Après le décés de Chantal Sébire : Notre corps nous appartient

lundi 31 mars 2008.
 

En demandant une aide pour mettre fin à ses jours, Chantal Sébire fait doublement acte de courage. D’abord le courage de porter le droit à disposer de son corps sur la place publique, face à une gouvernement dont l’éthique et la culture sont hostiles à la liberté des individus. Et les faits lui donneront raison : le gouvernement refusera à Chantal Sébire le droit de disposer de son corps. Un acte de courage aussi parce qu’elle inscrit sa vie dans un dessein qu’elle entend maîtriser jusque dans ses ultimes instants. Trop souvent oublié, cet aspect est pourtant central. Si, comme nous tous, cette femme ne pouvait échapper à la mort, elle a choisi de la décider. C’est là un ultime acte de volonté à diriger sa propre vie.

Rompre avec une vision du corps

Nous devons nous rendre à l’évidence, notre culture enseigne une image du corps qui divise l’individu en deux, établissant comme « une évidence » que la vie serait différente du corps. Que certains adhèrent à cette croyance ne doit pas contraindre le reste de la population (et les lois à disposition) à suivre cette même voie. Or telle est aujourd’hui la condition qui est la notre. Pour quiconque passera de l’Occident à l’Orient, un profond fossé culturel apparaîtra alors : d’un coté une vision mécaniste et découpé du corps, qui ne s’intéresse à lui qu’en cas de problème, qui le considère comme un « récipient » (mais un récipient de quoi ? ).

À l’opposé, l’Orient propose du corps une vision globalisante et vitaliste. Il est question des douleurs, des plaisirs, de la diététique (au sens de la « gestion du jour »). Détail révélateur : si l’Orient produira au fil des siècles plusieurs érotiques ; l’Occident chrétien n’en proposera jamais. En Occident, on paie son médecin lorsque l’on va mal ; en Orient on le paie lorsque l’on va bien (c’est à dire lorsqu’il fait du bon travail). Ce qui est donc en cause sous le principe de la mise à disposition d’une euthanasie ne relève pas simplement de la douleur, mais d’une perception bien plus générale de notre corps et, de fait, de notre existence. Celle-ci ne doit pas proposer une séparation entre la vie et le corps. Non, le corps est la vie, et il n’y a pas de vie sans corps. Cette proposition n’a l’air de rien, mais elle est révolutionnaire, toutes les féministes le savent parfaitement. D’abord parce que cette optique invite à une perception de soi, à la compréhension de sa vie à partir ce que l’on est concrètement (son corps) et de comment on vit (est-il fatigué, malade, épuisé, stressé). Ensuite, c’est toute la conception du rapport à la médecine qui est revue.

La connaissance médicale ne doit-elle être là que pour réparer ce qui est cassé ? Ou bien doit-elle être là pour aider les individus à être bien portant, à être équilibrés. Le médecin est-il seulement là pour remettre en état, ou bien est-il là comme aide pour gérer sa vie et son corps au fil de ses étapes, c’est à dire de la naissance jusqu’à la mort. La perception du corps comme élément indissociable de la vie invite l’individu à en devenir davantage le maître, et de fait à revendiquer son autonomie et son droit à disposer de sa vie. Du règne du judéo-christianisme vient trop souvent cette vision du suicide comme une lâcheté. Pour nous, femmes et hommes de gauche, il serait temps de revendiquer pour des personnes comme Chantal Sébire l’image de celui qui veut rester maître de sa vie intime, une image qui trouve ses racines dans le suicide romain, c’est à dire dans un acte de noblesse. En demandant le droit de mourir, Chantal Sébire s’inscrit explicitement dans la tradition romaine, non dans celle de la lâcheté. L’éthique de gauche n’est pas du coté de la lâcheté.

Mai 68 - Mai 2008

Mais ce qui fonde la question de l’euthanasie est une question de pouvoir. « Qui possède un corps ? », l’individu ou le pouvoir en place ? A cette question Nicolas Sarkozy a très clairement répondu qu’une personne ne doit pas disposer de son corps et que la législation en place doit entériner que le seul choix légal doit être entre subir la douleur et être hors la loi. On connaît la litanie sur le suicide qui a eu cours en France durant des siècles, et ne voir dans la réponse du pouvoir en place qu’une pure coïncidence relèverait de la crédulité. La symbolique du suicide est d’autant plus forte qu’elle décide des ultimes instants de vie. Là aussi le pouvoir liberticide se doit d’imposer sa volonté : non les individus ne sont pas maîtres de leurs corps. Le libéralisme est tout sauf une société de liberté. L’éthique libérale anglo-saxonne a besoin d’individus serviles, humbles et soumis, qui consomment ce qu’on leur enjoint de consommer, qui produisent en se taisant. TF1 assure que là est le bonheur et le monde fonctionne correctement. Dans ce cadre, malheur à celui qui réclame sa liberté. Et de toutes les libertés, celles qui concernent le corps sont les plus intimes donc les plus inadmissibles pour une éthique liberticide et sécuritaire. Nous sommes dans cette situation.

A partir du moment où une personne reprend possession de son corps, et en réclame le droit à en disposer, elle se heurte au toute forme de pouvoir liberticide. Toute l’histoire du mouvement féministe illustre cette logique. Et le combat est certes contre le pouvoir, mais il est aussi contre nous-mêmes, contre ces vérités que l’on nous a enseigné. Sur le plan des libertés, la question du corps est centrale dès que l’on parle de pouvoir. Celui qui domine des corps, en dispose, impose des contraintes légales sur les choix les plus intimes (et qu’y a t-il de plus intime que la mort ?), alors celui-là est maître de ces corps, donc maître de ces vies. Cette volonté de disposer des corps à la place des individus signe le désir de contrôle et d’asservissement. La lutte pour une autre société passe par la revendication du droit pour chaque individu à disposer de son corps.

La condamnation de Mai 68 par Nicolas Sarkozy est là aussi tout un symbole. Non, nous ne devons pas oublier nos corps. Le Pacte Républicain lie des individus, des hommes et des femmes, qui veulent vivre des existences sereines, en paix les uns avec les autres. Pour cela, ils se donnent un cadre commun dans lequel ils œuvrent, et une laïcité qui sépare ce qui relève de l’intime et ce qui relève de leur sphère publique. Dans un tel cadre l’intimité et la vie peuvent exister. De fait, il ne peut y avoir de République hors de l’héritage de Mai 68. Mai 68 est la revendication qu’une vie n’est pas faite pour consommer ce que l’on nous dit de consommer, qu’elle n’est pas faite pour produire ce que l’on impose de produire. L’héritage de Mai 68 pose la question radicale à laquelle nous, républicains laïques, nous devons rester fidèles : quelle vie ? Qui en décide ?

Toute éthique qui a pour base des valeurs liberticides ne peut conduire à un Pacte Républicain puisqu’elle propose toujours que certains - des puissants - disposent du corps des autres ; et c’est peut être là la définition ultime du pouvoir.

Face au pouvoir libéral, le débat sur l’euthanasie nous envoie un signal fort qui doit nous réveiller car, de toute évidence, le projet de la gauche sur ce point est vide. Il sonne terriblement creux, mais il n’est pas à construire de toute pièce, il est à réactiver. Nos aînés ont posé bien avant nous la question : comment vivre bien dans un corps qui souffre, dans un corps fatigué, dans un corps malade, dans un corps qui ne dispose pas de lui-même ? Le combat féministe relève de cette tradition, celui de l’euthanasie également, mais ce combat est au final celui des individus qui veulent pouvoir disposer de leurs vies et ne pas être ce qu’on leur commande d’être par média interposés.

Parce que cette question est au cœur de l’existence, elle doit être au cœur de tout projet républicain.

Par Évariste


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