Un fonctionnaire sur cinq sous le SMIC

vendredi 23 mars 2018.
 

Aujourd’hui dans la fonction publique, le niveau bac est reconnu comme valant un smic.

1) Les fonctionnaires rattrapés par le Smic

Après l’augmentation de 2,1% du Smic en décembre, le gouvernement est contraint d’accorder une indemnité différentielle à près de 900 000 agents du public dont les revenus, sinon, se situeraient en dessous du salaire minimum.

C’est une vraie bombe sociale que François 
Sauvadet a lâchée. La semaine dernière, le ministre de la Fonction publique écrivait aux syndicats de fonctionnaires pour leur annoncer que, le Smic augmentant de 2,1% au 1er décembre, il allait devoir verser à certains agents de la fonction publique une « indemnité différentielle ». Il en explique la raison  : « Comme vous le savez, la rémunération globale d’un agent public ne peut être inférieure au Smic. » On se doutait bien que certains salariés du public étaient rémunérés aux environs du salaire minimum. Ce qu’on apprend de l’aveu même du ministre, c’est l’ampleur du phénomène. « Cette indemnité va conduire à augmenter les plus bas salaires de la fonction publique de 27,88 euros », annonce-t-il. Et il précise qu’elle « bénéficiera à plus de 890 000 agents ».

Gel du point d’indice trois années consécutives

Cela signifie clairement que, pour près de 900 000 agents publics, un sur cinq, le revenu global, une fois l’indemnité différentielle versée, atteindra 1 095euros net par mois, le montant actuel du salaire minimum. C’est seulement 141 euros au-dessus du seuil de pauvreté  ! Le Smic est désormais l’équivalent de l’indice 301 de la grille des rémunérations dans la fonction publique. « Pour les agents de catégorie C, celle des ouvriers et des employés, l’indice 301 est atteint au bout de onze ans de carrière. Le sommet de la catégorie C, atteint en fin de carrière, ne représente plus que 1,38 Smic », commente Gilles Oberrieder, du secrétariat de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT.

On peut donc parler d’une véritable « smicardisation » de la fonction publique. Avec le gel du point d’indice trois années de suite et la reprise de la hausse des prix, cette tendance risque de s’accélérer. Elle est déjà très spectaculaire. Les chiffres officiels montrent qu’un agent des services hospitaliers, par exemple, (catégorie C sans concours) qui débutait sa carrière à 115% du Smic en 1983, la commence aujourd’hui à 98% du Smic (avant l’octroi de l’indemnité différentielle). Une secrétaire dans une administration d’État (catégorie C, entrée sur concours) débutait en 1983 avec 123 % du Smic. Elle commencerait au Smic aujourd’hui. Un technicien d’une collectivité territoriale (catégorie B) débutait à 133% du Smic en 1983. Sa rémunération de départ équivaudra aujourd’hui à 103% du Smic. Pour la catégorie A, celle des cadres ou des enseignants, la rémunération de départ de carrière, qui représentait 175 % du Smic en 1983, n’en représente plus que 116%.

Jusqu’où poussera-t-on cette dépréciation  ?

C’est bien l’ensemble des rémunérations de la fonction publique qui se sont ainsi tassées vers le minimum légal. Il est pratiquement certain que le début de la grille des salaires de la catégorie B, celle des agents recrutés sur concours au niveau du bac, sera dépassé par la prochaine augmentation du Smic, qui pourrait être annoncée pour le mois d’avril compte tenu de la hausse des prix. Aujourd’hui, dans la fonction publique, le niveau bac est reconnu comme valant un Smic. À bac + 3, la qualification vaut 16% de plus que le Smic. Jusqu’où poussera-t-on cette dépréciation  ? « La situation devient intenable, même pour le gouvernement », estime Gilles Oberrieder.

Les salaires tirés vers le bas entraînent les pensions de retraite dans leur chute. Le rapport annuel sur l’état de la fonction publique 2010-2011, publié par le ministère, nous apprend que le montant moyen des pensions en paiement de l’ensemble des fonctionnaires se monte à 2 069 euros dans la fonction publique d’État, 1 287 euros dans la fonction publique territoriale et 1 420 euros dans la fonction publique hospitalière. Pour les 10 % de fonctionnaires dont la pension est la plus faible, elle s’élève à 1 031 euros dans l’État, 677 euros dans la territoriale, et 758 euros à l’hôpital. Quand on vous dit que les fonctionnaires sont des privilégiés  !

Les « engagements » de Sarkozy

« À tous les fonctionnaires de France, à tous les agents du service public, je veux dire mon respect. » En septembre 2007 à Nantes, Nicolas Sarkozy, nouvellement élu président, avait tenu ces propos pleins de promesses. « Pour moi, il n’y a pas de réforme de l’État et de la fonction publique envisageable sans une revalorisation des carrières des fonctionnaires. » « Je souhaite une fonction publique moins nombreuse mais des fonctionnaires mieux payés, avec 
de meilleures perspectives de carrière. » « Je veux faire la réforme par la motivation, non par la tension. » On peut aujourd’hui mesurer la sincérité de ces engagements. Mieux, le président 
de la République nous y invitait lui-même à l’époque  : « Cela 
ne se fera pas en un jour. Mais l’ensemble de ces engagements devront être tenus durant mon quinquennat. » Nous y sommes  !

Olivier Mayer, L’Humanité

2) Fonctionnaires. La colère noire des « catégorie C »

Ils gagnent 1 200 à 1 600 euros par mois et travaillent au service du public. Leur salaire, proche du smic, ne leur permet pas de vivre.

Josseline, Nelly, Catherine, Mikael, Abdallah, Jean-Pierre… Ils sont quelques agents administratifs de la Ville de Paris autour d’une table dans le local de l’UL CGT, à deux pas de l’Hôtel de Ville. Presque tous sont des « catégorie C », le bas de l’échelle de la fonction publique. Et quand on leur parle salaire, le ton monte tout de suite d’un cran. Catherine témoigne pour sa fille, éboueur depuis six ans  : « Avec 1 280 euros par mois, elle ne peut pas se loger  ! » Nelly, adjointe administrative renchérit  : « Célibataire avec un salaire de 1 450 euros, entre le loyer, l’EDF... chaque mois mes parents m’aident. À trente-neuf ans, vous vous rendez compte  ? » « Impossible dans ces conditions de se loger à Paris, sauf si on a un logement depuis longtemps », assure Abdallah, agent de surveillance dans un musée. Handicapé et travaillant à 85% du temps, il a une fiche de paie qui plafonne aussi à 1 280 euros, et son loyer, en banlieue, est de 400 euros. Tous connaissent des collègues, des agents de service qui ne peuvent se loger, certains qui dorment dans leur voiture.

Les augmentations  ? « Ça n’existe pas, rétorquent-ils, on change d’échelon tous les deux ans environ. » « Notre travail n’est pas reconnu », explique Jean-Pierre. Depuis onze ans qu’il est employé à la Ville de Paris, et après onze ans dans le privé, il est au cinquième échelon de l’échelle 4 de la grille indiciaire. « Jusqu’au quatrième échelon, les salaires vont être revalorisés pour rattraper l’augmentation du smic. Mais le mien ne va pas bouger. Après vingt-deux ans de carrière, je me retrouve à seulement 54 euros au-dessus du smic  ! » Même Josseline, adjointe d’administration de catégorie B avec un salaire de 1 800 euros après trente-sept ans à la Ville et un mari au salaire équivalent, avoue qu’elle doit compter pour tout. « On fait attention, on fait les courses dans les hard discount », confesse-t-elle. Dans leur colère, ils dénoncent les écarts de salaires qu’ils jugent « choquants et injustifiés » avec les hauts revenus de certains cadres de la Ville. Leur « smicardisation » s’accompagne d’une dégradation de leur travail lui-même. « Le public, c’est devenu brutal, comme le privé », tonne Nelly.

O. M.

3) Jean-Christophe Le Duigou « Les dépenses publiques, facteur de richesse collective »

L’économiste Jean-Christophe Le Duigou réfute la thèse d’une fonction publique à la fois budgétivore et fardeau économique.

Près d’un fonctionnaire 
sur cinq est payé au smic  : quel sens donnez-vous 
à une telle statistique  ?

Jean-Christophe Le Duigou. La dégradation matérielle de la situation des fonctionnaires préfigure toujours le repli 
du service public. Elle l’accompagne ensuite. Il n’est donc pas étonnant que 
la « smicardisation » de pans entiers 
de la fonction publique soit le pendant 
de la fameuse révision générale des politiques publiques, qui, dans une pure logique budgétaire, taille dans les structures des administrations et met en cause le service rendu aux usagers et à la collectivité.

À en croire le gouvernement, les charges 
de personnel sont devenues insupportables pour les budgets publics…

Jean-Christophe Le Duigou. Sur le plan des chiffres, rien n’est moins vrai. En 2008, au moment du déclenchement de la crise, l’ensemble des rémunérations versées aux 5,2millions d’agents publics par les administrations (État, collectivités territoriales, hôpitaux), représentait 12,8 % du produit intérieur brut. Ce chiffre n’augmentait pas. Au contraire il ne cessait de baisser depuis quinze ans  ! Il avait même retrouvé en 2008 son niveau de… 1980  ! Pour l’État stricto sensu, souvent montré du doigt, la baisse a été de 15% sur cette longue période. On est loin de la caricature du « fonctionnaire budgétivore ». Cet argument sert-il à dissimuler que, sur la même période, la charge de la dette publique, c’est-à-dire le paiement des intérêts sur la dette par l’État, doublait  ?

Selon le discours libéral, les dépenses publiques se ramènent toujours, peu 
ou prou, à un fardeau, un handicap pour 
le développement économique. Elles 
sont ainsi mises en opposition avec 
le secteur privé, présenté comme le vrai créateur de richesses.

Jean-Christophe Le Duigou. Ce raisonnement est tout aussi faux. Les dépenses publiques, dont les rémunérations des fonctionnaires, ne peuvent s’analyser comme « un prélèvement sur la richesse ». Elles sont au contraire une contribution à la création de richesse collective. Éduquer les enfants, soigner les malades, assurer la sécurité des personnes et des biens, faire rentrer les impôts sont autant de missions dont l’apport se mesure mal car il est autant qualitatif que quantitatif. L’Insee y a partiellement renoncé en adoptant une convention statistique  : la contribution des services publics au PIB est évaluée au montant des salaires qu’ils versent. Cette règle sous-estime leur apport à l’accroissement de la richesse collective alors que le service public contribue à la satisfaction de besoins indispensables pour les citoyens comme, directement ou indirectement, à la création de richesses par les entreprises. Sans recherche publique, sans diplômés de haut niveau, sans infrastructures en bon état, sans informations économiques, y aurait-il beaucoup de productions efficaces par le secteur privé  ?
Le marqueur de la qualité de l’intervention publique est la manière dont la puissance publique traite ses fonctionnaires, notamment les plus modestes, les 55 % d’agents de catégorie C et une grande partie des 16% de non-titulaires des trois fonctions publiques. Il ne peut pas y avoir de bon service à l’usager avec des agents publics qui n’auraient pas un statut correct. Telle avait été la leçon tirée en 1945 des déficiences du service public qui avaient conduit à son effondrement.

Entretien réalisé par Yves Housson


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