Ce dirigeant allemand était en larmes après le discours du vice-président des USA Vance. « Il est sûr que nos valeurs communes ne sont plus si communes que ça » a-t-il hoqueté de désespoir. Ridicules « européens » ! Le service après-vente de la propagande officielle est passé derrière depuis, comme après le « geste maladroit » d’Elon Musk. Il pleurait « à cause de la fin de son job » sans utilité où l’on trouve intelligent de se réunir à Munich pour parler de géopolitique européenne ! Les galonnés et les empoudrés, bien en rang, restaient prosternés devant un grossier personnage venu leur dire combien ils sont pires que les Russes et les Chinois ! Tout cela parce que leurs gouvernements n’autorisent pas l’expression du grand n’importe quoi fascistoïde des Musk, Trump et autres fous à crânes de bison, graciés après avoir vociféré dans le Capitole envahi.

Bref, une grande page de l’Histoire se tourne et, bien sûr, une autre commence. Cette période, c’est celle de la vraie suite de la fin de l’URSS et de la mise à mal parallèle de la puissance des États-Unis. Car les deux puissances idéologiques étaient jumelles. Après l’échec complet de la phase du « nouvel ordre mondial » ouverte par Bush père et sa guerre d’Irak suivie de la déroute Afghane mise au point par Bush fils, l’émergence des BRICS et alliés est l’équivalent à sa manière de la chute du mur chez ceux qui maintenant en construisent partout dans le monde pour repousser les masses humaines que leurs politiques mettent en mouvement. La stupidité des bureaucrates made in USA valait bien celle des faces de pierre des apparatchiks soviétiques. Ceux qui ont cru asservir la Chine sont arrivés à l’exact contraire et ne savent plus comment contenir la puissance productive et innovante qu’ils ont eux-mêmes réamorcée à l’époque de Deng Xiaoping et Nixon. Je partage l’analyse de Thomas Piketty sur ce sujet et sa mise en perspective historique parue dans Le Monde du 15 février. « On constate aussi que le PIB de la Chine a dépassé celui des Etats-Unis en 2016. Il est actuellement plus de 30 % plus élevé et atteindra le double du PIB états-unien d’ici à 2035 ». La puissance productive des USA est profondément rabaissée et vouloir la reconstituer sous la protection de droits de douane exorbitants est une vue de l’esprit car de tels rattrapages suppose du temps et des stabilités que le moyen utilisé lui-même détruit. Trump en a convenu en disant que le choc douanier conduirait peut-être à des ruptures d’approvisionnement. Ce n’est pas le seul risque. D’autres sont encore davantage systémiques. C’est ceux qui résulteront des chocs sur le bilan des entreprises et des compagnies financières, banques et assurances frappées par les coups de yoyo de la valeur des actions frappées par les aléas du trumpisme douanier. C’est pourquoi nos formules insoumises ont toujours voulu préserver la nuance et la négociation bilatérale plutôt que la mesure globale appliquée d’un coup. C’est le sens de ce que nous appelons le « protectionnisme solidaire ».

À présent, le bilan de la construction européenne à la sauce de « la concurrence libre et non faussée », du traité de Lisbonne, de l’Otanisation rituelle de tous les discours sur la mythique défense européenne est servi. En ce moment, cette eau de boudin est dispersée dans les sables de l’Arabie saoudite où se discute la fin d’une guerre en Europe sans aucun européen et sans les représentants du pays envahi. Une fois la rage de cette humiliation passée, on devra faire un bilan prospectif. Les nigauds qui ont laissé les USA jouer leur partie de billard sur le sol européen se retrouvent à présent pris au piège de leur politique absurde. Pour l’instant, entre la Russie et l’Europe sur le plan économique, c’est l’Europe la seule victime du conflit. Les USA en sortent renforcés contre la puissance économique du vieux continent qu’ils ont réussi à rabaisser. Sur le plan militaire, passons… Sur le plan diplomatique, le moment savoureux va être celui où les vociférateurs d’hier vont devoir comprendre que la mise au point de « garanties mutuelles de sécurité » sont un point de passage obligatoire si on cherche une paix solide. On oubliera les insultes qui nous ont accueilli sur le sujet et même celles qui avaient accablées Macron quand il les avait évoquées à son tour. Mais lui comme nous savions que des discussions avaient lieu sur le sujet déjà à l’époque, bien sabotées par les va-t-en-guerre.

Du point de vue insoumis, les révisions d’évaluations doivent se porter sur l’Europe en capilotade, la place de l’Allemagne en dépression structurelle et sur le rôle nouveau de l’Europe du Sud. Bien-sûr, le suivisme pro-OTAN restera sans doute la vieille marotte des poussiéreux européens bloqués dans le vingtième siècle. Mais la question clef est la production d’une pensée et d’une action efficace avec le « Sud global », notamment francophone pour une France réellement indépendante, non alignée et souveraine. Et bien sûr avec la Chine. Elle est d’ores et déjà première puissance mondiale. Elle doit être considérée comme telle, sans infantilisme. Et sans s’inclure dans le jeu dangereux des USA à propos de Taïwan, leur prétexte d’agitation irresponsable favori.

Les instances insoumises ouvrent un temps de discussion sur ces sujets. Il commence dans la réunion de son équipe internationale, nombreuse et active. Les formulations doivent évoluer. Le cadre du cap confirmé du non-alignement et de l’altermondialisme solidaire. Dans la prochaine élection présidentielle, il est bien certain qu’il faudra en parler. Comme d’habitude, nous nous heurterons au mur de la propagande médiatique. Mais cela ne doit pas dissuader d’être prêt à agir en cas de victoire et d’entraîner une contamination du champ des idées. Nous gagnerons sur le non-alignement et l’altermondialisme solidaire comme nous avons gagné sur la planification écologique et autres. Juste parce que c’est une pensée cohérente opposée au néant suiviste et à son échec intellectuel et pratique.