La lecture de la presse cléricale en Vendée est édifiante. Quand le pouvoir faiblit dans l’application de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, l’Eglise s’engouffre dans ces failles et avance dans sa stratégie de conquête globale de la société.
Ainsi sous la IIIème République, le second gouvernement Blum puis le gouvernement Daladier en 1938, et donc toujours sous la Chambre issue des élections du Front Populaire, plusieurs cérémonies organisées en Vendée réintroduisent officiellement le crucifix dans les mairies, en totale violation de la loi de Séparation de 1905. En février 1938 par exemple, à Saint-Florent-des-Bois, le maire fait solennellement « entrer le Christ à la Mairie ». Revanche sur le Front Populaire ? La représentation politique en Vendée est foncièrement conservatrice. A part Achille Daroux, radical-socialiste élu de justesse en 1936, 5 des 6 députés y compris le comte Pierre de Chabot, conseiller général du canton des Herbiers qui succède au comte Jean de Suzannet dans la partielle de mars 1938, de même que les 3 sénateurs dont Léopold Robert (Jean Yole) illustrent cette vieille garde conservatrice. La droite est également majoritaire dans 20 cantons. Une fois la guerre déclenchée, les tentatives continuent (bien que l’on n’ait pas systématiquement recensé les cas de 1939 au début 1940).
C’est sous l’Occupation (toute la Vendée est située en zone occupée à partir de l’armistice du 22 juin 1940) et le Régime de Vichy (à partir du 10 juillet 1940), dans une connivence maréchaliste et pétainiste que les cérémonies s’accélèrent, avec la bénédiction de l’Eglise, Mgr. Garnier jusqu’en janvier 1940, le vicaire capitulaire du diocèse de Luçon Mgr. Massé jusqu’en 1941, Mgr. Cazaux ensuite. Le 27 août 1940, A. de la Bassetière, maire de La Mothe-Achard et conseiller d’arrondissement, entouré de son conseil municipal, organise une « grandiose cérémonie » pour « consacrer la commune au cœur de Jésus ». A Saint-Hilaire-de-Mortagne, fin janvier 1941, le maire de Livonnière, entouré de son conseil municipal, place le Christ « à la place d’honneur dans la salle de la mairie ».
Certains maires ont déjà préféré démissionner plutôt que se soumettre au Régime. Jean Etoubleau, instituteur honoraire, maire de Beauvoir-sur-mer en août 1940 par exemple d’après La Voix de la Vendée. D’autres ont été démis de leurs fonctions tandis que toutes les instances démocratiques sont suspendues. La République parlementaire, ses institutions, sa constitution ont disparu au profit d’un « Etat Français », régime autoritaire, hiérarchique et personnel, réactionnaire, clérical et corporatiste. La loi du 12 octobre 1940 suspend les conseils généraux.
Une nouvelle loi municipale le 17 novembre 1940 modifie les conditions de désignation des maires. Plus d’élections, plus d’assemblées parlementaires…Sénateurs et députés disparaissent. A la place, le Régime de Vichy prône des institutions à sa botte tandis que la constitution promise et rédigée n’est jamais promulguée. Une chambre consultative dite « Conseil national » (qui siège de mai 1941 à avril 1942) sans véritable pouvoir, est instaurée (loi du 24 janvier 1941) ; les membres sont nommés par le Maréchal Pétain. L’ancien sénateur Léopold Robert, maire de Vendrennes y est désigné. A la place des conseils généraux, « définitivement » supprimés en août 1942, le gouvernement crée des commissions administratives, composée de notables. De janvier 1941 à mars 1943, Jean de Tingy du Pouët, ancien député, ancien conseiller général et président du conseil général, maire de Saint-Michel-Mont-Mercure, préside cette commission en Vendée, puis le conseil départemental qui y succède en mars 1943. En 1941, il y a déjà des municipalités mises sur la touche en Vendée. D’après Gérard Nocquet, dans 9 communes de moins de 2000 habitants, le préfet procède à la révocation de deux maires, d’un adjoint et de neuf conseillers municipaux. Ce sont les préfets alors dotés de pouvoirs élargis qui, par arrêté, prononcent ces changements.
Par exemple, en mars 1941, le préfet Gaston Jammet arrivé en octobre 1940 (le précédent étant démis), nomme à Fontenay-le-Comte (Roger Guillemet, maire), Luçon (Gaston Gibau, maire), au Boupère, à Pouzauges (Charles Mignen, maire), à Saint-Michel-en-L’Herm, à La Roche-sur-Yon (Léon Tapon, maire) ou à Saint-Jean-de-Monts, tout ou partie des conseils municipaux. Au Poiré-sur-Vie, le nouveau maire J. Dugast, installé en avril 1941, organise immédiatement une cérémonie bien orchestrée. La croix bénie portée à la Mairie en procession illustre bien l’allégeance cléricale. Même chose à Chavagnes-en Paillers où, « le soir de Pâques, à l’issue des Vêpres, le crucifix a été solennellement intronisé en notre nouvelle mairie ». Le nouveau maire, le vicomte Gilbert de Guerry de Beauregard ( fils ), et son conseil, installent eux aussi le christ « à la place d’honneur, dans la salle des délibérations et des mariages ». Confusion soigneusement entretenue entre la paroisse et la commune…
Il est vrai que la plupart des édiles et donc des élites vendéennes se retrouvent pleinement dans les valeurs de l’Ordre Nouveau, de la Révolution Nationale. Pour certains nostalgiques de l’Ancien Régime, le pouvoir réintroduit un projet de découpage administratif en provinces, les satisfaisant pleinement. Tout autant que la remise en cause de la laïcité scolaire avec la réforme de l’enseignement, la révision des manuels scolaires, la suppression des Ecoles Normales d’instituteurs saluée comme « la mort de l’esprit primaire », la liberté d’enseignement rendue aux congréganistes, la réintroduction de l’enseignement religieux à l’école primaire et les subventions largement accordées aux écoles dites « libres ». De nombreux conseils municipaux avaient d’ailleurs anticipé en finançant très largement ces écoles.
A partir de 1942, surtout d’avril 1942 avec le retour de Laval aux affaires, « rester en sa mairie ou être nommé dans un conseil départemental revient à s’associer explicitement au Régime, en soutenant symboliquement sa ligne, en l’aidant à accomplir ses basses œuvres » (Olivier Wieviorka, Les orphelins de la République, Seuil 2001), en ce qui concerne la chasse aux juifs ou les requis du STO (service du travail obligatoire) par exemple. En 1942, à Sainte-Flaive-des-Loups, Mgr. Cazaux préside la cérémonie d’ installation du crucifix : « On a voulu enlever le Christ à la France. Mais la France peut-elle être la France sans le Christ ? A la Mairie dorénavant, nos regards rencontreront les deux symboles qui doivent nous entraîner : le Christ et le Maréchal, Dieu et la Patrie ». Et ce ne sont là que quelques exemples, la liste est loin d’être exhaustive…
Il y eut aussi des cérémonies d’intronisation « du Christ à l’usine » dans le cadre de la collaboration des classes prônée à l’époque, avant même la proclamation de la Charte du Travail (loi d’octobre 1941) et les syndicats uniques (août 1942). Le Régime a dissous les associations, les confédérations syndicales dès 1940 . Le 1er décembre 1940, patrons et ouvriers participent à La Verrie, à la bénédiction des nouveaux bâtiments de l’usine de chaussures Vigneron frères. Le directeur ne manque pas d’exalter « la grande famille de l’usine » . Le crucifix placé dans les ateliers, les ouvriers pourront lui consacrer leur travail. Mais il est vrai qu’il s’agit là d’un cas différent du « Christ à la Mairie » puisque ce sont des bâtiments privés alors que la Mairie est le symbole de la citoyenneté républicaine.
A la Libération, la plupart de ces intrusions de crucifix dans les mairies ne semble pas avoir été remises en cause. Des conseils municipaux et des maires ont subi l’épuration (suspensions, inéligibilité…), peu somme toute d’après les travaux de Yves Hello et de Gérard Nocquet. Sur 306 communes, 214 municipalités furent maintenues, 26 furent suspendues, 66 firent l’objet d’une suspension à l’encontre d’un ou de plusieurs membres. Quant aux maires, 66 sont suspendus. Par exemple, le maire de Chavagnes-en-Paillers cité subit l’inéligibilité (jury d’honneur du 23 juin 1945) ; l’ancien sénateur Raymond de Fontaines, maire de Bourneau, est suspendu de ses fonctions de maire le 17 octobre 1944. Le maire de Saint-Michel-Mont-Mercure, Jean de Tinguy du Pouët n’est pas relevé de son inéligibilité, pas plus que Jean Yole, maire de Vendrennes de 1933 à 1945.
La presse à la Libération
La confusion entre paroisse et commune demeure, parfois entretenue par les maires jusqu’à la fin du XXème …dans une trentaine de communes (pendant longtemps à Saint-Vincent-sur-Graon, Sainte-Flaive-des-Loups ou à Saint-Florent-des-Bois par exemple…) ! D’aucuns maintiennent ces pratiques, s’abritant derrière le prétexte du respect des mentalités locales, d’autres croient détourner le problème en plaçant « personnellement » le crucifix dans leur bureau…
La Libre Pensée en Vendée a participé en 1999 avec le CVLM (Comité vendéen pour une laïcité militante) et « Une Vendée pour tous les Vendéens » à une campagne pour demander aux maires en délicatesse avec la loi de Séparation de retirer les crucifix de l’espace public, position également défendue par la Ligue des Droits de l’Homme. Car dénoncer ne suffit pas, il faut faire respecter la loi de Séparation de même qu’il faut supprimer tous les héritages malsains de cette législation vichyste, la loi du 25 décembre 1942 par exemple, qui a modifié l’article 19 de la loi de Séparation permettant de subventionner certains « lieux du culte public ».
Florence Regourd
paru sur le site : Le portail des Fédérations de la Libre pensée le 17 février 2009 ; espace Lp85. N°55.
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