Par quels mécanismes les professionnels de la politique accumulent-ils du crédit médiatique ? Le cas exemplaire d’un politique exemplaire devenu Président. Un cas de plagiat. Impossible sans les connivences qui autorisent le silence autour du plagiat.
L’imposture est monnaie courante pour fabriquer des livres qui servent d’abord à la promotion médiatique de leurs auteurs (Alain Minc, Jacques Attali, Bernard-Henri Lévy ont déjà été condamnés pour plagiat, ce qui n’empêche pas leurs carrières…). Ce type d’imposture exprime bien sûr un mépris considérable pour le véritable travail de recherche et pour ceux qui patiemment le développent. Mais il y a plus grave. Car révéler que la plupart des professionnels de la politique n’écrivent pas les livres qu’ils signent, ne vaudrait pas une heure de peine si l’enquête ne montrait pas, en premier lieu, les mécanismes qui, structurellement, rendent cette pratique non seulement commune mais possible, normale, acceptée et tue.
En l’espèce, et tout d’abord, la complaisance de maisons d’édition obnubilées par le passage de leurs « auteurs » dans les médias, pour - tout au moins les éditeurs le croient-ils - « booster » leurs ventes. De sorte que faire signer une star de la politique semble aux éditeurs, à chaque fois « un bon coup ». Que leur importe alors qui rédige l’ouvrage, et plus encore sa qualité, ou a fortiori son originalité et son origine. Ce genre d’arrangements ne serait pas devenu si courant, si les attachés de presse des grandes maisons d’édition ne pouvaient compter sur d’honorables correspondants dans la presse ou à la télévision, tout heureux d’exhiber (dans leurs émissions ou dans leurs chroniques) telle ou telle vedette politique dans un rôle plus ou moins inattendu ; ce qui, en tout cas en ont-ils intériorisés l’espérance, les fera être lus ou gonflera leur audimat. Et puis, il y a le silence des autres professionnels de la politique.
Ceux qui savent mais se taisent, parce qu’eux-mêmes ou leurs patrons en politique ont également signé des livres qu’ils n’ont pas écrits. Ceux qui savent donc, mais dont les carrières politiques tiennent au succès public des vedettes politiques qu’ils soutiennent, de ces vedettes dont les réseaux sont susceptibles d’accélérer ou de ralentir leurs carrières. Sans doute y-a-t-il d’ailleurs quelques coïncidences entre l’autonomisation progressive d’un champ politique où l’horizon de l’engagement consiste de plus en plus à effectuer une carrière d’élu, et ce silence de connivence, qui préserve du discrédit les règles d’un jeu dont beaucoup de responsables de partis, à tout niveau, escomptent des rétributions. Qui dévoilera, dans ces conditions, l’une des « lois du milieu », sans risquer les représailles de quelques parrains ? Alors qu’accéder à une position de pouvoir politique a, pour ceux qui finalement y parviennent, déjà souvent coûté cher (en temps, en dévouement, en amitiés perdues, en coups personnels reçus, en docilité…). Le plagiat ou le recours à quelques « nègres » ne relève donc pas seulement d’une économie de temps, pour les plus reconnus (et les plus « surbookés ») des professionnels de la politique, qui fréquemment cumulent tant de fonctions électives, qu’ils ne peuvent pratiquement pas se consacrer à tel ou tel travail de plume, et a fortiori jouer avec leurs agendas, distraire de leur temps pour telle ou telle recherche.
La multiplication récente de ces livres signés par de « grands politiques », la prolifération de ces livres qu’ils n’ont pas écrits, n’est ainsi rendue possible qu’autant que les anticipations (notamment commerciales) des éditeurs rencontrent les anticipations des promoteurs médiatiques de ces ouvrages (qui de ces promotions espèrent leur promotion propre). Cependant que les autres politiques ne disent rien, parce que leurs intérêts à se taire sauvegardent l’espace professionnel où ils développent leurs carrières spécifiques.
Mais en l’espèce, un exemple indiquera mieux ces mécanismes, et jusqu’aux silences qui les autorisent : la promotion de Nicolas Sarkozy
L’affaire débute en 1994. Nicolas Sarkozy, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement, commence à organiser les réseaux Balladur qui promotionneront son mentor à la présidentielle de 1995. Le maire de Neuilly n’est néanmoins pas le seul dans l’opération et souffre même d’un déficit de notoriété par rapport, par exemple à François Bayrou, Charles Pasqua, François Léotard…qui disposent soit des partis qu’ils dirigent, soit de réseaux plus anciens, plus puissants, et d’une reconnaissance antérieure. Pour s’imposer davantage parmi ses associés-rivaux en tête de file des balladuriens, tout au souci, donc, d’accroître son crédit public en cumulant capital politique, « profondeur intellectuelle » et reconnaissance médiatique, il « écrit » alors une biographie intitulée Georges Mandel, le moine de la politique (éditions Grasset, 1994), probablement « assisté » par un nègre (selon les rumeurs : Roger Karoutchi, agrégé d’histoire, professeur, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence, et auteur d’une biographie de Jean Zay ; à présent Secrétaire d’État chargé des Relations avec le Parlement). L’ouvrage est matière à concert de louanges, et sans aucune fausses notes salué par la critique. Le Monde juge cette « étude » fort pertinente. Globe hebdo (dirigé par Georges-Marc Benamou, plus tard conseiller spécial à l’Elysée pour la Culture) évoque longuement cette « remarquable biographie ». Paris Match et TF1 offrent à l’auteur de se livrer sur sa passion pour Mandel en de longs entretiens...La biographie signée Nicolas Sarkozy s’élève dans la liste des meilleures ventes en librairie. L’année suivante en est même tirée une adaptation télévisée, Le Dernier Été, réalisée par Claude Goretta (primé en 1977 au festival de Cannes pour La dentellière), « d’après l’oeuvre de Nicolas Sarkozy sur Georges Mandel », avec Jacques Villeret et Catherine Frot dans les premiers rôles. Elle passe en « prime-time » sur France 2, en 1997. Et le DVD, commercialisé par la suite, contient en bonus « un entretien avec Nicolas Sarkozy ».
Quelques années plus tard, Georges Mandel, le moine de la politique sera récurremment utilisé par le candidat à l’Elysée qui, par l’exaltation des grands hommes de la Patrie (y compris Jaurès), et d’incessantes références à l’héroïsme de la Résistance (cf Guy Môquet), n’omet pas, en une auto-héroisation par Mandel autorisée, de souligner les parallèles entre Georges Mandel et lui-même - ce qui, contre la gauche, en une représentation de la France réconciliée (dont il serait l’ultime incarnation), lui offre de s’élever à la hauteur de la fonction présidentielle, quand l’handicapent encore ses habits de ministre de l’intérieur et sa trahison de Jacques Chirac (que les réseaux Chirac peinent à lui pardonner).
Qu’on nous autorise ici un a parte. On le sait, dans son curriculum vitae, Nicolas Sarkozy mentionne un mémoire sur le référendum de 1969 avec une insistance inhabituelle. Il l’a aussi évoqué durant la campagne présidentielle. Depuis la publication récente de ses notes en DEA de sciences politiques, on sait que sa note de 16 sur 20 peut donner à son « auteur » des motifs de fierté. Faute de trouver trace matérielle de ce mémoire… on se perd en conjectures sur une note aussi élevée pour un objet de recherche aussi compliqué. Pour apprécier la compétence de son auteur, tout porte donc à se reporter à une autre de ses « œuvres ». Dans une bibliographie comportant plusieurs livres, l’ouvrage le plus célèbre de Nicolas Sarkozy, celui sur Georges Mandel, peut paraître le mieux indiqué. Puisque cette biographie d’un homme politique du vingtième siècle doit - tout au moins peut-on le supposer - faire appel à la même combinaison de compétences à la fois historiennes et politologiques, que celles mobilisées dans son mémoire de DEA.
Nicolas Sarkozy n’a pas été le premier à chercher un modèle dans un homme politique prestigieux [1]. Avec l’alibi des racines locales, certains dirigeants de la République se sont même faits les panégyristes de monarques. L’appétence des professionnels de la politique pour le genre biographique exprimant, au passage, la représentation individualisée et héroïsée qu’ils se font de leur activité. Plus modestement, le jeune ministre du budget du gouvernement Balladur avait trouvé en Georges Mandel un miroir. Les principaux titres de gloire de Mandel furent d’avoir été chef de cabinet du Tigre en 1917. Il était devenu, par la suite, gestionnaire efficace : comme ministre des Postes puis comme ministre des Colonies… Il avait aussi refusé l’armistice en juin 1940, avant d’être auréolé du martyre quand il fut assassiné par la Milice en juillet 1944. Mais Georges Mandel représente surtout pour son biographe une justification de la vocation, car il fut « l’homme d’une passion qui l’a habité dès son plus jeune âge : la politique » (N.S, p. 11).
La personne qui a suggéré à Nicolas Sarkozy de prendre un tel modèle ne souhaitait probablement pas explicitement multiplier les parallèles entre le passé et le présent. Certains sont néanmoins troublants. Georges Mandel avait lui aussi, changé de nom pour faire de la politique, troquant, en une période où l’antisémitisme mobilisait les Ligues d’extrême-droite et au-delà, celui, très « connoté » de son père, commerçant du Sentier pour celui, plus discret, de sa mère. Il avait toute sa vie souffert des moqueries sur sa petite taille et sur son physique ingrat. Ses études ne dépassaient pas le baccalauréat, ce qui n’était pas rien avant 1914. Mais cela ne suffisait pas pour rivaliser avec quelques grands personnages de la Troisième République. Du coup, Georges Mandel prétendit publiquement avoir fait des études à Normale Sup ou bien à l’université de Paris. La supercherie fut découverte et lui valut les quolibets d’adversaires comme Poincaré qui le félicita de la précision d’un exposé parlementaire digne de « Normale sciences » ou d’autres qui le qualifièrent de « anormalien ». L’homme avait du caractère et savait se défendre. Il était notamment spécialiste des « petits papiers » compromettants en campagne électorale, et compromettants à la Chambre des Députés. Sa placidité le mit aussi à l’abri des nombreuses vexations auxquelles condamnait, selon lui, la politique. Son parrain dans la carrière, Georges Clémenceau, ne fut pas toujours tendre à l’endroit du jeune rédacteur de l’Aurore : « Mandel, vous ne saurez jamais écrire. Contentez-vous d’un sujet, d’un verbe et d’un complément direct. Quand vous aurez besoin d’un complément indirect, venez me voir, sinon vous êtes irrémédiablement foutu ».
Georges Mandel, Le moine de la politique (Grasset, 1994), signé Nicolas Sarkozy, est une biographie bien informée et plutôt bien écrite. Elle mérite pourtant une forte critique : c’est un plagiat [2].
Le plagiat d’un livre obscur, publié 25 ans plus tôt, aux éditions Pédone en 1969, écrit par Bertrand Favreau, à partir d’un mémoire soutenu à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux : Georges Mandel, un clémenciste en Gironde [3]. Malgré son sous-titre, cette biographie embrasse en effet la totalité de la carrière de Mandel et non seulement sa carrière d’élu de l’arrondissement de Lesparre, dans le Médoc. L’étude est citée de manière louangeuse en introduction du Georges Mandel, Le moine de la politique, paru sous le nom de Nicolas Sarkozy. C’est bien la moindre des choses. Sauf quelques additions, tirées d’ouvrages sur l’histoire politique de la Troisième République et postérieurs à l’original, sauf le témoignage de la fille de George Mandel « à l’auteur », c’est une compilation d’ensemble qui module les formules, coupe les citations, mais reprend si exactement les analyses, au demeurant très classiques, qu’un tribunal aurait du mal à isoler des emprunts précis. Il s’agit d’un emprunt général et diffus. Prenons cependant, et simplement, quelques exemples qui concernent autant les interprétations que les descriptions [4].
Le premier discours à la Chambre est évoqué en ces termes par Nicolas Sarkozy : « Seul Léon Daudet lui apporta son soutien. Un soutien compromettant » (N. Sarkozy, p. 102). Ce n’est, pour le moins, guère éloigné de ce qu’en écrit Bertand Favreau : « Seul Léon Daudet lui apporta sa compromettante approbation » (B. Favreau, p. 108). Mandel est-il plutôt passif dans les événements tragiques de juin 1940 ? L’un écrit après l’autre : « En fait Mandel a choisi délibérément une attitude de relative réserve, d’abord à cause de l’amitié qui le liait à Reynaud » (N.S, p. 269). L’original expliquait : « Ce qui frappe dans le Conseil des ministres de juin, c’est sa réserve. Il croyait fermement en Reynaud… » (B.F, p. 225). Mandel ne se résout pas à quitter la France, l’interprétation est simple : « Le « juif Mandel » ne voulait pas faire à ses adversaires le plaisir de dire qu’il avait déserté… » (N.S, p. 272) ; Bertrand Favreau écrivait : « Mandel, qui toute sa vie avait entendu des sarcasmes relatifs à sa religion, ne voulait pas que l’on puisse dire que le « juif Mandel » avait déserté » (B.F, p. 226).
Pourquoi changerait-on une description précise au point de paraître romancée ? A propos de l’arrestation de Mandel, l’ouvrage signé Nicolas Sarkozy indique : « Il déjeunait en compagnie de Béatrice Bretty au Chapon Fin. Le même colonel de gendarmerie se présenta à leur table et lui enjoignit de le suivre à la caserne de la gendarmerie rue Judaïque. Motif de l’arrestation ? « Menées contraires à l’ordre public. » On le soupçonnait d’amasser des armes afin de fomenter un complot. Rien de moins… Or, depuis son départ en pleine nuit du ministère, Mandel n’avait eu le temps que d’installer sa famille à l’hôtel Royal Gascogne (N.S, p. 273-274). Le texte de Bertrand Favreau : « Mandel prenait ses repas au Chapon Fin. Le 17 juin, il déjeunait en compagnie de Béatrice Bretty. Au dessert, le colonel commandant la gendarmerie se présentait et enjoignait à Mandel de le suivre. Il était porteur d’un ordre d’arrestation visant non seulement Mandel mais également le général Bürher. Motif : « Menées contraires à l’ordre public. » Le motif avoué de l’arrestation : Mandel était suspecté d’avoir fait assembler des armes en vue d’un complot. Raison inavouée : la haine de Raphaël Alibert, sectaire antisémite d’extrême droite » (B.F, p. 230).
Mais, poursuivons. Comment Georges Mandel fut-il transféré en métropole depuis le Maroc où il était prisonnier à la suite de l’affaire du Massilia ? La biographie signée Sarkozy relate ainsi l’épisode : « L’ancien maire de Bordeaux et ministre de l’Intérieur Adrien Marquet avait dépêché de Vichy un inspecteur de police chargé de ramener l’ancien ministre. Il se nommait Mondanel, inspecteur général des services de police criminelle. Deux cent cinquante policiers, pas moins, entourèrent l’avion spécial qui convoiera Mandel » (N.S, p. 287) ; le texte de Bertrand Favreau, non cité, est encore une fois reproduit : « Le nouveau ministre de l’Intérieur de Vichy, Adrien Marquet, envoya de métropole un inspecteur de police chargé de ramener Mandel en France pour l’y incarcérer. L’inspecteur de police Mondanel fit aussitôt monter Mandel dans un avion sous la protection de 250 policiers » (B.F, p. 240).
Enfin, sur l’implantation locale de Mandel dans le Médoc, le modèle girondin s’imposait comme une « référence incontournable » : « Le contingent des Médocains désormais membres de l’administration des Postes n’avait d’égal que le nombre des maires de la circonscription de Lesparre qui arboraient « grâce au député » le ruban rouge de la légion d’honneur » note Nicolas Sarkozy (p. 208). Lisons Bertrand Favreau : « En 1936, rares étaient les Médocains qui n’avaient pas une fille, un père, un frère, une cousine ou une tante dans un bureau de poste. Mandel avait placé les Médocains discrétionnairement. Il ne comptait plus ses obligés. Quelques trains de « Légion d’honneur » avaient accru la ferveur des maires qui le soutenaient » (p. 197). Quant aux citations inclues dans Georges Mandel, Le moine de la politique, elles sont quasiment toutes empruntées à Georges Mandel, un clémenciste en Gironde. Quasiment toutes empruntées à l’original. Parfois cité, le plus souvent non cité. Mais il eut fallu citer l’ouvrage de Bertrand Favreau, tant de fois [5]…
Nous renvoyons les lecteurs à la comparaison in extenso des deux ouvrages.
Il n’est pas besoin de se livrer à une analyse stylistique sophistiquée pour remarquer que, tout au long de l’ouvrage, le style diffère des tournures de phrase caractéristiques de Nicolas Sarkozy. Cette écriture est d’un autre « auteur ». Mais pour plagier avec un minimum d’adresse, il faut du temps, trop de temps pour un homme occupé par sa carrière politique. Le plagiat adroit valait bien les 50 000 francs de l’époque payés à la plume mercenaire, au « nègre », comme on le dit depuis Buffon dont le secrétaire de couleur écrivit de nombreux textes. Pour ce prix, il était impensable, pour le « nègre », d’effectuer une vraie recherche.
On ne doute pas que des gens se piquant de réalisme jugent qu’il n’est assurément pas plus grave de plagier les travaux universitaires que de s’accorder des diplômes, et qu’après tout, cela se fait couramment. Ou que les éditeurs n’ont qu’à faire leur travail, eux dont les contrats incluent pourtant une clause d’originalité engageant la responsabilité des auteurs. Ce sont les mêmes qui s’insurgent devant le moindre atteinte à la propriété dont ils sont la victime ou pourraient être la victime.
En matière intellectuelle, il n’y aurait ainsi pas de propriété mais un domaine public sauf si, comme à propos du piratage sur Internet, dont on nous explique qu’il est un vol, les entreprises de lobbying agissent auprès des gouvernements et des parlementaires. La définition du vol est aussi un rapport de force.
Pour considérer que le plagiat est un vol, il faut que les idées aient de la valeur ou porter encore un minimum de considération au travail intellectuel. Pour les victimes de plagiat, il est aisé de le mesurer au regard de leurs réactions atterrées. Dans ce cas précis, l’auteur de l’original eut la consolation rare d’être fort opportunément contacté par une grande maison d’édition pour rééditer (dans une collection de prestige) une version remaniée de sa biographie originale…deux ans après celle de Nicolas Sarkozy, et une fois la promotion de celui-ci terminée [6]. Bertrand Favreau n’avait pas porté l’affaire devant la Justice. A son grand étonnement d’ailleurs, il sera même récompensé par le prestigieux Prix de l’Assemblée Nationale, remis en mains propres par un Philippe Seguin, au terme d’un discours somme toute assez sybillin - rédigé paraît-il par Roger Karoutchi.
Après tout, pour ceux qui ont recours au plagiat ou aux « nègres », la conscience du préjudice existe d’autant moins que la dette leur semble avoir été réglée une fois pour toute, dès lors que la vedette qui signe l’ouvrage, daigne citer l’inconnu qui l’a auparavant largement « inspiré ».
Reste quelques questions un peu sérieuses. Et d’abord, celle-ci : faut-il prendre les idées, ces biens immatériels par excellence, au sérieux ? Quelques rares lignes, cette fois de la main de Nicolas Sarkozy, en disent finalement plus long à ce sujet que sur leur sujet. S’agit-il de suggérer, en introduction et en conclusion, un sens général de la vie du personnage ? « Non, le destin de Mandel n’est pas inachevé. Il est, tout simplement, et c’est déjà beaucoup » (N.S, p. 10). Est-ce si sûr, quand on lit quelques centaines de pages plus loin : « Quand enfin, il comprit, il était déjà trop tard. Ce fut injuste. Ce fut cruel. Mais ce fut ! Il fallait la passion. Mandel l’avait. Il fallait la contenir. Mandel ne le sut pas toujours. Elle emporta tout sur son passage, ne laissant que le souvenir d’un destin qui aurait pu être achevé » (N.S, p. 323). Inachevé ? Achevé ? Nicolas Sarkozy ne sait pas très bien ce qu’il en pense. D’ailleurs, quelle importance ? La question est vaine. Et quelle importance que de comprendre ? Le style déclamatoire présente une histoire où les choses furent ou sont, « tout simplement ». Il n’y a donc pas grand-chose à comprendre et à penser quand le réel est là. En pointillé, tout un programme sur l’inutilité du savoir.
Notes [1] Pendant sa « traversée du désert », consécutive à son soutien au candidat Balladur, Nicolas Sarkozy courait d’ailleurs les plateaux de télévision en se drapant dans le modèle de Georges Mandel…Voir, donc, Nicolas Sarkozy, Georges Mandel, Le moine de la politique, Paris, Grasset, 1994.
[2] Rappelons la définition légale du plagiat selon les termes de l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle : toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
[3] Bertrand Favreau, Georges Mandel, un clémenciste en Gironde, Paris, Pedone, 1969.
[4] On invite, pour une comparaison complète, le lecteur à une analyse suivie des deux ouvrages : le cadre limité de cet article ne permettant pas, bien entendu, de reproduire l’ensemble des nombreux passages plagiés.
[5] A toutes fins utiles et pour renvoyer à cet ouvrage, rappelons l’excellente étude d’Adrien Le Bihan, Les fourberies de Clisthène, procès du biographe élyséen de Georges Mandel, éditions du Cherche-Bruit, Paris, 2008, consacré à cette biographie de Mandel. On notera que depuis un an, plus rien n’a été dit nulle part sur cette étude et l’ouvrage d’Adrien Le Bihan est devenu introuvable.
[6] Voir Bertrand Favreau, Georges Mandel ou la passion de la République, Paris, Fayard, 1996.
Date | Nom | Message |