Blé : la hausse mondiale des prix est le fruit de la spéculation et de la libéralisation des marchés agricoles

dimanche 5 septembre 2010.
 

Quand le blé passe d’une poche à l’autre

Après l’annonce par la Russie et l’Ukraine du gel de leurs exportations de blé, et sur fond de spéculation, les cours des céréales flambent. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) redoute le retour des émeutes de la faim, qui ont touché trente-sept pays en 2008.

Des barricades dans les rues de Port-au-Prince (Haïti) ou du Caire (Égypte), des rues jonchées de pierres, des foules armées de gourdins qui tentent de lyncher des boulangers ou des petits commerçants ou qui s’affrontent aux forces de l’ordre… Au printemps 2008, des émeutes de la faim éclatent dans trente-sept pays. Trente-sept pays pauvres bien entendu. Car si la faim les frappe cette année-là, ce n’est pas parce qu’une pénurie généralisée guette la planète entière mais parce que le prix du blé flambe sur le marché international. Dépendants de l’étranger pour leur approvisionnement, ces pays ne parviennent pas, malgré une politique de subvention, à maintenir le prix du pain, du blé ou du riz à des niveaux abordables pour leur population déjà pauvre.

Les stocks mondiaux au plus haut niveau

Deux ans plus tard, le spectre des émeutes de la faim fait sa réapparition. La mise en garde au printemps dernier du directeur de la FAO, Jacques Diouf, qui s’inquiétait d’une possible répétition de la catastrophe de 2008, serait sans doute passée inaperçue si, cet été, le cours des prix du blé n’avait pas retrouvé des sommets vertigineux. La tonne de blé, qui se négociait à l’équivalent de 125 euros à la Bourse de Chicago en décembre dernier, flirte depuis début août avec les 210 euros, après avoir même atteint un pic de 232 euros.

Officiellement, c’est l’annonce de l’embargo sur les exportations ukrainiennes et russes, dont les récoltes ont été mises à mal par la canicule et les incendies, qui est à l’origine de cette flambée. Reste que si les pays producteurs riverains de la mer Noire comptent toujours parmi les plus importants au plan mondial, leur retrait et même l’annonce hier par la Russie de son intention d’importer 5 millions de tonnes de blé ne peuvent suffire à provoquer une pénurie mondiale de blé. Les stocks mondiaux atteignent, avec près de 200 millions de tonnes, leur plus haut niveau depuis dix ans, supérieur de près de 80 millions de tonnes à ceux de 2008. En Amérique du Nord comme en Europe, les moissons sont plutôt bonnes, laissant espérer une campagne mondiale de blé équivalente à celle de l’année dernière et supérieure de presque 50 millions de tonnes à celle de 2008. Pour bon nombre d’observateurs, l’envolée du prix du blé est surtout le fruit de la spéculation et de la libéralisation des marchés agricoles.

Les agros-industriels se partagent le gâteau

La suppression des barrières douanières et des outils qui permettaient aux États de protéger leurs marchés nationaux est en effet l’un des principaux facteurs de la recrudescence de la faim dans le monde, qui touche plus d’un milliard d’êtres humains. Elle a eu en effet pour conséquence de mettre en concurrence les agriculteurs au plan mondial. Or, quelle concurrence « libre et non faussée » peut s’exercer entre une agriculture subventionnée et fortement productive, comme celle des pays du Nord, et celle des pays du Sud, où la traction animale reste la règle  ? Confrontés sur leur propre marché à des importations moins chères que leurs propres productions, chaque année, des centaines de milliers de paysans n’ont pas d’autres choix que d’abandonner la terre pour gagner les bidonvilles des grandes métropoles du tiers-monde afin de tenter d’y survivre.

À qui profite le crime  ? Paradoxalement, l’envolée des prix ne semble guère enrichir les agriculteurs du Nord, qui voient leur revenu agricole baisser régulièrement. Pour le blé comme pour le lait, les principaux gagnants de la mondialisation sont les groupes agro-industriels. Ils sont une poignée à se partager le gâteau au plan mondial. Parmi lesquels, le géant américain Cargill qui, l’année dernière, a enregistré un chiffre d’affaires de 107 milliards de dollars et un bénéfice de près de 3 milliards de dollars.

Pierre-Henri Lab


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