Mai 68 et la discipline à l’école (par Claude Lelièvre, historien de l’éducation)

vendredi 9 mai 2008.
 

Si l’on en croit les sondages, la seule question pour laquelle les Français sont partagés quant aux conséquences de Mai 68 est celle de l’Ecole, notamment pour ce qui concerne l’autorité et la discipline. Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos n’ont pas manqué de tenter d’exploiter le filon, en particulier pour ce qui a trait à la discipline au sein de l’école primaire, alors même que Mai 68 n’est en rien fondateur en l’occurrence, tout au plus un mouvement un peu précipité dans une longue évolution.

Cette évolution commence en effet bien avant Mai 68. On peut prendre pour exemple significatif le " Code Soleil " ( un ‘’code ‘’ professionnel rédigé dans le cadre syndical, celui du Syndicat national des instituteurs, quasi hégémonique alors ). Depuis sa première rédaction en 1923 jusqu’au début des années 1950, il est indiqué que la discipline doit " être douce et ferme à la fois : elle soumet l’enfant à une règle qu’il accepte parce qu’on lui en a expliqué le sens et démontré l’utilité " ; et il est explicitement indiqué qu’il ne faut pas renoncer aux punitions quand elles sont nécessaires.

Mais, dès l’édition de 1957, ces dernières précisions disparaissent. Les auteurs syndicalistes citent alors Rousseau et mettent en cause le système d’une discipline imposée par le maître : " Le maître s’efforcera de suggérer et non d’ordonner. Il s’agit de convaincre chaque enfant qu’en obéissant à ‘’la règle du jeu scolaire’’ il joue son rôle dans l’organisation, la bonne tenue, la discipline de la classe [...]. C’est par la pratique de l’auto-discipline, et non par la discipline imposée que l’on accoutumera l’enfant à l’usage de la liberté ".

Dans un dossier syndical consacré à la surveillance des élèves paru en 1967 dans "L’Ecole Libératrice ", le secrétaire général du SNI - André Ouliac - précise que " l’enfant doit s’épanouir, et l’intérêt qu’il porte à l’enseignement reçu est sans doute le meilleur juge de l’harmonie de la classe [...]. La discipline doit être libérale".

Dans les années qui suivent Mai 68, les remises en cause théoriques de la discipline traditionnelle s’accentuent et se radicalisent. Et " Libres enfants de Summerhill " devient un best-seller scolaire, en particulier dans les Ecoles normales.

Mais, comme l’a souligné Bernard Douet une dizaine d’années plus tard, à l’issue de sa vaste enquête dans les écoles communales datant du début des années 1980 sur " la discipline et les punitions à l’école ", " il existe toujours à l’école une méthode essentiellement autoritaire et directive, pratiquée par un grand nombre [...]. Le fait que les écrits pédagogiques de type autoritaire se raréfient pendant que ceux de tendances libérales ou non directives semblent de plus en plus nombreux, pourrait laisser croire que l’école actuelle a totalement délaissé châtiments et peines pour s’engager sur les voies nouvelles qu’annoncent les théoriciens. Or la réalité est tout autre. L’école actuelle, qui pratique toujours les punitions les plus classiques, se pose certes en fait beaucoup de questions. Mais les défenseurs d’une éducation plus libérale ont inquiété plus qu’ils n’ont modifié. Les expériences tentées ici et là, le plus souvent par des enseignants isolés, ont ouvert le débat plus qu’elles n’ont su convaincre ".

Alors que les châtiments corporels sont formellement interdits dans l’Ecole républicaine depuis 1887, 15% des instituteurs interrogés par Bernard Douet déclarent les utiliser, un siècle plus tard. Ils sont encore 13% dans une récente enquête conduite dans le département du Nord en 2004 par Cécile Carra.


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