CNRS : chronique d’une mort annoncée (article national du Parti de Gauche)

lundi 29 décembre 2008.
 

Le Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS, est le seul grand organisme français de recherche pluridisciplinaire et transversale. Son origine remonte au gouvernement du Front Populaire au sein duquel le ministre Jean Zay et ses secrétaires d’Etat Irène Jolliot-Curie et Jean Perrin, tous les deux prix Nobel, avaient pointé la nécessité de doter le pays d’un grand organisme de recherche couvrant tous les champs scientifiques et réunissant recherche fondamentale et recherche appliquée. Ce projet original a permis au CNRS d’irriguer tout le système de recherche et d’enseignement supérieur français. Il a rendu possibles les interactions et échanges entre disciplines, permettant d’ouvrir de nouveaux champs d’investigation au service de la société. Un atout décisif dont le pays se priverait s’il se contentait d’une recherche cloisonnée entre disciplines. Et s’il se recentrait sur la seule recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale qui n’existerait pas sans l’intervention de la puissance publique. C’est pourtant ce que prépare une réforme voulue par Nicolas Sarkozy et mise en oeuvre par Valérie Pécresse, qui risque de signer la mort du CNRS et de la recherche publique en général.

Le dénigrement de la recherche publique pour justifier son sabordage

La droite applique en la matière une stratégie bien rôdée dont d’autres services publics ont déjà fait les frais. Pour justifier des coupes sobres ou même le sabordage pur et simple d’un service public, les libéraux en dressent un tableau apocalyptique tendant à démontrer qu’il ne fonctionne pas et ne sert à rien. La recherche française est ainsi accusée d’être sclérosée, inefficace, en retard sur le reste du monde. Et ses prétendus faibles résultats démontreraient le gaspillage d’argent, « le budget de la recherche étant l’un des plus élevé au monde » (N.Sarkozy, discours à Orsay le 28 janvier 2008 en l’honneur d’Albert Fert, prix Nobel de physique 2007).

Lorsque l’on veut bien se pencher sur les chiffres, la réalité est tout autre. Malgré des moyens nettements insuffisants, la France est encore - mais pour combien de temps encore ? - une grande nation scientifique : le CNRS est le 5e organisme mondial pour le nombre de publications, et le premier en Europe. Au classement de Shangaï (classement des universités) la France est en 6e position. Les chercheurs qui travaillent au CNRS (ou y ont travaillé à un moment de leur carrière) reçoivent régulièrement les plus hautes distinctions : en 2007 Albert Fert a reçu le Nobel de physique, en 2005 Yves Chauvin a obtenu celui de chimie et en 2006 Wendelin Werner a décroché la médaille Fields (équivalent du Nobel pour les mathématiques).

Un investissement public sacrifié par les libéraux

En dépit des tonitruantes déclarations officielles, le budget de la recherche en France est loin d’être à la hauteur de ce qui est annoncé. Après avoir été la 3e nation dans le monde pour l’effort de recherche en 1970, 5e en 1985 et 7e en 1995, la France est actuellement en 14e position mondiale (et 6e en Europe) avec 2,12% de son PIB consacré à la recherche (chiffre regroupant la recherche civile et militaire, publique et privée. Source : OCDE « Principaux indicateurs de la science et de la technologie » 2006 derniers chiffres disponibles). Depuis 1993, à chaque fois que la droite est venue au pouvoir, et en particulier quand Sarkozy a été secrétaire d’état au budget dans le gouvernement Balladur puis ministre du budget en 2002, le budget de la recherche a diminué. Entre 1993 et 1997 par exemple, l’effort de recherche est passé de 2,37% à 2,15% du PIB (soit une baisse relative d’environ 10%). Au contraire le gouvernement Jospin inverse la tendance avec une augmentation de l’effort de recherche supérieure à celle du PIB.

La France se situe très loin du Japon (3,33% du PIB soit 57% de plus que la France), des USA (2,62% du PIB soit 24% de plus) ou en Europe de la Suède (3,82% du PIB soit 80% de plus) ou de la Finlande (3,43% du PIB soit 62% de plus). Le manque criant d’embauche de chercheurs et d’ingénieurs sur des postes statutaires est le corollaire obligé de ce budget anémié.

Le démantèlement en cours du CNRS

La question budgétaire n’est malheureusement pas le seul aspect de la destruction en cours du CNRS. Le gouvernement veut engager de profondes modifications dans la structure et le fonctionnement du CNRS, modifications qui si elles viennent à être appliquées sonneront le glas de la recherche fondamentale en France. Le conseil d’administration du CNRS, annulé le 19 juin grâce à la mobilisation des chercheurs, les a malheureusement adoptées le 1er juillet 2008.

Ces mesures consistent à découper le CNRS en plusieurs instituts et à ne financer la recherche que sur projets. Elles rencontrent une forte résistance chez les chercheurs et dans certaines instances dirigeantes du CNRS. Le 16 juin, le conseil scientifique du CNRS a voté contre le « plan stratégique » qui lui était présenté pour la 3e fois. Fait sans précédent, tous les présidents des conseils scientifiques ont signé un communiqué dans lequel ils disent à propos du projet du gouvernement : « Il y aurait urgence non pas à l’adopter mais à le dénoncer ». Leur opposition est particulièrement forte vis-à-vis de la volonté de l’exécutif de faire disparaître la moindre parcelle d’autonomie scientifique du CNRS et d’avoir le contrôle absolu des stratégies et des thématiques de recherche : « Conformément à la tradition libérale de respect des libertés académiques, les Etats s’abstiennent de s’ingérer dans le fonctionnement des organismes de recherche[...] Au pouvoir politique revient naturellement la responsabilité de fixer les grandes priorités nationales [...] Mais il est de la compétence des scientifiques de déterminer les stratégies de recherche et les thématiques propres à conduire aux résultats attendus[...] La question de la réorganisation du CNRS pour les décennies à venir devrait être discutée dans cet état d’esprit ».

Il ne s’agit pas bien sûr de revendiquer une autonomie complète du CNRS. Comme tout organisme public, le CNRS a des comptes à rendre à la nation et à ses représentants, notamment le parlement et le gouvernement. Le problème est que l’emprise politique sur le CNRS voulue par Sarkozy vise uniquement à en restreindre le champ de recherche pour faire des économies. Pour commencer, le cloisonnement des disciplines prévu dans le projet du gouvernement mettra fin au caractère interdisciplinaire du CNRS, ce qui fait son originalité et sa force. L’inquiétude des présidents des conseils scientifiques va aussi vers les sciences et technologie de l’information et de l’ingénierie, les sciences du vivant et les sciences humaines et sociales. Ces trois disciplines ont tout simplement disparu dans la nouvelle organisation proposée par le gouvernement ! Le plus grand flou règne sur leur sort et particulièrement les sciences sociales (les deux autres disciplines auraient d’autres instituts de raccroc).

Les chercheurs, outre les points soulevés par le communiqué des présidents des conseils scientifiques et le sous-financement chronique évoqué plus haut, s’alarment aussi du financement uniquement sur des projets via l’Agence Nationale de la Recherche. Cela aura pour conséquence mécanique un appauvrissement dramatique des thèmes de recherche. Pour commencer, la durée des projets financés, entre deux et quatre ans, restreint considérablement les sujets que l’on peut traiter. Ce seront nécessairement des thèmes qui auront été largement étudiés et pour lesquels la réponse aux questions que l’on se pose est déjà plus ou moins connue. Une durée de trois ans en moyenne n’est pas l’échelle de temps caractéristique quand il s’agit d’aborder des problèmes entièrement neufs. Que l’on songe par exemple qu’il a fallu dix ans d’efforts acharnés à Albert Einstein, esprit brillant s’il en est, pour achever sa théorie de la relativité générale sans laquelle la précision des GPS ne serait pas de l’ordre du mètre mais du kilomètre !

Les thèmes des projets sur lesquels pourront être déposées des demandes de financement seront décidés par le ministre de la Recherche. Avec l’obsession du gouvernement actuel pour une recherche exclusivement appliquée, ce seront des pans entiers de la recherche fondamentale qui seront mis sous l’éteignoir. Les sceptiques pourront consulter la liste des thèmes retenus par l’ANR en 2008 pour la biologie : il concernent en très grande majorité la santé humaine et les biotechnologies, laissant de côté d’immenses secteurs de la biologie (par exemple ce qui touche à l’étude de la bio-diversité). Si la finalité de la recherche devient quasi-exclusivement la possibilité d’applications concrètes immédiates, qu’adviendra-t-il de matières comme l’archéologie ou la sociologie qui sont nécessaires pour qu’une société se pense et se comprenne ? Le risque est grand aussi qu’une fraction importante des activités de recherche soit de facto sous la tutelle des investisseurs industriels. On peut craindre alors pour l’indépendance des scientifiques et la validité de leurs résultats. Les scandales répétés sur les études, financées par des groupes pharmaceutiques ou agroindustriels, concernant l’efficacité des médicaments ou la dangerosité de certains insecticides en sont la preuve.

Le financement sur projet dénote une méconnaissance totale (ou bien un complet mépris) du fonctionnement de l’activité scientifique. On ne peut jamais prévoir à l’avance d’où vont provenir des avancées majeures pour résoudre tel problème. Ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie que l’on a découvert l’électricité. L’exemple du laser est illustratif. Mis au point par Charles Townes au début des années 60 (le français Alfred Kastler, qui était membre du CNRS, a eu le prix Nobel de physique en 1966 pour sa contribution décisive au fonctionnement du laser), sur la base de calculs théoriques inités par Einstein en 1905, le laser était à ses débuts uniquement une curiosité de laboratoire. On en parlait même comme d’une solution sans problème pour souligner combien son invention était détachée de tout soucis d’application pratique. Aujourd’hui le laser est présent partout : des caisses enregistreuses à lecture de code barre, en passant par le lecteur CD ou encore la chirurgie ophtalmique.

Conclusion :

Le décalage entre les paroles de Nicolas Sarkozy et ses actes est de plus en plus flagrant. Annonçant que l’objectif de 3% du PIB pour la recherche sera atteint en 2012 (soit une hausse relative de 41,5% par rapport à la situation actuelle !), il fait voter un budget 2008 en stagnation. Prétendant lutter contre « ce gaspillage incroyable pour la France qui consiste à fournir aux laboratoires étrangers de jeunes scientifiques parmi les meilleurs du monde », il ne crée pour autant aucun emploi susceptible de les retenir.

Dernière annonce en date, celle courageusement faite par Valérie Pécresse à la fin du mois de juillet 2008 : 900 postes vont être supprimés dans l’enseignement supérieur et la recherche du fait du non remplacement d’un départ à la retraite sur six. Le collectif Sauvons La Recherche (voir encadré) a annoncé dans un communiqué une grève administrative et la démission d’un nombre important de directeurs de laboratoires et de membres d’instances scientifiques si le gouvernement maintenait sa politique.

Ils sont contre la mort annoncée du CNRS

Albert Fert, chercheur au CNRS, prix Nobel de physique 2007 pour la découverte de la magnéto-résistance géante qui a permis de multiplier par 100 la capacité des disques durs déclarait au Monde le 25 octobre 2007 : « On ne peut imposer une finalité stricte à la recherche [...] S’il n’y avait eu qu’un financement sur projet, je n’aurais pas décroché le Nobel ».

Plus de 450 médaillés du CNRS (chaque année le CNRS décerne des médailles de bronze pour les jeunes chercheurs, des médailles d’argent pour les chercheurs confirmés dont les travaux ont une portée internationale majeure, une médaille d’or pour un chercheur exceptionnel, et les ingénieurs, techniciens ou administratifs se voient attribuer un cristal) qui dans un communiqué intitulé « Fiers mais inquiets » déclarent : « Comment se déprendre de l’impression, nous qui sommes en poste au CNRS, dans un autre organisme de recherche ou à l’Université, qui prenons plaisir à chercher, à transmettre, et qui avons été reconnus pour cela par nos pairs, que nous serons les derniers de notre espèce, que nous n’aurons, bientôt, qu’à éteindre la lumière et fermer la porte derrière nous ? ».

par Cédric Mulet-Marquis


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