10 juin 1924 Assassinat du député italien antifasciste Giacomo Matteotti par les tueurs de l’extrême droite

mercredi 10 juillet 2024.
 

Le 10 juin 1924, l’Italie peut encore, sur le papier, se penser une démocratie parlementaire. Certes, Benito Mussolini est déjà président du Conseil, depuis la grotesque « marche sur Rome » de fin octobre 1922 où la bourgeoisie « libérale » et le roi Victor-Emmanuel III ont appelé le leader fasciste au pouvoir. Certes, les milices fascistes, les squadre, sont partout et les élections du 6 avril ont été largement manipulées.

Mais, sur le plan purement formel, l’État de droit est maintenu. Il existe un Parlement où les débats se tiennent, parfois très vifs. Les journaux de l’opposition paraissent, les partis d’opposition subsistent, y compris le Parti communiste, fondé au congrès de Livourne en janvier 1921.

La politique économique que Mussolini mène pendant ces deux années, faite de privatisations (téléphones et assurances, notamment), de soutien fiscal à l’investissement, de répression du mouvement social qui avait enflammé le pays pendant le biennio rosso (les « deux années rouges ») et, enfin, de réduction du déficit public, ravit une grande partie de la bourgeoisie italienne.

Aux dernières élections, la droite s’est d’ailleurs alliée avec les fascistes sur la « liste nationale ». Cette alliance a obtenu 66 % des voix le 6 avril. Mais dans les milieux les plus libéraux, on veut croire que le fascisme n’est qu’une parenthèse, un moment nécessaire pour rétablir l’ordre et la bonne gestion et qu’on s’en débarrassera au moment voulu. La même erreur qu’avait faite, en France, à l’automne 1848, le parti de l’Ordre avec Louis-Napoléon Bonaparte.

On envisage souvent le fascisme comme un bloc totalitaire émergeant d’un coup d’État violent. Mais c’est une erreur. Dans un texte publié récemment en Italie, Il Fascismo non è mai morto (« le fascisme n’est jamais mort », Dedalo, 2024, non traduit), l’historien Luciano Canfora, actuellement poursuivi par Giorgia Meloni, explique : « Vues de près et au regard des documents d’époque, […] ces deux années 1922-1924 apparaissent comme un élément de comparaison intéressant pour comprendre des situations toujours possibles et parfois déjà visibles. »

« Des situations dans lesquelles la force croissante de l’exécutif et l’usage de l’intimidation dans les débats avec l’opposition peuvent entamer un processus dégénératif contre lequel seule une opposition dotée d’idées claires et convaincantes pourrait poser des digues », conclut l’historien. Ces deux ans ont été un lent glissement vers la dictature. Une période pendant laquelle la forme de la démocratie s’est progressivement vidée de tout contenu.

Giacomo Matteotti, un antifasciste acharné

Le 10 juin 1924, le Parlement et l’opposition existent donc toujours. Au sein de cette dernière, un homme se fait particulièrement entendre : Giacomo Matteotti, secrétaire du Parti socialiste unitaire (PSU), parti qui a obtenu 5,9 % des voix et 24 sièges en avril, a compris cette dérive et ne s’en laisse plus conter.

Le 30 mai, il prononce un discours virulent dans le palais de Montecitorio, le siège de la Chambre des députés. Il y dénonce, au nez de la nouvelle majorité fasciste, les violences et les fraudes. « Il existe dans ce pays une milice armée […] qui a la tâche déclarée de soutenir un gouvernement avec la force, quand bien même le soutien public lui manquerait », tonne-t-il.

Matteotti a l’antifascisme vissé au corps, depuis l’apparition même de ce mouvement. Dans son territoire d’origine, la Polésine, dans le sud de la Vénétie, il a combattu dès 1920 contre les squadre qui sèment la terreur dans les grandes fermes pour dissuader les paysans de rejoindre l’agitation ouvrière. En plein congrès socialiste de Livourne, il quitte les débats pour rejoindre Ferrare, où le mouvement ouvrier est attaqué dans le sang par les fascistes.

Quelques jours plus tard, à la Chambre, il définit le fascisme comme « un moyen pour le capitalisme de résoudre en sa faveur la crise économique et de perturber les organisations qui, désormais, attaquent le profit capitaliste ». Réformiste convaincu, adversaire déclaré de la tendance révolutionnaire du socialisme italien, Matteotti n’en était pas moins lucide sur les fondements capitalistes du fascisme.

Pendant les années 1921 et 1922, il s’efforce néanmoins de construire une résistance parlementaire et électorale contre le fascisme avec les partis libéraux et centristes. En vain. Non seulement le Parti socialiste italien (PSI) qu’il finira par quitter s’enferme dans une position révolutionnaire purement verbale (il a tout fait pour stopper le Mouvement des Conseils en 1919-1920), mais les partis du système décident, comme on l’a vu, de se rapprocher des fascistes.

À partir de l’arrivée de Mussolini au pouvoir, Matteotti se jette entièrement dans le combat contre le régime naissant. Il fait alors preuve d’une lucidité frappante sur sa vraie nature. « Personne ne saisit toute la tragédie de la situation actuelle », écrit-il à sa femme quelques jours avant la marche sur Rome. Durant toute l’année 1923, il dénonce les rapprochements entre fascistes et syndicalistes et la faiblesse de l’opposition.

Il attaque de front la propagande de l’extrême droite qui explique que le désordre vient de la gauche et que la violence squadriste est une forme de légitime défense. Un discours qui est de plus en plus adopté comme une vérité par des millions d’Italiens, à la plus grande satisfaction d’un patronat encore terrorisé par le biennio rosso.

Notre résistance à l’arbitraire doit être plus active, elle ne doit céder sur aucun point.

Giacomo Matteotti, mars 1924

Les efforts de Matteotti semblent vains. Il est vrai que c’est toute la classe politique italienne qui a commis des erreurs dans les deux années précédant la marche sur Rome : à gauche, on a cherché à contenir la force du mouvement ouvrier ; à droite et au centre, on a sous-estimé le danger fasciste. L’abîme ouvert ne pouvait plus être refermé.

En janvier 1924, lorsque la Chambre est dissoute, Matteotti plaide pour le boycott. Un signe d’une évolution remarquable. Matteotti a toujours été un défenseur acharné de la démocratie libérale et du vote. Mais il sait que les dés sont désormais pipés. Fin mars, il écrit à Filippo Turati, le chef de son parti : « Il faut avant tout adopter, face à la dictature fasciste, une attitude différente de ce que nous avons fait jusqu’ici. Notre résistance à l’arbitraire doit être plus active, elle ne doit céder sur aucun point. » Lui qui avait toujours refusé les excès de la gauche du mouvement ouvrier doit faire face à une violence fasciste de moins en moins contenue.

Au même moment, il se rend clandestinement à Bruxelles et à Londres pour témoigner de la situation auprès des socialistes européens. Il leur donne ce conseil : « Continuez à vous défendre, non pas en disant des choses qu’on ne fait pas, mais en faisant des choses qu’on ne dit pas. » Matteotti a pris conscience du moment historique où il se trouve et de la tâche de l’opposition résumée par Luciano Canfora. Il sait que la résistance se joue désormais hors de la Chambre, dans la société.

Mais il est seul et il est trop tard. Le PSU décide de participer au scrutin avec les autres partis d’opposition. Comme si la vie parlementaire pouvait continuer comme avant. Pour Matteotti, la vie va s’arrêter brutalement.

L’assassinat et le triomphe de Mussolini

Dans l’après-midi du 10 juin 1924, sur le quai du Tibre Arnaud-de-Brescia, au nord de la place du Peuple, une Lancia s’arrête brutalement à la hauteur du député. Ce dernier est enlevé et emporté. Le lendemain, il avait prévu une nouvelle intervention à la Chambre, cette fois pour dénoncer la corruption du clan Mussolini, de la famille royale et de plusieurs dignitaires fascistes qui, moyennant des dessous-de-table, avaient accordé à la compagnie états-unienne Sinclair Oil le monopole de la prospection pétrolière en Italie.

La Lancia quitte Rome. Le gang de cinq ravisseurs, mené par Amerigo Dumini, un Italien né aux États-Unis et connu comme un des nervis du parti fasciste, roue Matteotti de coups jusqu’à la mort. Le corps est abandonné à 25 kilomètres de la capitale, et ne sera retrouvé que le 16 août. L’émotion que va provoquer ce crime sera immense. Au point que, dès le 12 juin, Mussolini doit prétendre devant la Chambre qu’il « souhaite le retour de Matteotti au Parlement ». Le soir même, Amerigo Dumini est arrêté à la gare de Termini.

L’assassinat de Matteotti est un moment charnière, et, pour une fois, le terme n’est pas galvaudé. À ce moment, la domination fasciste s’est mise en danger. Qu’un député modéré comme Matteotti, pas un communiste ou un révolutionnaire, soit exécuté par des membres du parti fasciste dévoile la réalité du régime qui se met en place. Cet acte valide a posteriori toutes les mises en garde de Matteotti lui-même. Ce pourrait être un réveil. Le 26 juin, l’opposition s’unit au Parlement et elle proclame son « retrait sur l’Aventin » en demandant au roi de rétablir la légalité.

La référence est celle de la sécession de la plèbe romaine sur l’Aventin, en 494 avant notre ère. Mais alors, la plèbe s’était retirée de la société pour mettre en évidence le fait que les Patriciens et le Sénat ne pouvaient rien sans elle, qu’il n’y avait alors ni production, ni impôts, ni armée. Le retrait de 1924 est purement politique : l’opposition cesse de participer aux travaux parlementaires.

Pendant la deuxième partie de l’année 1924, le fantôme de Matteotti va hanter le pays. Le 26 juin, la droite tient encore à Mussolini. Le héraut du libéralisme italien, le philosophe Benedetto Croce, vote le soutien au gouvernement malgré le crime en estimant que le « fascisme, c’est l’amour de la patrie italienne, c’est le sentiment de son salut ». Mais le soutien au régime vacille progressivement et la majorité parlementaire se réduit.

Après le crime, la violence squadriste s’abat sur le pays pour tenter de le faire revenir à l’obéissance. Mais le 30 novembre à Milan, une grande manifestation est organisée derrière le portrait de Matteotti. En décembre, Mussolini annonce une nouvelle réforme électorale, passant cette fois au scrutin uninominal à un tour. Le Duce a la main sur l’attribution des circonscriptions de ses alliés de droite et les oppositions, elles, sont menacées de disparition. Comme le note l’écrivain Antonio Scurati dans le premier tome de son œuvre sur Mussolini, M. L’enfant du siècle (traduit aux éditions Les Arènes, 2020), c’est cette menace qui va mettre au pas le Parlement et l’Italie.

Le 3 janvier 1925, Benito Mussolini proclame devant le Parlement « assumer, seul, la responsabilité politique, morale et historique de tout ce qui a lieu ». Aucun député n’a osé demander une mise en accusation du président du Conseil. Le roi ne bouge pas davantage. La partie est perdue pour l’opposition. Les historiens datent de ce 3 janvier le début du régime. La dictature totalitaire sera installée durant les deux années suivantes.

Amerigo Dumini sera jugé en mars 1926, et condamné à cinq ans de prison pour « homicide involontaire », mais il est inclus dans l’amnistie proclamée par Mussolini peu après. En 1947, après la chute du régime, il est rejugé et condamné à perpétuité, condamnation commuée immédiatement à 30 ans de prison. Il sort de prison en 1956 grâce à une nouvelle amnistie et s’inscrit alors immédiatement au Mouvement social italien (MSI), le parti héritier du fascisme. Il mourra d’une crise cardiaque à 73 ans, à Rome, en 1967.

Commémoration et récupération

Le 30 mai 2024, Giorgia Meloni, présidente du Conseil de la République italienne, participe à une commémoration d’hommage à Giacomo Matteotti à Montecitorio, un siècle après le fameux discours du député socialiste. La cérémonie semble irréelle. À côté de la cheffe du gouvernement, elle-même inscrite à ses 15 ans, en 1992, au Front de la jeunesse du MSI, on trouve le président de la Chambre, Ignazio La Russa, lui aussi ancien activiste du Front de la jeunesse dans les années 1970, impliqué dans une manifestation sanglante en 1973 à Milan.

La cérémonie est présentée par Bruno Vespa, animateur politique vedette de la Rai, connu pour sa proximité avec Silvio Berlusconi et son allié Gianfranco Fini, celui qui a transformé le MSI en parti de gouvernement. L’hommage à la victime est donc orchestré par ceux qui ont partagé, de près ou de loin, les convictions de son bourreau.

Le très court discours de Giorgia Meloni dit tout de l’entreprise de récupération de l’héritière de ce mouvement. Giacomo Matteotti n’est pas, pour elle, un martyr de l’antifascisme, terme « tabou » pour l’extrême droite italienne, comme l’a souligné Antonio Scurati. Il n’est pas davantage une victime d’un régime dictatorial en formation, ni même celui qui emportera avec lui les derniers restes de la démocratie italienne.

Tant que ce mot – “antifasciste” – ne sera pas prononcé par ceux qui nous gouvernent, le spectre du fascisme continuera de hanter la maison de la démocratie italienne.

Antonio Scurati, dans un discours censuré sur la Rai

Matteotti n’est plus qu’un « homme libre et courageux tué par les squadristes fascistes pour ses idées ». En prononçant ses mots, la cheffe du gouvernement reprend les thèses traditionnelles des néofascistes italiens qui ont toujours insisté sur l’innocence de Mussolini dans l’assassinat de Matteotti, une thèse qui est désormais de moins en moins tenable.

Comme le rappelle l’historien Mauro Canali, les nouveaux documents disponibles « rendent réellement impossible de soutenir encore que Mussolini ait pu être étranger à ce crime, et d’en nier sa responsabilité directe ». C’est pourtant ce que fait la majorité politique italienne ce 30 mai. Aucun élu de la majorité ne vient même rappeler la revendication postérieure du Duce du 3 janvier 1925.

Il n’y a là rien de surprenant. Gommer l’aspect spécifiquement antifasciste de la figure de Matteotti est en cohérence avec le refus absolu, continuel et revendiqué de Meloni et les siens de briser ouvertement les liens avec ce passé. C’est ce même rappel qui avait conduit à la censure par la Rai d’un discours de l’écrivain Antonio Scurati, à l’occasion de la « fête de la Libération », le 25 avril. Celui-ci s’achevait ainsi : « Tant que ce mot – “antifasciste” – ne sera pas prononcé par ceux qui nous gouvernent, le spectre du fascisme continuera de hanter la maison de la démocratie italienne. »

L’hommage à Matteotti n’a donc pas été le procès du fascisme et de sa prise du pouvoir. Pire, il a été l’occasion d’une offensive contre les obsessions modernes de l’extrême droite, parfois avec la complicité d’une partie de l’opposition. Giorgia Meloni n’a pas voulu faire de Matteotti un héros antifasciste. « Honorer son souvenir est fondamental pour se souvenir […] de la valeur de la liberté de parole et de pensée contre ceux qui voudraient s’arroger le droit d’établir ce qu’il est permis ou non de penser », a-t-elle soutenu. Revoilà la malheureuse victime des fascistes repeinte en rempart contre le wokisme et la « pensée unique », instrumentalisée par les obsessions de l’extrême droite contemporaine.

La dissolution de l’histoire

L’historienne Stéfanie Prezioso, de l’université de Lausanne, autrice d’un texte critique sur cette commémoration, décrypte ce mouvement. « Si vous individualisez le cas Matteotti en le vidant de tout contenu antifasciste, alors même qu’il est l’incarnation de l’antifascisme, alors il n’y a pas de problème pour ne pas parler des valeurs qu’il défendait et des raisons de sa mort et il peut devenir un simple symbole de la liberté ou du pouvoir du Parlement », explique-t-elle.

Le choix de la date du 30 mai, celle du célèbre discours, plutôt que celle du 10 juin, date de l’assassinat, pour la commémoration, est de ce point de vue très parlant. « Si on avait choisi le 10 juin, on aurait dû expliquer la violence du fascisme qui s’est abattue sur le mouvement ouvrier et ses figures avant et après sa prise de pouvoir, et la répression de l’antifascisme organisé et des antifascistes », explique Stéfanie Prezioso. Le 30 mai permettait d’enkyster Matteotti dans une figure purement parlementaire.

Cette récupération n’a cependant été possible que parce que, selon Stéfanie Prezioso, « depuis quarante ans, la gauche au sens large a elle aussi contribué à l’effacement des valeurs de la lutte antifasciste », notamment, pour certains membres du Parti démocrate, en faisant « de l’antifascisme et du fascisme les deux faces d’une même pièce ». Une aubaine pour l’extrême droite, qui a pu s’engouffrer dans la brèche.

Et lorsqu’on ne peut effacer les figures de l’antifascisme, parce que, comme Matteotti, elles font partie de l’imaginaire collectif, mais, ajoute Stéfanie Prezioso, « ne sont plus que des noms », alors elles sont vidées de leur engagement antifasciste. « Il en a été de même pour Gramsci », rappelle l’historienne.

On comprend alors pourquoi cette commémoration a pu apparaître comme consensuelle. « On aurait pu attendre que l’opposition émette des protestations face à cette cérémonie, mais cela n’a pas été le cas », rappelle Stéfanie Prezioso. Au contraire, la gauche parlementaire italienne a contribué au phénomène.

Cette relecture de l’histoire, qui permet de la vider de tout contexte et de faire dire n’importe quoi à n’importe qui, est, selon l’historienne, l’« un des éléments essentiels de la construction culturelle de l’extrême droite ». Le socialiste réformiste intransigeant, critique du capitalisme en crise, devient alors un argument pour permettre aux néofascistes de « dire ce qu’ils pensent » sans être gênés par des censeurs qui, bien sûr, sont toujours à gauche.

Le fascisme est encore là

Finalement, il y a une vraie continuité entre ce détournement de la figure de Matteotti et le fascisme historique qui avait voulu réécrire l’histoire italienne. Cela vient en quelque sorte confirmer la thèse de Luciano Canfora selon laquelle le « fascisme ne s’est pas terminé en avril 1945 ». Il a pris d’autres aspects, d’autres formes, poursuivi d’autres combats. Mais son noyau reste : un autoritarisme fondé sur le suprémacisme racial et les partis de masse mis au service d’un système économique en crise.

En Italie, cette continuité est une réalité. Ainsi, si l’on veut avoir l’assurance que la cérémonie honorant Matteotti était une sinistre farce, on se souviendra qu’au même moment, les postes italiennes ont édité un timbre à l’effigie d’Italo Foschi, dignitaire fasciste qui avait félicité le commando pour l’assassinat du député socialiste. En un geste, la réalité du « melonisme » semble se révéler.

C’est en cela que la période qui s’achève par le martyr de Matteotti doit nous importer. Son assassinat est le point d’orgue de cette mutation de la démocratie en fascisme. Luciano Canfora résume ainsi les grands traits de la période 1922-1924 qui font étrangement écho à notre présent, en Italie et en France : « Intimider l’opposition avec des accusations invraisemblables ; intimider les opposants individuels avec des rafales de querelles ; mettre en accusation ou délégitimer les organes de contrôle ; diaboliser les gouvernements précédents à coups de commission d’enquête ; monopoliser l’information ; projeter de modifier l’ordre constitutionnel. »

Cette liste est celle des actions que Giacomo Matteotti a combattues d’octobre 1922 jusqu’à sa mort. Et ce sont ces méthodes qui ont conduit à l’instauration du régime en 1925-1926. Ce n’est pas un hasard si elles nous paraissent si contemporaines. Le 11 juin, un député du Mouvement 5 étoiles a été frappé en pleine salle de Montecitorio par un collègue du parti de Giorgia Meloni. Quant à cette dernière, elle tente de modifier la Constitution pour créer un régime personnel et resserre son emprise sur les médias.

Au moment où la dirigeante italienne apparaît pour la droite européenne comme une forme d’évolution « rassurante » de l’extrême droite, où elle sert de modèle à l’alliance entre le RN et le parti Les Républicains, tout cela nous rappelle la réalité de ce fascisme qui continue. Cent ans après son martyre, Giacomo Matteotti nous interpelle doublement. Il nous rappelle ce qu’est cette lente dérive vers la dictature et il nous met en garde contre les falsifications de l’histoire auxquelles se livrent les héritiers de ses assassins.

Romaric Godin


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