La Légion Française des Combattants, parti unique raté de l’Etat pétainiste

mardi 7 mars 2023.
 

A) Du Parti unique à la Légion Française des Combattants

Mai Juin 1940 : la France est envahie par les armées à la Croix gammée.

10 juillet 1940 : Les députés et sénateurs votent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain

Le Parlement étant mis en congé sans perspective de session à venir, le régime de Vichy réfléchit au type d’organisation à mettre en place pour servir de relai, de cadre structuré entre lui et la population.

L’hypothèse d’un parti unique se pose naturellement pour ces personnalités souvent fascisantes ou fascistes depuis plusieurs années. Marcel Déat organise plusieurs réunions à Vichy avec l’accord du régime ; il met en place un "Comité de Constitution du parti unique" comprenant en particulier Bergery et Vallat. Il réunit ensuite un "Comité directeur" dont les membres sont Cayrel, Bergery, Temple, Deschizeaux, Montigny, Chateau, Brille, Chouffet, Rives, Spinasse et René Dommange. Plusieurs personnalités de l’ancienne Fédération Républicaine comme Vallat participent aux réunions élargies de ce Comité Directeur.

La réalisation du parti unique français échoue pour deux raisons évidentes :

- il récupérerait des parlementaires et cadres départementaux de tous les anciens partis avec leurs réseaux, leur monde mental, leurs ambitions particulières

- le parti unique permet au fascisme de s’imposer dans l’état face aux anciens partis. Or, l’Etat français est déjà aux mains d’une équipe fasciste qui le tient "fermement" ; les anciens partis ont disparu et trouveraient un havre dans un parti unique.

Cet extrait du fonds personnel Vallat est significatif : « Pourquoi constituer un parti unique ? ... Le parti que l’on créerait de toutes pièces serait bien vainement appelé national : il n’aurait rien de ce dynamisme (allemand et italien), et serait fait de vains restes d’anciens partis qui continueraient à s’affronter et à se déchirer. En France, l’Etat est gagné. Il est tenu. Le Maréchal Pétain et son équipe le tiennent fermement... On a supprimé ce qu’il fallait supprimer : le régime des partis. »

Il est vrai que la sympathie n’était pas spontanée entre des fascistes cléricaux comme Dommange et d’anciennes personnalités républicaines de gauche comme Spinasse.

Xavier Vallat, fasciste clérical typique, secrétaire général des Anciens combattants, propose alors de mener à bien la fusion des grandes fédérations d’Anciens combattants de la Première guerre mondiale : l’Union fédérale (950 000 membres) et l’Union nationale des combattants (860 000 membres). Au départ, ce projet n’est pas posé comme contradictoire mais complémentaire au parti unique à construire.

Par la loi du 29 août août 1940, le gouvernement de Vichy crée la Légion Française des Combattants.

Le document sur la Légion émanant du CNRS et mis en ligne sur le web résume bien la nature de celle-ci « L’échec du parti unique, dont Xavier Vallat est l’un des plus chauds partisans avec Marcel Déat et Gaston Bergery en juillet 1940, influe sur l’organisation autoritaire et hiérarchique du mouvement, étroitement lié à l’État. La Légion fut la grande organisation de masse de Vichy. Véritable alternative au projet de parti unique avorté à l’été 1940, elle ne put résister à sa radicalisation interne et généra la Milice. »

http://www.crhq.cnrs.fr/images-axe1...

B) La Légion, relais de propagande du maréchal Pétain

Vallat veut faire de la Légion Française des Combattants un parti fasciste à la française, discipliné et actif propagandiste, sans les défauts d’un parti signalés plus haut. A quoi doivent servir ces Combattants légionnaires ? « Ils doivent partout et dans chaque village, constituer des groupes destinés à faire respecter et exécuter les sages conseils de leur chef de Verdun et de 18. »

Dans sa thèse sur La Légion Française des Combattants Jean-Paul Cointet explique bien comment Vallat l’a modelée selon ses volontés comme une organisation hiérarchisée et très centralisée. Il lui donne un statut officiel comme organisme d’état ayant rang officiel parmi les corps constitués.

Une note du maréchal Pétain (rédigée en fait par Vallat), datée du 8 décembre 1940, précise la fonction de la LFC comme organe dévoué et de masse chargé de contrer la "propagande anglophile". Xavier Vallat y adjoint un commentaire dont Laurent Joly a publié un extrait dans Xavier Vallat Du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’Etat :

« La seule propagande utile ne peut donc se faire que de bouche à oreille.

Mais cette propagande orale, pour être efficace, suppose trois conditions :

- des propagandistes dignes de foi ;

- des propagandistes nombreux et disciplinés partout ;

- des propagandistes disciplinés.

Il faut que dans chaque rue de grande ville pour ne pas dire dans chaque maison, dans chaque village, dans chaque hameau, les hommes ayant de l’autorité et connus, par leur désintéressement, soient capables de répondre intelligemment à chaque mensonge et à chaque sophisme de la propagande anglaise.

Alors seulement la foule populaire sera amenée à comprendre que le maréchal PETAIN n’est pas uniquement un vieux chef militaire que l’on respecte, mais un chef d’état que l’on doit suivre quand il déclare que la politique de collaboration est la seule raisonnable. »

C) Nature, missions et structuration de la Légion Française des Combattants

Le choix de créer la Légion Française des Combattants pour jouer le rôle du parti unique d’un Etat fasciste s’explique à la fois par la nature du fascisme pétainiste, par la personnalité de Pétain lui-même et par sa seule existence dans la zone "libre".

L’Etat pétainiste de 1940 à 1942 est un Etat fasciste de type fortement traditionaliste appuyé sur l’Eglise catholique, le syndicalisme paysan majoritaire, les cadres locaux habituels de droite. Hitler comme Mussolini ont percé publiquement comme chefs de bandes d’agitateurs armés. La popularité de Pétain vient, elle, de son rôle durant la Première guerre mondiale, commandant en chef des forces françaises, "vainqueur de Verdun" ; aussi, la Légion joue beaucoup sur la culture "Anciens combattants". Enfin, le fait que la Légion se construit seulement dans la zone libre, , les Allemands ayant refusé son extension sur tout le territoire, accroît en son sein le poids des milieux ruraux traditionalistes.

Quelles sont les deux grandes missions données à la LFC ?

- Premièrement organiser tous les anciens combattants (les sections locales refusant cette intégration, sont dissoutes, leurs biens dévolus aux légionnaires, leurs cadres réprimés)

- deuxièmement assurer la collaboration des anciens combattants légionnaires aux objectifs de l’Etat fasciste pétainiste et des pouvoirs publics sous ses ordres (préfectures, gendarmerie...).

Chaque membre est lié au maréchal par un serment prêté individuellement : « Je jure de continuer de servir la France avec honneur comme je l’ai servi sous les armes. Je jure de consacrer toutes mes forces à la patrie, à la famille, et au travail. je m’engage à pratiquer l’amitié et l’entraide vis-à-vis de mes camarades des deux guerres, à rester fidèle à la mémoire de ceux qui sont tombés au champ d’honneur. J’accepte librement la discipline de la Légion pour tout ce qui me sera commandé en vue de cet idéal. »

La direction nationale de la LFC diffuse le Légionnaire, un mensuel qui comptera 40 éditions et une revue illustrée la Légion ; il est diffusé à 1 000 000 d’exemplaires en 1941.

En l’absence d’étude précise, limitons-nous à une approximation : plus de 95% des Anciens Combattants de la zone libre ont adhéré à la LFC en 1940 et 1941 d’où la marginalisation des réfractaires.

Les dirigeants locaux, départementaux et régionaux de la LFC sont directement nommés par le gouvernement. Les adhésions et leur suivi passe par les préfectures.

D) Les cadres de la LFC

Ses dirigeants sont recrutés au sein de l’extrême droite comme :

- son vice-président Joseph Péricard, ex-président d’honneur des Croix de Feu (nationalistes)

- son directeur général Pierre Héricourt, figure nationale d’Action française (royaliste)

- son directeur général adjoint François Valentin qui vient d’un univers mental typique, fasciste (père et oncle dans la mouvance des Jeunesses patriotes), militaire (vice-président des officiers de réserve de Nancy) et clérical (président régional de l’Association catholique de la jeunesse française)

- son délégué général Georges Loustaunau-Lacau (fascisme militaire)

- son responsable à la formation, Thierry Maulnier, journaliste d’Action française puis au Figaro après guerre

- son parrain idéologique et organisationnel Xavier Vallat (fascisme clérical)

- le chef de son Service d’Ordre Légionnaire (15000 à 18000 membres), Joseph Darnand.

Lorsque Pierre Laval devient chef du gouvernement en avril 1942, il charge officiellement le SOL d’assurer la protection de l’Etat français.

E) Quelques remarques sur la LFC

Le recrutement de la LFC

En 1941, la LFC organise 1 400 000 légionnaires en zone non occupée, Algérie et colonies. A ceux-ci, il convient d’ajouter 350000 VRN (volontaires de la révolution Nationale), non Anciens combattants mais qui participent à ses sections locales et à son activité.

Plus de 12% de la population adulte de zone Sud a adhéré à la Légion ; parmi les titulaires de carte de combattant de la guerre 1914-1918, environ 70% ont rejoint la Légion.

L’implantation de la LFC est plus massive dans les départements de droite que dans les territoires historiquement marqués à gauche (par exemple dans les Cévennes).

La LFC et l’antisémitisme

Il est évident que la Légion a participé à la vague d’antisémitisme des années 1940 à 1942, y compris en zone non occupée, y compris par-delà les opinions personnelles de Vallat.

Les historiens ont publié un certain nombre de déclarations et dénonciations émanant de comités locaux de la LFC contre les Juifs en général ou contre tel ou tel Juif.

La LFC et les préfectures

« Très vite, les préfets de la Zone non occupée doivent subir la surenchère idéologique et l’intrusion de ces gardiens autoproclamés de l’orthodoxie maréchaliste, ce qui provoque de fréquents affrontements. En février 1941, une instruction rappelle que l’action de la LFC est avant tout « sociale et morale » et qu’elle n’a pas à chercher à supplanter les autorités locales. Le même texte n’en réaffirme pas moins son statut officiel... » (texte du CNRS cité plus haut)

La LFC et son travail en direction de la jeunesse

Il est faux de différencier la LFC des partis uniques fascistes d’Allemagne et d’Italie sous prétexte d’une absence d’organisation de jeunesse. La LFC a mené une activité soutenue en direction des jeunes.

Notre lecteur peut par exemple lire sur le web ce discours prononcé par le Président de la Légion Française des Combattants de la Viene devant un millier de jeunes.

http://www.memoireetactualite.org/p...

F) De l’échec de la Légion des Anciens Combattants comme parti unique fasciste à la création de la Milice française

Je reprends pour résumé sur ce point le document du CNRS cité plus haut « Dès le départ, la Légion est tiraillée entre deux pôles : demeurer un rassemblement de bonnes volontés au service de Pétain ou constituer un instrument discipliné susceptible d’assurer le maintien de l’ordre et la lutte anticommuniste. La création des VRN en novembre 1941 puis celle du Service d’ordre légionnaire (SOL) en janvier 1942 constituent des solutions de compromis. Partisan de la ligne dure et fondateur du SOL, Darnand regroupe près de 18000 militants qui constitueront le vivier de la Milice. »

Lors de sa création, le régime du maréchal Pétain croit en la victoire définitive de la révolution fasciste en Europe. Aussi, il construit la Légion des Anciens Combattants comme un mouvement de masse dont le but essentiel est d’organiser un maximum de Français, de les modeler idéologiquement dans ce cadre.

La plupart des présidents communaux de la Légion, en particulier en milieu rural, ne sont pas d’anciens fascistes mais plutôt des personnalités de droite consensuelles, genre catholique social, maire "apolitique", chrétien démocrate, paysan indépendant... Tant que les armées nazies submergent l’Europe ce type de dirigeant ne rechigne pas en règle générale à relayer l’idéologie fascisante de Vichy, n’hésite pas à contribuer aux dénonciations de Juifs et de Résistants, n’hésite pas à terroriser des opposants.

Globalement, durant les deux premières années de la guerre, le bilan de la LFC est positif pour Vichy. Elle dépasse rapidement le cadre des seuls Anciens combattants avec la création des Amis de la Légion puis la fusion de celle-ci avec le PSF du colonel De La Rocque. Cette évolution politique d’association unie des Anciens Combattants en mouvement pétainiste de masse est symbolisée par le changement de nom le 19 novembre 1941 : la Légion initiale devient la « Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale ».

Dès que les conséquences de la guerre se font sentir dans la population, dès que les armées nazies marquent le pas, les cadres de la LFC ne démissionnent pas mais n’animent plus les groupes locaux.

Or, en novembre 1942, l’armée hitlérienne envahit la zone Sud. Peu nombreuse pour l’occupation d’un pays aussi étendu que la France, elle a besoin d’une forte collaboration fasciste française. Le 19 novembre 1942, Hitler rappelle à Laval que la France a pris la responsabilité d’assurer la sécurité des troupes d’occupation lors de l’armistice de 1940.

La Légion apparaît alors comme un mouvement peu efficace pour contribuer au combat aux côtés de l’Allemagne nazie.

Le gouvernement français de Vichy crée donc la Milice française par la Loi du 30 janvier 1943.

Jacques Serieys


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