituer le travailleur et de le faire travailler plus. Il faut qu’il récupère sa force de travail. Il est important de remarquer que là où les salaires sont ’maintenus trop bas’ la productivité diminue.
Le capitaliste doit s’inquiéter d’autre chose aussi. Sa firme existera pendant plusieurs années, bien après que la première génération de travailleurs soit morte. La firme aura besoin de la force de travail de leurs enfants. Ils doivent payer aussi suffisamment les travailleurs pour qu’ils puissent élever des gamins. Ils doivent, aussi, s’assurer que l’État prenne en charge leur éducation et leur qualification (la lecture et l’écriture par exemple), grâce au système scolaire.
En pratique, un autre facteur intervient de même - ce que le travailleur pense être un salaire décent. Un travailleur qui est payé moins que ce salaire décent, négligera son travail, n’ayant pas peur de perdre son emploi puisqu’il pense que celui-ci est ’inutile’.
Tous ces éléments, qui déterminent son salaire, ont un point en commun. Ils permettent de s’assurer qu’il a l’énergie vitale, la force de travail, que le capitaliste achètera à l’heure. Les travailleurs sont payés ce qu’il faut pour se maintenir en vie, eux-mêmes et leur famille, et pour être en forme pour travailler.
Dans la société capitaliste moderne, un autre point doit être abordé. D’énormes quantités de richesses sont dépensées pour la police et les armes. Elles sont utilisées par l’État pour les intérêts de la classe capitaliste. En réalité, elles appartiennent aux capitalistes, même si elles sont dirigées par l’État. La valeur dépensée pour ces choses appartient aux capitalistes, pas aux travailleurs. Cela fait partie aussi de la plus-value. Plus-value = profit + rente + intérêts + dépenses militaires, policières etc.
5 - LA THEORIE DE LA VALEUR
« Mais les machines, le capital produisent des marchandises aussi bien que le travail. Ainsi, il est juste que le capital, tout comme, le travail, obtienne une part des richesses produites. Chaque ’facteur de production’ doit avoir sa récompense ».
C’est comme cela que répond quelqu’un à qui on a appris un petit peu d’économie pro-capitaliste, à l’analyse marxiste de l’exploitation et de la plus-value. Et à première vue, l’objection semble se tenir. Car, assurément, on ne peut produire de richesse sans capital.
Les marxistes n’ont jamais dit le contraire. Mais notre point de départ est bien différent. Nous commençons par demander : d’où vient le capital ? Comment les moyens de production sont apparus pour la première fois ? La réponse n’est pas difficile à trouver. Tout ce que les humains ont utilisé, au cours de l’histoire, pour créer des richesses - que ce soit une hache de pierre néolithique ou un micro-ordinateur - a, à un moment, été créé par du travail humain. Même si on a eu besoin d’outils pour faire la hache, ces outils viennent d’un travail précédent.
C’est pourquoi, Karl Marx parlait, au sujet des moyens de production, " de travail mort ". Alors que les hommes d’affaires se vantent du capital qu’ils possèdent, en réalité, ils se vantent d’avoir acquis le contrôle d’une vaste chaîne de travail de générations précédentes - ce qui ne veut pas dire du travail de leurs ancêtres, qui ne travaillaient pas plus qu’eux maintenant. L’idée que le travail est la source des richesses- souvent appelée la " théorie de la valeur " - n’est pas une découverte originale de Marx. Tous les grands économistes pro-capitalistes avant lui l’avaient acceptée.
Des personnes, comme l’économiste écossais Adam Smith ou l’économiste anglais David Ricardo, l’avaient écrit quand le système du capitalisme industriel était encore jeune - peu avant et peu après la révolution française. Les capitalistes ne dominaient pas encore et devaient connaître la source réelle de leur richesse s’ils devaient un jour dominer. Smith et Ricardo servirent leurs intérêts en leur montrant que le travail créait la richesse, et pour construire leurs richesses, ils avaient besoin de ’libérer’ le travail du joug des anciens dirigeants pré-capitalistes.
Mais il ne fallut pas attendre longtemps pour que des penseurs proches de la classe ouvrière commencent à retourner l’argument contre les amis de Smith et Ricardo : si le travail crée la richesse, alors le travail crée le capital. Et les ’droits du capital’ ne sont rien de plus que les droits du travail usurpé.
Rapidement, les économistes qui soutenaient le capital décidèrent que la théorie de la valeur était sans fondement. Mais si vous creusez un peu plus leurs arguments, elle revient sans cesse sous une forme ou une autre.
Allumez la radio. Ecoutez-la assez longtemps, et vous entendrez quelqu’un vous expliquer que, ce qui ne va pas dans l’économie française, c’est que ’les gens ne travaillent pas assez dur’ ou, et c’est une autre manière de le dire, que ’la productivité est trop faible’. Ne cherchons pas, un instant, à savoir si ces arguments tiennent la route ou pas. Regardez plutôt la façon dont ils sont présentés. Ils ne disent jamais ’les machines ne travaillent pas assez dur’. Non, c’est toujours les gens, les travailleurs.
Ils prétendent que, si seulement les travailleurs travaillaient plus dur, plus de richesses pourraient être créées, et que cela permettrait de faire de nouveaux investissements dans de nouvelles machines. Ceux qui se servent de ce genre d’arguments l’ignorent sûrement, mais ils affirment que plus de travail créera plus de capital. Le travail est la source des richesses.
Supposons que j’ai un billet de 50 francs, dans ma poche. Quelle utilité cela a pour moi ? Après tout, ce n’est qu’un morceau de papier. Sa valeur réside dans le fait que je pourrai obtenir, en échange, quelque chose d’utile qui a été fabriqué par le travail de quelqu’un d’autre. Le billet de 50 francs n’est, en fait, que le droit de disposer des produits d’une certaine quantité de travail. Deux billets de 50 francs seront le droit de disposer des produits de deux fois cette quantité et ainsi de suite.
Quand nous mesurons la richesse, nous mesurons, en fait, la quantité de travail qui a été nécessaire pour la créer.
Bien sûr, tout le monde ne produit pas la même quantité, dans un temps donné. Si j’essayai, par exemple, de faire une table, cela me prendrait, peut-être, cinq à six fois plus de temps qu’un charpentier. Mais personne, sain d’esprit, ne me la paiera cinq à six fois le prix de celle faite par le charpentier. On estimera, plutôt, sa valeur suivant la quantité de travail fournie par le charpentier, pas par moi.
Supposons qu’il faut une heure à ce charpentier pour faire une table, on dira alors que la valeur de la table est équivalente à une heure de travail. Ce sera le temps de travail nécessaire pour la fabriquer, compte tenu du niveau moyen de technologie et des compétences de la société.
C’est pour cette raison que Marx insistait sur le fait que la valeur de quelque chose n’était pas, simplement, le temps que cela prenait à un individu pour le faire, mais le temps que cela prendrait à un individu travaillant avec le niveau de technologie moyen et les compétences moyennes - il appela ce temps moyen de travail, ’le temps de travail socialement nécessaire’. Ce point est essentiel, car sous le capitalisme, des améliorations technologiques se produisent constamment, ce qui veut dire qu’il faut de moins en moins de temps pour produire.
Par exemple, quand les radios étaient faites avec des lampes, elles étaient très chères, parce qu’il fallait vraiment beaucoup de temps pour fabriquer les lampes, pour les brancher etc. Puis, le transistor fut inventé, qui pouvait être fabriqué et assemblé en beaucoup moins de temps. Soudainement, les travailleurs qui continuaient à produire des lampes pour radios, virent le prix de ce qu’ils produisaient dégringoler, car la valeur des radios n’était plus déterminée par le temps de travail nécessaire pour les faire avec des lampes, mais celui pour les faire avec des transistors.
Un dernier point. Les prix de certaines choses varient grandement - jour après jour ou semaine après semaine. Ces changements peuvent provenir de plusieurs raisons autres que la baisse du temps nécessaire pour les produire.
Quand le gel tua tous les plants de café au Brésil, le prix du café explosa, parce qu’il y avait pénurie dans monde et que les gens étaient prêts à payer plus. Si, demain, une catastrophe quelconque venait à détruire tous les téléviseurs en France, il ne fait aucun doute que le prix des télévisions exploserait de la même façon. Ce que les économistes appellent ’l’offre et la demande’ explique de telles variations dans le prix.
Pour cette raison, beaucoup d’économistes pro-capitalistes prétendent que la théorie de la valeur est sans fondement. Ils disent que seules l’offre et la demande importent. C’est cela qui est sans fondement. Ils oublient que lorsque les prix varient, ils varient autour d’une valeur moyenne. La mer monte ou descend à cause des marées, mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas parler d’un point fixe autour duquel elle bouge, que nous appelons, d’ailleurs, le niveau de la mer.
De la même manière, le fait que les prix montent ou baissent, quotidiennement, ne signifie pas qu’il n’y a pas de valeurs fixes autour desquelles ils varient. Ainsi, si tous les téléviseurs étaient détruits, les premiers fabriqués seraient très demandés et très chers. Mais, il ne faudrait pas attendre longtemps pour qu’il y en ait de plus en plus sur le marché, en concurrence les uns les autres, ce qui inévitablement baisserait les prix, jusqu’à atteindre leur valeur en termes de travail nécessaire pour les fabriquer.
Compétition et accumulation.
Il fut un temps où le capitalisme semblait être un système dynamique et progressiste. Pendant la plus grande partie de l’histoire humaine, les vies de la plupart des hommes et des femmes ont été dominées par l’esclavage et l’exploitation. Le capitalisme industriel, lorsqu’il fit son apparition au XVIIIème et XIXème siècles, ne changea rien de tout cela.
Cependant, il semblait mettre cet esclavage et cette exploitation à profit pour un but utile. Plutôt que de gaspiller des montagnes de richesses pour le luxe de quelques parasites aristocrates, plutôt que de construire de fastueuses tombes pour des monarques décédés, plutôt que d’enclencher de futiles guerres pour que le fils d’un empereur puisse gouverner un trou perdu, il utilisa les richesses pour construire les moyens qui permettent de produire encore plus de richesses. L’essor du capitalisme fut une période de croissance de l’industrie, des villes et des moyens de transport, à une échelle inimaginable pour les générations passées.
Aussi étrange que cela peut être de nos jours, des villes comme Lille, Lyon et certaines banlieues de Paris étaient des endroits miraculeux. L’humanité n’avait jamais vu autant de coton et de laine brute se transformer, aussi rapidement, en vêtements pour des millions de personnes. Cela ne venait pas de qualités particulières aux capitalistes. Ceux-ci étaient plutôt des gens nocifs, obsédés uniquement par les richesses qu’ils pouvaient récupérer en payant le moins possible pour le travail effectué.
Plusieurs classes dominantes antérieures leur avaient ressemblé, sous cet aspect, sans avoir à construire des industries. Mais les capitalistes étaient différents sur deux points importants.
Le premier dont nous avons parlé - ils ne possédaient pas les travailleurs, ils les payaient à l’heure pour leur capacité à travailler, leur force de travail. Ils utilisaient des esclaves salariés, pas des esclaves. Ensuite, ils ne consommaient pas eux-mêmes les biens que les travailleurs produisaient. Le seigneur féodal vivait directement de la viande, du pain, du fromage et du vin produits par les serfs. Les capitalistes vivaient de la vente à d’autres personnes des biens produits par les travailleurs.
Cela donna au capitaliste individuel moins de liberté pour faire ce qu’il voulait que le possesseur d’esclaves ou le seigneur féodal. Pour vendre ses marchandises, il devait les produire au plus bas coût possible. Le capitaliste possédait l’usine et y était tout puissant. Mais il ne pouvait utiliser ce pouvoir comme il le souhaitait. Il devait s’agenouiller devant les impératifs de la compétition avec les autres usines.
Revenons à notre capitaliste préféré, M.Dupont. Supposons qu’une certaine quantité de coton produit dans son usine nécessite dix heures de travail pour sortir, mais que, dans une autre usine, cette quantité soit produite en cinq heures de travail. M.Dupont serait incapable d’obtenir, pour son produit, l’équivalent de dix heures de travail. Aucune personne sensée ne paierait ce prix, alors qu’il y a moins cher de l’autre côté de la rue. Chaque capitaliste, qui voulait survivre dans les affaires, devait s’assurer que ses travailleurs travaillent le plus vite possible. Mais ce n’est pas tout.
Il devait aussi s’assurer que ses travailleurs travaillent sur les machines les plus performantes, de telle sorte que leur travail produise autant de richesses en une heure que celui des autres travailleurs dans d’autres usines. Le capitaliste qui voulait survivre devait posséder de plus en plus grandes quantités de moyens de production - ou, comme disait Marx, accumuler du capital !
La compétition entre les capitalistes créa un pouvoir, le système du marché, qui les tenait tous sous son emprise. Il les poussa à accélérer les cadences tout le temps et à investir sans arrêt dans de nouvelles machines ( et, bien sûr, à avoir leur propre luxe à côté ), et ils ne pouvaient se le permettre qu’à condition de garder les salaires des ouvriers aussi bas que possible.
Marx écrivit, dans son œuvre principale, Le Capital, que le capitaliste est un avare obsédé par l’acquisition incessante de plus en plus de richesses.
Mais : « Ce qui chez l’avare ne représente que de petites manies, est, chez le capitaliste le résultat d’un mécanisme social dont il n’est qu’un rouage. Le développement de la production capitaliste a fait apparaître la nécessité constante d’augmenter la quantité de capital utilisé dans une industrie donnée, et la compétition oblige chaque capitaliste à se conformer aux normes immanentes de la production capitaliste sous peine de se voir écrasé. Celles-ci l’obligent à accroître constamment son capital pour pouvoir le conserver. Mais il ne peut l’accroître que par une progressive accumulation. Accumulez, accumulez. Voici Moïse et ses prophètes ».
La production ne sert pas aux besoins de l’humanité - mêmes à ceux des capitalistes - mais elle sert à permettre à un capitaliste de survivre en concurrence avec un autre. Les travailleurs, employés par chacun d’eux, voient leurs vies dominées par la tendance qu’ont leurs employeurs à accumuler plus rapidement que leurs rivaux.
Comme le Manifeste du parti communiste l’explique :
« Dans la société bourgeoise, le travail vivant n’est qu’un moyen d’accroître le travail accumulé... le capital est indépendant et personnel, tandis que l’individu qui travaille n’a ni indépendance, ni personnalité ».
L’obligation pour les capitalistes d’accumuler, en concurrence les uns avec les autres, explique les grandes avancées industrielles des premières années du système. Mais quelque chose d’autre en résulta - les crises économiques à répétition. Les crises ne sont pas nouvelles. Elles sont aussi vieilles que le système lui-même.
« L’accumulation de richesses d’une part, l’appauvrissement de l’autre ».
Voilà comment Marx résuma la tendance du capitalisme. Chaque capitaliste craint la compétition avec les autres, il fait donc travailler ses employés le plus durement possible, payant les salaires les bas possibles. Le résultat est une disproportion entre la croissance massive des moyens de productions d’une part, et la croissance limitée des salaires et du nombre de travailleurs employés d’autre part. Marx insista sur ce fait qui est la cause première des crises économiques.
Le meilleur moyen pour s’en apercevoir est de poser la question : qui achète la quantité de biens en expansion ? Les bas salaires des travailleurs signifient qu’ils ne peuvent se payer les biens produits par leur propre travail. Et les capitalistes ne peuvent augmenter les salaires, parce que cela détruirait les profits - la force motrice du système. Mais si les firmes ne peuvent vendre les biens qu’elles produisent, elles doivent fermer des usines et licencier des travailleurs. Le montant total des salaires chute d’autant, et plus de firmes n’arrivent plus à écouler leurs stocks. Une ’crise de surproduction’ apparaît avec des marchandises qui s’empilent et des gens qui ne peuvent se les payer.
C’est une caractéristique récurrente du capitalisme depuis les 160 dernières années.
Mais n’importe quel esprit agile, en faveur du système, fera remarquer qu’il y aurait une solution simple à la crise. Il suffirait que les capitalistes investissent leurs profits dans de nouvelles machines et de nouvelles usines. Cela donnera du travail aux travailleurs qui en retour pourront acheter les marchandises invendues. Cela signifie que tant qu’il y a de nouveaux investissements, tous les biens produits pourront être vendus et le système permet le plein-emploi. Marx n’était pas stupide et remarqua ce fait. En effet, comme nous l’avons déjà signalé, il réalisa que la pression due à la compétition qui poussait les capitalistes à investir, était central pour le système. Mais, se demanda-t-il cela signifie-t-il que les capitalistes investiront tous leurs profits tout le temps ?
Le capitaliste n’investira que s’il pense que cela lui garantira un profit ’raisonnable’. Et s’il ne le pense pas, il ne risquera pas son argent dans un investissement. Il le mettra à la banque, et le laissera là-bas.
Avant d’investir le capitaliste évalue la situation économique. Quand celle-ci semble bonne, tous les capitalistes vont se ruer pour tous investir au même moment, se marchant dessus pour trouver des sites de constructions, acheter des machines, parcourir la terre pour trouver des matières premières, payant au-dessus de la moyenne des travailleurs qualifiés. C’est ce qu’on appelle un ’boom’.
Mais la compétition frénétique pour la terre, les matières premières et la force de travail qualifiée, pousse à la hausse leur prix. Et soudainement, les entreprises s’aperçoivent que le coût est monté si haut que tous leurs profits ont disparus. La hausse des investissements laisse place à une ’baisse’ des investissements. Plus personne ne veut des nouvelles usines, les travailleurs du bâtiment sont licenciés. Plus personne ne veut des nouvelles machines - l’industrie des machines-outils entre en crise. Plus personne ne veut de l’acier et du fer qui a été produit - l’industrie de l’acier fonctionne en ’sous-capacité et devient ’non rentable’. Les fermetures d’usines se répandent d’une industrie à une autre industrie, créant du chômage - et avec lui, l’impossibilité pour les travailleurs d’acheter les produits d’autres industries.
L’histoire du capitalisme est l’histoire de ce genre de crises périodiques, des travailleurs au chômage mourrant de faim devant des usines fermées, pendant que les stocks non-vendus pourrissent.
Le capitalisme crée ce genre de crise de surproduction périodiquement, parce qu’il n’y a pas de planification, il n’y a aucun moyen d’arrêter ces mouvements de ruée et de fuite des capitaux qui se déroulent en même temps.
Les gens pensent que l’État pourrait empêcher cela. En intervenant dans l’économie, en augmentant l’investissement public lorsque l’investissement privé est bas, puis le diminuant quand l’autre reprend, l’État permettrait de garder la production à un niveau égal. Mais de nos jours, l’investissement public suit les mêmes folles tendances.
Regardez British Steel. Il y a quelques années, quand elle était encore nationalisée, on a déclaré aux métallurgistes que leurs boulots étaient menacés pour permettre l’installation de vastes fourneaux automatiques conçus pour produire plus d’acier à meilleur marché. Maintenant, on leur dit que plus de travailleurs vont être licenciés, parce que l’Angleterre n’était pas le seul pays à se lancer dans ce genre d’investissement. La France, l’Allemagne, les États-Unis, le Brésil, les Pays de l’Est et même la Corée du Sud, firent tous la même chose. Maintenant, il y a un surplus mondial d’acier - une crise de surproduction. Les investissements publics se sont arrêtés.
Les métallurgistes en ont payé le prix par deux fois. Voilà le prix que continue de payer l’humanité pour un système où la production de richesse massive est contrôlée par des petits groupes de privilégiés intéressés uniquement par le profit. Cela ne fait pas de différence que ces groupes possèdent les industries directement ou les contrôlent indirectement à travers l’État (comme pour British Steel). Pendant qu’ils utilisent ce contrôle pour se concurrencer les uns les autres pour la plus grande part du gâteau, nationalement ou internationalement, ce sont les travailleurs qui souffrent.
La dernière absurdité du système est que ’la crise de surproduction’ n’est pas la surproduction du tout. Tout ce ’surplus’ d’acier par exemple, pourrait aider à résoudre le problème de la faim dans le monde. Les paysans dans beaucoup d’endroits du monde doivent récolter avec des outils en bois - des outils en acier augmenterait la production de nourriture. Mais les paysans n’ont pas d’argent de toutes façons, donc le système capitaliste n’est pas intéressé - il n’y a pas de profits à faire.
Pourquoi les crises tendent à s’aggraver.
Les crises ne font pas qu’apparaître avec une régularité monotone. Marx a aussi expliqué qu’elles s’aggravaient avec le temps.
Même si l’investissement se faisait à un niveau égal, sans soubresauts, cela n’arrêterait pas la tendance générale vers la crise. Cela parce que la compétition entre les capitalistes (et entre les nations capitalistes) les oblige à investir dans des équipements qui demandent moins de main d’oeuvre.
En France, de nos jours, presque tous les nouveaux investissements servent à diminuer le nombre de travailleurs employés. Cela explique pourquoi il y a moins de travailleurs dans l’industrie en France qu’il y a dix ans même si le rendement a augmenté durant cette période.
Ce n’est qu’en ’rationalisant la production’, en ’augmentant la productivité’ et en diminuant la force de travail, qu’un capitaliste peut avoir une plus grosse part du gâteau que les autres. Mais la conséquence pour le système dans son ensemble est dévastatrice. Car cela signifie que le nombre de travailleurs n’augmente pas du tout à la même vitesse que les investissements.
Pourtant c’est le travail qui est la source des profits, le combustible qui entretient le système. Si vous faites des investissements de plus en plus gros, sans obtenir une augmentation correspondante de la source de profit, vous aller droit à la catastrophe - aussi sûrement que si vous essayiez de conduire une Jaguar avec l’essence nécessaire pour conduire une 2CV.
C’est pourquoi Marx déclara il y a 130 ans que les succès du capitalisme à investir lourdement dans de nouveaux équipements conduisaient à une ’baisse tendancielle du taux de profit’ ce qui signifie une continuelle aggravation des crises.
Son argumentation s’applique très simplement au capitalisme aujourd’hui. A la place des ’mauvaises périodes’ faisant place aux ’bonnes périodes’ - des crises aux booms - on a l’impression de vivre une crise continuelle. Chaque reprise, chaque baisse du taux de chômage est limitée et courte.
Ceux qui défendent le système déclarant que c’est parce que l’investissement n’est pas assez élevé. Sans nouvel investissement, il n’y a pas d’emploi créé, et sans nouveaux emplois pas d’argent pour acheter les marchandises. Jusque-là nous sommes d’accord - mais nous ne sommes pas d’accord sur pourquoi cela arrive. Ils condamnent les salaires. Les salaires sont trop élevés disent-ils ce qui racle les profits jusqu’à l’os. Les capitalistes ont peur d’investir car cela ne rapportera pas assez.
Mais la crise a continué pendant de longues années où les gouvernements ont diminué les salaires et poussé les profits à la hausse. Par exemple, en Angleterre, les années 1975-78 furent celles de la plus grosse perte de pouvoir d’achat des travailleurs de ce siècle, alors que les riches devinrent plus riches - les 10 % les plus riches passèrent de 57,8 % du gâteau en 1974 à 60 % en 1976.
Il n’y a toujours pas assez d’investissement pour stopper la crise - cela ne vaut pas seulement pour la France mais pour d’autres pays où les salaires ont été diminués, l’Angleterre, l’Allemagne, le Japon.
Nous ferions mieux d’écouter ce que Marx disait il y a 130 ans que d’écouter les économistes d’aujourd’hui.
Marx prédit qu’avec le vieillissement du capitalisme, ses crises s’aggraveront parce que la source du profit, le travail n’augmente pas à la même vitesse que les investissements. Marx écrivait cela quand la valeur d’une usine ou d’une machine était peu élevée. Elle a explosé depuis. La compétition entre les capitalistes les oblige à utiliser des machines plus grosses et plus chères. On a atteint un point où dans la plupart des industries, on accepte le fait que de nouvelles machines signifient moins d’ouvriers.
L’agence économique internationale, l’OCDE, a prédit que le nombre d’emplois allait diminuer dans les plus fortes économies mondiales, même si, par miracle, des investissements surgissent.
Ce qui n’arrivera pas. Parce que les capitalistes s’inquiètent pour leurs profits, si leur investissement quadruple mais leur profit double seulement, ils s’angoisseront terriblement. Pourtant c’est ce qui va se passer si l’industrie augmente plus vite que la source de profit, le travail.
Comme Marx le soulignait, le taux de profit va tendre à diminuer. Il prédit qu’on atteindrait un point où chaque nouvel investissement deviendrait une périlleuse aventure. La taille des dépenses pour construire une usine ou installer de nouvelles machines deviendrait colossale, mais le taux de profit serait bas comme jamais. Une fois ce point atteint, chaque capitaliste (ou chaque État capitaliste) fantasmera sur d’importants nouveaux investissements - mais sera effrayé de les faire de peur de disparaître.
L’économie mondiale actuelle ressemble beaucoup à cela. Renault prévoit de nouvelles chaînes de production mais a peur de perdre de l’argent. British Steel rêve des grosses usines qu’elle avait prévues - mais doit les geler car elle n’arrive pas à écouler ses stocks. Les chantiers navals japonais ont abandonné l’idée de construire de nouveaux sites - et une partie des vieux sont en train de fermer. Les grandes capacités du capitalisme à construire des machines toujours plus vastes et toujours plus productives l’ont conduit à une apparente crise permanente.
Un point fut atteint dans les sociétés esclavagistes antiques et les sociétés féodales du Moyen âge où, soit une révolution transformait la société soit, elle entrait dans une crise permanente qui la ramènerait en arrière. Dans le cas de Rome, le manque de révolution conduisit exactement à l’anéantissement de la civilisation romaine. Dans le cas de certaines sociétés féodales - l’Angleterre et plus tard la France- la révolution détruisit l’ancien régime ce qui permit de nouvelles avancées sociales, sous le capitalisme.
Maintenant, le capitalisme lui-même, doit choisir entre les crises permanentes, qui plongeront sans aucun doute l’humanité dans la barbarie, ou alors une révolution socialiste.
Marx commença le Manifeste du Parti Communiste par l’affirmation : " l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes. " Pour la classe dirigeante, la question cruciale était d’obliger la classe opprimée à lui produire des richesses. A cause de cela, dans toutes les sociétés passées, il y eut d’énormes luttes entre les classes qui souvent culminaient en guerres civiles-la révolte des esclaves de la Rome Antique, les Jacqueries de paysans en Europe Médiévale, les grandes guerres civiles et révolutions des XVIIème et XVIIIème siècles.
Dans toutes ces grandes luttes, la masse des forces insurgées était composée de la section la plus opprimée de la société. Mais, comme Marx s’empressait d’ajouter, à la fin de la journée, tous leurs efforts servaient uniquement à remplacer une minorité dirigeante par une autre. Ainsi, par exemple, en Chine Ancienne, il y eut plusieurs révoltes victorieuses de paysans, mais elles remplaçaient un empereur par un autre. De même, ceux qui firent les efforts les plus importants durant la révolution française furent les ’bras nus’, -les couches les plus pauvres de Paris, mais, au final, la société n’était pas dirigée par eux mais par des banquiers et industriels à la place du roi et de ses courtisans.
Il y avait deux raisons à l’impossibilité de la classe opprimée à garder le contrôle de la révolution pour laquelle elle avait combattu. La première était que le niveau général de richesses dans la société était assez bas.
C’était uniquement parce qu’une immense majorité de personnes était contrainte à la pauvreté absolue qu’une petite minorité avait le temps et le loisir de développer les arts et la science pour maintenir la civilisation. En d’autres termes, la division de la société en classes était nécessaire pour son progrès.
Deuxièmement, le mode de vie de la classe opprimée ne la préparait pas à prendre le contrôle de la société. En majorité illettrée, elle n’avait que peu d’idées sur ce qui se passait au-delà de son environnement immédiat et par-dessus tout, la façon dont elle était organisée la divisait, dressant les uns contre les autres. Chaque paysan s’occupait de son propre lopin de terre. Chaque artisan dans les villes s’occupait de son propre atelier et était, d’une certaine manière, en concurrence avec les autres, et non pas pas unis à eux. Les révoltes de paysans démarraient par un vaste mouvement qui se soulevait pour diviser la terre du seigneur, mais, aussitôt celui-ci vaincu, il y avait un combat pour savoir comment cette terre allait être partagée. Comme Marx le soulignait, les paysans ressemblaient à ’des patates dans un sac’ : ils pouvaient se rassembler sous la pression d’une force extérieure, mais étaient incapables de s’unir de façon permanente pour servir leurs propres intérêts.
Les travailleurs qui créent les richesses sous le capitalisme moderne forment une classe différente de toutes les précédentes.
Premièrement, la division de la société en classes n’est plus nécessaire pour le développement de l’humanité. Il y a tellement de richesses créées que le capitalisme en détruit périodiquement une énorme quantité par les guerres et les crises. Ces richesses pourraient être partagées équitablement et la société continuerait à progresser dans les sciences, les arts etc.
Deuxièmement, la vie sous le capitalisme prépare les travailleurs à prendre le contrôle de la société, et ce de plusieurs façons. Par exemple, le capitalisme a besoin de travailleurs formés et éduqués. De plus, il force des milliers de personnes à travailler dans des usines énormes, et à habiter dans des villes toujours plus grandes, où ils sont en contact rapproché, et où ils peuvent devenir une puissante force de changement de société.
Le capitalisme force les travailleurs à coopérer au cours de la production, au sein d’une usine. Cette coopération peut se retourner contre le système, comme lorsque les travailleurs s’organisent dans un syndicat. Parce qu’ils sont massés en d’importantes concentrations, il est beaucoup plus facile pour les travailleurs d’exercer un contrôle démocratique sur de telles structures que ça ne l’était pour les précédentes classes opprimées.
De plus le capitalisme tend à transformer des groupes de personnes qui s’estimaient ’au-dessus du lot’ ( les cadres et les techniciens) en travailleurs salariés qui sont forcés de s’organiser comme les autres travailleurs.
Enfin, le développement des communications - chemins de fer, routes, transport aérien, systèmes postaux, les téléphones, la radio et la télévision - permettent aux travailleurs de communiquer en dehors de leur propre ville ou industrie. Ils peuvent s’organiser en tant que classe à une échelle nationale et internationale - ce qui était inimaginable pour les classes opprimées précédentes.
Tous ces facteurs font que la classe ouvrière n’est pas seulement une force qui se rebelle contre le système, mais qu’elle peut s’organiser, élire ses propres représentants, dans le but de changer la société dans ses propres intérêts et non plus pour remettre au pouvoir un empereur ou un groupe de banquiers.
Comme Karl Marx le disait :
« Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétaire est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité ».
En France, la majorité écrasante des socialistes et syndicalistes défendent généralement l’idée que la société pourrait être transformée sans une révolution violente. Il suffirait, disent-ils, que les socialistes gagnent suffisamment de soutien populaire pour gagner le contrôle des institutions politiques ’traditionnelles’ - parlement et conseils municipaux. Alors les socialistes seraient en position de changer la société en utilisant l’État existant - le service public, la justice, la police et les forces armées - pour appliquer des lois qui limiteraient le pouvoir de la classe employeuse.
De cette manière, prétendent-ils, le socialisme peut être introduit graduellement et sans violence, en réformant le système actuel.
Cette théorie est, généralement, appelée le ’réformisme’, bien qu’occasionnellement, on entende des termes comme ’révisionnisme’ (parce que cela implique la révision complète des idées de Marx), ’social-démocratie’ (bien que, jusqu’en 1914, cela signifiait socialisme révolutionnaire) ou fabiennisme ( d’après la société des Fabiens qui a longtemps propagé des idées réformistes en Angleterre). C’est une vision acceptée par la gauche comme par la droite du Parti socialiste comme du Parti communiste.
Le réformisme semble, à première vue, très crédible. Cela correspond avec ce que l’on apprend à l’école, dans les journaux ou à la télévision - que le ’parlement’ dirige le pays et que ’le parlement est élu, démocratiquement, selon la volonté de la population’. Pourtant, malgré cela, chaque tentative pour introduire le socialisme par le parlement a été un échec. Ainsi, il y eut plusieurs gouvernements de majorité de gauche en France depuis 1945 - avec une majorité absolue en 1981 - pourtant nous ne sommes pas plus près du socialisme qu’en 1945.
Les expériences ailleurs sont les mêmes. Au Chili en 1970, le socialiste Salvador Allende fut élu président. Les gens prétendirent que c’était une ’nouvelle manière’ d’avancer vers le socialisme. Trois ans plus tard, les généraux à qui on avait demandé de rejoindre le gouvernement renversèrent Allende et le mouvement ouvrier chilien fut détruit. Il y a trois raisons, toutes intimement liées, qui expliquent pourquoi le réformisme ne peut jamais réussir.
Premièrement, pendant que les majorités socialistes, aux parlements, introduisent ’graduellement’ des mesures socialistes, le pouvoir économique réel reste entre les mains de la vieille classe dirigeante. Ils peuvent utiliser ce pouvoir économique pour fermer des pans entiers de l’industrie, pour créer du chômage, pour faire monter les prix par la spéculation, déplacer de l’argent à l’étranger pour créer une crise des ’ balances de paiements’, et pour lancer des campagnes de presse rejetant la faute sur le gouvernement socialiste.
Ainsi, le gouvernement socialiste de François Mitterrand fut forcé en 1982 d’abandonner des mesures bénéficiant aux travailleurs - à cause des fuites de capitaux organisées par des riches et des compagnies.
Le gouvernement d’Allende au Chili dut faire face à d’encore plus grandes attaques de la part de la haute finance. Deux fois, des pans entiers de l’industrie furent fermés par des ’grèves de patrons’, pendant que la spéculation augmentait énormément les prix et le contrôle des stocks par les hommes d’affaires obligea les gens à faire la queue pour se nourrir.
La deuxième raison pour laquelle le capitalisme ne peut être réformé est que l’État existant n’est pas ’neutre’, mais conçu, de haut en bas, pour préserver la société capitaliste.
L’État contrôle presque la totalité des moyens de la force physique, les moyens de la violence. Si les organisations de l’État étaient neutres, et faisaient exactement ce qu’un gouvernement quelconque lui ordonnait, qu’il soit capitaliste ou socialiste, alors l’État pourrait être utilisé pour stopper le sabotage de l’économie par la haute finance. Mais si on regarde comment la machine Étatique opère et qui donne réellement les ordres, on s’aperçoit qu’elle n’est pas neutre.
La machine Étatique ne se résume pas simplement au gouvernement. C’est une vaste organisation comprenant plusieurs branches - la police, l’armée, la justice, le service public, ceux qui dirigent les entreprises nationalisées etc. Beaucoup de ceux qui travaillent dans ces différentes branches de l’État viennent de la classe ouvrière - ils vivent et sont payés comme des travailleurs.
Mais ce ne sont pas ces personnes qui prennent les décisions. Les soldats de base ne décident pas dans quelle guerre ils devront combattre ou quelle grève ils devront briser ; l’assistante sociale aux Assedic ne décide pas de la somme des allocations chômages. La machine Étatique entière est basée sur le fait que quelqu’un à un niveau donné de l’échelle doit obéir à celui du niveau supérieur.
C’est, essentiellement, le cas dans les sections de la machine Étatique qui exercent la force physique - l’armée, la marine, l’armée de l’air, la police.
La première chose que l’on apprend au soldat qui s’engage - bien avant de lui laisser toucher une arme - est d’obéir aux ordres, sans se soucier de son avis concernant ces ordres. C’est pour cela qu’on lui apprend à faire des maneuvres absurdes. S’il est capable de suivre des commandements grotesques au défilé, il est clair qu’il tirera sans se poser plus de questions. Le crime le plus terrible dans l’armée est de refuser d’obéir aux ordres - la mutinerie. Si terrible est cette offense, que la mutinerie, en temps de guerre, est passible de mort.
Qui donne les ordres ?
Si on jette un oeil à la hiérarchie de l’armée française ( et les autres armées ne sont pas différentes ), on trouve : général - commandant de brigade - colonel - lieutenant - soldat. A aucun moment n’interviennent les représentants élus - que ce soit un député ou un élu local. C’est aussi un acte de mutinerie pour un groupe de soldats, d’obéir à leur député plutôt qu’à l’officier.
L’armée est une énorme machine à tuer. Ceux qui la dirigent - et qui ont le pouvoir de promouvoir d’autres soldats à des positions dirigeantes- sont les généraux.
Bien sûr, en théorie, les généraux sont responsables devant le gouvernement élu. Mais les soldats sont entraînés à obéir à un général, pas à des politiciens. Si les généraux décident de donner des ordres aux soldats, qui ne sont pas ceux du gouvernement, celui-ci n’a aucun moyen pour contrer ces ordres. Il ne peut qu’essayer de convaincre les généraux de changer d’avis, si jamais il est au courant des ordres qui ont été donnés - parce que les affaires militaires sont toujours tenues secrètes, il est très facile pour les généraux de cacher leurs activités aux gouvernements qu’ils n’apprécient pas.
Cela ne signifie pas que les généraux ignorent, toujours ou très souvent, ce que leurs disent les gouvernements. En général, en France, ils ont trouvé plus utile de suivre presque tout ce que suggérait les gouvernements. Mais, dans une situation de vie ou de mort, les généraux sont capables d’enclencher leur puissante machine à tuer sans écouter le gouvernement, et il ne reste pas grand chose que le gouvernement puisse faire dans ces cas-là. C’est ce que firent, par exemple, les généraux, au Chili, quand Allende fut renversé.
Ainsi la question, ’qui dirige l’armée ?’, revient à, ’qui sont les généraux ?’ En France, la plupart des officiers supérieurs viennent d’écoles privées (’militaires’ et payantes, St-Cyr, La Flèche et Ginette, par exemple ) ’libres’- la même proportion qu’il y a 50 ans (ces mêmes écoles ont formé, d’ailleurs, un partie des généraux africains). Ils sont en lien avec la haute finance, appartiennent aux mêmes clubs, ont la même fonction sociale, partagent les mêmes idées (si vous en doutez, lisez la page courrier de quasiment n’importe quel exemplaire du Figaro). Il en va de même pour les dirigeants du service public, pour les juges, pour les commissaires. Pensez-vous que ces personnes vont obéir aux ordres d’un gouvernement pour enlever le pouvoir économique des mains de leurs amis ou relations dans la haute finance, seulement parce que 500 personnes discutent dans les salons de la chambres des députés ? Ne feront-ils pas, à la place, comme les généraux chiliens, qui sabotèrent les ordres du gouvernement pendant trois ans et, au moment venu, le renversèrent ?
En pratique, la Constitution que nous avons en France permet à ceux qui contrôlent la machine Étatique de liquider les désirs d’un gouvernement de gauche élu sans avoir à le liquider physiquement. Si un tel gouvernement était élu, il ferait face à un sabotage massif de l’économie (fermetures d’usines, fuites de capitaux, contrôle des stocks, inflation galopante). Si le gouvernement essayait de répondre à ses sabotages en utilisant les ’moyens constitutionnels’ - en votant des lois - il se retrouverait les mains liées dans le dos.
Le Sénat refuserait certainement de ratifier ces lois - reportant leur vote au maximum. Les juges les ’interprèteraient’ de telle manière qu’elles seraient sans pouvoir. Les chefs du service public, les généraux, et les chefs de police se serviraient des décisions des juges et du Sénat pour justifier leur propre inaction à leur ministère. Ils seraient soutenus par quasiment toute la presse, qui déclarerait que le gouvernement se comporte ’illégalement’. Les généraux se serviraient de ce langage pour justifier les préparatifs en vue de renverser un gouvernement ’illégal’.
Le gouvernement serait impuissant devant le chaos économique - sauf s’il a déjà agi inconstitutionnellement et a appelé les soldats, la police à se retourner contre leurs supérieurs.
Pour celui qui pense que tout cela n’est que de la science-fiction, j’ajouterai qu’il y a eu au moins deux occasions dans l’histoire récente de l’Angleterre et de la France où des généraux ont saboté les décisions gouvernementales qu’ils n’appréciaient pas.
En 1912, la chambre des Communes vota une loi qui permettait la création d’un parlement ’indépendant’ pour diriger une Irlande unie. Le dirigeant de droite, Bonar Law, dénonça immédiatement le gouvernement (Libéral !) et l’accusa d’être une ’junte’ illégale qui avait ’vendu la Constitution’ La chambre des Lords retarda, évidemment, l’application de cette loi aussi longtemps qu’elle put ( deux ans, dans ce cas ), alors que l’ancien ministre de droite Edward Carson organisa une force paramilitaire dans le nord de l ’Irlande pour résister à cette loi.
Lorsqu’on ordonna aux généraux qui commandaient l’armée britannique en Irlande, de se diriger vers le nord pour affronter ces troupes, ils refusèrent et menacèrent de démissionner. C’est à cause de cette action, couramment appelé la ’Mutinerie Curragh’, que l’Irlande du nord comme du sud, ne put avoir un seul parlement en 1914, et reste, encore aujourd’hui, une nation divisée.
En 1961, lorsque la guerre en Algérie était sur le point d’être perdue par l’armée française, une partie des généraux refusa les accords permettant l’indépendance de l’Algérie. Désobéissant à De Gaulle, ils s’apprêtèrent à prendre le pouvoir. Ils ne furent pas soutenus par leurs troupes qui étaient en majorité des appelés (qui écoutaient la radio et connaissaient la situation en France). Le putsch avorta. Cela n’a, néanmoins, pas empêché la police de tirer sur la foule qui elle aussi soutenait l’indépendance de l’Algérie (sur les Algériens en octobre 61 puis sur des manifestants, à Charonne, en 62).
Si cela s’est passé, en 1912 comme en 1962, avec des gouvernements du centre (ou de droite) prenant de timides mesures, imaginez ce qui se passerait si un gouvernement de socialistes militants était élu. Tous les réformistes sincères seraient rapidement dans l’obligation de faire un choix : ou bien abandonner les réformes et suivre les directives de ceux qui contrôlent l’industrie et les positions Étatiques clés ou se préparer à un conflit généralisé, qui, inévitablement, impliquera l’utilisation de la force, contre ceux qui contrôlent ces positions.
La troisième raison pour laquelle le réformisme est une impasse, est que la ’démocratie’ parlementaire contient des mécanismes internes permettant d’empêcher tous les mouvements révolutionnaires d’y trouver leur expression.
Certains réformistes affirment que le meilleur moyen pour prendre le pouvoir des mains de ceux qui contrôlent les positions clés de la machine Étatique est pour la gauche d’obtenir la majorité au parlement d’abord. Cet argument s’effondre car les parlements sous-évaluent toujours le niveau de conscience révolutionnaire de la masse de la population.
La masse des gens ne croira en sa capacité de prendre le contrôle de la société que lorsqu’elle le fera en pratique, par la lutte. Ce n’est que lorsque des millions de gens occupent leurs usines ou prennent part à une grève générale que les idées du socialisme révolutionnaire deviennent, soudainement, réalistes.
Mais un tel niveau de lutte ne peut se maintenir indéfiniment sauf si la vieille classe dominante est éjectée du pouvoir. Si elle y reste, elle attendra que les occupations et les grèves diminuent, et, alors, utilisera son contrôle sur l’armée pour briser la lutte.
Une fois que les grèves et les occupations commencent à vaciller, le sentiment de confiance et d’unité au sein des travailleurs commence à s’évanouir. La démoralisation et l’amertume s’installent. Même les plus combatifs commencent à penser que le changement de société n’est qu’un rêve fou.
Voilà pourquoi les employeurs préfèrent toujours que les votes de grèves se fassent lorsque les travailleurs sont à la maison, prenant leurs idées à la télévision ou dans les journaux, et pas lorsqu’ils sont unis dans des meetings de masse, pouvant entendre les arguments des autres travailleurs.
Voilà aussi pourquoi les lois antisyndicales contiennent presque toutes une clause obligeant les travailleurs à arrêter la grève, lors d’un vote à bulletin secret. Ce genre de clause s’appelle, à juste titre, celle des périodes de ’refroidissement’ - elles servent à verser de l’eau froide sur la confiance et l’unité des travailleurs.
Le système parlementaire prévoit, dans sa structure, des périodes de refroidissement et des votes à bulletins secrets. Par exemple, si un gouvernement est mis à genoux par une grève massive, il dira sûrement, ’OK, attendons trois semaines avant la tenue d’élections législatives qui résoudront la question démocratiquement’. Il espère que d’ici là la grève sera arrêtée. La confiance et l’unité des travailleurs vont alors se faner. Les employeurs pourront mettre les militants sur une liste noire. La presse capitaliste et sa télévision pourront se remettre à fonctionner normalement, martelant les travailleurs d’idées pro-gouvernementales. La police peut arrêter les ’fauteurs de troubles’.
Alors, lorsque l’élection a finalement lieu, le vote ne reflètera pas le point culminant de la lutte des travailleurs, mais le plus bas niveau, après la grève.
En France, en 1968, le gouvernement du Général De Gaulle utilisa les élections, exactement, dans ce but. Les partis réformistes ouvriers et les syndicats appelèrent à la fin de la grève, et De Gaulle gagna les élections. Le premier ministre Britannique, Edward Heath, essaya la même ruse lors d’une grève de mineurs massivement soutenue, en 1974. Mais cette fois, les mineurs n’ont pas été dupes. Ils restèrent en grève - et Heath perdit les élections.
Si les travailleurs attendent les élections pour décider de positions clés durant la lutte de classe, ils n’atteindront jamais le point culminant.
L’État ouvrier
Face à cela, Marx, dans sa brochure La guerre civile en France, et Lénine dans L’État et la révolution décrivirent une vision complètement différente sur le moyen pour le socialisme de gagner. Aucun d’eux ne tirèrent leurs idées de l’espace, ils développèrent, tous deux, leurs analyses en regardant la classe ouvrière en action - Marx vit la Commune de Paris, Lénine les soviets ( conseils d’ouvriers) russes de 1905 et 1917.
Mais Marx et Lénine insistèrent sur le fait que la classe ouvrière ne pouvait commencer à construire le socialisme avant d’avoir, au préalable, détruit le vieil État basé sur des chaînes de commandes bureaucratiques, et ensuite créé un nouvel État basé sur des principes entièrement nouveaux. Lénine souligna que cet État devait être complètement différent de l’ancien, en l’appelant ’ un demi-État, un État qui n’est pas un État’.
Un nouvel État, disaient Marx et Lénine, sera absolument nécessaire si la classe ouvrière veut imposer sa loi sur les restes des anciennes classes dirigeantes et moyennes. C’est pour cela qu’il l’appelèrent ’la dictature du prolétariat ’ - la classe ouvrière devait décider de la façon dont la société devait fonctionner. Elle devait aussi défendre sa révolution contre les attaques des classes dominantes d’autres pays. Pour accomplir ces deux tâches, elle doit avoir sa propre force armée, une certaine forme de police, de cours, de prisons.
Mais si cette nouvelle armée, police et système légal doivent être contrôlés par la classe ouvrière, et ne jamais se retourner contre ses intérêts, ils doivent être d’une nature complètement différente de ceux de l’État capitaliste. Ils doivent être le moyen par lequel la classe ouvrière en tant que majorité impose sa dictature au reste de la société, pas une dictature dirigée contre la majorité de la classe ouvrière.
Voici les principales différences.
L’État capitaliste sert les intérêts d’une petite minorité de la société. L’État ouvrier doit servir les intérêts de l’immense majorité. La force dans l’État capitaliste, est exercée par une minorité de mercenaires, coupés du reste de la société et entraînés à obéir aux ordres de leurs supérieurs. Dans un État ouvrier, la force serait nécessaire uniquement pour que la majorité se protége des actes antisociaux des restes de l’ancienne classe privilégiée.
La police et l’armée d’un État ouvrier doivent être composées de travailleurs, qui côtoient librement avec leurs camarades ouvriers, qui partagent les mêmes idées et la même vie. En effet, pour s’assurer que les groupes de soldats et de policiers ne se développent jamais de manière à être séparés de la masse des travailleurs, la ’police’ et les ’soldats’ doivent être des travailleurs qui sont chargés tour à tour, par un système de roulement, d’assumer ses fonctions.
Plutôt que les forces armées et la police soient dirigées par un petit groupe d’officiers, elles seront dirigées par des représentants, directement élus, de la masse des travailleurs.
Les représentants parlementaires, dans un État capitaliste, votent des lois mais laissent, à plein temps, des bureaucrates, juges et commissaires de police la capacité de les appliquer. Cela permet aux députés et élus locaux d’avoir un million d’excuses quand leurs promesses ne sont pas tenues. Les représentants des travailleurs dans un État ouvrier devront voir leurs lois mises immédiatement en application. Ils, et pas une élite de hauts bureaucrates, devront expliquer aux travailleurs du service public, de l’armée etc. comme les choses doivent se faire. Et de même, des représentants ouvriers élus devront interpréter ces lois à la cour.
Les représentant parlementaires dans un État capitaliste sont détachés de ceux qui les élisent, par de gros salaires. Dans un État ouvrier, les représentants ne devront pas recevoir plus que le salaire moyen d’un ouvrier. Il en va de même pour ceux qui travaillent à faire appliquer les décisions des représentants (l’équivalent des fonctionnaires actuels). Les représentants ouvriers, et tous ceux concernés à appliquer les décisions des travailleurs, ne devront pas être, comme les députés, élus pour cinq ans (ou à vie dans le cas de hauts fonctionnaires) sans la possibilité d’être renvoyés. Ils devront être soumis à au moins une élection par an, et être révocables à tout moment s’ils ne suivent pas les souhaits des travailleurs.
Les représentants parlementaires sont élus par tous les gens d’une certaine localité - bourgeois, classe moyennes, et classe ouvrière, propriétaires de même que locataires. Dans un État ouvrier, les élections concerneraient uniquement ceux qui travaillent, votant, seulement, après des discussions ouvertes. Ainsi le noyau de l’État ouvrier consisterait en des conseils ouvriers dans les usines, les mines, les docks, dans les bureaux, avec des groupes tels que les femmes de ménage, les retraités, les étudiants ayant leurs propres représentants.
De cette manière, chaque section de la classe ouvrière aurait ses propres représentants et serait capable de juger s’il ou elle suit ses intérêts. Ainsi, le nouvel État ne peut devenir une force séparée de et opposée à la majorité de la classe ouvrière - au contraire de ce qui s’est passé dans les pays du bloc de l’Est qui s’appelaient ’Communistes’.
Dans le même temps, le système des conseils ouvriers fournit un outil avec lequel les travailleurs peuvent coordonner leurs efforts pour faire tourner l’industrie selon un plan décidé nationalement et démocratiquement, et pas finir par se concurrencer. Il est facile de voir comment la technologie informatique moderne permettrait à tous les travailleurs d’obtenir des informations concernant diverses options économiques accessibles à la société, et conduire leurs représentants à choisir ce que la majorité des travailleurs pense être les meilleures options - savoir si on construit des Concordes, ou un système de transport public fiable et bon marché, savoir si on construit des bombes nucléaires ou une banque de reins artificiels, etc.
L’extinction de l’État.
Parce que le pouvoir Étatique ne doit pas être séparé de la masse des travailleurs, il sera beaucoup moins coercitif que sous le capitalisme. Lorsque les restes de l’ancienne société contre qui il était dirigé, sera résignée à la victoire de la révolution, et lorsque d’autres révolutions auront renversé les autres classes dirigeantes, il y aura besoin de moins en moins de coercition, jusqu’à ce que les travailleurs n’aient plus besoin de quitter leur travail, pour accomplir les tâches ’policières’ et ’militaires’.
C’est ce que Marx et Lénine voulaient dire, lorsqu’ils disaient que l’État devrait disparaître. A la place de la coercition contre les gens, l’État deviendrait plutôt un mécanisme de conseils ouvriers pour décider comment produire et distribuer les richesses.
Les conseils ouvriers doivent apparaître, sous une forme ou sous une autre, lorsque les conflits entre les classes ont atteint un très haut niveau. ’Soviet’ fut le mot russe pour désigner les conseils ouvriers de 1905 et 1917.
En 1918, en Allemagne, les conseils de travailleurs furent, brièvement, le seul pouvoir dans le pays. En Espagne, en 1936, les différents partis et syndicats ouvriers s’unirent dans des ’comités de milices’, qui dirigeaient localement et ressemblaient à des conseils ouvriers. En Hongrie, en 1956, les travailleurs élirent des conseils pour faire tourner les usines et les villes, lorsqu’ils combattaient les troupes russes. Au Chili, en 1972-73, les travailleurs commencèrent à construire des ’cordones’ - des comités de travailleurs qui reliaient les grosses usines.
Les conseils de travailleurs apparurent en tant que structures qu’utilisent les travailleurs dans leurs luttes contre le capitalisme. Ils peuvent démarrer avec de modestes fonctions, récoltant des fonds de soutien pour la grève par exemple, mais parce qu’ils sont basés sur l’élection directe des travailleurs, sur des représentants ouvriers soumis à la révocation, ils peuvent, aux plus hauts points de la lutte, coordonner les efforts de la classe ouvrière toute entière. Ils peuvent former la base du pouvoir des travailleurs.
En France, durant ce siècle, les travailleurs se sont tournés vers le Parti socialiste et le parlement pour changer la société. Une large minorité a soutenu les idées réactionnaires de la droite. Les révolutionnaires n’ont été en général qu’un petit nombre. Cette indifférence ou même opposition des travailleurs au socialisme révolutionnaire est à peine surprenante. Nous avons tous grandi dans une société capitaliste où il considéré comme acquis que tout le monde est égoïste, où on nous répète sans arrêt dans les journaux ou à la télévision que seule une minorité privilégiée a les capacités pour prendre en main les postes clés de l’économie et de l’État, où la masse des travailleurs apprend dès le premier jour d’école à obéir aux ordres donnés par ’les aînés et les supérieurs’.
Comme Marx le signalait : « les idées dominantes sont celles de la classe dominante » et un grand nombre de travailleurs les accepte.
Pourtant, malgré cela, continuellement dans l’histoire du capitalisme, des mouvements révolutionnaires ont secoué les pays les uns après les autres : en France en 1871, Russie 1917, Allemagne et Hongrie 1919, Italie 1920, Espagne et France 1936, Hongrie en 1956, France en 1968, Chili 1972-73, Portugal en 1975, Iran 1979, Pologne 1980.
L’explication de ses mouvements réside dans la nature même du capitalisme. Le capitalisme est un système qui entre constamment en crise. A partir d’un moment, il ne peut plus assurer le plein emploi, il ne peut promettre la prospérité pour tous, ni même nous assurer un niveau de vie convenable. Mais durant les ’booms’ les travailleurs attendent toutes ces choses. Donc, par exemple, dans les années 1950 début 1960, les travailleurs espéraient un plein emploi permanent, une ’couverture sociale’ et un graduel mais réel rehaussement du niveau de vie. Par contraste, sur les 25 dernières années, les gouvernements successifs ont permis au chômage de toucher jusqu’à 4 millions de personnes, réduit la sécurité sociale en lambeaux, et ont essayé de diminuer le niveau de vie.
Parce que nous sommes habitués à accepter beaucoup d’idées capitalistes, nous acceptons certaines de ces attaques. Mais inévitablement, le point où les travailleurs n’en peuvent plus est atteint. Soudainement, souvent quand personne ne s’y attend, leur colère explose et ils agissent contre leur patron ou le gouvernement. Peut-être se mettent-ils en grève ou alors organisent une manifestation.
Quand cela arrive, qu’ils le veuillent ou non, les travailleurs commencent à faire des choses qui contredisent toutes les idées capitalistes qu’ils avaient acceptées jusqu’à présent. Ils agissent en solidarité avec d’autres, en tant que classe par leur opposition aux représentants de la classe capitaliste.
Les idées du socialisme révolutionnaire qu’ils avaient l’habitude de rejeter commencent alors à correspondre à ce qu’ils sont en train de faire. Une partie au moins de ces travailleurs prennent ces idées au sérieux pourvu qu’elles soient accessibles. L’échelle que cela prend dépend de l’échelle du conflit, pas des idées qui sont dans la tête des travailleurs. Le capitalisme les pousse au conflit même s’ils ont des idées pro-capitalistes. La lutte leur fait remettre en question ces idées. Le pouvoir capitaliste réside sur deux bases - le contrôle des moyens de productions et le contrôle de l’État. Un authentique mouvement révolutionnaire commence au milieu de la masse des travailleurs lorsque les luttes pour leurs intérêts économiques immédiats les conduisent à l’affrontement avec les deux bases du règne capitaliste. Prenons par exemple un groupe de travailleurs qui ont été employés dans la même usine pendant des années. Le train-train quotidien de leur vie est réglé par leur travail. Un jour l’employeur annonce qu’il va fermer l’usine. Même ceux qui votaient à droite dans l’usine sont horrifiés et veulent faire quelque chose. En désespoir, ils décident que la seule façon de continuer à vivre la même vie que le capitalisme leur a appris à espérer est d’occuper l’usine - s’attaquer au contrôle qu’à l’employeur sur les moyens de productions. Ils peuvent même rapidement en arriver à combattre l’État lorsque le patron appellera la police pour récupérer ’sa’ propriété. S’ils veulent avoir la moindre de chance de garder leur emploi, les travailleurs devront se confronter à la police, à l’État, aussi bien qu’au patron.
Ainsi le capitalisme crée lui-même les conditions de conflits de classes qui ouvrent l’esprit des travailleurs à des idées à l’opposé de celles que le système leur a appris. Cela explique pourquoi l’histoire du capitalisme est marquée par de périodiques poussées de sentiments révolutionnaires parmi des millions de travailleurs, même si la plupart du temps, la majorité des travailleurs accepte les idées que le système développe. Un dernier point. L’un des plus gros obstacles au développement des idées révolutionnaires parmi les travailleurs est le sentiment que ce n’est pas la peine de faire quoique ce soit parce que les autres travailleurs ne les soutiendront jamais. Quand ils découvrent que d’autres se mettent en lutte, ils sortent de leur propre apathie. Dans la même veine, les gens qui pensent qu’en tant que travailleurs ils sont incapables de gérer la société, soudainement apprennent qu’il en est autrement lorsqu’ils découvrent qu’au cours des luttes de masses contre le système, ils prennent part à la gestion de cette société.
A cause de cela, une fois qu’un mouvement révolutionnaire démarre, il peut faire boule de neige à une vitesse surprenante.
Le principe de base du Marxisme est que le développement du capitalisme conduit les travailleurs à se révolter contre le système.
Quand de telles révoltes explosent - que ce soit une manifestation de masse, une insurrection armée ou même une grosse grève - la transformation de la conscience de la classe ouvrière est étonnante. Toute l’énergie mentale des travailleurs qui était auparavant détournée sur mille et une choses - comme jouer aux courses ou regarder la télévision - se concentre soudainement sur le moyen de changer la société. Des millions de gens se penchant sur ce problème trouvent des solutions d’une incroyable ingéniosité, qui, souvent, laissent des révolutionnaires accomplis aussi désemparés que l’est la classe dirigeante par la tournure des événements.
Ainsi, par exemple, au cours de la première révolution russe de 1905, une nouvelle forme d’organisation des travailleurs, le soviet - conseil ouvrier - émergea d’un comité de grève pendant une grève d’imprimeurs. Au départ, le parti bolchevique - les plus militants des révolutionnaires socialistes - se méfia des soviets : ils ne croyaient pas que c’était possible pour une masse de travailleurs politisés depuis peu de créer un instrument révolutionnaire efficace.
De telles expériences se retrouvent dans plusieurs grèves : les militants accomplis sont pris complètement par surprise quand les travailleurs qui avaient depuis si longtemps ignoré leurs conseils, commencent soudainement à organiser des actions militantes eux-mêmes.
Cette spontanéité est fondamentale. Mais, il est incorrect d’en tirer la conclusion - comme le font les anarchistes ou ceux qui leur sont proches - qu’il n’y aurait pas besoin de parti révolutionnaire.
Dans une situation révolutionnaire, des millions de travailleurs changent d’idées très rapidement. Mais ils n’en changent pas en totalité et d’un seul coup. Dans chaque grève, chaque manifestation, chaque insurrection armée, il y a des débats permanents. Une partie des travailleurs verra dans ces actions un prélude à la prise du pouvoir par les travailleurs. Une autre sera à moitié contre le fait de passer à quelque action que ce soit, parce que cela troublera ’l’ordre naturel des choses’. Et au milieu se trouvera la masse des travailleurs, attirée par l’une puis l’autre des parties.
De l’autre côté de la balance, la classe dirigeante pèsera de tout poids par sa presse et sa propagande, dénonçant les actions des travailleurs. Elle lancera aussi ses briseurs de grève, que ce soit la police, l’armée ou des organisations de droite.
Du côté des travailleurs, il doit y avoir une organisation de socialistes qui peuvent tirer les leçons des luttes passées, qui peuvent jeter dans la balance les arguments socialistes. Il doit y avoir une organisation qui peut rassembler la compréhension grandissante des travailleurs en lutte, afin qu’ils agissent ensemble pour changer la société.
Et ce parti révolutionnaire doit exister avant que la lutte ne démarre, car l’organisation ne peut naître spontanément. Le parti se construit à travers l’échange continuel entre les idées socialistes et l’expérience de la lutte de classes - car comprendre la société n’est pas suffisant : c’est seulement en appliquant ces idées à une lutte de classes quotidiennes, dans les grèves, manifestations, campagnes, que les travailleurs prendront conscience de leur pouvoir de changer les choses, et gagneront la confiance pour le faire. A plusieurs moments, l’intervention d’un parti socialiste peut être décisive, peut faire pencher la balance du côté du changement, vers un transfert révolutionnaire du pouvoir aux travailleurs, vers une société socialiste.
Quel genre de parti ?
Le parti révolutionnaire socialiste doit être démocratique. Pour remplir son rôle, le parti doit être continuellement en contact avec la lutte de classes, c’est-à-dire avec ses propres membres et sympathisants sur les lieux de travail où la lutte se déroule. Il doit être démocratique parce que sa direction doit toujours refléter l’expérience collective de la lutte.
Cela dit, la démocratie n’est pas un système d’élection mais un débat continuel au sein du parti - une interaction continuelle entre les idées socialistes sur lesquelles le parti se base et l’expérience de la classe ouvrière.
Mais le parti socialiste révolutionnaire doit aussi être centralisé - car c’est un parti actif et pas un cercle de discussions. Il doit être capable d’intervenir collectivement dans la lutte de classes, et doit répondre rapidement, il doit donc avoir une direction capable de prendre des décisions quotidiennes au nom du parti.
Si le gouvernement décide de s’attaquer à des piquets de grèves, par exemple, le parti doit réagir immédiatement, sans avoir à organiser des conférences pour prendre des décisions démocratiques d’abord. Ainsi la décision est prise centralement. La démocratie entre en jeu ensuite, quand le parti se penche sur la question de savoir si la décision était correcte ou pas - et peut-être pour changer la direction si elle était en décalage avec les besoins de la lutte.
Le parti révolutionnaire socialiste doit maintenir un équilibre délicat entre la démocratie et le centralisme. La clé est que le parti n’existe pas pour lui-même, mais comme un outil pour apporter un changement révolutionnaire vers le socialisme - et cela ne peut se faire qu’au travers de la lutte des classes.
Ainsi le parti doit continuellement s’adapter à la lutte. Quand le niveau de lutte est faible, peu de travailleurs croient possible un changement révolutionnaire, alors le parti sera petit - et doit s’en contenter car il lui sera impossible d’augmenter significativement ses rangs. Mais quand le niveau de lutte augmente, un large nombre de travailleurs peuvent changer d’idées très rapidement, réalisant au travers de la lutte leur pouvoir de changer les choses- et alors le parti doit être capable d’ouvrir ses propres portes, sinon il sera laissé au bord de la route.
Le parti ne doit pas se substituer à la classe ouvrière. Il doit faire partie de la lutte, essayant continuellement d’unir les travailleurs les plus conscients pour fournir une direction à la lutte. Cependant, le parti ne doit pas imposer sa vision à la classe. Il ne peut pas simplement décider d’être la direction, mais il doit la gagner cette position, en prouvant la justesse des idées socialistes en pratique-ce qui veut dire tout le temps, de la plus petite grève à la révolution elle-même.
Certaines personnes voient dans le parti révolutionnaire un début de socialisme. Cela est complètement faux. Le socialisme ne peut apparaître que lorsque la classe ouvrière elle-même prend le contrôle des moyens de production et l’utilise pour changer la société. On ne peut construire une île de socialisme dans une mer de capitalisme. Les tentatives par de petits groupes de socialistes de se couper de la société et de mener leur vie sur la base des idées socialistes, échouèrent lamentablement à long terme - d’abord, les pressions économiques et sociales sont toujours présentes. De plus en se coupant eux-mêmes du capitalisme, ils se coupent de la seule force qui peut apporter le socialisme : la classe ouvrière.
Bien entendu, les socialistes se battent contre tous les effets néfastes du capitalisme tous les jours - contre le racisme, le sexisme, l’exploitation, la brutalité. Mais nous devons le faire en nous appuyant sur la force de la classe ouvrière.
A travers l’histoire du capitalisme, la classe dirigeante a toujours cherché une source supplémentaire de richesses - la prise des richesses produites par les autres pays.
La croissance des premières formes de capitalisme, à la fin du Moyen Age, fut accompagnée par la création par les États occidentaux, d’un vaste empire colonial - les empires de l’Espagne et du Portugal, de la Hollande et de la France, et, bien sûr, de l’Angleterre. La richesse se retrouva dans les mains des classes dirigeantes de l’Europe occidentale, pendant que des sociétés entières de ce qui est devenu connu sous le nom de Tiers-Monde ( Afrique, Asie et Amérique du sud) furent détruites.
Ainsi, la ’découverte’ de l’Amérique par les Européens au XVIème siècle, produisit une injection massive d’or en Europe. L’autre revers de la médaille fut la destruction complète de sociétés et la mise en esclavage d’autres. Par exemple, en Haïti, où Christophe Colomb établit pour la première fois un campement, les Indiens Arawak présents (à peu près un demi-million en tout) furent exterminés, en l’espace de deux générations. Au Mexique, la population indienne passa de 20 millions en 1520 à 2 millions en 1607.
La population indienne des Antilles et d’une partie du continent, fut remplacée par des esclaves capturés en Afrique et transportés à travers l’Atlantique, dans des conditions abominables. On estime à 15 millions le nombre d’individus ayant survécu à la traversée et à 9 millions celui des individus morts en transit. La moitié, à peu près, des esclaves furent transportés sur des bateaux anglais - ce qui est l’une des raisons pour lesquelles le capitalisme anglais fut le premier à se développer.
La richesse du trafic d’esclave finança l’industrie. Il y a un vieux proverbe qui dit ’les murs de Bristol sont cimentés avec le sang des nègres’ - et cela s’applique aussi aux autres ports. Comme le disait Karl Marx, « l’esclavage caché du travailleur salarié, en Europe, reposait sur l’esclavage pur et simple du Nouveau Monde ».
A l’esclavage, s’ajoutait le pillage pur et simple - comme lorsque l’Angleterre conquit l’Inde. Le Bengale était si avancé que les premiers visiteurs britanniques furent étonnés par la magnificence de cette civilisation. Mais cette richesse ne resta pas longtemps au Bengale. Comme l’écrivit Lord Macaulay dans sa biographie du conquérant, Clive : « L’immense population devint une proie. D’énormes fortunes furent, ainsi, rapidement accumulées à Calcutta, pendant que 30 millions d’êtres humains furent réduits à une extrême pauvreté. Ils avaient l’habitude de vivre sous la tyrannie, mais jamais une tyrannie comme celle-ci ».
A partir de là, le Bengale devint connu, non plus pour ses richesses, mais pour son extrême pauvreté où, périodiquement, des famines tuent des millions de gens, et cela, encore aujourd’hui. Pendant ce temps, dans les années 1760, à une époque où le total des investissements en Angleterre ne dépassait pas 70 millions de francs, le tribut annuel payé par l’Inde était de 20 millions.
Le même procédé était en vigueur dans la plus vieille colonie anglaise, l’Irlande. Durant la grande famine de la fin des années 1840, lorsque la population irlandaise, diminua de moitié à cause de la famine et de l’émigration, une quantité de blé, plus que suffisante pour nourrir la population affamée, était exportée, au bénéfice des propriétaires anglais.
De nos jours, il est courant de diviser le monde en pays ’développés’ et ’sous-développés’. Cela donne l’impression que les pays ’sous-développés’ ont suivi la même direction que les pays ’développés mais à une vitesse plus lente.
Mais, en fait, une des raisons du ’développement’ des pays occidentaux fut le pillage des autres pays. Beaucoup sont plus pauvres maintenant qu’il y a 300 ans.
Comme le fait remarquer Michael Barratt Brown : « La richesse par personne des actuels pays sous-développés, pas seulement en Inde, mais en Chine, Amérique Latine et Afrique, était plus importante que celle de l’Europe au 17ième siècle, et chuta lorsque la richesse augmenta en Europe ».
La possession d’un empire permit à l’Angleterre de se développer comme première puissance industrielle du monde. Elle était en position d’empêcher les autres États capitalistes d’obtenir des matières premières, des marchés et de lucratives zones d’investissement dans son tiers monde.
Lorsque de nouvelles puissances industrielles, telles que l’Allemagne, le Japon et les États-Unis, se développèrent, elles voulurent aussi ces avantages. Elles construisirent des empires rivaux ou des ’sphères d’influences’. Face à des crises économiques, chaque puissance capitaliste importante essaya de résoudre ses problèmes en s’accrochant aux sphères d’influence de ses rivales. L’impérialisme conduisit à la guerre mondiale.
En retour, cela produisit d’énormes changements dans l’organisation interne du capitalisme. L’outil pour faire la guerre, l’État, prit de plus en plus d’importance. Il travailla en étroite coopération avec les firmes géantes pour réorganiser l’industrie pour la compétition internationale et pour la guerre. Le capitalisme devint le capitalisme monopoliste d’État. Le développement de l’impérialisme signifia que les capitalistes n’exploitaient pas seulement la classe ouvrière de leur propre pays ; ils prirent physiquement le contrôle d’autres pays et exploitèrent leurs populations. Pour les classes les plus exploitées, cela signifia qu’elles étaient exploitées par les capitalistes étrangers aussi bien que par leur propre classe dirigeante. Elles étaient doublement exploitées.
Mais des sections de la classe dirigeante des pays colonisés, en souffrirent aussi. Ils virent beaucoup de leurs opportunités pour exploiter la population locale, volées par l’impérialisme. De la même manière, les classes moyennes, qui voulaient une rapide expansion de l’industrie locale pour de bonnes opportunités de carrière, souffrirent aussi.
Les 60 dernières années ont vu les différentes classes des pays coloniaux ou ex-coloniaux, se soulever contre les effets de l’impérialisme. Des mouvements ont tenté d’unir la population entière contre le règne impérialiste étranger. Leurs revendications incluaient :
L’expulsion de troupes impérialistes étrangères.
L’unification de tout le territoire national par un unique gouvernement, contre les divisions causées par différents États impérialistes.
Le rétablissement de la langue originale dans la vie de tous les jours, en opposition à la langue imposée par les dirigeants étrangers.
L’utilisation de la richesse produite par le pays pour développer une industrie locale pour apporter le ’développement’ et la ’modernisation’ dans ce pays.
Telles furent les revendications des mouvements révolutionnaires successifs en Chine (en 1912, en 1923-27 et en 1945-48), en Iran (en 1905-12, en 1917-21 et en 1941-53), en Turquie (après la première guerre mondiale), aux Antilles (à partir de 1920), en Inde (en 1920-48), en Afrique (après 1945) et au Vietnam (jusqu’à la défaite des États-Unis en 1975).
Ces mouvements étaient souvent dirigés par des sections de la classe supérieure ou moyenne locale, mais cela signifiait que les classes dirigeantes des pays développés faisaient face à une nouvelle opposition, en plus de leur propre classe ouvrière. Les mouvements de libération nationale du Tiers-Monde affrontèrent les États capitalistes impérialistes en même temps leurs propres classes ouvrières le faisaient.
Cela eut une grande importance pour le mouvement ouvrier des pays développés. Dans sa lutte contre le capitalisme, il avait un nouvel allié dans les mouvements de libération nationale du Tiers-Monde. Ainsi, par exemple, un travailleur de chez Total en France avait un allié dans les forces de libération du Zaïre qui voulaient s’emparer des possessions de Total. Si Total pouvait se débarrasser des menaces des mouvements de libération au Tiers-Monde, alors il serait plus puissant pour résister aux revendications des travailleurs en France.
Cela est vrai, même si le mouvement de libération du Tiers-Monde n’a pas de direction socialiste, même si sa direction veut remplacer le règne étranger par la domination d’une classe ou d’un État capitaliste local.
L’État impérialiste qui essaie d’écraser un mouvement de libération nationale est le même État impérialiste qui est le plus grand ennemi des travailleurs occidentaux. C’est pour cela que Marx insista sur le fait que « une nation qui en opprime une autre ne peut être elle-même libre » et que Lénine polémiqua pour une alliance des travailleurs des pays développés avec les peuples opprimés du Tiers-Monde, même s’ils n’avaient pas de direction socialiste.
Cela ne signifie pas que les socialistes seront d’accord avec la façon dont les non-socialistes d’un pays opprimé dirigent une lutte de libération (de la même façon que nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec les dirigeants syndicaux lorsque ceux-ci dirigent une grève). Mais nous devons être clairs, avant toute chose, sur le fait que nous soutenons cette lutte.
Autrement nous nous retrouvons rapidement du côté de notre propre classe dirigeante contre les peuples qu’elle opprime.
Nous devons soutenir une lutte de libération sans conditions, bien avant de critiquer la manière dont elle est conduite.
Cependant, les socialistes révolutionnaires d’un pays opprimé par l’impérialisme ne peuvent laisser les choses ainsi. Ils doivent polémiquer, jour après jour, avec les autres personnes sur la manière dont la lutte doit se passer.
Les points les plus importants traités ici font partie de la théorie de la révolution permanente développée par Trotsky. Trotsky commença par reconnaître que ces mouvements contre l’oppression étaient, souvent, à l’initiative de personnes venant des classes moyennes ou même supérieures.
Les socialistes soutiennent ces mouvements parce que leurs buts visent à retirer l’un des fardeaux qui pèsent sur les classes les plus opprimées de la société. Mais nous devons reconnaître que ceux qui viennent des classes moyennes et supérieures ne peuvent diriger ces luttes de manière consistante. Ils n’oseront jamais déclencher une lutte de masse acharnée, dans le cas où elle ne s’affronterait plus seulement à l’oppression extérieure mais aussi à leur capacité à vivre par l’exploitation des classes les plus opprimées.
A un certain moment, elles abandonneront la lutte qu’elles ont elles-mêmes initiée et, si nécessaire, s’allieront avec l’oppresseur étranger pour l’écraser. A ce moment là, si les forces de la classe ouvrière ne prennent pas la direction de la lutte, elle sera vaincue.
Trotsky ajouta un dernier argument. Il est vrai que dans la plupart des pays du Tiers-Monde, la classe ouvrière est une minorité, souvent une petite minorité, de la population. Elle est néanmoins très nombreuse en valeur absolue (par exemple en Inde et en Chine, elle est forte de plusieurs millions), elle crée une énorme part de la richesse nationale, en comparaison de sa taille, elle est concentrée en masse dans les villes qui sont les endroits clés quand il faut diriger le pays. Ainsi dans une période de tornade révolutionnaire, la classe ouvrière peut prendre la direction de toutes les classes opprimées et prendre le contrôle de pays entiers. La révolution devient permanente, commençant par des revendications de libération nationale puis terminant par des revendications socialistes. Mais ce n’est le cas que si les socialistes des pays opprimés ont dès le départ organisé les travailleurs sur une base de classe, de manière indépendante - soutenant le mouvement général de libération nationale, mais toujours en prévenant qu’on ne peut avoir confiance dans les dirigeants bourgeois ou petits-bourgeois.
Il y a deux approches différentes pour aborder la question de la libération des femmes : le féminisme et le socialisme révolutionnaire. Le féminisme était l’influence dominante des mouvements de femmes qui apparurent dans les pays capitalistes avancés durant les années 1960 et 1970. Il se basait sur l’idée que les hommes oppriment toujours les femmes, qu’il y a quelque chose de biologique ou psychologique qui fait que les hommes traitent les femmes comme inférieures. Cela conduisit à l’idée que la libération des femmes n’était possible que par leur séparation des hommes ; soit la séparation totale des féministes qui parlaient de « style de vie libéré », soit la séparation partielle des comités de femmes ou des réunions non-mixtes.
Beaucoup de celles qui soutenèrent cette séparation partielle se donnèrent le nom de féministes socialistes. Mais plus tard, les idées féministes radicales de la totale séparation firent leur apparition au sein des mouvements de femmes. Ces idées, avec le temps, eurent de moins en moins d’écho, pour n’être finalement défendus que par une petite minorité.
Ces échecs conduisirent beaucoup de féministes dans une autre direction : le Parti Socialiste. Elles croyaient que mettre des femmes à des postes tels que députés, permanentes syndicales ou conseillère municipale ou régionale, permettrait d’aider toutes les femmes à obtenir l’égalité.
La tradition du socialisme révolutionnaire part d’un point de vue différent. Marx et Engels, dans des écrits remontant à 1848, montrèrent que l’oppression des femmes ne provient pas d’idées dans la tête des hommes mais du développement de la propriété privée et avec elle l’émergence de la société de classes. Selon eux, le combat pour l’émancipation des femmes est inséparable du combat pour la fin de la société de classes c’est à dire le combat pour le socialisme.
Marx et Engels firent en outre remarquer que le développement du capitalisme, basé sur les usines, amena de profonds changements dans la vie des gens et tout particulièrement dans celle des femmes. Elles furent réintroduites dans la production d’où elles avaient été progressivement exclues avec le développement de la société de classes.
Cela leur donna un potentiel de lutte qu’elles n’avaient jamais eu auparavant. Organisées collectivement, les femmes en tant que travailleuses eurent une plus grande capacité et indépendance pour se battre pour leurs droits. Il y avait un énorme contraste avec leurs positions précédentes où leur rôle principal dans la production les rendait, par la famille, complètement dépendantes de leurs maris ou pères.
De cela Marx et Engels conclurent que les bases matérielles de la famille et par la même de l’oppression des femmes - n’existaient plus. Ce qui empêchait les femmes d’en bénéficier, était que la propriété restait dans les mains d’un petit nombre de personnes. Ce qui fait que les femmes sont toujours opprimées de nos jours, c’est la façon dont est organisé le capitalisme - en particulier la façon dont le capitalisme utilise la famille pour s’assurer que les travailleurs élèvent une nouvelle génération de travailleurs. Du point de vue de la classe dirigeante il est très avantageux de payer les hommes (et de plus en plus de femmes) pour leur travail, tandis que les femmes continuent, gratuitement, à travailler pour que les hommes soient capables d’aller au travail et que leurs enfants grandissent pour en faire autant.
La société socialiste, par contraste, prendra en charge beaucoup de tâches familiales qui pèsent si lourdement sur les femmes.
Cela ne signifie pas que Marx, Engels et leurs successeurs en arrivèrent à souhaiter ’l’abolition de la famille’. Les partisans de la famille ont toujours été capables de mobiliser une importante partie des femmes les plus opprimées qui peuvent voir dans ’l’abolition de la famille’ une possibilité pour leurs maris de leur abandonner la responsabilité des enfants. Les socialistes révolutionnaires ont plutôt toujours essayé de montrer comment, dans une société socialiste, les femmes ne seraient pas contraintes à la vie misérable que leur procure la famille actuelle.
Les féministes ont toujours rejeté ce genre d’analyse. Loin de s’adresser aux femmes là où elles ont le pouvoir de changer la société et d’en finir avec leur oppression - là où elles sont collectivement fortes, au travail - elles s’adressent à elles en tant que victimes. Les campagnes des années 1980, par exemple, avaient pour thèmes la prostitution, le viol ou les menaces de l’arme nucléaire sur les femmes et les familles. Ce sont toutes des positions où les femmes sont faibles.
Le féminisme suppose que l’oppression dépasse la division de la société en classes. Cela conduit à des conclusions qui laissent le système intact tout en améliorant la situation de certaines femmes - une minorité. Les mouvements de libération des femmes furent souvent dominés par des femmes venant de ’la nouvelle classe moyenne’ - journalistes, écrivains, professeurs et cadres. Les secrétaires et les ouvrières furent laissées de côté.
C’est seulement lors de périodes de changement radical et de poussées révolutionnaires que la question de la libération des femmes est une réalité, pas juste pour une minorité, mais aussi pour toutes les travailleuses. La révolution bolchevique de 1917 permit une plus grande égalité pour les femmes comme jamais auparavant. Le divorce, l’avortement et la contraception étaient possibles en toute liberté. Les crèches et le ménage devenaient la responsabilité de la société. Il y eut des débuts de restaurants communautaires, laveries et garderies qui donnaient aux femmes beaucoup plus de choix et de contrôle sur leur vie.
Bien entendu, le destin de ces avancées ne pouvait pas être séparé de celui de la révolution elle-même. La famine, la guerre civile, la décimation de la classe ouvrière et la défaite de la révolution à l’échelle internationale signifièrent la fin du socialisme en Russie. Les avancées furent renversées.
Mais les premières années de la république des soviets montrèrent ce que la révolution pouvait accomplir même dans les pires conditions. De nos jours, les possibilités d’une émancipation des femmes sont encore meilleures. En France, et c’est à peu près la même chose dans les autres pays développés - plus de deux travailleurs sur cinq sont des femmes.
L’émancipation des femmes ne pourra survenir qu’à travers le pouvoir collectif de la classe ouvrière. Cela signifie qu’il faut rejeter l’idée féministe d’organisation séparée des femmes. Seuls les travailleurs, hommes et femmes, agissant ensemble dans un mouvement révolutionnaire pourront détruire la société de classes et avec elle l’oppression des femmes.
Le vingtième siècle a été le siècle des guerres. Dix millions de personnes ont été tuées durant la première guerre mondiale, 55 millions durant la seconde, 2 millions durant les guerres en Indochine. Et, les deux superpuissances, les États-Unis et la Russie conservent le potentiel nucléaire pour détruire la race humaine un certain nombre de fois.
Expliquer cette horreur devient compliqué pour celui qui prend la société actuelle pour acquise. Il est conduit à penser qu’il y aurait une tendance instinctive et inhérente au genre humain qui le conduirait à prendre plaisir aux massacres de masse. Mais la société humaine n’a pas toujours connu la guerre. Gordon Chile remarqua au sujet de l’âge de pierre en Europe : « Les premiers Danubiens semblent avoir été une société pacifique ; les armes de guerre au contraire des outils de chasse sont absentes de leurs sépultures. Leurs villages ne possédaient de défenses militaires. [Mais] dans les dernières phases de la période néolithique, les armements devinrent les objets les plus importants... ».
La guerre ne vient pas d’une quelconque agressivité naturelle chez l’homme. C’est le produit de la division de la société en classes. Quand, entre 5 000 et 10 000 ans avant notre ère, une classe de propriétaires fit pour la première fois son apparition, elle dut trouver les moyens pour protéger ses richesses. Elle commença à construire des forces armées, un État, coupés du reste de la société, qui se révélèrent ensuite un moyen rentable pour augmenter ses richesses en pillant d’autres sociétés.
La division de la société en classe fit que la guerre devint une caractéristique indispensable de la vie humaine.
Les classes dirigeantes esclavagistes de la Grèce et Rome antique ne pouvaient survivre sans de continuelles guerres qui leur procureraient plus d’esclaves. Les seigneurs féodaux du Moyen Age devaient être lourdement armés pour soumettre les serfs et pour protéger leur fortune. Quand les premières classes dirigeantes capitalistes apparurent, il y a 300 ou 400 ans, elles aussi durent avoir recours à la guerre. Elles ont dû se battre férocement, aux XVIème,XVIIème,XVIIIème,XIVème siècles pour établir leur suprématie sur les restes des vieux dirigeants féodaux. Les pays capitalistes les plus avancés comme l’Angleterre, utilisèrent l’armée pour augmenter leur richesse - traversant les océans, pillant l’Inde et l’Irlande, transportant des millions de personnes de l’Afrique à l’Amérique pour qu’elles servent comme esclaves, transformant le monde entier en source de pillage pour eux-mêmes.
La société capitaliste se construit elle-même par la guerre. Il n’est pas étonnant que ceux qui y habitent en arrivent à penser que la guerre est à la fois ’inévitable’ et ’juste’.
Pourtant le capitalisme ne pourrait survivre uniquement par la guerre. La plupart de ses richesses proviennent de l’exploitation des travailleurs à l’usine ou dans les mines. Il ne peut donc se permettre des situations ’explosives’ là où il exploite.
Chaque classe capitaliste nationale veut la guerre à l’extérieure de ses frontières et l’ordre à l’intérieur. Alors, d’une part, elle encourage les ’valeurs militaires’ et d’autre part elle s’attaque à la ’violence’. L’idéologie du capitalisme combine, de façon totalement contradictoire, l’exaltation du militarisme et les phrases pacifistes.
Au XXème siècle, les préparations aux guerres ont pris une place centrale dans le système comme jamais avant. Au XIVème siècle, la production capitaliste se faisait autour de petites industries en compétition les unes avec les autres. L’État était une entité relativement petite qui réglait les conflits entre elles et avec leurs travailleurs. Maintenant, les grosses firmes ont englouti la plupart des petites, éliminant, par là même une importante partie de la compétition à l’intérieur d’un même pays. Cette compétition se retrouve de plus en plus au niveau international, entre firmes géantes de différentes nations.
Il n’y a pas d’État capitaliste international pour régler cette compétition. A la place, chaque État national exerce toute la pression nécessaire pour aider ses capitalistes à avoir un avantage sur leurs rivaux étrangers. Le combat sans merci que se livraient différents capitalistes est devenu un combat sans merci entre différents États, chacun avec leur impressionnant arsenal de destruction.
Par deux fois, ce combat a conduit à une guerre mondiale. La première et la seconde guerre mondiale furent des guerres impérialistes, des conflits entre États capitalistes pour la domination du monde. La guerre froide était la continuation de ces conflits, avec les États capitalistes les plus puissants s’alignant les uns contre les autres derrière l’OTAN et le Pacte de Varsovie.
En plus de ces conflits mondiaux, il y eut beaucoup de guerres ouvertes dans différentes parties du monde. En général, elles furent le théâtre de l’affrontement entre différents États capitalistes pour le contrôle d’une région particulière, telles que la guerre Iran-Irak dans les années 80, et la Guerre du Golfe en 91. Chaque puissance alimentait le feu de la guerre en vendant son armement le plus sophistiqué aux États du Tiers-Monde.
Beaucoup de ceux qui acceptent le reste du système capitaliste n’aiment cette dure réalité. Ils veulent le capitalisme sans la guerre. Ils cherchent alors une alternative au sein du système. Par exemple, il y a ceux qui croient que les Nations Unies peut empêcher les guerres.
Mais l’ONU n’est rien de plus qu’une arène où les différents États qui incarnent la tendance à la guerre se retrouvent. Là, ils comparent leurs forces entre eux, comme des boxeurs avant un combat. Si un État ou une alliance en surclasse de loin une autre, alors les deux parties verront l’inutilité d’une guerre dont le résultat est connu à l’avance. Mais s’il y a le moindre doute sur l’issue du combat, le seul moyen de vérifier est d’aller jusqu’au bout.
C’était vrai pour les deux principales alliances, l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Même si l’Ouest avait un avantage militaire sur le bloc de l’Est, l’écart n’était si grand pour les Russes pour croire à une défaite assurée. Malgré le fait qu’une Troisième guerre mondiale aurait détruit l’humanité, Moscou et Washington dressèrent des plans pour faire et gagner une guerre nucléaire.
La guerre froide prit fin avec l’URSS en 91. On a alors beaucoup parlé d’un ’nouvel ordre mondial’ et d’une ’ère de paix’.
Cependant, nous avons assisté à une succession de guerres terribles-la guerre de l’Ouest contre son ancien allié l’Irak, la guerre entre Azerbaïdjan et l’Arménie, les horribles guerres civiles en Somalie et en ex-Yougoslavie. Dès qu’une rivalité entre puissances capitalistes est résolue, une autre prend sa place. Partout les classes dominantes savent que la guerre est un moyen pour accroître leur influence, en aveuglant les travailleurs et les paysans avec le nationalisme.
On peut critiquer et craindre les guerres sans s’opposer au capitalisme. Mais on ne peut y mettre fin. La guerre est un produit inévitable de la division de la société en classes. La menace d’une guerre ne s’évanouira pas en suppliant les dirigeants existants de faire la paix. Les armes ne pourront leur être arrachées des mains que par un mouvement qui lutte pour renverser la société de classes une fois pour toutes.
Les mouvements pour la paix qui apparurent en Europe et en Amérique du Nord à la fin des années 70 ne comprenaient pas ça. Ils militaient contre l’introduction de missiles de croisières et de Pershing, pour un désarmement unilatéral, pour un désarmement nucléaire. Mais ils croyaient que le combat pour la paix pouvait réussir isolé du combat entre le capital et le travail.
Ils ne réussirent pas à mobiliser la seule force qui pouvait enrayer la course à la guerre, la classe ouvrière. Seule une révolution socialiste peut arrêter l’horreur de la guerre.
Cette brochure est une introduction aux bases du marxisme. Espérons-le, la plupart des lecteurs voudront en apprendre un peu plus. L’une des caractéristiques clé du marxisme est que les gens apprennent au travers de la lutte. Quand les travailleurs se battent ils apprennent à une étonnante rapidité. Cependant de telles luttes spontanées ne les conduisent pas nécessairement à expliquer le monde. La lecture, les discussions et débats font partie intégrante des batailles que l’on engage.
La liste de titres qui suit est fournie à titre de suggestions. Vous préfèrerez peut-être approfondir un domaine particulier abordé dans cette brochure ou faire un peu le tour de la question. De toute manière, si vous avez commencé à savoir comment fonctionne le marxisme, vous ne voudrez plus arrêter.
Le Manifeste du parti communiste Karl Marx et Frédéric Engels. Ecrit en 1848 c’est l’introduction classique à Marx et Engels et à leurs analyses sur le fonctionnement du capitalisme, pourquoi est-il plus dynamique que les autres sociétés de classes, pourquoi est-il sujet à des crises de plus en plus profondes et comment il crée son propre fossoyeur, la classe ouvrière.
Socialisme utopique et socialisme scientifique Frédéric Engels. Le guide de base d’Engels au socialisme fut même plus populaire que Le Manifeste quand il fut publié. Il fournit une analyse historique de l’émergence du capitalisme de l’Europe médiévale et un guide politique, économique et philosophique pour les travailleurs qui se battent pour un monde nouveau.
Réforme sociale ou révolution ? Rosa Luxembourg. Ce fut le premier écrit d’importance mettant en lumière le réformisme comme un mouvement politique distinct et analysant la possibilité de la victoire du socialisme - par le parlement ou la révolution.
Travail salarié et capital et Salaire, prix et profit Karl Marx. Ce sont deux courtes introductions à la théorie économique de Marx. Le premier, en particulier, est accessible au débutant dans ce domaine. Il est conseillé de commencer par ces deux brochures avant de s’attaquer au Capital, plus développé.
Dix jours qui ébranlèrent le monde John Reed. Témoignage vivant de la révolution d’Octobre, en Russie.
Les leçons d’Octobre Léon Trotsky. Ecrite en réponse à l’échec de la révolution allemande en 1923, c’est la première analyse sérieuse des évènements qui conduisirent à la révolution d’Octobre en 1917. Cette brochure procure une vision unique de ces évènements par une personne qui organisa l’insurrection.
L’histoire de la révolution russe Léon Trotsky. Un des plus grands apports historiques du siècle sur la révolution russe. Ecrite par un de ceux qui organisèrent l’insurrection et qui dirigea l’armée rouge durant la guerre civile.
Hommage à la Catalogne George Orwell. Le meilleur livre d’Orwell et bien meilleur que les plus connus et profondément pessimistes La ferme des animaux et 1984, il y décrit un portrait vivant de ce que cela veut dire pour les travailleurs de ’tenir les rênes’ de la Révolution espagnole en 1936.
L’impérialisme, stade suprême du capitalisme V I Lénine. Ecrite en réponse à la première guerre mondiale et à la capitulation des sociaux-démocrates allemands, Lénine place l’impérialisme dans le contexte du développement du capitalisme et de ses besoins. Même si certains détails de l’analyse sont dépassés et incorrects, cette brochure reste un indispensable point de départ pour comprendre l’impérialisme au 20ième siècle et la guerre.
La révolution socialiste et le droit aux nations à disposer d’elles-mêmes V I Lénine. Ici Lénine pose les bases des principes marxistes sur la libération nationale.
La révolution permanente Léon Trotsky. L’une des contributions majeure de Trotsky à la théorie marxiste. Il remarqua que la bourgeoisie naissante était trop faible et avait trop peur de la classe ouvrière pour se débarrasser de la classe dirigeante féodale dans les pays arriérés. La révolution aurait lieu par l’insurrection de la classe ouvrière. Mais si celle-ci faisait la révolution, elle ne donnerait pas le pouvoir à la faible bourgeoisie ; elle établirait un État ouvrier.
L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État Frédéric Engels. Le classique d’Engels sur l’oppression de la famille pour les besoins du capitalisme. Ce fut un livre qui tranchait nettement avec son époque. Même si les prédictions d’Engels se sont avérées incorrectes, son livre reste indispensable.
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