Discours de Laurent Fabius à Lens

vendredi 22 septembre 2006.
 

Mes camarades,

La discussion, oui. La dispute, non. Voilà les limites et l’objectif de ce que nous faisons aujourd’hui et qu’il faudra continuer dans les semaines qui viennent. Car je ne sais pas quel est votre sentiment à cet instant où, avant-dernier orateur, je m’exprime, mais probablement beaucoup d’entre nous et, au-delà de cette salle, beaucoup de ceux qui nous écoutent ou nous écouteront grâce à la presse, doivent se dire « mais au fond ces socialistes, ils sont venus l’un après l’autre, sympathiques, talentueux, mais ils sont d’accord ». Et c’est vrai que sur l’essentiel, nous sommes d’accord. Sinon nous ne serions pas socialistes. Mais il y a aussi des points, pourquoi ne pas le dire, sur lesquels il faut aller plus loin dans notre discussion. Car il ne serait pas normal que les débats, comme c’est le cas aujourd’hui, aient lieu à propos du Parti Socialiste partout en France, sauf véritablement au sein du PS. Il faut les débats au sein du PS, aux militants de trancher et ensuite tout le monde rassemblé dans l’unité. (applaudissements)

Nous ne savons pas encore qui sera notre candidat. Mais nous savons déjà qui sera notre adversaire et il ne serait pas normal que, passant quelques heures ensemble, relayées puissamment, nous ne consacrions pas une part importante à cet adversaire. François le fera sans doute. Je le ferai en quelques dizaines de secondes à ma manière.

Oui, on l’a dit, monsieur Sarkozy est un homme dangereux. Mais le danger est encore plus grand lorsqu’il est assorti de talent et de moyens financiers et médiatiques considérables. (applaudissements) Et autant je suis en désaccord sur beaucoup de points avec M. Bayrou, autant je pense que sur cette question du contrôle financier, économique des médias, il a eu raison de dire ce qu’il a dit. (applaudissements)

Monsieur Sarkozy, qui sera vraisemblablement candidat à la Présidence de la république, est un réactionnaire. Nous, nous sommes socialistes. En une seule après-midi, se posant par hélicoptère au Medef, il a, pour faire bonne mesure, sacrifié le droit de grève, annulé les 35 heures, et, comme oral de rattrapage, la semaine suivante il veut supprimer les régimes spéciaux, dont, je m’empresse de le dire, le régime minier, et ça veut dire quelque chose dans le Nord et le Pas-de-Calais. (applaudissements)

Monsieur Sarkozy, futur candidat à la présidence de la République n’est pas un républicain laïc, c’est un communautariste et j’ai encore dans l’oreille sa phrase fameuse : « Je nomme ce monsieur préfet car il est musulman ». Il faut nommer des préfets non pas parce qu’ils sont musulmans, catholiques, protestants, que sais-je encore... mais parce qu’ils ont la compétence, au nom de l’Etat, d’exercer leurs fonctions. (applaudissements)

Monsieur Sarkozy n’est pas un Européen convaincu comme nous tous, qui défend les intérêts de la France, il est avant tout un pro américaniste, il est un zélateur de Bush. Nous n’avons pas besoin à la tête de l’Etat de quelqu’un qui se fixe comme programme d’être le futur caniche du président des Etats-Unis. (applaudissements)

Chers camarades,

La devise de la République française, c’est liberté, égalité, fraternité. Et bien moi, je me battrai de toutes mes forces, je dis bien de toutes mes forces, pour que n’accède pas à cette plus haute charge, quelqu’un dont, en fait, la vision des choses est "marche ou crève". Il n’en est pas question. (applaudissements)

Mais à partir de cela, se pose un problème politique. M. Sarkozy prend cette position non seulement parce qu’elle est profondément la sienne, mais parce qu’il veut draguer l’extrême droite dont il ne faut pas minimiser aujourd’hui et demain l’influence. (applaudissements)

Et je crois comprendre que dans le débat implicite, respectueux des femmes et des hommes, qui s’établit chez nous, il y a deux positions possibles sur l’attitude que nous devons prendre. Ou bien, on dit de toute manière la gauche sera obligée de voter pour le candidat socialiste. Alors n’en faisons pas trop, essayons au contraire d’aller braconner sur d’autres terres pour faire des additions.

Telle n’est pas, mes camarades, ma position et ma proposition de stratégie. La gauche ne peut gagner que rassemblée. Le rassemblement ne peut s’opérer que sur des positions authentiquement de gauche. Il faut au premier tour que tout se fasse pour que le rassemblement de la gauche s’opère autour du candidat socialiste et ensuite au deuxième tour viendra le reste. C’est la seule stratégie gagnante pour battre la droite en 2007. (applaudissements)

Chers camarades,

J’ai l’intention d’être candidat à l’investiture. Je m’y suis préparé. Je me sens, comme d’autres, en capacité de l’être et je le souhaite. Ce sera aux militants de trancher. Mais je peux d’ores et déjà dire, faisant écho aux propos qui ont été tenus, que le futur président aura au moins quatre immenses défis à relever.

Le premier, c’est le défi du quotidien, le défi du pouvoir d’achat, le défi du logement, le défi de la santé. Bref qu’on puisse dire, et mon projet le voici, c’est le notre, le nôtre à tous. Qu’on puisse dire si je vote socialiste, voilà ce que cela changera dans ma vie quotidienne. C’est pourquoi parmi d’autres, avec d’autres, j’ai fait la proposition d’un SMIC à 1500 €, d’abord récusée ensuite acceptée par tous, je m’en félicite. Mais je pense qu’il faut être plus précis. Le SMIC aujourd’hui en brut est à 1254 €. Je pense que parmi les propositions emblématiques que nous devrons porter dans cette campagne tous ensembles, il y a une augmentation immédiate du SMIC que j’ai proposé, pour ma part, de chiffrer à 100 euros.

On me dit, « ce n’est pas le problème ». Je ne dis pas que le seul problème concerne les smicards, même s’il y a près de 20 % de la population qui est au SMIC et davantage encore chez les femmes. Mais on ne peut pas éluder les choses d’un coup. Il y a de la misère dans le pays, et d’abord dans cette région et dans beaucoup d’autres, et dans la mienne aussi, et partout en France. Et la gauche venant au pouvoir ne serait pas capable de proposer une augmentation de 100 euros ? Je dis que si on est de gauche, et compte tenu des expériences que nous avons faites les uns les autres au pouvoir, la première traduction de la gauche revenant aux responsabilités doit être une augmentation des salaires et d’abord des petits salaires. (applaudissements)

Il y a eu un débat sur la carte scolaire. Mes camarades, je le dis clairement, tout en respectant chacune et chacun, mon idéal n’est certainement pas la suppression de la carte scolaire. Pourquoi ? Parce que si on la supprime... L’aménager oui, mais encore faut il voir les conséquences. Admettez qu’il y ait le choix entre beaucoup d’établissements, on sait bien qui se portera dans les établissements huppés. Une certaine catégorie de la population ou les enfants qui auront des notes formidables. Mais les autres, ce que nous voulons aussi protéger, ils resteront dans des établissements désertés par tous.

On sait d’ores et déjà quels sont les établissements qui ont besoin de moyens, c’est à ces établissements qu’il faut donner des moyens en subordonnant l’attribution des moyens aux origines sociales. En incluant effectivement l’enseignement privé, qui doit prendre sa part de la mixité sociale. En faisant en sorte que les jeunes qui se destinent au professorat puissent déjà avoir un salaire, pour qu’ils ne soient pas empêchés d’accéder à ce superbe métier parce qu’ils n’ont pas les possibilités de faire des études. En développant, Daniel [Percheron] a eu raison de le faire, l’enseignement supérieur. Mais non pas en supprimant l’outil fort de la mixité sociale qui s’appelle la carte scolaire. Je ne serai jamais sur cette position là. (applaudissements)

Il faut d’abord que notre candidat soit le candidat du pouvoir d’achat. Il faut qu’il soit aussi le candidat de l’excellence environnementale. Ceux qui ne connaissent pas la région disent « tu vas dans le Pas-de-Calais, ne parle pas trop d’environnement ». Evidemment, qu’ il faut en parler. Evidemment, qu’on sait bien que le XXIe siècle ou bien sera écologique ou bien n’existera même plus car nous aurons détruit la terre, d’où la nécessité, dans la ligne de notre projet, d’un programme précis prévoyant les énergies renouvelables, les économies d’énergie, plus de transport collectif et non pas la suppression par l’Etat des moyens des transports collectifs.

C’est le débat Gaz de France. Au-delà des arguments excellents qui ont été donnés, parce que la privatisation de gaz de France ce serait évidemment l’augmentation des tarifs, tout le monde peut le comprendre, je n’admets pas un instant et je trouve ça stupide et à vrai dire presque criminel, qu’alors que tous les pays du monde savent bien que la crise énergétique implique de reprendre en main les capacités énergétiques, la France avec un gouvernement de droite serait la seule qui donnerait GDF confié aux pouvoirs privés, cela n’a pas de sens. Nous devons garder la maîtrise de notre énergie. Oui, je suis pour la renationalisation de GDF et aussi pour la reconquête à cent pour cent d’EDF. (applaudissements)

Il faut, troisième tâche du futur président de la République, introduire la démocratie partout, on l’a fort bien dit, les uns et les autres. Et en particulier, Dominique, en répondant aux questions que tu as légitimement posées. Nous sommes à fond pour la décentralisation, mais la décentralisation ne veut pas dire la suppression du rôle de l’Etat ou des services publics. Quelle est la péréquation financière si l’Etat disparaît. Je crois, Dominique [Dupilet] que c’est 68 millions d’euros que le gouvernement, et non pas l’Etat, te doit dans une grande partie pour les RMI. Il faut une décentralisation mais il faut une péréquation financière parce que sinon les plus riches seront les plus riches, alors bravo pour la région parisienne et la région Rhône-Alpes, mais que deviendra le Nord-Pas-de-Calais ou la Normandie ? Il faut que l’Etat soit présent et en même temps que la décentralisation existe. (applaudissements)

Le quatrième enjeu, mes camarades, c’est qu’il faut relancer l’Europe et réorienter l’Europe. On a dit dépasser le oui et le non. Sans doute. Vous savez la position que j’ai prise et que j’assume. Mais en même temps, il faut tenir compte du vote des Français qui ont compris ce qu’ils faisaient même si les motivations étaient multiples. On a parlé tout à l’heure de Stora. Il y a des mesures à prendre en France mais il y a aussi des mesures à prendre en Europe et dans le monde. Parce que tout le monde comprend que si on continue, vis-à-vis des pays en développement, à ne jamais poser la question sociale, à ne jamais poser la question environnementale, à ne jamais poser la question monétaire, non seulement on détruit notre industrie mais on laisse leurs travailleurs dans la situation de misère où ils sont.

Et c’est la même chose au niveau européen. Il faut davantage aider les pays de la périphérie, il faut en faire plus pour les pays de l’Est mais il faut en même temps que l’Europe soit capable d’avoir une vraie politique industrielle, une vraie politique scientifique, une vraie politique éducative. Qu’elle sache, le cas échéant, se protéger par rapport aux exportations illicites. Bref, il faut une Europe relancée, réorientée. C’est ainsi, aussi, qu’on développera l’emploi, sans nationalisme évidemment, en France, et on a besoin aussi d’industrie, et on a besoin d’aller plus loin dans le refus et le rejet des délocalisations et dans la création d’emplois. (applaudissements)

Je termine en disant un mot, peut-être plus personnel, des sondages. Mais ce « personnel » nous concerne tous. Une chose est certaine, c’est qu’autant les sondages ont une valeur à un instant donné, autant ils n’en ont aucune s’agissant de la prédiction. Il faut que ce soit par la réflexion, par l’intelligence, par la discussion, par le débat maîtrisé, amical, que petit à petit, vous les militants et les militantes, vous vous forgiez vos convictions, et qu’ensuite cette conviction élargie, relayée devienne celle de la gauche puis du peuple de France. Si l’on écoutait les sondages, d’abord les résultats es élections précédentes auraient été différents parfois en notre faveur, et aujourd’hui à quoi serviraient les débats. Oui, mais voila, la réflexion ça existe, le débat ça existe, l’engagement ça existe. J’ai à l’esprit cette phrase de Jaurès dans son extraordinaire discours à la jeunesse, vous savez, le discours sur l’idéal et le réel : « le courage c’est de se donner aux grandes causes, sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni même s’il lui réserve une récompense ».

Je ne sais pas quelle sera la récompense, et je ne sais pas pour qui, mais je sais que la gauche et la France sont deux causes superbes et que cela vaut qu’on y consacre toute sa vie. (applaudissements)


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