Guerre du Liban et avenir d’Israël (Michel Warschawski 30 juillet 2006)

vendredi 31 juillet 2020.
 

« Nous devons réduire en poussière les villages du sud... Je ne comprends pas pourquoi il y a encore de l’électricité là bas... » [1]

C’est par ces mots que Haim Ramon, ministre israélien de la justice et ancien dirigeant du Parti travailliste résumait ses recommandations pour la suite de l’offensive militaire au Liban, après l’échec de l’assaut contre Bint Jbeil. Pour le haut commandement de l’armée, soutenu dans le cabinet ministériel par le travailliste Benjamin Ben Eliezer, la solution devrait être d’occuper une partie du Sud Liban après avoir détruit tous ses villages.

La population locale serait avertie de devoir quitter les lieux avant la destruction des villages par l’envoi de plusieurs dizaines de texto transmis sur les téléphones cellulaires ; et ceux qui décideraient de rester, ou qui tout simplement n’auraient pas reçu ces appels humanitaires d’avertissement, seraient considérés comme des terroristes.

Horrible ? Certes, mais non pas inattendu. La guerre israélienne au Liban est l’archétype des guerres du 21è siècle dont le but est de recoloniser le monde et de soumettre les peuples de la terre à l’Empire. Dans ces guerres, les vies des populations civiles ne sont pas seulement de peu de valeur, mais aussi considérées comme une cible légitime, coupable de soutenir activement ou passivement un terrorisme qui est, en fait, inscrit dans leur culture même.

En dix ans, nous avons été témoins d’une évolution graduelle du discours dominant : des groupes terroristes, aux Etats terroristes, et aux peuples terroristes. La logique ultime de la terre totale est la pleine ethnicisation d’un conflit dans lequel on ne lutte pas contre une politique, un gouvernement ou des objectifs spécifiés, mais contre ce qui est perçu comme une menace envers une communauté particulière. La peur est le point de départ de la nouvelle ère ; et la haine est sa finalité. C’est à cause de cette peur que les néo-cons de l’administration étasunienne parlent d’une guerre sans fin.

S’emparant du prétexte de l’enlèvement de deux prisonniers de guerre, le gouvernement d’Israël s’est mis d’accord pour ouvrir un nouveau front dans la guerre totale préventive sans fin de recolonisation. Israël est prêt à envoyer ses soldats pour ouvrir la voie de la « nouvelle démocratie au Moyen Orient », et pour sacrifier sa propre population comme victimes collatérales de ce nouveau type de guerre ethnique. Cet objectif est clairement exprimé dans une coûteuse annonce publicitaire publiée par les néo-cons israéliens en première page de Haaretz (30 juillet) :

« Israël est en première ligne d’une guerre contre le monde du Djihad. Nous avons un dilemme : soit renforcer les fanatiques par le recul et la séparation en procédant à un retrait unilatéral qui fera d’Israël la scène de la lutte principale entre l’islam fanatique et le monde des Lumières ; soit renforcer les modérés (...) et transformer Israël en centre global de justice et de compréhension intercon­fessionnelle. Au Moyen-Orient, il n’y a aucun raccourci ».

A la fin de l’encart publicitaire, une courte note conclut : « Rappelez-vous : la déformation de sensiblerie philosophique envers la vie humaine nous fera payer le prix réel de multiples vies et du sang de nos fils ».

Alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour contester sinon la légitimité, du moins l’ampleur de l’actuelle opération militaire, l’administration étasunienne demande à Israël de ne pas se soumettre aux pressions de ceux qui œuvrent à un cessez-le-feu.

L’analyste politique et militaire chevronné Zeey Shiff résume ainsi la nature de la visite de la Secrétaire d’Etat américaine à Jérusalem ce dernier week-end (Haaretz, 27 juillet) :

"C’est la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice qui est la figure dirigeante de la stratégie visant à changer la situation au Liban et non le MP Olmert ou le ministre de la défense Peretz. Elle est celle qui a réussi jusqu’alors à tenir tête aux pressions internationales en faveur d’un cessez-le-feu [...]. Pour réussir, elle a besoin d’atouts militaires que, malheureusement, Israël n’a pas encore été à même de délivrer. Excluant la punition par le feu du Hezbollah et du Liban les atouts militaires israéliens ont été limités jusqu’à ce jour, à la conquête de deux villages libanais prêts de la frontière. Si Israël n’améliore pas ses atouts militaires de combat, nous en ressentirons les effets dans la situation politique... "

Tôt ou tard, cependant, l’administration étasunienne devra accepter une solution politique, plus ou moins basée sur les orientations générales établies à la réunion de Rome. Jusqu’au prochain cycle de cette guerre préventive sans fin, Israël continuera à jouer son rôle comme avant-garde armée du soit disant monde civilisé.

Ce que la population israélienne ne comprend pas, ce sont les implications dramatiques de cette politique pour l’existence même d’Israël comme Etat au cœur des mondes arabe et musulman. Par sa brutalité sans limite, sa rhétorique et stratégie de « clash des civilisations », l’Etat d’Israël démontre aux peuples de cette région qu’il est et veut rester un corps étranger et hostile dans le Moyen Orient - rien de plus qu’une extension armée de la croisade anti-musulmane des Etats-Unis au 21è siècle. Tout le monde sait ce qu’il advint des Croisés, il y a dix siècles.

La haine est immense que génère le bombardement de Beyrouth, la destruction des infrastructures libanaises, les centaines de morts civiles, les centaines de milliers de réfugiés et la stratégie de la terre brûlée au Sud ; et elle se déploie dans tout le monde musulman. Elle pourrait rapidement contaminer aussi les communautés musulmanes des pays du Nord. Et surtout, par différence avec des crises antérieures apparemment similaires telles que l’invasion du Liban en 1982, cette haine est enracinée dans le discours menaçant du « clash des civilisations » global et l’ethnicisation du conflit, la rendant extrêmement difficile à éradiquer une fois que la fumée de la bataille se sera évaporée et que les morts auront tous été enterrés.

Olmert, Petertz et Halutz sont les dirigeants les plus dangereux et irresponsables qu’Israël a jamais eus, jouant avec un feu qui pourrait incinérer notre existence nationale au Moyen-Orient. Ce n’est pas seulement le sort et la décence morale de l’actuelle société civile israélienne qui reposent sur les fragiles épaules du petit mouvement anti-guerre israélien, mais aussi l’avenir même de nos enfants dans cette région de la Terre.

« Nous refusons d’être ennemis ! » proclame un des slogans de nos manifestations. Jamais un tel slogan n’a été jusqu’alors aussi important, aussi urgent, aussi essentiel.

Michel Warschawski 30 juillet 2006

[1] Haaretz, 28 juillet

L’article ci-dessus a été écrit le 30 juillet à 6 heures du matin, une heure avant l’annonce à la radio israélienne des nouvelles tragiques du massacre de Cana Malheureusement, ce massacre était déjà visible dans le contenu de mon texte, avant même d’entendre les terribles nouvelles :

"Dans ces guerres, les vies des populations civiles ne sont pas seulement de peu de valeur, mais aussi considérées comme une cible légitime, coupable de soutenir activement ou passivement un terrorisme qui est, en fait, inscrit dans leur culture même. En dix ans, nous avons été témoins d’une évolution graduelle du discours dominant : des groupes terroristes, aux Etats terroristes, et aux peuples terroristes..."

Rien ne manque au texte original, sauf un profond sentiment d’échec, une rage immense et un engagement renouvelé à descendre dans les rues de Tel Aviv et de Jérusalem pour dénoncer la barbarie israélienne, de l’intérieur du ventre de la bête.

Michel Warschawski


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