Le Parlement européen, en adoptant, sans y ajouter le moindre amendement, le texte de la « directive retour » négocié par les ministres de l’Intérieur et de l’Immigration des 27 Etats membres, a perdu une grande part de sa crédibilité quant à sa capacité à tenir son rôle d’instance démocratique chargée notamment de la protection des citoyens en Europe.
En prévoyant l’enfermement de migrants non communautaires pour une durée maximale de 18 mois, en autorisant l’expulsion d’enfants, qui plus est hors de leur territoire d’origine, en instituant une interdiction du territoire européen de 5 ans, cette directive porte atteinte aux libertés publiques et fait de l’enfermement un mode de gestion courant des populations migrantes.
Sourds aux appels des ONG, sourds aux appels des Eglises, sourds aux appels de nombreux représentants d’Etats du Sud, sourds aux mobilisations citoyennes, les parlementaires européens ont, dans leur majorité, choisi de renoncer à toute velléité de résister à la logique policière qui sous-tend la politique d’immigration conduite par les ministres de l’Intérieur en Europe depuis 20 ans.
La Cimade le déplore profondément. Elle étudie avec ses partenaires toutes les voies possibles pour contester cette directive devant la Cour de justice ou la Cour européenne des droits de l’Homme.
Le texte adopté par le Parlement européen
Ce texte, récemment aggravé par la le comité des représentants permanents, prévoit :
un enfermement des étrangers pouvant atteindre dix-huit mois, pour le seul fait d’avoir franchi des frontières et de vouloir vivre en Europe ;
la détention et l’éloignement des personnes vulnérables (femmes enceintes, personnes âgées, victimes de torture...) et des mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, au mépris du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ;
la détention et l’expulsion forcée des mineurs isolés vers un pays tiers (autre que leur pays d’origine) où ils n’ont ni famille ni tuteur légal ; en outre, il n’est plus imposé aux Etats de fournir un titre de séjour aux personnes souffrant de maladies graves ;
une systématisation de l’interdiction du territoire de l’UE pendant cinq ans pour les personnes expulsées, c’est à dire l’exclusion et la criminalisation de ces personnes ;
le renvoi des étrangers vers les pays par lesquels ils n’ont fait que transiter, sans qu’ils aient un lien avec ces pays.
Dans les jours à venir, le Parlement européen doit se prononcer, dans le cadre de la procédure de codécision, sur l’adoption d’une directive "retour" fixant un cadre à la rétention et au renvoi des étrangers non autorisés à résider dans l’un ou l’autre Etat de l’Union.
Le phénomène des migrations internationales et la question de l’accueil, de l’intégration et du statut des immigrés et des réfugiés sont particulièrement sensibles et complexes. Nous sommes bien conscients de la difficulté qu’il y a à déterminer en ce domaine une politique européenne qui soit pragmatique au regard de la situation sociale et économique des Etats de l’Union, qui soit acceptée par les opinions publiques et qui, dans le même temps, soit profondément respectueuse de la dignité et des libertés fondamentales de tous ceux qui tentent de vivre une vie meilleure en rejoignant l’Europe.
Nous nous gardons bien, pour cette raison, de porter des jugements trop rapides sur les initiatives européennes en la matière. Pour autant, nous ne pouvons pas cacher nos inquiétudes sur la pertinence du projet de directive "retour" actuellement en discussion.
Pertinence tout d’abord, pour la première procédure de codécision sur l’immigration, de commencer par un projet relevant du volet répressif, avant même qu’aient été débattues et déterminées par les vingt-sept Etats membres les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers non communautaires.
Le symbole ne semble pas des plus heureux à l’égard de nos amis d’Afrique, du Maghreb ou d’Orient. Pertinence sur le contenu du projet surtout, qui contient plusieurs mesures outrancières : la durée de rétention autorisée (dix-huit mois) est en totale disproportion avec le temps réellement nécessaire pour organiser le renvoi d’un étranger (en France, une dizaine de jours).
L’instauration d’une interdiction de retour sur le territoire européen durant cinq ans pour les personnes expulsées tend à les stigmatiser comme coupables d’un délit dont il faut les punir, au risque d’ailleurs de nier l’exercice futur de droits reconnus essentiels comme le droit d’asile ou celui d’un rapprochement familial. Enfin, les garanties prévues quant à l’enfermement ou l’expulsion des personnes vulnérables (mineurs, famille, malades) sont très limitées, pour ne pas dire quasi inexistantes.
Les conditions de privation de liberté et d’expulsion des personnes, qui seront visées, selon les différentes législations nationales, exigent que soit apprécié et soupesé avec la plus grande attention le nécessaire équilibre, qui doit être impérativement préservé, entre les mesures de contrainte et celles qui garantissent une réelle protection des droits fondamentaux de ces personnes.
Tel ne nous paraît pas être le cas actuellement du projet qui sera soumis au Parlement européen.
Ne serait-il pas plus sage que les parlementaires s’abstiennent d’adopter ce projet en l’état ? Il paraîtrait plus opportun de demander à la Commission européenne - et notamment à Jacques Barrot, commissaire nouvellement chargé de ces questions - de reprendre l’élaboration de cette directive sur des bases plus conformes à l’idée que nous avons de la façon dont l’Europe doit respecter la dignité des personnes.
Jacques Delors est ancien président de la Commission européenne
Michel Rocard est ancien premier ministre et député européen.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Les Églises et les organisations qui leur sont liées ont pris note des récentes évolutions sur la proposition de « directive sur des normes et procédures communes pour le retour des ressortissants des pays tiers y résidant illégalement ». Ils reconnaissent la difficulté de parvenir à un compromis sur un sujet aussi controversé entre les 27 gouvernements des États membres et le Parlement européen. Ils ont aussi pris connaissance des modifications introduites par le Comité des représentants permanents dans le texte de compromis pour l’accès à une aide juridique.
Nos organisations ont transmis les préoccupations des Églises d’Europe aux rapporteurs du Parlement, aux partenaires de la négociation, aux Présidents du Conseil, du Parlement et de la Commission. Si nous reconnaissons certains progrès de la proposition de directive, nous voulons pourtant attirer votre attention sur divers points inacceptables que nous vous demandons de considérer avec soin au moment de voter :
La rétention
Nous prenons acte de la tentative d’améliorer la proposition de la Commission sur la durée de rétention (Article 14.4). Néanmoins, nous sommes très inquiets que des États Membres puissent priver de liberté des personnes sur une période pouvant atteindre 18 mois (Article 14.5). Comme norme commune européenne, c’est inacceptable. Si nous apprécions que la révision d’une telle mesure soit prévue, les intervalles de révision sont flous car le concept de « rétention prolongée » n’est pas défini.
Certains critères utilisés pour allonger cette rétention, comme les délais pour obtenir des laissez-passer pour le renvoi, se basent sur des motifs qui dépassent un contrôle exigeant une détention et deviennent alors injustifiables.
Pour les personnes qui n’ont pas été reconnues coupables d’un crime par une cour de justice, la détention est inacceptable et viole le droit à la liberté, un droit fondamental garanti par les conventions internationales.
Le bannissement du territoire européen.
Les Églises en Europe ont exprimé leur vive inquiétude, à diverses reprises dans les années passées, sur l’interdiction prévue dans ce projet de directive de revenir en Europe pendant une période pouvant aller jusqu’à 5 ans, cette mesure accompagnant la décision de renvoi (article 9). Un tel « bannissement » équivaut à une double peine et une durée de 5 ans est excessive. Cela peut aussi avoir de profondes conséquences sur le principe de non-refoulement 1 , garanti par la Convention de 1951 relative aux réfugiés. La situation de ces étrangers expulsés peut en effet changer après leur renvoi, et ils pourraient devenir éligibles au statut de réfugié.
Un bannissement général dans les 27 pays membres de l’UE, voire plus avec l’extension possible de l’espace Schengen, exclut toute possibilité de chercher un refuge, surtout sur une aussi longue période, sans compter les risques de retour dans un contexte instable, et qui pourraient être pires pour un étranger renvoyé. Certains n’auront probablement d’autre solution que de faire appel à des passeurs par impossibilité légale de revenir en Europe. Cette interdiction risque alors d’accroître la migration irrégulière, le trafic et la traite des êtres humains.
Il faut de plus tenir compte des liens familiaux, dans l’Union, de l’étranger éloigné : pour les membres de famille dépendants et les enfants, ce bannissement est totalement inapproprié.
Les Églises en Europe, en diverses occasions, individuellement ou collectivement, ont exprimé leurs préoccupations sur l’utilisation croissante de la détention administrative dans beaucoup de pays d’Europe lors des procédures d’attente de renvoi. Des Églises et organisations ont pris la position de rejeter la proposition actuelle de compromis car elle méconnaît la réalité de vie de beaucoup de migrants, réfugiés ou demandeurs d’asile dans l’Union.
Si les Églises partagent le souci des gouvernements et des sociétés de maintenir l’état de droit dans les divers pays européens, le respect de la dignité de chaque homme exige d’améliorer le retour volontaire des ressortissants des pays tiers qui ne sont pas autorisés à rester. Malheureusement, dans la phase actuelle des négociations, la priorité donnée au retour volontaire, notamment l’assistance pour un tel projet de retour et le temps nécessaire pour l’envisager, est devenue de moins en moins importante.
Pour son vote sur la directive, nous exhortons donc le Parlement Européen à :
Restreindre, plutôt que prolonger, l’utilisation de la rétention administrative ;
Limiter le bannissement d’office à des circonstances exceptionnelles et prévoir des procédures pour
contester légalement ces actions purement administratives ;
Mettre en place un véritable accès au retour volontaire, en accordant à un tel projet un délai d’au moins
30 jours, à défaut de l’équivalent du temps entre la prise d’une mesure d’éloignement et la réalité du
retour forcé.
Si un accord sur ces sujets, sauvegardant les droits des étrangers éloignés, ne pouvait être atteint, nous exhortons le Parlement européen à ne pas approuver le fonds européen pour le retour et à le mettre en réserve.
Très respectueusement
Les organisations
signataires représentent les
Églises dans toute l’Europe
Anglicane, Orthodoxe,
Protestante et Catholique -
ainsi que les organisations
chrétiennes
particulièrement liées aux
migrants et réfugiés.
En tant qu’organismes
chrétiens, nous sommes
profondément engagés
pour la dignité de l’homme,
créé à l’image de Dieu, le
concept du Bien commun et
la solidarité universelle.
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