Alors que les manifestations étudiantes contre la guerre à Gaza prennent de l’ampleur aux États-Unis, retour sur l’histoire des mobilisations des campus américains dans les années 1960 et 1970.
Interrogatoires des dirigeants d’université par des élus conservateurs du Congrès. Appels de sénateurs de droite à l’intervention de troupes lors des manifestations tenues sur les campus. Centaines d’arrestations d’étudiants et de professeurs, des contestataires non violents se retrouvant jetés au sol, aspergés de gaz lacrymogène et tasés.
Nous avons déjà vécu des événements de ce type. Dans mon livre Resistance from the Right : Conservatives and the Campus Wars in Modern America, je reviens sur la façon dont, tout au long des années 1960 et jusque dans les années 1970, des activistes conservateurs s’en sont pris aux manifestants anti-guerre et pro-droits civiques sur les campus, en exigeant que les présidents d’université et de la police prennent des mesures à leur encontre.
Un certain nombre de qualificatifs qu’ils employaient pour désigner les étudiants protestataires peuvent nous sembler familiers : ceux-ci étaient accusés d’être tout à la fois des élitistes choyés, des agitateurs étrangers et des communistes violents qui semaient la discorde pour détruire l’Amérique. Les conservateurs soulignaient que les manifestations interféraient avec le cours des activités universitaires et affirmaient que les administrateurs avaient le devoir de garantir les activités quotidiennes financées par les droits d’inscription.
À l’époque, les présidents d’université cédaient régulièrement aux exigences d’élus conservateurs, de contribuables en colère et d’autres groupes qui au nom de l’anticommunisme dénonçaient les étudiants en grève pour la paix et les droits civiques.
Aujourd’hui, les dirigeants des universités se mettent en quatre pour apaiser donateurs et élus en colère. Mais lorsque la présidente de l’université de Columbia, Minouche Shafik, a fait appel à la police de New York pour disperser les protestataires, elle a reçu une réprimande ferme de la part de l’Association américaine des professeurs d’université.
Si l’on se fie à ce qui s’est produit par le passé, les prochaines semaines et les prochains mois risquent d’être particulièrement pénibles pour les présidents d’université comme Mme Shafik.
L’offensive juridique de la droite dans les années 1960 Tout au long des années 1960, les étudiants ont organisé de nombreuses manifestations contre la guerre et pour les droits civiques, et de nombreux conservateurs les ont taxés d’être des sympathisants communistes.
Les étudiants s’élevaient contre l’engagement des États-Unis dans la guerre du Vietnam, l’appel sous les drapeaux et la participation obligatoire à la ROTC (Reserve Officers’ Training Corps, ou corps de formation des officiers de réserve). Ils réclament la protection des droits civiques et des programmes d’études représentatifs de la diversité. L’intervention de la police et de la garde nationale a souvent fait dégénérer des manifestations pacifiques en émeutes violentes, avec des fermetures totales de campus.
Un contre-manifestant tient une pancarte lors d’une mobilisation contre la guerre du Vietnam à New York en 1969. Harvey L. Silver/AFP
De 1968 à 1970, des avocats conservateurs ont coordonné une campagne nationale visant à poursuivre les présidents et administrateurs d’université « indécis et sans courage » dont l’attitude vis-à-vis des manifestations sur les campus était, selon eux, trop indulgente.
L’organisation de droite Young Americans for Freedom a intenté des poursuites contre 32 universités, y compris des établissements privés de la Ivy League comme Columbia, Harvard et Princeton, ainsi que des universités publiques comme Michigan State et l’université du Wisconsin.
Les actions en justice portaient sur le motif de rupture de contrat : les présidents n’auraient pas respecté leur part de l’accord sur les frais de scolarité en ne maintenant pas l’ouverture des campus et en ne dispersant pas les manifestations. Les Young Americans for Freedom ont cherché à créer un précédent juridique permettant aux étudiants, aux parents et aux « contribuables » au sens large d’obliger les établissements privés et publics à rester ouverts en toutes circonstances.
Les étudiants conservateurs ont en outre exigé que leurs camarades supposés communistes soient expulsés pour une durée indéterminée, arrêtés pour occupation de terrain interdite et poursuivis en justice.
Les expulsions ont bien sûr eu des répercussions sur les processus de sélection pendant ces années. Une plaisanterie courante parmi les activistes et les politiciens de droite était que les manifestants devraient recevoir une « bourse McNamara » pour Hanoï, en référence à Robert McNamara, le secrétaire américain à la défense et l’un des architectes de la guerre du Viêt Nam.
Un pin’s pro-guerre du Vietnam suggère de jeter les manifestants dans la capitale du Nord-Vietnam, Hanoï.Stuart Lutz/Gado/Getty Images
Dans le même temps, des militants de droite ont harcelé les dirigeants des universités en déclenchant des campagnes de pression publique, notamment en recueillant les signatures d’étudiants et d’anciens élèves qui leur demandaient de mettre fin aux manifestations sur les campus. Les conservateurs ont également exhorté les donateurs à suspendre leur soutien financier tant que les administrateurs n’auraient pas maîtrisé les étudiants protestataires.
Des forces policières sur le campus Après le massacre de Kent State en 1970, lorsque la Garde nationale a tiré sur les étudiants, faisant quatre morts et neuf blessés, près de la moitié des universités ont temporairement fermé leurs portes, au cœur d’une vague d’indignation d’ampleur nationale chez les jeunes. Alors qu’il ne restait plus qu’une semaine ou deux de cours, de nombreux établissements ont annulé les classes restantes et même certaines cérémonies de remise des diplômes.
En réponse, les conservateurs ont lancé une nouvelle vague d’injonctions contre ces universités pour les forcer à rouvrir leurs portes.
Face à la poursuite des manifestations et aux appels incessants de la droite à les réprimer, de nombreux responsables d’université ont fait appel à la police et à la Garde nationale, avec lesquelles ils ont collaboré pour expulser les étudiants protestataires du campus.
En fait, c’est à ce moment précis qu’est née la force de police des campus moderne.
Les administrateurs et les législateurs, craignant que la police locale ne soit pas en mesure de faire face au nombre impressionnant d’étudiants manifestants, se sont arrangés pour déléguer à la police des campus – qui historiquement était chargée de surveiller les parkings et de faire respecter le couvre-feu dans les résidences – le pouvoir de procéder à des arrestations et de porter des armes à feu.
Les législateurs des États et du gouvernement fédéral ont tenté d’étouffer encore davantage la contestation étudiante par la loi. En 1969, les législateurs de sept États ont adopté des lois pour punir les étudiants activistes arrêtés lors de manifestations en leur retirant leur aide financière, par des expulsions ou des peines de prison.
Le président Richard Nixon, qui avait fustigé les perturbations sur les campus lors de sa campagne victorieuse pour la Maison Blanche en 1968, a encouragé les présidents d’université à respecter les lois et les a applaudis pour avoir procédé à des expulsions.
Les responsables universitaires face aux incidents antisémites lors des manifestations récentes À l’approche de l’élection présidentielle américaine, il convient de regarder de près la façon dont les campagnes de Trump et de Biden réagiront aux manifestations étudiantes en cours.
Pour l’instant, Trump a qualifié les récentes manifestations d’« antisémites » et de « bien pires » que le rassemblement nationaliste blanc de 2017 à Charlottesville. Biden a condamné de la même manière « les manifestations antisémites » et « ceux qui ne comprennent pas ce qui se passe avec les Palestiniens ».
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Tous deux répètent le cadre erroné défini par les élues républicaines Elise Stefanik et Virginia Foxx, un piège dans lequel les administrateurs d’université sont tombés lors des enquêtes de la Chambre des représentants depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.
Il y a effectivement eu des incidents antisémites associés à des manifestations pro-palestiniennes sur des campus universitaires.
Mais lors de ces auditions, Stefanik et Foxx ont piégé quatre femmes présidentes en leur faisant confirmer la façon très politisée dont la droite présentait ces manifestations, à savoir comme des rassemblements truffés d’antisémitisme. Cela a conduit le public à croire que des incidents en réalité isolés sont représentatifs et répandus.
Tout comme pendant la guerre froide ils ont associé les manifestants pour les droits civiques et la paix au communisme, les politiciens des deux bords lancent aujourd’hui des accusations d’antisémitisme contre tous ceux qui protestent contre la guerre d’Israël à Gaza, parmi lesquels beaucoup sont juifs.
L’objectif, à l’époque comme aujourd’hui, est d’intimider les administrateurs et de les pousser à faire un faux choix politique : protégeront-ils le droit des étudiants à manifester ou seront-ils considérés comme consentants à l’antisémitisme ?
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