C’est désormais une stratégie récurrente des gouvernements que de vouloir démontrer les faibles performances des services publics. Et ce n’est pas la première fois qu’une telle attaque se fait en dénonçant un fort absentéisme des fonctionnaires qui mettrait à mal la continuité des services et témoignerait d’une gabegie coûteuse.
https://blogs.mediapart.fr/paul-dev...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20241030-202506&M_BT=1489664863989
L’argument du ministre Kasbarian donne, à première évidence, crédit à la dénonciation. L’augmentation des absences au travail a creusé l’écart entre privé et public, les fonctionnaires étant désormais largement plus absents que les salariés du privé (14,5 jours/an contre 11,6). Mais la vérité des chiffres exige souvent un examen attentif plutôt qu’un usage sommaire et orienté.
La première condition de la comparaison entre public et privé est de prendre en compte la composition sociologique des populations de travailleuses et travailleurs. Cela permet de constater que la population des fonctionnaires est plus âgée et plus féminine, ce qui constitue les raisons d’une plus grande exposition aux arrêts de travail. Pas besoin de longs commentaires pour faire des liens entre âge et fréquence des arrêts. Quant aux femmes, les facteurs sont multiples mais essentiellement liés aux situations monoparentales qui nécessitent davantage de congés pour enfant malade.
D’autres facteurs jouent : ainsi les infirmières et les professeures sont particulièrement touchés par les épidémies saisonnières qui constituent des pics d’absence parfaitement identifiables. Pourrait-on reprocher à des fonctionnaires hospitaliers en contact permanent avec les maladies contagieuses d’être plus souvent atteints et donc en arrêt ?
Si l’usage technique du terme d’absentéisme est généralement lié à la nature non prévisible du congé, l’usage de sens commun a un tout autre sens : l’absentéisme c’est l’absence non justifiée, celle qui ouvre directement la voie aux interprétations de désinvestissement des activités professionnelles, de démotivation du travail voire de paresse ! Mis en relation avec leur coût estimé dans les services publics (15 milliards d’euros pour les budgets publics, dit le ministre), ces absences sous-entendent le scandale d’un financement du piètre investissement des fonctionnaires au travail par l’impôt payé par le citoyen. Et pour parachever le jugement global sur l’insuffisance du travail des fonctionnaires, c’est une mesure collective qui est décidée (allongement du temps de carence et réduction des indemnités) et non un développement des contrôles.
Les enquêtes ne manquent pas, et d’origines diverses, qui témoignent que l’engagement des fonctionnaires dans leur travail n’est pas moindre que celui des salariés du privé. N’est pas moindre non plus, la dégradation des conditions de travail qui ne cesse d’augmenter la perte de sens de l’activité professionnelle dont on sait qu’elle est un facteur majeur des crises de motivation.
Si les arrêts maladies augmentent, reste à interroger les facteurs qui expliquent une telle évolution. On peut évidemment tenter de nous expliquer que, par nature, le travailleur est un fainéant, toujours prête à ruser pour se soustraire à ses devoirs. Mais, là encore, bien des enquêtes sue le travail dans les services publics invoquent des facteurs de tout autre nature : impossibilité de « bien faire » son travail faute de moyens, dégradation des liens hiérarchiques, instructions contradictoires, …
Le ministre Kasbarian voudrait nous faire croire qu’il serait le premier à avoir tant de courage sur le sujet en contraignant les fonctionnaires à « se responsabiliser ». Mais, au-delà des habituels stéréotypes sur les fonctionnaires, réussira-t-il à faire oublier la responsabilité des gouvernements successifs qui, privant le service public de ses moyens, sont les véritables responsables d’une dégradation qui coûte autant aux usagers qu’aux agents.
Paul DEVIN
Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l’Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l’Institut de Recherches de la FSU
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