Quand TF1 « réforme » les retraites... et fixe celles des anglais à 81 ans

mercredi 21 mai 2008.
 

« Le gouvernement s’attaque à l’emploi des seniors », annonce triomphalement le site de TF1, en guise de présentation d’un reportage de deux minutes diffusé au JT de 20 heures, le 31 mars 2008. Traiter un sujet aussi important que celui des retraites et de l’emploi des seniors, entre 20h23 et 20h25, oblige à quelques raccourcis. Mais à trop vouloir condenser les « informations », on prend le risque de les choisir n’importe comment, et de dire et faire dire n’importe quoi.

Malgré sa brièveté - ou à cause d’elle - ce reportage fournissait aux téléspectateurs un nombre appréciable d’informations inexactes, dont cette perle : les Anglais partiraient en retraite vingt ans plus tard que les Français. Une énormité révélatrice de l’attention que porte une chaîne de grande audience à une question sociale majeure.

Des approximations anodines ?

Le propos du reportage s’appuie d’abord sur ce constat, qui se veut inquiétant : les caisses de retraites présenteraient en 2008 un déficit de cinq milliards. Or non seulement une telle évaluation, après un trimestre seulement, est aléatoire, mais elle omet de préciser que le déficit de 2008, comme ceux des trois années précédentes, sera largement dû à une cause provisoire : les nombreuses retraites anticipées pour « longue carrière », une disposition de la loi Fillon de 2003 dont la portée n’excédera pas quelques années. Les difficultés de financement des pensions, auxquelles les « réformes » en cours sont supposées répondre, se posent à plus long terme. Mais, comme d’habitude, les chiffres sont censés parler d’eux-mêmes...

Et comme la durée des cotisations, pour ne pas être scandaleusement excessive, ne devrait pas être indépendante de la durée effective de travail, le commentaire établit ensuite - à juste titre - un lien entre la réforme des retraites et le taux d’emploi des seniors, et indique que ce taux est nettement plus bas en France que dans la plupart des pays d’Europe. C’est exact... à cela près que le graphique présenté à ce moment-là par TF1 affiche, à tort, le titre de « taux d’activité ». Or un taux d’activité est la somme du taux d’emploi et du taux de chômage ; et en termes de chômage des seniors la France est, malheureusement, haut placée. Mais le graphique donnait une telle impression de rigueur savante qu’on excusera cette erreur...

Vient alors le moment de proférer une énorme bourde.

Une énorme bourde

Ce graphique sur les taux d’emploi des 55-64 ans montre, entre autres, un écart de l’ordre de 20% entre la France (38%) et le Royaume-Uni (57%). Le journaliste, lui, décide de lire cela comme un écart sur... l’âge de la retraite. Et de s’exclamer : « les salariés anglais partent en moyenne vingt ans après nous en retraite ! ».

Stupéfiant, en effet. L’âge moyen de liquidation des droits à la retraite étant en France de 61 ans environ, cela voudrait dire que les anglais, eux, liquident la leur, en moyenne, à 81 ans. La simple idée qu’à un tel âge la moitié des femmes et trois quarts des hommes sont déjà décédés ne sera pas venue à l’esprit du reporter, sans doute par excès de précipitation.

Mais un reportage sérieux suppose que l’on interroge quelque spécialiste, que l’on chargera, non d’expliquer, mais d’illustrer, ... pendant quelques secondes, pas plus.

Une illustration illustrative

Un chercheur du Centre d’Etudes de l’Emploi, Serge Volkoff, est donc appelé (apparemment) à commenter cette « information » : le départ des anglais vingt ans après les français. Le chercheur consulté paraît vanter les mérites du modèle social anglais, les efforts que ce pays réaliserait depuis longtemps en matière de qualité de la vie de travail, ce qui rendrait possibles ces longues durées de vie professionnelle....

... Après vérification auprès de Serge Volkoff, nous avons appris que dans l’interview telle qu’elle s’est réellement passée, il n’était pas interrogé sur des écarts d’âge de la retraite (et évidemment pas sur un écart « de vingt ans »), mais bien sur les différences concernant ce fameux taux d’emploi des seniors. En outre, dans ce passage de l’interview « réelle », il ne se référait pas à la situation anglaise, mais... aux pays scandinaves. Quand on « monte » un reportage à toute vitesse, la fiction tient lieu d’information....

De tels bévues et cafouillages (pour le moins) seraient sans doute aisés à éviter si les journalistes disposaient de moyens convenables pour préparer leurs reportages, à commencer par le temps. Sinon, même quand un journaliste prend ses distances avec la vulgate néolibérale (comme dans ce reportage, qui renvoyait avec raison le financement des retraites à un problème d’emploi), il glisse sur la pente que cette vulgate a savonnée. A l’évidence, si le reportage avait affirmé que les Français partent en retraite vingt ans plus tard que les Anglais (ce qui serait tout aussi faux), il se serait trouvé quelqu’un pour rectifier.

Reste un mystère, peut-être plus préoccupant que le reportage lui-même. Des millions de personnes peuvent entendre dire, à l’heure du dîner, pareille absurdité, alors même que s’ouvre une négociation sociale majeure, sans qu’aucune réaction ni rectification - à notre connaissance, en tout cas - ne survienne. Certains sans doute auront tenu l’information pour vraie. D’autres auront sursauté, mais n’auront pas vu où et comment répliquer. D’autres encore n’y auront pas prêté attention, noyés dans une bouillie d’images et de propos où rien ne surnage. Aucune des trois éventualités n’est rassurante.

Véronique Merlin (avec Ricar pour la vidéo)


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