C News, Europe 1, Pascal Praud, Hanouna : diabolisation de la gauche et soutien explicite à l’extrême droite

samedi 29 juin 2024.
 

Chez Pascal Praud, diabolisation de la gauche et soutien explicite à l’extrême droite qui « n’existe plus en France »

Il est des missions que l’on regrette d’avoir acceptées un peu trop vite. Par exemple suivre la campagne des élections législatives en regardant les programmes du groupe Bolloré (CNews, Europe 1). On y découvre tout à la fois une vision du monde et le déploiement d’une stratégie politique basé sur la répétition, le martèlement. Au risque, dès le premier jour, d’être pris de migraine.

Réac info, pourquoi les médias Bolloré inquiètent

Le moment est crucial, et pour l’occasion, Bolloré a lancé simultanément la semaine dernière deux émissions politiques quotidiennes : « 100 % politique » sur CNews, de 21 heures à minuit, présenté par Julien Pasquet et Olivier Benkemoun, et « On marche sur la tête », de 16 à 18 heures sur Europe 1, animé par la star Cyril Hanouna. Elles s’ajoutent au très écouté talk-show de Pascal Praud sur CNews « L’heure des pros », chaque jour de la semaine à 9 heures et à 20 heures.

Priorité de ces programmes : diaboliser l’adversaire, et d’abord ce Nouveau Front Populaire, coalition de gauche, de François Hollande à Philippe Poutou, qui en dépit des divisions, des rivalités, des haines, s’affirme dans les sondages comme le dernier obstacle à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Aussi, les trois-quarts des commentaires, des éditoriaux sont consacrés à cette alliance, sur laquelle il n’existe pas de mots assez durs. En comparaison, il est surprenant de constater à quel point, aussi bien CNews qu’Europe 1 parlent relativement peu de Jordan Bardella et de Marine Le Pen, les leaders du Rassemblement national, et encore moins de leur programme. Comme si, parvenu dans l’antichambre du pouvoir, le camp « patriote » comme il se définit, s’était mis à jouer petit bras.

Les accusés n’ont pas le droit à la parole

Plusieurs émissions donc, mais un seul et même discours, un seul et même procès, instruit par les chroniqueurs maison : celui des députés de la France Insoumise, conjuration d’antisémites à les entendre, un peu comme les tribunaux de l’Inquisition faisaient le procès des cathares et des vaudois. Les accusés - Aymeric Caron, Danièle Obono, Mathilde Panot ou Sébastien Delogu - n’ont pas droit à la parole. On ne les entend pas, ils ne sont pas sur le plateau, et plus étonnant, on ne voit quasiment jamais leurs visages. Quand bien même ceux-là n’ont jamais été poursuivis en justice pour des propos antisémites, leurs noms sont jetés en pâture aux téléspectateurs. Coupables, ainsi qu’il est répété sur toutes les antennes, et à toutes les heures, de diffuser un « antisémitisme d’atmosphère » à l’origine du viol d’une fille de 12 ans à Courbevoie. « Un viol abominable », disent-ils, comme s’il existait des viols qui ne le seraient pas.

Le jeudi 20 juin, Pascal Praud assène : « Ce pays va si mal que le journal Libération consacre 53 mots au drame de Courbevoie. 53 mots. Voilà où nous en sommes aujourd’hui en France. » Malheur au chroniqueur Olivier Dartigolles qui lui fait remarquer que sur le site de ce journal de gauche, « un article extrêmement développé » est consacré au drame. Colère de Praud : « Je ne vous parle pas de numérique ! (…) Vous allez trouver des excuses à Libération ? Vous voulez trouver des excuses à Libération ? On en sortira pas, on en sortira pas… »

L’étiquette - infamante selon lui - du Nouveau Front populaire doit suffire à disqualifier ses candidats, à effrayer « les braves gens ». Le procédé, vieux comme le monde, se distingue cependant par son intensité, l’absence de toute voix discordante. Etrangement passive l’Arcom (Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique) vient d’envoyer un courrier à Europe 1, lui rappelant ses obligations « d’assurer une pluralité de points de vue dans les émissions de débat ». Cyril Hanouna a répondu vendredi, à sa manière, en annonçant à l’antenne sa liste d’invités pour la semaine prochaine : exclusivement des personnalités de droite et d’extrême droite (Eric Ciotti, Aurore Bergé, Jordan Bardella, Gérald Darmanin, Rachida Dati).

On dénonce les « collabos »

A vrai dire, le terme d’extrême droite n’existe pas sur les antennes Bolloré, au contraire du qualificatif « extrême gauche » accolé systématiquement au Front populaire. Dans cet ensemble, on trouve les militants de la France Insoumise donc, et les « collabos », ceux « qui ont vendu leur âme pour un plat de lentilles », répète Pascal Praud(François Hollande, Raphaël Glucksmann etc.). Sans oublier ceux qui se sont engagés publiquement contre le RN, comme Dominique de Villepin ou l’actrice Corine Masiero, respectivement pris à partie par Praud et Hanouna. « Les masques tombent », lance Pascal Praud dans son éditorial du 21 juin. Difficile, sur ce point, de lui donner tort.

A ceux qui ont refusé de soutenir le Nouveau Front Populaire, on déroule le tapis rouge. A l’ancien sénateur socialiste André Vallini, ou encore à l’inévitable Manuel Valls, qui selon Praud, « fait honneur à la gauche » . A l’avocat Alain Jacubowicz, bouleversé par le drame de Courbevoie - « y a-t-il un avenir pour les Juifs en France ? » -, Praud pose « la question essentielle », dit-il, de son choix dans les urnes en cas de duel RN-Front Populaire. Réponse : « Je n’ai pas fini de régler mes problèmes avec le Rassemblement national (…) Il est vrai que l’appareil du parti a totalement changé, que je ne peux leur reprocher aucun écart antisémite. Donc le travail a été fait en surface, mais il n’a pas été fait en profondeur. J’ajoute que je trouve stupéfiant qu’on ne se pose pas la question de donner le pouvoir à un jeune homme de 28 ans sans expérience ! Je suis, là, totalement sidéré ! »

Douche froide sur le plateau. « C’est juste incohérent avec ce que vous venez de dire », rétorque Praud, qui, piqué, se met à dénoncer « le fantasme de l’extrême droite. Personne en France ne pense que Jordan Bardella soit d’extrême droite ! L’extrême droite n’existe plus en France. 33 % des Français seraient d’extrême droite, ça n’a pas de sens ! ».

Plus tôt, dans la matinale, le journaliste du « Figaro » Paul Sugy y était allé de son couplet sur le choc des civilisations, assimilant le viol de cette jeune fille et les exactions du Hamas le 7 octobre : « Cette jeune fille est une martyre de l’atroce partition identitaire, religieuse ou ethnique, qui fragmente les quartiers et qui arrache de jeunes garçons à l’innocence de leur âge pour les conditionner dans cette logique abjecte où la pureté exige de haïr l’autre quand il est dissemblable. » Sait-il seulement, ce journaliste de 28 ans au look très BCBG, ancien normalien, que Courbevoie est une agglomération des Hauts-de-Seine plutôt tranquille, classée par le « Journal du Dimanche » comme la ville d’Ile-de-France où l’on vit le mieux ? Le jeune homme ne s’embarrasse pas de précautions, et toujours gonflé de certitudes, conclut ainsi : « Ce sont les troupes de Jean-Luc Mélenchon, ce sont les candidats qu’il soutient aux élections législatives qui ont allumé l’incendie qui a malheureusement consumé cette enfant martyre. »

Quelques minutes après, depuis sa voiture, l’essayiste Driss Ghali, nouvelle coqueluche des médias de droite, soutient : « Cette fille, elle est morte parce qu’elle était juive. » Silence à l’antenne. « Enfin elle est morte... elle a été violée parce qu’elle était juive. »


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message