3 octobre 1965 "Le plus sacré des devoirs : lutter contre l’impérialisme où qu’il soit" (Lettre d’adieu du Che à Castro et Cuba)

mardi 4 octobre 2022.
 

Ernesto Rafael Guevara naît en 1928 en Argentine dans une famille de gauche antifasciste. En traversant l’Amérique latine sur sa légendaire moto, il découvre l’extrême pauvreté et la dépendance économique imposée par les multinationales US. Il participe à la révolution bolivienne de l’été 1953. En décembre de la même année, il rejoint le Guatemala qui vient d’élire à la présidence un homme capable de réussir de réelles réformes, Jacobo Arbenz Guzmán. La multinationale United Fruit et la CIA fomentent un coup d’état militaire et le meurtre de Guzman. Guevara est alors définitivement convaincu de la nécessité d’une perspective socialiste révolutionnaire pour sortir de la misère sociale créée par la domination économique US.

Guevara rejoint le Mexique où des Cubains sont réfugiés depuis l’échec de la prise de la Moncada. En novembre 1956, il fait partie de la petite expédition du Granma (yacht en fort mauvais état) qui porte 82 opposants à Batista sur les côtes de Cuba. Mais le dictateur a été prévenu et l’armée anéantit le groupe dès son débarquement ; seuls 12 combattants dont Castro et Guevara réussissent à rejoindre la Sierra Maestra pour engager la guerrilla.

Guevara se distingue rapidement comme chef militaire de la 4ème colonne. Le 1er janvier 1959, en pleine grève générale ouvrière, les guerrilleros chassent Batista du pouvoir. Le Che occupe dès lors des fonctions politiques et militaires importantes : président de la banque nationale de Cuba, dirigeant de l’institut national de la réforme agraire, ministre de l’Industrie...

Il prend des positions de plus en plus radicales face au capitalisme et aux USA. Il déclare par exemple à la tribune de l’ONU « Les pays socialistes ont le devoir moral d’arrêter leur complicité tacite avec les pays de l’ouest exploiteurs. »

C’est alors que le Che disparaît pour partir combattre en Afrique puis en Amérique latine. Sa lettre d’adieu n’est rendue publique par castro que le 3 octobre 1965. La voici.

Jacques Serieys

« Fidel,

Je me souviens en ce moment de tant de choses : du jour où j’ai fait ta connaissance chez Maria Antonia, où tu m’as proposé de venir et de toute la tension qui entourait les préparatifs. Un jour, on nous demanda qui devait être prévenu en cas de décès, et la possibilité réelle de la mort nous frappa tous profondément. Par la suite, nous avons appris que cela était vrai et que dans une révolution il faut vaincre ou mourir (si elle est véritable). De nombreux camarades sont tombés sur le chemin de la victoire.

Aujourd’hui, tout a un ton moins dramatique, parce que nous sommes plus mûrs ; mais les faits se répètent. J’ai l’impression d’avoir accompli la part de mon devoir qui me liait à la Révolution cubaine sur son territoire, et je prends congé de toi, des compagnons, de ton peuple qui est maintenant aussi le mien.

Je démissionne formellement de mes fonctions à la Direction du Parti, de mon poste de ministre, je renonce à mon grade de commandant et à ma nationalité cubaine. Rien de légal ne me lie plus aujourd’hui à Cuba en dehors de liens d’une autre nature qu’on n’annule pas comme des titres ou des grades.

En passant ma vie en revue, je crois avoir travaillé avec suffisamment d’honnêteté et de dévouement à la consolidation du triomphe révolutionnaire. Si j’ai commis une faute de quelque gravité, c’est de ne pas avoir eu plus confiance en toi dès les premiers moments dans la Sierra Maestria et de ne pas avoir su discerner plus rapidement tes qualités de dirigeant d’hommes et de révolutionnaire.

J’ai vécu des jours magnifiques et j’ai éprouvé à tes côtés la fierté d’appartenir à notre peuple en ces journées lumineuses et tristes de la Crise des Caraïbes. Rarement, un chef d’Etat fut aussi brillant dans de telles circonstances, et je me félicite aussi de t’avoir suivi sans hésiter, d’avoir partagé ta façon de penser, de voir et d’apprécier les dangers et les principes.

D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts. Je peux faire ce qui t’est refusé, en raison de tes responsabilités à la tête de Cuba et l’heure est venue de nous séparer.

Je veux que tu saches que je le fais avec un mélange de joie et de douleur ; je laisse ici les plus pures de mes espérances de constructeur et les plus chers de tous les êtres que j’aime...et je laisse un peuple qui m’a adopté comme un fils. J’en éprouve un déchirement. Sur les nouveaux champs de bataille je porterai en moi la foi que tu m’as inculquée, l’esprit révolutionnaire de mon peuple, le sentiment d’accomplir le plus sacré des devoirs : lutter contre l’impérialisme où qu’il soit ; ceci me réconforte et guérit les plus profondes blessures.

Je répète une fois encore que je délivre Cuba de toute responsabilité, sauf de celle qui émane de son exemple. Si un jour, sous d’autres cieux, survient pour moi l’heure décisive, ma dernière pensée sera pour ce peuple et plus particulièrement pour toi. Je te remercie pour tes enseignements et ton exemple ; j’essaierai d’y rester fidèle jusqu’au bout de mes actes. J’ai toujours été en accord total avec la politique extérieure de notre Révolution et je le reste encore. Partout où je me trouverai, je sentirai toujours peser sur moi la responsabilité d’être un révolutionnaire cubain, et je me comporterai comme tel. Je ne laisse aucun bien matériel à mes enfants et à ma femme, et je ne le regrette pas ; au contraire, je suis heureux qu’il en soit ainsi. Je ne demande rien pour eux, car je sais que l’Etat leur donnera ce qu’il faut pour vivre et s’instruire.

J’aurais encore beaucoup à te dire, à toi et à notre peuple, mais je sens que c’est inutile, car les mots ne peuvent exprimer ce que je voudrais, et ce n’est pas la peine de noircir du papier en vain.

Jusqu’à la victoire, toujours. La Patrie ou la Mort !

Je t’embrasse avec toute ma ferveur révolutionnaire

ERNESTO CHE GUEVARA »


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