Les trois tiers, un gadget pour éluder la question des salaires

vendredi 20 février 2009.
 

Plus c’est gros, plus ça passe : en évoquant la « règle des trois tiers » pour la répartition des bénéfices des entreprises, Nicolas Sarkozy a semé la confusion dans l’opinion et le patronat… et enterré le débat central de la crise : celui des salaires.

Sarkozy connaît bien la règle des trois tiers : un tiers d’effet d’annonce, un tiers d’approximation et un tiers d’ignorance. En évoquant comme une « mesure de justice » la répartition égale des bénéfices des entreprises entre dividendes, investissements et salariés, le président de la République a déjà fait souffler sur le rendez-vous social du 18 février un vent de folie dans lequel tous ont été emportés… sauf les économistes !

Car, si le gros chiffre de 1/3 pour chacun paraît « juste », il ne l’est que dans l’absolu : « selon l’entreprise ou le secteur concerné, la configuration financière est totalement différente, insiste l’économiste Jean-Luc Gréau. Dans le bâtiment ou les entreprises de service, c’est applicable et parfois même appliqué, comme dans les entreprises coopératives (les Scoop). Mais dès qu’il y a beaucoup de matériel et des investissements en recherche et développement importants, comme dans l’industrie lourde, métallurgie, pneumatique et autre… cela devient impossible ! »

Double discours dans la majorité

Un tiers, un tiers, un tiers, « une mesure de justice », insistent Xavier Bertrand et autres zélateurs du Président. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, félicitait ainsi Guillaume Pépy, patron de la SNCF, pour la prime de 207€ (baptisé pour l’occasion dividende salarial) qui sera versée en février aux 158000 cheminots de l’entreprise au titre des 460 millions de bénéfices prévisionnels pour 2008. « La généralisation du dividende salarial serait un puissant mécanisme de reconnaissance de la coproduction des richesses par la réhabilitation du travail de l’entreprise », encourageait le député des Hauts-de-Seine.

Seulement voilà : 158000x207€ = un peu moins de 33 millions, soit 1/14e des bénéfices. On est loin du tiers promis, en vertu duquel la prime que la SNCF aurait dû verser se serait élevée à… plus de 2700€ par agent ! Détail important : en 2008, les cheminots avaient déjà touché 200€ pour des bénéfices annuels de plus d’un milliard d’euros…

Le message est d’autant plus brouillé que le discours n’est pas homogène. Ainsi, pour le groupe Total, c’est le PCF qui exige un minimum de répartition des bénéfices. L’UMP, lui, fait appel à la solidarité pour que les 12,2 milliards de bénéfices financent la prime à la cuve !

Une position d’autant plus ambivalente que l’Etat actionnaire lui-même est loin d’appliquer cette règle des trois tiers. Au titre de l’année 2008, il a perçu 5,6 milliards d’euros de dividendes, soit quatre fois plus qu’en 2005 où il n’avait perçu que 1,4 milliard. Parmi les entreprises concernées, EDF, malgré un résultat en baisse de 39% en 2008, a maintenu ses dividendes aux actionnaires à 1,28€ par action. Le tout, évidemment, au détriment des salariés.

Parisot part en vrille

L’autre bataille se livre sur le front du « constat » de la situation actuelle. Une étude l’Insee, publiée dans Les Echos du 18 février, rapporte ainsi que la part de l’investissement dans l’excédent brut d’exploitation des entreprises s’élève à 52%, celle des dividendes à 42% et celle des salariés… à 5,5% !

Voilà qui laisse de marbre Laurence Parisot, la patronne du Medef : « le profit distribuable se répartit en deux : les dividendes et l’autofinancement, a-t-elle soutenu. Il n’a donc pas à être divisé en trois. Cela touche à un principe essentiel, le droit à la propriété ! » Et la représentante des pdg de comparer, avec une évidente mauvaise foi, les 72 milliards de dividendes en 2008, les 147 milliards d’investissements … et les 672 milliards d’euros de salaires ! Terrible oppression sociale pour les patrons : il faut payer les employés !

Les salaires : la clé du problème ?

« Ce qu’il y a de bon dans ce débat, c’est qu’il relance la question de la participation des salariés, souligne Jean-Luc Gréau. L’Etat et les partenaires sociaux pourraient réfléchir à un intéressement, pas forcément aux bénéfices, peut-être à la valeur ajoutée. Mais, en définitive, c’est le problème de la rémunération en général qui se pose. »

Daniel Fortin, journaliste aux Echos, souligne une grave faiblesse de la règle des trois tiers : « Défendre la règle des trois tiers, c’est prendre la défense de salariés plutôt mieux traités que les autres : ceux des grandes entreprises, les seuls pouvant prétendre à ce Graal par le jeu cumulé de l’actionnariat, des compléments de salaires ou autres avantages en nature. » Et de conclure que, entouré de patrons comme il est, Nicolas Sarkozy ne peut guère exiger la mise en place d’une telle règle, impensable pour les pdg de grandes entreprises et sans intérêt pour les PME.

Quant aux syndicalistes, peu de chance qu’ils jouent cette carte : « S’ils vont parler partage des profits le 18 février, ils viendront avant tout pour demander des hausses de salaires. »

Bref, la règle des trois tiers n’est rien d’autre qu’une façon de détourner l’attention de la question de salaires !

Sylvain Lapoix


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message