A Lima, le Tribunal permanent des peuples met en accusation des transnationales européennes pour leurs actions en Amérique latine.

dimanche 11 mai 2008.
 

Mise en accusation des corporations transnationales européennes en Amérique latine

Le Tribunal Permanent des Peuples (héritier du Tribunal Russel constitué en 1967 pour dénoncer les crimes de guerre au Vietnam), a été créé en 1979 par la Fondation Lelio Basso pour le Droit et la libération des Peuples ; il a son siège à Rome. Cette entité à laquelle collabore des juristes du monde entier, a pour raison d’être de palier les carences des tribunaux existants en matière de droits humains, de droits sociaux et environnementaux .Il existe en effet un corpus juridique considérable couronné par les chartes de l’ONU, protégeant, entre autres les droits des travailleurs ou les droits des Peuples originaires , mais ces textes sont aujourd’hui ignorés ou violés en particulier par les entreprises transnationales et leurs filiales, qui échappent à la justice d’un État du fait de leur mobilité et de leur puissance financière .

Face à l’activité prédatrice des corporations transnationales et face à la carence des institutions de contrôle , il ne reste aux victimes que le recours au Tribunal Permanent des Peuples pour réclamer l’application du droit positif existant qui a pour mission de garantir l’ensemble des droits humains valables pour tous les peuples de la planète.

Depuis 30 ans, le TPP a tenu des centaines de sessions dans divers pays pour réagir à la carence criante des institutions judiciaire et politiques dans la défense des droits sociaux ; ce fut le cas à l’occasion du désastre causé par l’usine chimique de Bhopal en Inde. En Colombie , le tribunal a tenu plusieurs sessions depuis 2 ans dans diverses régions pour mettre en évidence les violations de droit humains en particulier le droit syndical par les compagnies minières ou agro- industrielles ou encore les entreprises énergétiques telles que la compagnie d’énergie électrique Union Fenosa ou la compagnie Suez-lyonnaise. L’organisation de sessions d’un tribunal des Peuples dans les circonstances actuelles de ce pays, où grâce à la participation de juristes et observateurs internationaux les victimes sont encouragées à témoigner.

Enlazando alternativas et le tribunal des peuples

Le tribunal des Peuples a trouvé naturellement sa place dans la démarche entamée par Enlazando alternativas , réseau de mouvements sociaux d’Europe et d’Amérique Latine créé à Guadalajara en mai 2004 à l’occasion du 3e Sommet des Chefs d’État de l’Union européenne et de l’Amérique latine dans le but de démystifier les prétentions du Sommet officiel , notamment les « accords dits d’association » . Ce réseau apparaît ainsi comme une application des principes qui ont inspiré le Forum social mondial de Porto Alegre en 2001, : établir des liens entre organisations sociales du Nord et du Sud en vue d’échanger et comparer les approches critiques de la globalisation néolibérale et de permettre d’élaborer des convergences dans les luttes .

Le réseau bi-régional, euro-latino américain, (dont fait partie Attac, au sein du CAL-collectif Amérique Latine) a réuni à Vienne en mai 2006, un millier de participants à un contre-sommet qui ont effectué durant 3 jours des travaux fructueux. Parallèlement aux ateliers, le Tribunal des peuples a tenu plusieurs audiences.

Le tribunal des peuples à Vienne

L’audience du TPP qui s’est tenue durant 2 jours à Vienne avait réuni des magistrat italiens, autrichiens et latino américains ainsi qu’un jury international composé de membres d’organisations sociales et d’écrivains altermondialistes.

L’objet de cette session du TPP était de soumettre au tribunal le cas de corporations transnationales opérant dans 5 secteurs -clés : les services publics (eau électricité), ressources naturelles (hydrocarbures, mines, forêts), agro-alimentaire et secteur financier. Les entreprises pour lesquelles l’accusation a été particulièrement bien articulée ont été : le groupe bancaire espagnol BBVA, la compagnie d’éléctricité Union Fenosa, le géant de télécommunication Telefonica et la compagnie pétrolière Repsol, la compagnie Suez -lyonnaise et sa filiale Aguabar. La présentation de chaque cas était suivi de l’exposé des témoins, venus d’Amérique latine. Le défilé des témoins tels les Indigènes de la province d’Orellana en Ecuador apportant les preuves du saccage de leurs territoires par la compagnie pétrolière OCP. Les Indiens guarani du sud bolivien dénonçant les abus de la compagnie pétrolière espagnole Repsol. Des travailleurs colombiens sont venus apporter la preuve de l’implication de Union Fenosa dans l’élimination de syndicalistes de l’entreprise. Etc etc

L’ensemble des témoignages apportés à Vienne ont prouvé l’existence d’occupation illégale de terres, la destruction des forêts et la contamination des eaux par l’épandage de pétrole, la violation des droits sociaux, l’utilisation de forces paramilitaires par les compagnies transnationales. Le tribunal de Vienne a conclu à l’existence de violations de droits du travail, de droits humains pouvant fonder une mise en accusation de plusieurs corporations transnationales.

Le TPP ne peut aller au delà d’une mise en accusation. Mais ce qui importe c’est qu’il puisse fonder en droit cette mise en accusation, ce qui constitue une interpellation des instance judiciaires qui, elles ont le pouvoir d’entamer les procédures prévues par les institutions.

Le TPP a une fonction éthique, en dénonçant les violations du droit, il lance un défi aux instances politiques prétendument démocratiques.

Le TPP encourage les victimes à rompre la loi du silence, à conserver la preuve des crimes et à transmettre la mémoire de l’injustice, en somme à résister et faire connaître cette résistance dans le reste du monde.

Le TPP et Enlazando alternativas à Lima

Le Tribunal des Peuples se prépare à tenir audience à Lima, le 13 mai prochain. Cependant, la réalisation du contre- sommet des peuples, se heurte à deux contradictions majeures : d’une part l’Union européenne a lancé une offensive libre échangiste particulièrement agressive car selon le commissaire Peter Mandelson « l’économie et l’emploi en Europe dépendent entièrement de la capacité de ses entreprises de vaincre dans la compétitivité mondiale ». D’où l’urgence de parachever l’entrée dans le marché latino-américain, en particulier de se tailler l’essentiel du marché des grands travaux ouvert par l’IIRSA (initiative d’intégration des infrastructures sud-américaines). Les dirigeants de l’UE sont prêts à tout afin de signer au plus vite les accords d’association avec la CAN, le Mercosur et l’Amérique centrale. Cela signifie que l’UE ne voit guère d’un bon œil l’attitude des grands mouvements Indigènes (Conacami, Caoi ) et paysans qui s’opposent à l’exploitation minière débridée et au saccage de la biodiversité , ces mouvements ayant prévu , de profiter du sommet des peuples pour faire valoir bruyamment leurs droits. D’autre part , le gouvernement d’Alan Garcia fidèle allié de Georges Bush et des socio-démocrates européens est un adepte du néolibéralisme et ne pouvant supporter la contestation interne met en œuvre l’arsenal répressif qui subsiste du temps de Fujimori pour accuser de terrorisme tous les contestataires. Pour Alan Garcia, ce Sommet des peuples est une manifestation dangereuse. Finalement, ce 30 avril, les Autorités péruviennes ont autorisé la tenue du Sommet des Peuples dans les locaux de l’Université Nationale d’Ingéniérie.

Dans ce contexte, la tenue du Tribunal des Peuples, dont l’objet est précisément la mise en question du rôle des transnationales a des allures d’acte subversif.

En tout cas, le TPP s’apprête à sessionner avec le concours de magistrats péruviens et de témoins provenant du Pérou et d’ailleurs.

A Lima on poursuivra la mise en accusation d’entreprises déjà dénoncées en 2006 à Vienne : Union Fenosa, BBVA, Repsol , Suez de manière à compléter le dossier d’accusation par de nouvelles pièces produites au cours de ces deux années.

De nouveaux cas seront présentés tel celui de l’exploitation minière au nord du Pérou pour laquelle sont mobilisés les organisations indigènes et paysannes. Il sera présenté au tribunal un autre cas emblématique de l’offensive européenne ; le cas BOTNIA. Cette entreprise finlandaise de cellulose s’est installée, avec le soutien officiel de l’UE dans l’ouest de l’Uruguay à la frontière de l’Argentine pour fabriquer de la pâte de cellulose destinée au marché européen. Cette entreprise qui ne respecte pas le code du travail provoque par ailleurs un double désastre écologique ; elle détruit les forêts natives pour les remplacer par des bois d’eucalyptus à croissance rapide et d’autre part elle contamine les fleuves par le déversement massif de polluants qui affectent les populations de part et d’autre de la frontière.

Cette audience du tribunal des peuples aura un retentissement particulier car elle est un vivant démenti du programme du sommet officiel des chefs d’État en matière de protection de l’environnement.

La mission du tribunal des Peuples est une oeuvre de longue haleine, quels que soient les avatars rencontrés à Lima, le TPP poursuivra la préparation d’une nouvelle session durant le prochain contre-sommet d’Enlazando alternativas à Madrid en mai 2010.

Denise Mendez

30 avril 2008

Denise Mendez, adhérente de la première heure d’Attac-France est une militante fervente de l’altermondialisme. Elle est experte sur tous les dossiers relatifs à l’Amérique latine ; à ce titre elle contribue régulièrement à diverses publications. On lira ci-dessous son article relatif à la mise en accusation de transnationales européennes pour leurs actions en Amérique latine.


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