Insurrections et Grande Révolte juive (années 4 à 73) ; chute de Massada (2 mai 73)

samedi 4 juillet 2020.
 

A) Une société juive en rébellion permanente contre Rome, contre la culture grecque, contre les riches

La Judée fut le coeur de la civilisation juive antique. Suite à des conflits entre enfants de la reine Alexandra, le chef militaire romain Pompée s’empare de ce territoire. Durant plusieurs décennies, la province conserve une relative autonomie institutionnelle (maintien du Sanhédrin...), religieuse, administrative, culturelle ; Hérode le Grand reçoit même de Rome le titre de roi de Judée.

Cependant, un contexte de rébellion latente ou ouverte contre les occupants romains et leurs soutiens locaux (aristocratie terrienne et religieuse juive) va se maintenir. Deux causes principales peuvent l’expliquer :

- la spécificité de la population, ses traditions socio-culturelles, sa forte identité religieuse et communautaire. Or, la classe dominante juive s’hellénise et se romanise. Ainsi, Hérode fait construire hippodromes, aqueducs, stades et amphithéâtres. Il change le nom de plusieurs villes dont Straton qui devient Césarée.

- la précarisation générale de la population rurale chassée de ses terres par les impôts trop lourds, par la rapacité de la caste religieuse, par plusieurs années de mauvaises récoltes...

Dans le best-seller Jésus le Zélote, publié par l’universitaire en histoire des religions, Reza Aslan, la meilleure partie concerne la description de la société juive durant les deux premiers siècles d’occupation romaine, particulièrement au début de notre ère :

« Dans les années tumultueuses qui suivirent l’occupation romaine de la Judée... la situation des cultivateurs et des paysans juifs... ne cessa de s’aggraver. Les petites exploitations familiales, depuis des siècles le fondement essentiel de l’économie rurale, se voyaient peu à peu absorbées dans les grands domaines administrés par l’aristocratie terrienne... vouant les paysans à la famine et à l’indigence. ceux-ci n’étaient pas seulement contraints de payer leurs taxes et dîmes aux prêtres du Temple : il leur fallait à présent verser un lourd tribut à Rome. Pour les cultivateurs, le total pouvait atteindre presque la moitié de leur gain annuel. L’urbanisation rapide sous l’administration romaine alimentait la migration intérieure des masses, qui délaissaient les campagnes pour les villes.

En même temps, des sècheresses successives avaient laissé de grandes superficies des campagnes en jachère tandis qu’une bonne partie de la paysannerie juive était réduite à l’esclavage. Ceux qui parvenaient à se maintenir sur leurs champs ravagés n’avaient souvent d’autre choix que de s’endetter lourdement auprès de l’aristocratie terrienne, à des taux d’intérêt exorbitants... En l’absence de remboursement rapide et intégral d’un prêt, les terres de l’emprunteur pouvaient être confisquées et le paysan continuer de les occuper en métayage, se tuant au travail pour son nouveau propriétaire. »

Par une répression sanglante, Hérode avait réussi à étouffer l’impact des "lestaï" (guerilleros) dans la population. Aussitôt après son décès (4 avant notre ère), le soulèvement reprend vigueur autour de Messies qui veulent restaurer l’indépendance politique et religieuse des Juifs, restaurer le royaume de Dieu.

B) Insurrections sociales juives du début du 1er siècle. Judas le Galiléen

Si Hérode avait réussi à écraser les guerilleros juifs, la révolte sociale et communautaire continuait à sourdre de tous les pores de la société. Lui mort, ses enfants aussi incapables les uns que les autres virent ces ferments exploser en des soulèvements nombreux durant les premières décennies de notre ère.

« Les émeutiers réduisirent en cendres l’un des palais d’Hérode sur les rives du Jourdain. Par deux fois, le Temple lui-même fut envahi... Dans les campagnes, les bandes de "brigands" qu’Hérode avait soumises recommencèrent à ravager la Galilée, massacrant les anciens acolytes du du roi. En Idumée, contrée natale d’Hérode, deux mille de ses soldats se mutinèrent.

Chacun de ces soulèvements fut sans doute alimenté par les attentes messianiques des Juifs. En Pérée, un ancien esclave d’Hérode -un véritable géant nommé Simon- s’intronisa messie et rallia une troupe de lestaï pour piller les palais royaux à Jéricho ; la révolte prit fin avac la capture de Simon qui fut décapité. Peu après, un autre candidat messie, un jeune berger crève-la-faim du nom d’Athrongée, posa une couronne sur sa tête et lança une attaque insensée contre les forces romaines ; lui aussi fut fait prisonnier et décapité. »

Pour en finir avec cette indiscipline, Rome décida de transformer la Palestine antique en province romaine, directement administrée par elle.

Deux grandes révoltes populaires éclatent en l’an 4 puis en l’an 6 (contre le recensement fiscal et la transformation du pays en simple province romaine). Elles sont toutes deux dirigées par l’un des principaux messies, personnage qui peut être défini comme révolutionnaire : Judas le Galiléen. Flavius Josèphe le présente comme « fils de cet Ezéchias qui jadis avait infesté le pays à la tête d’une troupe de brigands et que le roi Hérode avait capturé ».

Il s’associe avec un Pharisien nommé Sadok (le Juste) et « réunit une multitude considérable » nous affirme Flavius Josèphe. Il attaque alors la garnison romaine de Sepphoris (environ 40000 habitants), capitale de Galilée (7 km au nord de Nazareth), lieu de travail du célèbre Joseph, père de Jésus et Jacques le Juste. Il s’empare de toutes les armes de l’arsenal, équipe ainsi ses compagnons, combat vaillamment et revendique le pouvoir comme roi des Juifs face aux fils d’Hérode. L’article de Wikipedia le concernant affirme justement qu’il « déclenche ainsi un vaste mouvement insurrectionnel ».

Dans ce processus révolutionnaire, Judas le Galiléen affronte Joazar, Grand Prêtre de la religion juive, membre de la grande famille boëthusienne, partisan de la soumission. Flavius Josèphe, pourtant farouchement opposé à son combat, le décrit surtout comme un « philosophe », fondateur d’un quatrième courant politico-religieux, celui des Sicaires probablement proche ou identique aux Zélotes) après les Sadducéens, les Pharisiens et les Esséniens. Les aspirations qu’il représente et met en avant passent par le combat concret contre les dominants tout en exprimant "l’attente d’une rédemption ou d’une libération eschatologique par le Dieu d’Israël" ; ce qui, selon Simon Claude Mimouni, « permet évidemment la légitimation du pillage des biens des riches, considérés comme les alliés des pouvoirs établis. »

Juda le Galiléen est battu, pris par l’armée romaine puis crucifié comme les autres messies. Ses fils continuent à propager ses idées et son combat « développant un vaste réseau à travers tout le pays et encourageant la résistance et l’hostilité à Rome sous toutes ses formes » (phrase extraite de Wikipedia).

C) Première guerre juive

Dans les années 50 de notre ère, les zélotes (et sicaires) héritiers du combat de Judas le Galiléen et de ses fils acquièrent une audience majoritaire dans la population. L’agitation sociale et anti-romaine prend un caractère généralisé. Il suffit de deux étincelles pour déclencher une immense insurrection victorieuse en l’an 66.

« Elle prend de l’ampleur en 66, sous le gouvernement du procurateur Gestius Florus, en raison de deux éléments : d’une part, la mort de Juifs dans des affrontements entre populations juive et non juive à Césarée sans que les Romains n’interviennent ; d’autre part, la décision du procurateur de prélever sur le trésor du Temple une somme correspondant au montant des impôts dûs par les Juifs. Une émeute éclate à Jérusalem et, pour la première fois, s’étend à l’ensemble du pays : la révolte devient alors un soulèvement populaire général, qui prend de court les autorités romaines présentes sur place et vaincues à la bataille de Beth-Horon en 66. Dès lors, le pays entre officiellement en guerre. Quelques tentatives de médiation, notamment de la part du roi de Chalcis Hérode Agrippa II soutenu par les notables et les pharisiens, échouent : il s’agit véritablement d’une insurrection populaire.

Les révoltés proclament à Jérusalem l’indépendance de l’État juif, tuent le grand prêtre pro-romain Ananias, suppriment les sacrifices à l’empereur (institués par Hérode) et frappent des monnaies portant l’inscription « An I de la Liberté ». Toutefois, très vite, des dissensions refont surface au sein du peuple juif révolté : au nouveau gouvernement de Jérusalem, à dominante pharisienne et modérée, s’opposent rapidement des chefs charismatiques qui poursuivent la lutte armée dans le reste du pays – notamment Jean de Giscala, en Galilée, et Siméon bar Ghiora, proche des zélotes. Ils refusent un quelconque apaisement, craignant de redevenir un « faux État » contrôlé en réalité par l’occupant, comme sous Hérode, et cherchent par la même occasion à réinstituer un strict respect des obligations religieuses.

Siméon bar Ghiora est même, d’après Flavius Josèphe, « obéi comme un roi » par ses soldats, probablement en raison de prétentions messianiques qu’il aurait eu. Ces différentes factions s’affrontent à plusieurs reprises, transformant la révolte nationaliste en une guerre civile : d’abord en 68, lorsque, la Galilée ayant été reconquise par Vespasien, les Galiléens de Jean de Giscala et leurs compagnons zélotes prennent le pouvoir à Jérusalem, renversant les pharisiens et multipliant les provocations à l’encontre du Sanhédrin. En avril 69, la faction sacerdotale de Jérusalem rappelle donc Siméon bar Ghiora – évincé au début de la révolte – pour lutter contre les zélotes et la faction de Giscala. Entre rivalités personnelles et désaccords politiques, les Juifs de Palestine parviennent cependant à trouver un accord sur la défense de Jérusalem au printemps 70, alors que les légions romaines menées par le fils du nouvel empereur assiègent déjà la Ville Sainte.

A la tête de quatre légions, Titus parvient à Jérusalem en mars 70 et entreprend le siège de la ville, qui résiste quatre mois avant de tomber. En août, le Temple est détruit par un incendie ; en septembre, face à l’intransigeance de Siméon bar Ghiora et de Jean de Giscala, qui refusent de se rendre, Titus ordonne le pillage de la ville, qui est presque entièrement rasée. Le fils de l’empereur repart ensuite à Rome pour y célébrer son triomphe, emmenant avec lui plus de sept cents prisonniers dont Jean de Giscala, qui mourra en prison, et Siméon bar Ghiora, exécuté à la fin du triomphe.

Une brutale répression s’abat alors sur les Juifs de Palestine, qui retrouvent un pays dévasté par les combats, voient l’autorité de Rome se renforcer lorsque Vespasien, en 70, fait de la Judée une province impériale proprétorienne séparée de la province de Syrie, et surtout perdent l’une de leurs composantes identitaires principales avec la destruction du Temple... Le Sanhédrin et la fonction de grand prêtre disparaissent avec le Temple. Le pays tout juste reconquis est enlevé aux Juifs pour être annexé à l’ager publicus, c’est-à-dire qu’il devient la propriété du peuple romain ; en 72, Vespasien ordonne l’affermage des terres individuelles comme domaine particulier de l’empereur, dont il laisse uniquement l’usufruit aux paysans non expulsés. Les Juifs en tant que peuple sont aussi, suite à cette révolte, soumis à une relative persécution pendant quelques années : de nombreux Juifs de la Diaspora sont arrêtés à travers tout l’Empire romain et réduits en esclavages, et un nouvel impôt réservé aux Juifs, le fiscus judaicus, affecté au temple de Jupiter Capitolin, est créé. » (Source de cette citation http://www.lesclesdumoyenorient.com...

La Grande Révolte juive a aussi pour conséquence d’amener le judaïsme à se reconfigurer, notamment autour des pharisiens, seul mouvement juif sorti à peu près intact de la guerre civile. La destruction du Temple et la surveillance romaine instituée à Jérusalem les amène à choisir comme nouveau centre religieux et culturel la ville de Jamnia, où ils fondent une école rabbinique et un grand conseil, le Beth-Dîn, qui remplace le Sanhédrin, surtout pour ce qui est des fonctions judiciaires et religieuses. C’est cette branche qui donnera naissance au judaïsme rabbinique.

La Grande Révolte juive est donc un événement déterminant de l’histoire du judaïsme, qui ouvre une période difficile pour les Juifs judéens tandis que le judaïsme diasporique prend de plus en plus d’envergure sur les plans culturel et théologique.

D) 2 mai 73 : Chute de la dernière forteresse juive : Massada

Le nouveau gouverneur de Judée, Lucius Flavius Silva, reprend la dernière place forte juive, Massada, en 73, marquant la fin de la guerre.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message