Guerre à Gaza : la France ne peut plus être complice

dimanche 16 juin 2024.
 

La frappe meurtrière qui s’est abattue sur un camp de déplacés à Rafah révèle, une nouvelle fois, l’extrême violence de la guerre menée par Israël depuis bientôt huit mois. Les pays occidentaux, dont la France, ne peuvent plus se contenter de condamnations de façade.

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« Combien de temps encore les États laisseront-ils faire ? » La question, posée lundi 27 mai par l’ONG Médecins du monde, est désormais la seule qui vaille. Elle s’impose devant les images insoutenables qui proviennent de Rafah, au sud de la bande de Gaza. Vu de France, on pourrait aussi la reformuler : combien de temps la France sera-t-elle encore complice ?

Dimanche 26 mai, au moins 45 personnes ont été tuées, parfois brûlées vives, par une frappe de l’armée israélienne sur un camp de déplacé·es au nord-ouest de la ville, camp administré par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa).

Parmi les victimes, 23 femmes, enfants et personnes âgées qui s’abritaient avec leurs familles dans le dénuement le plus total sous des tentes, selon le ministère de la santé contrôlé par le Hamas. 249 personnes ont été blessées, indique-t-on de même source.

« Gaza est l’enfer sur terre. Les images d’hier soir en sont un autre témoignage », a dénoncé l’Unrwa, cible du gouvernement extrémiste israélien depuis des années.

Les victimes de Rafah viennent s’ajouter au bilan dramatique de la guerre impitoyable menée par Israël, dont le dernier décompte officiel atteint 36 050 morts, parmi lesquels une majorité de femmes et d’enfants, après que les attaques menées par le Hamas le 7 octobre ont tué près de 1 200 personnes, essentiellement des civils.

En février dernier, le nombre d’enfants tués à Gaza en quatre mois s’élevait à plus de 13 000 et dépassait le nombre d’enfants tués en quatre ans de conflits à travers le monde, selon les Nations unies.

Le bras d’honneur à la justice internationale

Officiellement, Israël assure que le bombardement du dimanche 26 mai visait un « complexe du Hamas » et notamment deux responsables du mouvement, « couverts de sang israélien » selon le porte-parole du gouvernement, Avi Hyman. Face à l’émotion mondiale suscitée par les images de corps mutilés, ce dernier a concédé lundi qu’Israël allait « examiner la question ». Il s’agit d’une « tragique erreur », a finalement regretté le premier ministre, Benyamin Nétanyahou.

Cela ne trompera personne. Cette frappe dans un camp de personnes déplacées intervient deux jours après l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) intimant au gouvernement israélien de stopper « immédiatement » son offensive à Rafah, face « au risque accru qu’un préjudice irréparable soit causé ». Cour qui avait déjà ordonné à Israël en janvier de prendre des mesures conservatoires « pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte » de génocide.

Cette attaque arrive aussi moins d’une semaine après que Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a rendu publique, en s’appuyant sur un panel d’experts internationaux, sa requête exigeant des mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre le premier ministre israélien et son ministre de la défense, Yoav Gallant, ainsi que contre trois responsables du Hamas (Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique, Mohammed Deif, commandant des Brigades Al-Qassam, et Yahya Sinouar, chef du Hamas dans la bande de Gaza).

La reconnaissance indispensable de l’État palestinien

Depuis dimanche, les condamnations pleuvent. Josep Borell, le patron de la diplomatie européenne, est « horrifié », Emmanuel Macron est « indigné ». Cela fait huit mois que le président de la République masque son impuissance derrière l’affichage de sa compassion.

Ce n’est pas ce qu’on attend d’un dirigeant politique. Ce qu’on attend de lui, comme des autres, c’est qu’il agisse, publiquement, et en coulisses, pour que cesse le massacre, pour le respect du droit international et pour une paix juste et durable au Proche-Orient, comme on disait autrefois.

Il est temps que l’impunité dont bénéficie l’État d’Israël cesse. Il est temps qu’Emmanuel Macron prenne ses responsabilités en activant trois leviers indispensables : il faut envisager des sanctions, instaurer un embargo sur les ventes d’équipements militaires et d’armement, et poser un acte politique, la reconnaissance de l’État de Palestine.

Cette décision, que s’apprêtent à prendre, en Europe, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, pourrait ne rien changer, dans l’immédiat, à la guerre que mène Israël. Mais comme nous l’avons écrit le 27 avril dernier, l’histoire des nations et des peuples est faite – en partie – de symboles.

Face à l’horreur vécue par la population de Gaza, l’idée est presque devenue consensuelle. Dix-sept personnalités israéliennes, dont l’ancien ambassadeur en France Elie Barnavi, l’ont défendue dans une tribune récente parue dans Libération : « La reconnaissance d’un État palestinien est une question de principe et de justice historique. »

Lundi, sur le réseau social, un autre ancien ambassadeur, français cette fois, Gérard Araud, a avancé un orteil : « Je sais que la reconnaissance de l’État palestinien n’est qu’une gesticulation sans conséquence pratique mais je me demande si la France ne devrait pas franchir le pas étant donné le comportement de l’actuel gouvernement israélien. »

Cette décision est « attendue, bienvenue pour un peuple dont on n’a cessé de nier l’existence », estime l’historien, poète et ancien ambassadeur palestinien, Élias Sanbar, dans le court ouvrage qu’il vient de publier, La Dernière Guerre ? (Tracts, Gallimard, 2024). « Cette reconnaissance pourrait s’avérer un tournant historique mais à condition de ne pas déboucher sur un da capo al fine, une reprise à l’identique des pourparlers précédents, tous consacrés à formuler la solution qu’Israël serait prêt à accepter », prévient-il.

Emmanuel Macron et son gouvernement, de leur côté, continuent de tordre le nez. Le ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, l’a encore exclu la semaine dernière : ce geste ne serait pas « tabou », a-t-il promis, mais ce ne serait pas « le bon moment ».

En réalité, la France macroniste a achevé de rompre l’équilibre politique revendiqué par le Quai d’Orsay pendant de longues années à propos du conflit israélo-palestinien, dans un pays où l’air est de plus en plus irrespirable, entre explosion des actes antisémites, islamophobie décomplexée et débat public transformé en cloaque.

Embargo et sanctions Depuis la mi-octobre, plusieurs appels ont été lancés par des ONG et des parlementaires, notamment à gauche, afin que la France suspende les transferts d’armes et de matériel de guerre à l’État israélien.

« La France doit respecter un devoir de prévention du génocide. Cela implique notamment de ne pas fournir à Israël de moyens lui permettant de commettre des actes entrant dans le cadre d’un risque de génocide », écrivait dans une lettre ouverte le 20 février l’ONG Amnesty international, à la suite des articles de Mediapart sur le sujet.

À chaque fois, les autorités françaises font la même réponse. Elles assurent ne vendre que des armes à vocation défensive ou des composants, sans jamais faire œuvre de transparence, sans préciser le type d’armes, la destination finale. Relancé la semaine dernière afin de savoir si la France allait revoir sa position à la suite à la décision de la CPI, le ministère des affaires étrangères ne nous a toujours pas répondu.

La passivité politique, qui nourrit les accusations mortifères de double standard adressées aux pays occidentaux, entre soutien à l’Ukraine et indifférence envers la Palestine, ne doit plus l’emporter. Des sanctions visant Israël doivent être envisagées, comme les États membres de l’Union européenne ont su en adopter à l’encontre de Vladimir Poutine, coupable de violation du droit international et du droit de la guerre.

À ce jour, la France n’a pris qu’une seule sanction : elle a interdit de territoire 28 colons violents pour des faits commis en Cisjordanie, où la colonisation se poursuit – là encore en toute impunité et en dépit du droit international. Non seulement c’est mince, très mince (les gauches demandent, par exemple, d’y adjoindre le gel des avoirs), mais cela ne concerne aucunement les agissements de l’armée à Gaza.

Paris s’oppose à toute sanction économique ou diplomatique contre l’État d’Israël, au niveau national ou au niveau européen. Ni embargo sur les produits issus des colonies, ni suspension des missions économiques, ni pause dans les échanges commerciaux : la France ne veut rien entendre. Pas même un examen du respect de l’accord d’association UE-Israël.

Si d’ici quelques semaines, les juges de la Cour pénale internationale suivent le procureur Karim Khan, et délivrent des mandats d’arrêt contre le premier ministre et le ministre de la défense israéliens, la charge sera déflagratoire. La France ne pourra plus continuer son « en même temps » : condamner les violations répétées d’Israël tout en lui maintenant son soutien militaire, diplomatique, économique. Elle pourrait alors officiellement être accusée de complicité par la CPI.

Lénaïg Bredoux et Rachida El Azzouzi


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