L’uniforme, inefficace dans la lutte contre les inégalités scolaires ?

mardi 9 avril 2024.
 

Alors qu’une expérimentation de grande ampleur est annoncée, il existe peu de preuves scientifiques permettant d’affirmer que l’uniforme à l’Ecole améliorerait le climat scolaire tout en luttant contre les inégalités scolaires.

Lors de sa conférence de presse le 16 janvier 2024, le Président de la République a prononcé ces mots : « la tenue unique, qui a donné lieu à tant de débats ces derniers mois dans notre pays et qui efface les inégalités entre les familles en même temps qu’elle crée les conditions du respect, sera expérimentée dès cette année dans une centaine d’établissements, tous volontaires. Cette expérimentation sera évaluée méthodiquement, et sur la base des résultats s’ils sont concluant nous la généraliseront en 2026. » [1]

À l’école, la tenue unique, parfois appelée uniforme, est présentée comme une solution face aux maux que rencontrent l’École. Le président de la République affirme qu’elle « efface les inégalités entre les familles », qu’elle « crée les conditions du respect ». En même temps, il indique qu’une évaluation méthodique doit avoir lieu. Ainsi, on peut s’interroger sur la cohérence de la mise en place de l’uniforme à l’école dans la lutte contre les inégalités et l’amélioration du climat scolaire. En France, des expérimentations ont déjà été menées.

Le quotidien Le Monde nous relate l’histoire d’une « expérimentation ratée » dans un article du 13 décembre 2023. En 2018, la cité médiévale de Provins teste l’uniforme dans ses écoles primaires publiques. 62 % des familles se sont prononcées favorable à l’expérimentation, basée sur le volontariat. 347 trousseaux, à 137 euros l’unité, sont achetés par les 605 familles concernées et, à la rentrée, moins de 50 % des enfants portent l’uniforme à l’école. C’est moins de 10 % dans un établissement classé en réseau d’éducation prioritaire. Près de 2 ans après son lancement, l’expérimentation est abandonnée. Il en a coûté 30 000 euros à la commune. [2]

D’où provient l’idée que l’uniforme serait un élément de réponse aux enjeux que rencontre l’école du XXIème siècle ? La France a-t-elle déjà conduit une politique réglementant le vêtement scolaire ?

Dans sa chronique « À la source » du 4 mars 2023 diffusée sur France Culture, Matteo Caranta nous rappelle que l’uniforme est apparu au XVIème siècle dans le royaume d’Angleterre dans un contexte d’affrontement religieux entre les catholiques et les partisans de la réforme protestante anglicane. Les uniformes étaient alors un signe d’appartenance à une communauté religieuse dont les écoles sont le prolongement. L’uniforme a peu à peu gagné l’imaginaire collectif jusqu’à devenir un élément distinctif de la culture britannique. [3] La mise en place de l’uniforme en Angleterre s’est inscrite dans une logique communautaire. Revenons en France. Il ne faut pas confondre la blouse qui servait à protéger les vêtements des enfants, aussi bien des tâches d’encre à l’école que des travaux salissant à la maison, avec l’uniforme. L’uniforme n’a jamais été imposé à l’école publique, à quelques exceptions près. Parmi ces exceptions, les maisons d’éducation de la Légion d’honneur sont des établissements publics accueillant uniquement des jeunes filles descendantes de décorés de l’ordre de la Légion d’honneur, de la Médaille militaire ou de l’ordre national du Mérite. Le port de l’uniforme y est obligatoire. Le prix du trousseau est de 620 euros pour l’année scolaire 2024-2025. [4] Loin d’effacer les inégalités, l’uniforme est ici un signe d’appartenance à une élite sociale et scolaire [5], et revêt donc un aspect communautaire.

Dans un rapport de 2016, le conseil national d’évaluation du système scolaire définit les inégalités scolaires comme « une inégale répartition de biens distribués par l’école - parcours d’apprentissage, diplômes, compétences - en fonction de groupes socialement définis notamment par le milieu socio-économique, le capital culturel des parents ou le parcours migratoire. » [6]

À l’heure où une expérimentation de grande ampleur du port de l’uniforme à l’école est annoncée, existe-il des données scientifiques permettant d’affirmer que celui-ci permet de réduire les inégalités scolaires ?

En réalité, il existe très peu d’études scientifiques sur l’impact de l’uniforme scolaire sur les inégalités scolaires. Dans une étude observationnelle états-unienne de 2022, les auteurs constatent que l’uniforme n’a pas ou peu d’impact sur le comportement des élèves et leur assiduité. Il n’a pas non plus d’impact sur l’anxiété, le repli sur soi, la violence ou le sentiment d’appartenance. [7] Dans une revue de la littérature néozélandaise de 2021, l’autrice observe que l’uniforme n’aurait pas d’impact positif sur les performances scolaires ; il aurait même un impact péjoratif sur la santé physique et psychologique de certaines populations comme les filles et les minorités ethniques et religieuses. Elle ajoute que l’uniforme représenterait un obstacle à l’éducation pour les élèves les plus pauvres. [8] Plus récemment, dans une étude observationnelle britannique de 2024, les auteurs observent que le port de l’uniforme à l’école pourrait restreindre l’activité physique des élèves, en particulier des filles. [9]

Actuellement, il ne semble pas exister de preuve scientifique en faveur de l’uniforme à l’école. La réduction des inégalités scolaires nécessiterait un investissement ambitieux dans l’école avec des mesures fortes en faveur de la réduction des effectifs par classe, de la formation des enseignants, ou encore davantage de moyens matériels et humains pour une meilleure inclusion des élèves en situation de handicap.

Le décret publié au Journal officiel, jeudi 22 février 2024 acte pourtant des « annulations de crédit ». Parmi ces « annulations de crédit », près de 700 millions d’euros concerne l’enseignement scolaire. [10]

Radouan Raoui, blog Mediapart

Références

[1] https://www.dailymotion.com/video/x... [dernière consultation le 31/03/2024]

[2] https://www.lemonde.fr/education/ar...

[3] https://www.radiofrance.fr/francecu...

[4] https://www.legiondhonneur.fr/fr/pa...

[5] L’indice de position sociale (IPS) de la maisons d’éducation de la Légion d’honneur de Saint Denis, contrairement aux autres lycées publics de la commune, n’a pas été rendu public.

https://data.education.gouv.fr/expl... [dernière consultation le 31/03/2024]

[6] https://www.cnesco.fr/wp-content/up...

[7] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/350...

[8] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/346...

[9] https://www.sciencedirect.com/scien...

[10] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf...


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