Pierre Lambert, définitivement parti des travailleurs (16 janvier 2008)

mardi 23 janvier 2024.
 

Pierre Lambert, 1920-2008 (par Vincent Présumey)

Le « vieux », qui partageait ce surnom avec Léon Trotski, vient de rejoindre l’ancien patron de l’Armée rouge au paradis des révolutionnaires. Pierre Boussel, alias Pierre Lambert, alias Pierre Andréi, le « pape » d’une des trois grandes familles du trotskisme hexagonal, est mort hier matin des suites d’une longue maladie, à l’âge de 87 ans, a annoncé un communiqué de son organisation, le Parti des travailleurs.

Pour toute une génération formée à cette école, la disparition de Pierre Boussel-Lambert signifie la mort d’un mentor. Devant le 87, rue du Faubourg Saint-Denis à Paris, siège de cette organisation où l’on n’entre qu’après avoir montré patte blanche, le secrétaire national du PT, Daniel Gluckstein, se refusait, hier, à tout commentaire. Même absence de commentaire d’un ancien militant lambertiste, infiltré sous couverture au Parti socialiste et jouissant d’une plus grande renommée : Lionel Jospin, Premier ministre de 1997 à 2002 et militant lambertiste actif jusqu’en 1981...

Petit papy chauve à la gouaille de titi parisien, discret, figure historique de la IVe internationale, né le 9 juin 1920 dans le XIIe arrondissement de Paris dans une famille d’immigrants juifs russes, Pierre Boussel-Lambert s’est toujours satisfait de la réputation d’homme de l’ombre qui l’entourait. Sous sa férule, le courant qu’il incarnait et auquel il a fini par donner son nom, le lambertisme, a longtemps pratiqué l’entrisme sous toutes ses formes. Et dans différentes organisations. Au sein de la franc-maçonnerie d’abord, et plus particulièrement au Grand Orient de France, avec la bénédiction de Fred Zeller, ancien secrétaire de Trotski lors de son séjour à Paris, grand maître de cette obédience dans les années 70. Boussel-Lambert avait d’ailleurs commencé son parcours politique avec lui, à l’Entente des jeunes socialistes de la Seine en 1934, avant de rejoindre les rangs du courant de gauche au sein de la SFIO animé par Marceau Pivert.

« Entrisme ». Mais aussi au sein de Force ouvrière, auquel ce jeune employé des caisses de Sécurité sociale se syndique dans les années 50. Les lambertistes finissent par y acquérir un poids non négligeable. Ils auraient ainsi puissamment contribué à l’élection de son secrétaire général, Marc Blondel, en 1989. « J’étais lié d’amitié avec lui », reconnaît Marc Blondel, patron de FO jusqu’en 2004, qui avait invité Boussel-Lambert à son mariage. « Quand on pratique l’entrisme, le fait de dire que les lambertistes étaient puissants à FO ne faisait que renforcer leur influence. De manière souvent exagérée », nuance cependant l’ancien syndicaliste.

Cette influence supposée aura en tout cas permis à Lambert d’être reçu à l’Elysée avec des syndicalistes FO pour un dîner privé avec un conseiller de Jacques Chirac à la veille de la réforme Juppé des retraites de 1995. Boussel rencontrait aussi régulièrement le grand patron de presse Robert Hersant, qui préférait avoir dans ses journaux des syndicats FO que « les cosaques » de la CGT. Le contact entre les deux hommes sera noué par l’intermédiaire d’une autre figure historique de FO, le Nantais Alexandre Hébert, anarcho-syndicaliste revendiqué qui avait croisé Hersant avant-guerre au sein des Jeunesses socialistes à Rouen. « Je n’ai jamais été lambertiste, seulement un compagnon de route. Pierre Boussel-Lambert était un ami et un camarade. Nous nous connaissions depuis plus de cinquante ans. C’était un vrai marxiste et un bolchevique. Il a joué un grand rôle dans le mouvement ouvrier français en militant activement pour l’indépendance des organisations ouvrières », admet aujourd’hui Alexandre Hébert, alias « Ernest » ou « Armand », contacté hier par Libération.

Service d’ordre. Sous tous ses avatars et ses dénominations successives (Parti communiste internationaliste, Organisation communiste internationalistes, Mouvement pour un parti des travailleurs, puis Parti des travailleurs), la formation de Boussel-Lambert a aussi cherché à peser de tout son poids au sein du PS. « Alors que la force de gauche dominante était le Parti communiste, explique Jean Grosset, alias "Saigon", militant lambertiste de 1969 à 1985 et aujourd’hui responsable syndical à l’Unsa, Pierre Boussel-Lambert pratiquait une politique axée sur un nécessaire compromis avec la social-démocratie » pour faire face à la force des communistes. En 1981, les lambertistes assureront même le service d’ordre place de la Bastille au soir du 10 mai. « Jospin n’était pas la seule taupe au sein du PS à avoir la double appartenance », reconnaît un ancien lamberto, permanent du parti. En 1985, toute une fraction de militants rejoindra les rangs du PS sous la houlette de Jean-Christophe Cambadélis, « Kostas ». « Je ne sais pas s’il faut lui en savoir gré ou lui en vouloir, mais grâce à Jospin, l’héritage de Boussel-Lambert s’est dilué dans la social-démocratie », constate un ancien de l’OCI, une pointe de nostalgie dans la voix.

de CHRISTOPHE FORCARI


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