Honteuse crise alimentaire au XXIe Siècle !

samedi 10 mai 2008.
 

Depuis le début 2008, des "émeutes de la faim" éclatent un peu partout dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique Latine, allumées par la hausse des prix des aliments. A l’aune du XXIème Siècle, il est de notre responsabilité de décrypter et dénoncer les motifs structurels de la crise alimentaire (basés sur la croyance des bienfaits pour l’humanité de la libéralisation des marchés agricoles et de la marchandisation tous azimuts) et esquisser de véritables pistes, à la fois politiques et financières, pour se sortir d’une situation humainement inacceptable.

Une flambée des prix alimentaires et des révoltes, pourquoi ?

Dans un contexte déjà très difficile dans de nombreux pays pauvres, comment expliquer une telle flambée des prix alimentaires. La cause principale est l’évolution du rapport entre l’offre et la demande. Du côté de la demande, on a une partie de la population mondiale des pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et le Brésil, dont le niveau de vie augmente, et qui se tourne vers une alimentation plus riche en viande, et plus gourmande en céréales. Cette évolution n’en est qu’à son début. Du côté de l’offre, la hausse des coûts de production - et notamment de l’énergie - et la concurrence des pays riches, dont les agricultures sont aidées, a découragé les paysans des pays en développement. Tout cela aboutit à la situation que l’on connaît actuellement.

Est-ce la seule explication ? Bien que nous ne soyons pas dans une situation de pénurie mondiale. Les stocks - certes faibles - sont encore suffisants pour faire la jonction entre deux récoltes. Mais l’accès à l’alimentation des populations s’est dégradé brutalement face à une augmentation considérable des prix. Cette faiblesse des stocks est en cause, elle provient en partie de phénomènes nouveaux : une demande forte en céréales et oléagineux pour l’alimentation, des accidents climatiques qui ont diminué les récoltes sur certains territoires de la planète et une demande en hausse pour la production d’agrocarburants industriels (éthanol et diester).

En effet, le développement, dans les pays riches, des biocarburants entraîne une partie de la demande de céréales se déplace d’un usage lié à l’alimentation vers un autre, lié notamment aux transports. Cela ne représente aujourd’hui qu’environ 5% de la demande totale de céréales, mais l’impact sur les prix est loin d’être négligeable.

Enfin, un autre facteur entre en compte, la spéculation ! Loin d’être excessif, il est certain qu’une partie de l’argent qui s’investissait dans l’immobilier, va désormais vers les matières premières et les denrées alimentaires, qui, compte tenu des faibles stocks, constituent des investissements juteux !

Les mouvements de grogne, parfois violents, se multiplient et amplifient dans les pays les plus pauvres de la planète (37 à ce jour) qui subissent de plein fouet la hausse des prix du blé ou du riz. Dans ces pays, de nouvelles manifestations en contre la cherté de la vie et la politique économique de leur gouvernement se répètent et s’installent sans doute pour une longue période, à défaut de changement radical d’orientation. La situation en Afrique

Le continent Africain déjà fragile se voit donc impacté directement et frappé violemment par cette situation. La flambée mondiale des prix alimentaires et de l’énergie menace de casser la croissance de l’économie de l’Afrique et d’y enfoncer davantage dans la pauvreté quelque 100 millions de personnes (source Banque Mondiale (BM)). La croissance africaine n’a pas encore atteint le seuil capable de provoquer le déclin de la pauvreté et tout choc extérieur est de nature à briser cette trajectoire de croissance. Le programme de réduction de moitié de la pauvreté dans le monde d’ici à 2015, dans les Objectifs du Millénaire de l’ONU apparaît bien hypocrite.

79% de la population africaine vit de l’agriculture, et plusieurs régions du continent, autrefois autosuffisantes, dépendent maintenant des importations agricoles.

Certains voit en cette crise une perspective de développement pour l’Afrique, car la hausse des prix devrait stimuler la production : le secteur privé serait le principal moteur de croissance en Afrique. La BM a décidé d’ailleurs dans cette optique de doubler ses prêts agricoles à l’Afrique subsaharienne en 2009. Cependant comme la pauvreté des régions rurales de l’Afrique sub-saharienne est notamment exacerbée par le fait qu’ils dépendent de l’exportation de marchandises agricoles, dont beaucoup sont affectées par des prix volatiles et en baisse ; il faudra aussi laisser à l’Afrique se réorienter vers les cultures vivrières et ne plus subventionner ni aider les exportations de céréales occidentales.

Un autre facteur d’exacerbation de la crise de la production alimentaire sur le continent africain est le changement affectant le climat dans le monde. C’est particulièrement vrai là où une pauvreté largement répandue, la faim et un mauvais état de santé affecte des millions de personnes. Tous les pronostics suggèrent que le changement climatique leur rendra la vie encore plus difficile. Selon l’Oxfam, une hausse de la température de 2,5° en 2050 menacerait de famine 60 millions de personnes supplémentaires en Afrique.

Un appel aux principales puissances s’impose à fournir une assistance d’urgence plus importante et plus rapidement, à acheter des aliments localement et à assurer une aide à plus long terme au niveau de l’investissement agricole. Toutefois, au vu du dernier sommet du G8 en Écosse, la plupart des promesses faites par les gouvernements occidentaux ne se sont jamais concrétisées. Souvenons-nous de la campagne « Faites de la pauvreté une chose du passé » de ce G8 et de l’effondrement récent du cycle de négociations de Doha sur le commerce mondial... OMC

Après ces interminables blocages sur les négociations commerciales en matière agricole, P.Lamy, Directeur Général de l’OMC annonce la tenue d’une conférence ministérielle mi-mai 2008. Des compromis techniques en matière de réduction des subventions agricoles (notamment sur les produits dits sensibles) et d’accès au marché (réduction des droits de douane) seraient à l’étude. L’OMC prévoit que les pays en développement (PED), qui sont particulièrement touchés par la crise alimentaire mondiale, puissent maintenir des droits de douane agricoles élevés pour protéger leurs productions agricoles internes. Cependant cette réunion promet déjà des blocages car les européens estiment que ces mesures sont lacunaires. En effet, selon eux, le maintien d’une demande croissante et d’une offre très réduite doit être combattue sur un échéancier plus long et prendre en compte notamment une évolution de la demande alimentaire des céréales vers de nouveaux produits comme la viande, qui déstabilise les échanges commerciaux. Europe

Le Commissariat Européen à la Coopération au Développement prédit que l’augmentation des prix des céréales va avoir un effet qui risque d’être catastrophique dans les pays qui ne sont pas en autosuffisance alimentaire et redouterait un vrai Tsunami économique et humanitaire. Il appelle à une prise de conscience et indique que les fonds européens destinés à l’agriculture (production, moyens techniques, infrastructures) dans les PED allaient être doublés à 1,2 milliard d’€uros pour la période 2008-2013. Cependant si des fonds supplémentaires sont nécessaires, la seule aide au développement ne suffira pas, estime la Commission notamment pour enrayer les effets dévastateurs du réchauffement climatique. Celle-ci fait d’ailleurs jaillir un paradoxe inacceptable où les PED qui en sont le moins responsables de ces dérèglements climatiques, sont ceux qui en subissent les plus lourdes conséquences.

Malgré cette situation critique et ces déclarations, il est bon cependant de rappeler les pays de l’UE ont diminué leur aide au développement en 2007. Les reculs les plus forts sont du fait de la France et de la Grande-Bretagne. Pour que l’UE parvienne malgré tout à remplir ses engagements d’augmenter cette aide à 0,7% du PIB d’ici 2015, la Commission demande aux Etats membres de présenter des plans pluriannuels qui détailleraient année par année, la hausse programmée de leur aide au développement. Les 27 devraient étudier cette demande lors des réunions de mai. La France et les nouvelles promesses de Sarkozy

Dans ce contexte d’urgence, le président Sarkozy a annoncé le doublement de son enveloppe d’aide alimentaire en la portant à 60 millions d’€uros dès 2008. Cruelle hypocrisie car cette augmentation de l’aide alimentaire masque la chute libre de l’aide publique au développement sous la droite (recul en un an seulement de 0,39% du PIB en 2007 contre 0,47% en 2006 !!!). Cette baisse est d’ailleurs à l’image de la politique extérieure de la France notamment envers l’Afrique (cf. le discours de Sarkozy à Dakar en juillet 2007 et le ministère de B.Hortefeux). Tout aussi hypocritement, aux Etats-Unis, G.W.Bush a lui, ordonné le déblocage d’environ 200 millions de dollars d’aide d’urgence. Avec son talent démagogique, N.Sarkozy affirme qu’il est urgent d’agir pour renforcer la sécurité alimentaire à un moment où 37 pays connaissent une crise alimentaire très grave et que La France ne peut rester indifférente à la révolte de ceux qui, dans les pays du sud, ne peuvent plus manger à leur faim. Il souhaite proposer prochainement un partenariat mondial pour l’alimentation et l’agriculture. Selon lui, la crise alimentaire appelle des réponses immédiates, une stratégie ambitieuse d’aide pour l’agriculture et une coordination accrue des acteurs internationaux, institutions, Etats, secteur privé et ONG.

« La France entend contribuer activement à la résolution de la crise », a-t-il affirmé.

Ces déclarations doivent être relativisées car des points de blocage persistent, notamment la mise en conformité des textes de la PAC avec les règles de l’OMC. La France, 1ère puissance agricole européenne, est en fait fort réticente à voir ces textes de la PAC mis en conformité, ceci - comme le perçoivent nos partenaires européens - afin de préserver ses intérêts nationaux. M.Barnier, ministre de l’agriculture, entend préserver la puissance agricole forte de l’Union Européenne face à une augmentation catastrophique du prix des denrées alimentaires, notamment en Afrique. Face au déblocage de l’U.E de 160 millions d’€uros pour l’aide alimentaire et à la promesse d’un examen futur de la situation, M.Barnier a demandé à l’UE de réorienter les aides au développement et à la coopération vers l’agriculture, afin de faire profiter les pays les plus pauvres de l’expertise agricole communautaire. Bref, quelle est la véritable portée et volonté de la France dans ce contexte, Sarkozy est soupçonné de résister à la réforme de la PAC ou à faire pression en faveur d’une politique plus protectionniste.

La France entend lancer dès sa présidence de l’UE, au second semestre 2008, une discussion sur la place de l’agriculture dans la politique européenne, en vue du débat assurément très difficile à venir sur le budget alloué à cette politique après 2013.

Quelles solutions, il y a urgence !

Dans un contexte capitaliste mondialisé où la population mondiale s’accroît, cette crise alimentaire est le révélateur logique de choix libéraux, économiques et politiques désastreux, aboutissant à d’énormes et mortels dégâts, ceci de façon corollaire à la crise énergétique et environnementale !

On doit constater que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale ont contribué à la crise alimentaire par la politique qu’ils ont imposée aux pays pauvres depuis plus de 20 ans et on doit fortement dénoncer des mesures aux conséquences particulièrement néfastes telles la réduction des surfaces destinées aux cultures vivrières et la spécialisation dans un ou deux produits d’exportation, la fin des systèmes de stabilisation des prix, l’abandon de l’autosuffisance en céréales...

Les bénéfices de la recherche agricole qui a permis d’améliorer considérablement la productivité ces progrès, ont été très inégalement partagés. Les grandes multinationales exercent aujourd’hui une forte influence sur les sciences agricoles et leurs priorités impliquant une importation de produits alimentaires dans les pays pauvres créant dépendance et perturbation de leur production locale.

Les responsables de la logique de marché nous expliquent qu’à moyen terme, en poussant à l’augmentation de la production dans les pays en développement, ceci devrait permettre de stabiliser les prix alimentaires. A plus court terme, la suppression de la jachère obligatoire en Europe devrait rapidement aboutir, d’ici à la prochaine récolte, à un accroissement de la production. Enfin, bien entendu, devant l’urgence de la situation, ils préconisent de prendre des mesures plus volontaristes, afin de répondre aux besoins immédiats de la population.

Cependant, seules des mesures cohérentes, en rupture avec les politiques libérales actuelles, peuvent permettre d’endiguer la catastrophe qui s’annonce. Comme le précisent notamment la Confédération Paysanne et ATTAC, il faut à la fois :
- une régulation mondiale des marchés agricoles avec le recours aux stocks publics dans le cadre d’une instance internationale sous l’autorité des Nations Unies : elle doit permettre une régulation des prix mondiaux compatible avec l’intérêt général et l’instauration d’une fiscalité procurant les ressources publiques pour satisfaire les besoins en développement des pays du Sud ;

- la reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit des populations, de leurs États ou Unions à définir leur propre politique agricole et alimentaire sans dumping vis-à-vis des pays tiers ;

- l’annulation de la dette des pays pauvres et l’augmentation substantielle de l’aide publique ;

- un moratoire sur le contrôle de la production d’agrocarburants et expérimenter des solutions alternatives ;

Enfin, la crise alimentaire ne peut être résolue au détriment des impératifs écologiques, notamment par la déforestation et le développement des OGM. La crise climatique et l’épuisement des sols sont autant de facteurs qui, au contraire, accentuent la crise alimentaire. Les solutions résident dans des pratiques agricoles écologiques et sociales. Elles nécessitent en particulier une réorientation dans leur ensemble de la recherche publique agronomique et des politiques agricoles et alimentaires.

Cette crise est mondiale et grave, ses enjeux sont énormes et transversaux, des vies sont en jeu, les réponses sont d’ordre politique ; nous ne pouvons donc négliger ce débat et ne pas se battre ou une réelle modification des politiques libérales actuelles et une refonte totale des politiques agricoles et alimentaires mondiales.

Damien Landini


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