Gaza : la logique de la guerre coloniale (par Denis Collin)

lundi 12 janvier 2009.
 

Qu’ajouter à ce qui est dit maintenant un peu partout ? Les opérations militaires israéliennes contre Gaza sont des crimes et c’est tout. Selon les méthodes de leurs maîtres américains, les Israéliens pratiquent le bombardement des villes et considèrent les assassinats d’enfants, de vieillards, d’hommes et de femmes désarmés comme de regrettables « dommages collatéraux ».

Autre dommage collatéral : les dirigeants israéliens font chaque jour infiniment plus pour alimenter l’antisémitisme que les spectacles débiles de Dieudonné. Si les descendants des victimes de l’entreprise nazie deviennent à leur tour des massacreurs, à quoi bon la mémoire du crime contre l’humanité ? Je sais bien qu’on ne peut pas demander aux gouvernants de l’État hébreu d’être des saints et fermer les yeux sur les exactions que perpètrent la plupart des autres gouvernements. Après tout, les Israéliens se conduisent à Gaza comme les Russes en Tchétchénie, comme les Chinois au Tibet, comme les Rwandais au Kivu, comme les États-uniens en Irak ou en Afghanistan et ainsi de suite. Mais on s’étonne de la différence de traitement : nos intellectuels si prompts à courtiser le pape des bouddhistes ou à voler au secours des intégristes islamistes tchétchènes se taisent, dans le meilleur des cas, ou plus souvent accusent d’antisémitisme ceux qui dénoncent les crimes d’Israël.

Si on veut comprendre quelque chose, il faut rechercher les causes. Formellement, la cause immédiate de l’opération en cours est la reprise des tirs de roquette lancés par le Hamas sur les villes israéliennes proches (*). Longtemps financé par l’Arabie Saoudite, propulsé par la diplomatie et les services secrets israéliens pour lutter contre le Fatah et l’OLP laïque, le Hamas (sunnite) a échappé à ceux qui pensaient le manipuler et s’est allié au Hezbollah (chiite) et conserve un contrôle serré sur la bande de Gaza en dépit de la faible résistance du Fatah.

Mais à son tour l’évolution du Hamas et ses succès dans les territoires occupés découlent de ce qu’il est convenu d’appeler « échec du processus de paix ». En vérité, il n’y aucun échec du processus de paix. Ce « processus » mis en route sous autorité américaine vise à disloquer la résistance palestinienne (unie jadis dans l’OLP) et y pas plutôt réussi : « l’autorité palestinienne » de Ramallah devenue un représentant fantoche des puissances occidentales est minée par la corruption. Dans le même temps, la colonisation israélienne n’a aucun répit. Le soi-disant processus de paix ressemble à s’y méprendre à la stratégie des colons blancs face à aux Indiens en Amérique du Nord : les traités avec les nations indiennes ne servaient qu’à organiser la division, gagner un peu de temps avant la prochaine violation des traités, pour finalement réduire les survivants des peuples indigènes dans des réserves aussi inhospitalières que possible. Le but du « processus de paix » n’est rien d’autre que la colonisation complète de toute la Palestine et l’enfermement des Palestiniens dans des « bantoustans » selon les méthodes de l’Afrique du Sud raciste du temps de l’apartheid (**), ce territoire « léopard » soumis à l’auto-administration d’une autorité palestinienne bidon chargée surtout de servir de gardiens aux ilotes dont l’économie israélienne pourrait avoir besoin.

Cette situation elle-même n’est pas tombée du ciel. Elle découle directement de la colonisation sioniste en Palestine et de la proclamation de l’État d’Israël en 1948. Les Occidentaux ont pu se dédouaner à bas prix des crimes commis contre les Juifs en payant leur dette sur le dos des Arabes. Le mensonge inventé par la propagande sioniste (la Palestine : « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ») s’est vite heurté à la réalité et la création de l’État juif s’est faite par le massacre des populations civiles (par exemple le massacre de Deir Yassin perpétré par l’Irgoun de l’ancien premier ministre Menahem Begin) et la déportation en masse – ce qu’on n’appelait pas encore « épuration ethnique » nécessaire pour confisquer les terres et les biens des Palestiniens. Bref, une guerre de conquête coloniale typique, dont la nouvelle génération d’historiens israéliens commence à révéler la réalité.

Parce que les Palestiniens sont d’abord les victimes d’une injustice terrible, il n’y aura pas de paix juste et durable sans la reconnaissance de cette injustice fondamentale, c’est-à-dire sans que soit reconnu le droit au retour pour tous les Palestiniens chassés de chez eux et qui continuent de vivre dans des camps, notamment au Liban.

Sur cette base, rêvons une minute, pourrait être construit un nouvel État laïque et démocratique qui traite sur un pied d’égalité citoyens israéliens et citoyens arabes palestiniens, musulmans, chrétiens, juifs et mécréants ! Cette solution, seule conforme aux idées révolutionnaires de 1789 et aux diverses déclarations des droits de l’homme a malheureusement peu de chance de s’imposer, d’autant que tous qui dominent l’opinion ici et n’ont que les mots « démocratie » et « droits de l’homme » à la bouche pensent visiblement que cela ne peut pas s’appliquer aux Palestiniens – une manière propre à nos tartuffes démocratiques de dire que tous ces Arabes ne sont pas vraiment des hommes – tout comme les colons américains proclament en 1783 la liberté et l’égalité de tous les hommes en oubliant les esclaves noirs.

Si l’application de nos propres principes est utopique, on pourrait proposer aux grandes puissances de respecter au moins la légalité internationale dont elles se réclament. Par exemple en appliquant la résolution de l’ONU qui institue le partage de la Palestine en 1948. Cela demanderait l’évacuation de tous les territoires occupés de Cisjordanie, de Gaza, du Golan et de Jérusalem-Est et de démantèlement de toutes les colonies juives dans les territoires occupés. Cela créerait la possibilité de construire un État palestinien à peu près viable à côté de l’État israélien et avec le temps les blessures pourraient cicatriser et peut-être même une confédération israélo-palestinienne pourrait-elle voir le jour.

Malheureusement on ne semble pas s’engager dans les voies de la paix et du simple bon sens. Les Israéliens se conduisent comme les « pieds noirs » en Algérie et ils y sont excités par tous les fauteurs de guerre (Américains et Européens principalement) qui préfèrent laisser un abcès de fixation au Proche-Orient car le désordre les sert, notamment pour garder le contrôle de toute la région si importante du point de vue géostratégique impérialiste. Les États arabes, pour l’essentiel, marchent la main dans la main avec Israël – c’est le cas en particulier de ces deux relais importants de la politique US que sont l’Égypte et l’Arabie Saoudite, sans oublier la monarchie jordanienne, grande massacreuse de Palestiniens lors des événements de 1970 (« septembre noir »). La puissance militaire israélienne, avec plusieurs centaines de têtes nucléaires suffit à dissuader les autres. Une fois de plus, les Palestiniens peuvent vérifier que l’unité et la solidarité du monde arabe n’est qu’un slogan qui sert surtout à protéger les monarchies pétrolières et les diverses tyrannies amies des USA.

Quant aux soutiens internationaux sur lesquels pourraient compter les Palestiniens, la décomposition politique a atteint un tel degré qu’on ne peut guère espérer un mouvement de grande ampleur.

Pour les uns, l’antisionisme devient le point de départ d’un retour en force de l’antisémitisme (un amalgame qu’entretiennent de leur côté les lobbies des « amis d’Israël »). Contre tout bon sens, certains vont même jusqu’à affirmer que la politique américaine est dictée par « les Juifs » infiltrés partout. Comme si l’impérialisme US avait besoin de la pression juive pour se comporter en impérialisme. La réalité est bien différente : ce sont les impérialistes qui utilisent et instrumentalisent les Juifs, la mémoire de la Shah et le soutien à Israël pour leurs propres besoins – quitte à les laisser tomber d’ailleurs si l’affaire tourne mal. Le sort de certains anciens amis des USA devrait servir de leçon aux Israéliens qui croient toujours pouvoir compter sur l’Oncle Sam pour se donner le droit de faire n’importe quoi.

Ce qui croient être utiles au peuple palestinien en comparant la politique d’Israël à l’extermination des Juifs par les nazis se trompent tout aussi lourdement. Israël n’a nul envie de détruire les Palestiniens en tant que tels. Toutes les exagérations absurdissimes déservent la cause qu’elles prétendent servir. Répétons-le : s’il faut de précédents historiques, l’Afrique du Sud de l’apartheid ou la colonisation française en Algérie sont plus éclairants.

Enfin, on se demande comment tous les gauchistes et autres démocrates de gauche qui combattent farouchement les droits nationaux, ne cessent de déclarer la nation « ringarde » le « nationalisme » le premier danger nous menaçant, comment tous ceux-là donc peuvent sérieusement défendre les droits nationaux du peuple palestinien. Les partisans de la « multitude nomade », les disciples de Negri et les lecteurs acharnés d’Empire devraient condamner ces obstinés de Palestiniens qui ne bénissent pas leur nomadisme obligatoire et ne veulent pas s’intégrer dans « l’Empire » américain seul véritable porteur de l’universalité selon ces éminents maîtres à penser de toute une partie de la prétendue « gauche radicale ».


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