Un capitalisme d’assistés (JL Mélenchon)

jeudi 21 novembre 2024.
 

Cette semaine, les suppressions d’emplois chez Michelin à Vannes et Cholet ont frappé l’opinion. Michelin est entré dans la logique générale des entreprises transnationales. Ses dirigeants utilisent toutes les opportunités pour grappiller ici et là quelques centimes de plus par pièce produite, pour abonder les profits de l’entreprise. Le cas de Michelin devient désormais quasi emblématique de cette façon de faire. En 2019, un euro sur cinq de profit était dirigé vers les actionnaires. En 2023, Michelin a réussi à porter ce niveau de redistribution en dividendes sur les actionnaires à un euro sur deux.

Un euro sur deux de profit pour l’entreprise va directement dans les poches des actionnaires. Alors ne croyez pas une seule minute ce que ses patrons racontent à propos de la productivité ou de la baisse des ventes de pneus. Ils mentent et les travailleurs le savent. Quand est arrivé le ministre de l’industrie sur le site de Cholet, ils l’ont éjecté en l’injuriant et en lui disant : “dégage”. Au fond, c’est ce qu’il faudrait faire avec toutes les personnes de ce gouvernement qui se sont succédées depuis que monsieur Macron est président de la République. Elles ont vidé le pays de ses moyens de production, l’ont pillé en les vendant à l’étranger. Là encore ! La production de Michelin qui ne serait plus faite sur les sites de Cholet ou Vannes, sera faite en Pologne, en Espagne ou en Italie.

Une fois de plus, seule la cupidité explique des décisions désastreuses pour notre pays. En France, dorénavant, les salariés travaillent 45 jours par an pour produire une valeur qui ne leur sera jamais distribuée car elle va directement dans les poches des actionnaires. Avec les week-end et les jours fériés, pendant deux mois de l’année les travailleurs œuvrent au seul et exclusif profit des actionnaires. Comme autrefois nos ancêtres lointains, les serfs travaillaient gratuitement pour faire des travaux utiles au seul seigneur du coin. En ce moment, depuis la fin d’octobre, vous travaillez pour les actionnaires. Le capitalisme fonctionne sur le fait qu’on ne reverse pas aux travailleurs, aux salariés, la valeur de ce qu’ils produisent. Le travail gratuit, c’est par exemple une part du travail des femmes. Les femmes sont moins payées que les hommes à poste égal, pour faire la même chose. Et la différence ? C’est le fait qu’à partir du 8 novembre elles travaillent gratuitement. C’est-à-dire que tout ce qu’elles produisent va directement en profit pour l’entreprise. Mais dans le total de la richesse produite, une part revenait sur place en investissement ou en augmentation de salaires. Or les entreprises investissent de moins en moins. Et elles n’augmentent pas les salaires. Plus elles reçoivent d’argent public, plus elles reçoivent de dégrèvements, moins elles investissent. Autrement dit, tout l’argent qui leur est transféré par l’Etat va dans les poches des actionnaires.

Nous sommes tous victimes d’un impôt privé qui s’appelle le profit, les dividendes. Je dis un « impôt privé », mais la différence avec l’impôt public, c’est qu’il remplit certaines poches et seulement celles-là. Et que ça ne sert à rien aux autres. Cet impôt privé versé aux actionnaires, vous ne le retrouvez nulle part puisqu’ils n’investissent pas avec cet argent. Et ils ne le dépensent naturellement pas pour leur consommation personnelle car cela représente des sommes beaucoup trop importantes. Voilà ce qu’est le capitalisme. Le capitalisme fonctionne sur l’exploitation du travail gratuit.

Les profits qui augmentent et les investissements qui baissent, ce n’est pas le seul gâchis du moment. Voyez quand par exemple, nous acceptons la règle absurde du marché de l’électricité européen ! Toutes les entreprises qui ont besoin d’électricité payent leur électricité plus chère exclusivement à cause d’un règlement européen qui aligne le prix plancher de l’électricité sur la centrale qui la produit et qui coûte le plus cher. Allez comprendre pourquoi une chose pareille est supportée par notre pays . Les gouvernements français l’ont pourtant acceptée. Ce qui, au passage, réduit à néant l’argument d’après lequel, grâce à l’électricité nucléaire, c’est moins cher en France. Parce que ce n’est pas vrai. Ensuite, on laisse des pays à bas coûts environnementaux et sociaux produire à la place des entreprises, des régions où, comme en France, on en est plus soucieux. Ce n’est pas la seule absurdité du moment.

Les Français donnent plus d’argent à l’Union européenne qu’ils n’en reçoivent. Nous sommes contributeurs nets. Et où va cet argent ? Il va dans les pays qui doivent rattraper leur retard par rapport à nous, la France. Et cela a été fait délibérément. Celui qui était à l’époque le président de la Commission européenne, monsieur Barroso, disait : puisqu’on ne peut pas donner d’argent à tous ces pays, on leur permettra de financer leurs infrastructures avec des coûts sociaux moins importants. Pour finir les délocalisations par des coûts salariaux et environnementaux plus bas entre pays européens représentent la moitié des délocalisations à l’intérieur de l’Europe. Et lorsqu’ils font des installations, des équipements, des routes, des ponts etc., pour ces entreprises, l’argent des subventions publiques vient de pays comme le nôtre. La France donne à la Commission européenne chaque année 9 milliards d’euros de plus qu’elle n’en reçoit. Donc, rien en France n’est fait « grâce à l’argent de l’Europe ». Parce que premièrement, ce que l’Europe reverse à chaque pays, c’est ce que chaque pays donne. Et deuxièmement, parce que nous donnons plus que nous recevons.

Et l’absurdité suprême la voici. Entre les subventions directes et le manque à gagner par des dégrèvements fiscaux ou des niches sociales, près de 300 milliards d’euros d’aides publiques sont versés chaque année aux entreprises. C’est trois fois plus que dans les années 2000. Et sans aucune contrepartie ni contrôle d’usage. On n’a jamais imposé de ne pas supprimer d’emploi ou d’en créer comme condition pour recevoir cet argent public. Jamais aucune contrepartie n’a été demandée, ni sociale, ni environnementale. On a donné et donné encore aux actionnaires sans rien leur demander en contrepartie. Pourtant on peut regarder de plus près. On devrait voir comme résultat la progression des profits réels que font les entreprises avec la production elle-même. Ce n’est pas le cas. Regardez bien dans la prochaine note économique que va faire paraître l’Institut La Boétie. Car les économistes ont fait un travail pour calculer tout ça. Et ils se sont aperçus que les profits des entreprises distribués aux actionnaires susceptibles d’être distribués étaient plus grands après impôts qu’avant. Etonnant non ? Autrement dit, quand on a fini de produire, il y a un profit, mais pas si grand que ça. Mais dès lors qu’on reçoit de l’argent public et des dégrèvements d’impôts, le profit augmente. Par exemple, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est une niche fiscale bénéficiant aux entreprises proportionnellement à leur masse salariale. Il a grandement participé à l’augmentation du profit « après redistribution ». Il devait créer 1 million d’emplois. Où sont-ils ? Versé sans aucune contrepartie, il a servi les grandes entreprises et leurs actionnaires. 0,42% des bénéficiaires ont ainsi capté la moitié du CICE. Entre 2013 et 2019, années d’existence de cette niche fiscale, il est estimé que l’État a ainsi perdu 100 milliards d’euros de recettes.

Autrement dit, nous avons dans notre pays un capitalisme assisté, qui ne tente rien, n’investit pas et se gorge d’argent public. Et cet argent public vient des poches des contribuables pour l’essentiel. Voilà l’absurdité de ce système. Voilà pourquoi la plus grande économie que le pays pourrait réaliser, est celle qu’il réaliserait en prenant sur les profits, c’est-à-dire sur de la richesse produite réellement. Qu’on ne vienne pas me dire qu’en baissant le niveau des dividendes, on dégoûterait ceux qui y ont investi d’investir ! Ce n’est pas vrai ! Et c’est tellement lamentable quand on voit des très grandes entreprises dépenser une partie de leurs profits pour simplement racheter leurs propres actions, juste pour en faire monter le coût, le prix auquel elles peuvent être revendues sur le marché et procurer ainsi aux actionnaires une augmentation de leur patrimoine.

Donc l’Etat paie sans contrepartie. Mais ce n’est pas tout. Il ne demande pas non plus quels sont les résultats. L’argent public est distribué mais personne ne va vérifier ce que ça donne ensuite. Alors il est normal que nous, en tant que société, en tant que Français, demandions des comptes et des contreparties. C’est la raison pour laquelle nos parlementaires, le groupe des insoumis à l’Assemblée nationale, après la visite des députés sur le terrain à Cholet et à Vannes, demandent une commission d’enquête pour que dorénavant, on examine où est passé l’argent public. Et pour l’avenir, il y a des décisions à prendre. Pas d’argent public sans contrepartie. Parfois, il y a besoin de faire des efforts collectifs pour que telle ou telle branche arrive à se mettre dans le bon profil pour produire dans des conditions qui soient acceptables sur le plan social et environnemental. Mais pas en épuisant les gens en augmentant le temps de travail. Ça n’a pas de sens. Il faut mettre en place les moyens qui permettent d’augmenter la productivité par des instruments de travail qui sont plus performants. Cela en mettant des machines pour augmenter la productivité du travail. D’ailleurs c’est urgent. La productivité du travail baisse en France, surtout dans l’industrie ! Pourtant nous étions record d’Europe ! Un travailleur français produisait pour la même activité 20 % de plus qu’un travailleur anglais. Mais progressivement, cet avantage a diminué. Pourquoi ? Parce qu’on oublie l’essentiel : la production c’est avant toute chose, une affaire de machines et de savoir-faire humain. Les pays qui travaillent le plus longtemps en Europe aujourd’hui, ceux qui ont le plus grand nombre d’heures de travail, sont les pays les moins avancés techniquement, les moins avancés en équipements. La France est partie sur cette pente. Le capital n’investit plus. Donc la productivité du travail baisse. On demande aux gens de travailler davantage pour avoir le même résultat.

Il faut que vous ayez tout ça présent à l’esprit quand vous entendez parler de ces réductions d’emplois à Cholet et à Vannes. C’est à mes yeux un abus de pouvoir économique. Il est fait par une entreprise sur le dos de milliers de gens, condamnés à un triste sort social. Et l’on a tout caché à ces gens. Le matin, ils étaient en train de signer celui-ci un emprunt pour une automobile, celle-là de prendre une décision d’achat concernant leur logement, ou telle autre activité de la vie. Et le soir, ils apprennent qu’ils sont licenciés. Alors que depuis des mois, les dirigeants de cette entreprise savaient ce qu’ils allaient faire. Ils n’ont pas décidé du matin pour le soir de délocaliser la production. Ils ont berné les gens. C’est un abus de pouvoir. C’est un comportement odieux et il montre comment pour eux seul compte l’argent, toujours l’argent, jamais les êtres humains.

On a raison de s’indigner, on a raison de se révolter. On a raison de maltraiter verbalement les dirigeants qui conduisent à de telles situations. Ils laissent faire, comme c’est le cas du par exemple du gouvernement qui a tout cédé dans l’affaire du Doliprane à une entreprise gorgée d’argent public et qui continue à l’être. Et chez Michelin de même.

Mais je n’ai pas de bonnes nouvelles à annoncer pour l’avenir proche. Nous nous sommes battus comme vous nous avez vu nous battre à l’Assemblée nationale. Nos députés ont proposé un contre-budget. Je vous le résume : régler les déséquilibres en faisant contribuer davantage au bien public ceux qui ont le plus d’argent : les très grandes fortunes françaises et les très riches entreprises françaises. Cela pour éviter de réduire le niveau de l’activité de l’Etat des services publics et des collectivités. Car à chaque fois que l’activité de l’Etat diminue, chaque fois que l’activité des services publics baisse, chaque fois que l’argent public cesse d’être injecté dans l’économie réelle, alors toute l’économie recule. Quand vous mettez 1 € en plus, il produit 1,3 € d’activité supplémentaire. En France, la consommation populaire fait l’activité. C’est 53 % de la richesse produite ! C’est considérable.

Mais quand vous supprimez 1€ par des coupes budgétaires, alors c’est 0,70 € de moins d’activité économique en France ! Dès lors, chaque fois que vous réduisez les moyens pour les gens de vivre mieux, chaque fois que sont augmentés les tarifs de toutes sortes et surtout les dépenses obligées des familles ce sont des prélèvements obligatoires privés jamais comptabilisés. Exemple : vous êtes obligés de payer l’assurance de votre voiture, vous êtes obligés de payer l’assurance de votre appartement, et tous leurs prix augmentent. C’est pourquoi quand les gouvernements vous disent que tout va mieux pour vous, que la situation est meilleure. Mais rien de tout ça n’existe autour de vous, vous le savez bien. Cela a déterminé les choix de la gauche à l’Assemblée nationale dans la bataille budgétaire.

Le budget y a été totalement changé par les parlementaires insoumis et du Nouveau Front Populaire. Plutôt que de couper dans les dépenses, ils ont augmenté les recettes et ils sont parvenus à équilibrer beaucoup plus favorablement le budget. Ils ont baissé de 142 milliards à 85 milliards le déficit du budget tout en augmentant le niveau des prestations publiques. Ainsi l’impôt public, vous le retrouvez dans de l’activité, des services publics, des équipements, de la santé, de l’éducation. Mais de son côté le gouvernement agit par des astuces diverses et multiples, pour revenir à sa copie de départ. C’est-à-dire un budget qui diminuerait la dépense publique et augmenterait encore les cadeaux fiscaux. S’il y parvient alors l’activité en France diminuera. Et c’est pourquoi, il y a urgence à pouvoir chasser du pouvoir tous ces gens. Il y a urgence à changer les règles du jeu économique en France, de manière qu’on ait la possibilité de s’enrichir, mais pas en détruisant la vie des autres. Pas en faisant que la pauvreté augmente dans le pays, pas en faisant que tant de misère se répandent. C’est possible, mais pour ça, il faut les faire partir tous.

Nous avons donc à nouveau une proposition de destitution du Président dans la prochaine niche parlementaire des insoumis, le 28 novembre 2024. Tout ça n’est pas de l’activité politique d’apparence. La France a les moyens de vivre mieux, à condition qu’on considère que la France, c’est les Français, tous les Français. Pas une petite poignée de gens qui se gavent d’argent public, qui se gavent d’avantages et de privilèges de toute nature. Rappelez-vous en tout temps que l’égalité, la fraternité, le bien traité des gens, est toujours une augmentation du bonheur collectif, jamais une diminution.

Il semble y avoir un renouveau d’insultes à l’égard de LFI dans la presse écrite. Ainsi « Le Point » dénonce-t-il de nouveau les députés insoumis comme des mal élevés sur deux pages : ils s’assoient par terre à l’assemblée, enlèvent leurs chaussures, jettent leurs mégots et menacent leurs collègues. Outch ! Peut-on détendre l’atmosphère médiatique ? Essayons. Mais j’avais tweeté contre « Libération » étouffant Glucksmann sous une affection de lourdingue : « éternel sourire d’enfant », « regard gris ». Évitons de recommencer quand je lis dans « Le Monde » à propos du même Glucksmann (que je prie lui aussi de m’excuser de prendre pour référence de ma nouvelle amabilité. « Eternel costume bleu nuit, chemise blanc immaculé et inamovible sourire, Raphaël Gluksmann a passé deux jours à lever une ambiguïté, celle de son avenir politique. (…) ». Je dis donc toute ma tendresse pour le portrait de « Le Monde » Rien de poisseux comme à « Libé ». La classe ! Suggérer sans montrer : même dans l’épectase (l’épectase n’est pas une insulte. C’est un terme qui désigne ou bien la dilatation anormale des vaisseaux sanguins ou bien une figure rhétorique pour intensifier les émotions que l’on exprime.) Mais danger ! « Le Monde » cite une ex de LFI, met un autre ex-LFI rompant avec nous : « tu risques ta peau » ! Rien de moins. Peace and love ! Louange aux rubricards de « Le Monde » capable de lever « l’ambiguïté présidentielle » là où elle se cache. Y compris la mienne. Ou celle de François Ruffin. Il répond sobrement « oui » sur le sujet avant d’être dilué sur une page entière avec photo. Mais on apprend que « Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen » « semblent » se préparer activement. Je veux rappeler aux observateurs vigilants de ce journal mon seul propos sur le sujet : « je souhaite être remplacé ». En revanche, madame Le Pen a déjà claironné deux fois sa candidature. Elle avait même déclaré être « plus légitime » pour l’être que Bardella. Ce dernier sortira sans doute bientôt de l’ambiguïté. Comptons, pour le savoir bientôt, sur la nouvelle rubrique permanente « fin de l’ambiguïté » de « Le Monde ».


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