Après le choc des législatives 2024, le PCF réfléchit à son devenir

mercredi 2 octobre 2024.
 

Force invitante de la gauche à la Fête de l’Humanité, qui s’est ouverte vendredi, le Parti communiste français travaille à son « renforcement » après l’échec des européennes et la perte de plusieurs députés aux législatives, dont Fabien Roussel.

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Fabien Roussel l’a répété plusieurs fois au conseil national du Parti communiste français (PCF), le 7 septembre : la Fête de l’Humanité, qui s’est ouverte vendredi 13 septembre à Brétigny-sur-Orge, doit être l’occasion pour le parti de « réaliser le plus grand nombre d’adhésions ». Quoi de plus classique pour la fête des communistes, qui réunit chaque année des dizaines de milliers de sympathisant·es de gauche pour un week-end de concerts et de conférences – avec la participation notamment des dirigeant·es du Nouveau Front populaire (NFP) ?

Mais le ton du secrétaire national était plus martial qu’à l’accoutumée. « Cette question de notre renforcement, de notre organisation doit devenir centrale dans les prochaines semaines, les prochains mois », a-t-il insisté, pour mieux mobiliser ses troupes avant un affrontement que beaucoup jugent inéluctable – l’éventualité d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale l’an prochain est dans tous les esprits.

Élu à la tête du parti pour mettre un coup d’arrêt à son « effacement » en 2018, Fabien Roussel est donc passé en mode reconquête après des élections européennes et législatives difficiles. Le résultat du PCF a stagné aux européennes, où il n’a obtenu que 2,36 % des suffrages exprimés, échouant pour la deuxième fois à faire entrer des élu·es au Parlement européen. « C’est un échec : on a semé des graines, mais on n’a pas atteint l’objectif des 5 % que nous nous étions fixé », convient Léon Deffontaines, ex-tête de liste pour ce scrutin.

Les législatives anticipées ont pour leur part précipité la chute de Fabien Roussel, emporté par la vague du Rassemblement national (RN) dans sa circonscription du bassin minier dans le Nord, comme ses collègues sortants Pierre Dharréville (Bouches-du-Rhône), Sébastien Jumel (Seine-Maritime) et Jean-Marc Tellier (Pas-de-Calais). Le groupe communiste à l’Assemblée a manqué de disparaître. Quant aux adhésions, aux dernières nouvelles elles s’érodaient depuis 2018 – avec 43 000 cotisant·es à jour au dernier congrès en 2023.

Le PCF fait son introspection

Vendredi, au stand de la fédération de Loire-Atlantique, où il accueille chaque année les journalistes, Fabien Roussel jette un coup d’œil amer dans le rétroviseur et s’ouvre sur les réflexions qui sont à l’ordre du jour au PCF : « Dans ma circonscription, on m’a dit : “On n’a pas voté pour toi aux législatives parce que tu t’es mis avec Jean-Luc Mélenchon.” Dont acte. Mais aux européennes, où nous avions une liste autonome, pourquoi n’ont-ils pas voté pour nous ? » Le secrétaire national a décidé de prendre son bâton de pèlerin durant les prochaines semaines pour rendre visite aux fédérations, avec l’idée de « travailler sur l’implantation du PCF, notamment dans les entreprises ».

Objectif « renforcement », donc : « Il nous faut un PCF plus fort, mieux organisé, car si les Français veulent qu’on soit autonomes, il faut qu’on pèse davantage à gauche », explique-t-il. Les communistes regardent attentivement la recomposition politique en cours à gauche, où des personnalités comme François Ruffin, qui a rompu violemment avec Jean-Luc Mélenchon, et le socialiste Philippe Brun, qui a lancé son micro-mouvement (« La Ligne populaire »), défendent une ligne de reconquête de l’électorat RN.

Un mouvement qui intéresse les communistes pour faire contrepoids à La France insoumise (LFI). « Le PCF est dans un moment où il peut faire preuve d’humilité à gauche. Il faut qu’on dise que la gauche est arrivée en tête aux législatives, mais qu’elle a perdu le cœur de nombreux ouvriers. Pourquoi ? », interroge Léon Deffontaines.

L’heure est d’autant plus grave pour le parti que les signaux pour les élections municipales de 2026 ne sont pas bons : même dans les villes rouges – Montreuil (Seine-Saint-Denis), Ivry-sur-Seine et Villejuif (Val-de-Marne), Gennevilliers (Hauts-de-Seine), ou encore Martigues (Bouches-du-Rhône) –, le vote communiste recule.

Pour éviter un scénario catastrophe, le PCF organise une conférence nationale en décembre, un mini-congrès sans réélection de la direction. « On est passés à deux doigts d’une victoire du RN. C’est un combat historique pour nous et nous sommes les plus confrontés à sa progression du fait de nos terres d’implantation. Il faut qu’on se donne les moyens d’avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale », indique Ian Brossat, porte-parole du PCF.

Notre tête de liste n’a cessé de formuler l’option du parti comme étant “souverainiste” ! Or c’est assez grave d’utiliser ce mot dans cette période.

Frédéric Boccara, économiste membre de la direction nationale du PCF

Mais la mesure est insuffisante aux yeux de certain·es opposant·es internes à Fabien Roussel, qui plaident pour augmenter le niveau d’alerte. Dans un texte soumis à amendements, la sensibilité unitaire du parti, regroupée dans le collectif Alternative communiste, défend l’organisation d’un « congrès fondateur » : « Nous croyons faire retour sur le devant de la scène médiatique en profitant d’un regain de sympathie pour notre secrétaire national, mais en réalité, l’image que nous renvoyons est profondément abîmée. Nos absences répétées lors de grandes manifestations créent du doute et de l’incompréhension parmi celles et ceux qui ont toujours compté sur le Parti communiste : par exemple sur le combat antiraciste ou pour les droits du peuple palestinien », critique ce texte, en référence notamment à un différend interne sur la cause palestinienne.

« Il faut passer une nouvelle étape après deux congrès qui n’ont pas posé de questions de fond aux communistes », défend ainsi Hadrien Bortot, adjoint communiste au maire du XIXe arrondissement de Paris et membre d’Alternative communiste, qui pose la question d’une refondation du PCF. « Le PCF est de retour, mais tout le monde voit qu’il a un plafond de verre à 2,5 %. Ce n’est pas le procès de Roussel, mais sur la Palestine, la lutte antiraciste, la voix que le PCF pouvait porter s’est largement affaiblie », commente-t-il. La députée communiste Elsa Faucillon juge aussi qu’un congrès serait nécessaire pour tirer le bilan de la séquence, d’autant plus qu’il y a désormais « une dissonance entre la ligne stratégique du PCF décidée au dernier congrès et la ligne qui s’illustre au quotidien devant le public, qui est la participation au NFP ». « Il faut tirer au clair cette dissonance », dit-elle.

Des questions sur la ligne des « fâchés pas fachos »

La secousse provoquée par les deux dernières élections est telle que, pour une fois, les unitaires ne sont pas les seuls à vouloir porter le fer. Membre de la direction du PCF et animateur de l’association Action novation révolution (ANR), l’économiste Frédéric Boccara fait partie des mécontents. Candidat malheureux pour être tête de liste du PCF aux européennes, il a critiqué ouvertement la campagne de Léon Deffontaines lors d’un conseil national en juillet : « Notre tête de liste n’a cessé de formuler l’option du parti comme étant “souverainiste” ! Or c’est assez grave d’utiliser ce mot dans cette période », a-t-il tonné, regrettant que le parti se déporte sur des thèmes chéris par l’extrême droite.

« Depuis un moment je tire la sonnette d’alarme : il ne faut pas jouer avec le feu du souverainisme », explique-t-il à Mediapart, jugeant que « les questions à soulever mériteraient un congrès anticipé », même si cette perspective ne lui semble pas réaliste en raison d’autres « tâches urgentes ».

« La défaite de Fabien Roussel aux législatives affaiblit l’ensemble du parti », juge-t-il aussi, en faisant un bilan critique des années qui devaient mettre un terme à « l’effacement » du PCF : « On a sorti le sigle, mais pas les idées communistes. » La critique est d’autant plus significative qu’elle vient d’un des rédacteurs du « manifeste » de 2018.

Sans aller jusqu’à réclamer un congrès anticipé – le prochain congrès du PCF doit avoir lieu au moment des municipales de 2026, un an avant la présidentielle –, Raphaëlle Primet, coprésidente du groupe communiste au conseil de Paris, craint pour sa part que la direction ne mette trop la focale sur des questions d’ordre organisationnel lors de la conférence nationale. « Je ne voudrais pas que cette question empêche le débat de fond sur la ligne et la stratégie de l’élection européenne et globalement du parti : la sécurité n’a jamais été notre cheval de bataille, pas plus que la laïcité, explique-t-elle. Notre moteur, c’est la question sociale. »

En filigrane, comme à LFI, c’est la ligne consistant à aller convaincre prioritairement les électrices et électeurs RN « fâchés mais pas fachos » qui agite le PCF.

En déclarant le 12 septembre qu’il pourrait voter l’abrogation de la réforme des retraites même si elle était proposée par le RN, Léon Deffontaines, porte-parole du PCF, a de nouveau mis le doigt sur ce clivage stratégique. Interrogée sur ce sujet, Elsa Faucillon s’inscrit en faux : « C’est une forme de participation à la légitimation du RN, alors même que Macron en fait son arbitre dans le jeu politique », dénonce-t-elle. « On porte tellement fort cette revendication qu’on doit tout faire pour qu’elle aboutisse », défend pourtant Fabien Roussel, même s’il déclare laisser au groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), où siègent les communistes, le soin de se positionner sur le sujet.

La direction du PCF espère, au terme de sa réorganisation, participer à l’émergence d’une troisième voie entre « la gauche qui trahit et la gauche qui fait peur », comme le dit Léon Deffontaines en référence au pôle social-démocrate renaissant autour de Raphaël Glucksmann et au pôle insoumis constitué autour de Jean-Luc Mélenchon. Une ambition encore très balbutiante dont il sera beaucoup question ce week-end dans les allées de la Fête de l’Humanité, où Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin organisent deux événements séparés samedi, à quelques heures d’intervalle.

Mathieu Dejean


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