Gabriel Attal, ou les habits neufs du néolibéralisme

mardi 20 février 2024.
 

Dans son discours de politique générale, le nouveau premier ministre a présenté avec précision les contours de l’évolution interne du néolibéralisme qu’il incarne : répression sociale et autoritarisme.

Le discours de politique générale de Gabriel Attal, aussi teinté de marketing et de communication qu’il ait été, n’est peut-être pas aussi banal et creux qu’il en a l’air. Derrière les alignements de slogans insipides et de métaphores médiocres, derrière les « agir vraiment, agir maintenant ! » et autres « affronter pour avancer ! », il y a une réalité concrète : celle de l’évolution du néolibéralisme.

Mercredi 31 janvier, beaucoup d’éditorialistes rejetaient l’idée que, économiquement, le nouveau premier ministre allait plus loin dans le néolibéralisme. Ruth Elkrief sur LCI insistait sur un chef du gouvernement « sans idéologie », tandis que Renaud Dély, sur France Info, rejetait les comparaisons faites par l’opposition de gauche entre le nouveau premier ministre et les grandes figures de l’histoire néolibérale, comme Ronald Reagan et Margaret Thatcher.

Ce dernier point mérite qu’on s’y arrête. L’argument repose en effet sur le seul critère des « dépenses publiques » et de la « dette » qui continueraient à augmenter dans l’indifférence du gouvernement. Une preuve, selon certains, que le macronisme ne serait pas un néolibéralisme, voire que la France ne serait pas concernée par ce phénomène.

Gabriel Attal au Sénat, à Paris le 31 janvier 2024. © Photo by Miguel Medina / AFP

L’argument n’est pas neuf, il traverse l’ensemble des deux mandats d’Emmanuel Macron. Mais le réfuter permet, en retour, de définir les contours du néolibéralisme à la sauce Gabriel Attal.

Bonne et mauvaise dette

Il convient donc de rappeler que le néolibéralisme est avant tout un mouvement de soutien à la rentabilité du secteur privé dans lequel l’État joue un rôle clé. La baisse des dépenses publiques n’intervient donc que lorsqu’elle est nécessaire à ce soutien, par la destruction des assurances sociales, par exemple, ou pour soutenir le capital financier. Mais dans le néolibéralisme, il y a aussi la « bonne » dette, celle qui est faite de subventions, de crédits d’impôts et autres baisses de taxes.

L’existence d’un déficit public ou d’un niveau de dette élevée ne dit absolument rien du néolibéralisme d’une politique menée. Ou alors Ronald Reagan, qui a triplé la taille du déficit fédéral et augmenté de 22 points le poids de la dette publique dans le PIB, doit être considéré comme « classé à gauche », pour reprendre les termes utilisés en d’autres circonstances par ces mêmes éditorialistes.

Ce qui définit le néolibéralisme, ce n’est donc pas l’évolution du déficit, mais les changements qualitatifs apportés à la dépense publique. L’austérité générale est, dans ce cadre, le fruit de circonstances particulières où elle serait dans l’intérêt du capital plutôt qu’une politique centrale.

En revanche, l’ensemble des mesures économiques et sociales annoncées hier par Gabriel Attal, comme celles dessinées par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse le 16 janvier, vont dans le sens de régler, par une mise au pas du monde du travail, les difficultés du capital français.

Évolutions internes du néolibéralisme

Depuis 2017, le néolibéralisme a évolué, contraint par les évolutions économiques elles-mêmes. Il a donc changé certaines priorités et pris des formes nouvelles. Juger le néolibéralisme actuel comme « modéré » parce qu’il n’est pas la copie conforme de celui d’il y a dix ans est absurde. Ce qui compte ici, c’est bien de revenir, encore une fois, aux objectifs globaux du néolibéralisme.

Depuis 2017, la capacité de croissance du capitalisme s’est encore érodée, notamment en Europe. La France ne fait évidemment pas exception. Non seulement elle vient de connaître deux trimestres de stagnation de son PIB, mais à la fin de l’année 2023, son niveau est inférieur de 2 % à ce qu’il aurait été si la tendance 2009-2019 (déjà faible) s’était poursuivie. Et encore, cette croissance est largement acquise par une baisse de la productivité du travail qui n’est guère durable sur le plan de la rentabilité du secteur privé.

En clair, cela signifie que le soutien au capital doit s’intensifier. Et cela a deux conséquences. La première est qu’il n’est donc pas réellement question de remettre en cause les quelque 160 milliards d’euros au minimum (selon une étude de l’Institut de recherches économiques et sociales publiée en octobre 2022) d’argent public qui sont transférés vers le secteur privé. Ce sont ces transferts qui pèsent le plus dans le déficit public et c’est bien pour cette raison que ni la dette ni le déficit ne se réduisent. Et cela est très cohérent avec le projet néolibéral.

Plus précisément, une partie de ce coût du capital est pris en charge (sous la pression du capital financier, qui, avec la hausse des taux, exerce à nouveau une pression sur les États) par une baisse des droits sociaux qui permet, par ailleurs, de renforcer la pression sur le monde du travail pour qu’il accepte le « prix » désiré par le capital.

Mais plus qu’une logique budgétaire, il y a là surtout une logique de domination économique. En détruisant les droits des chômeurs ou en allongeant l’âge de départ à la retraite, on les force à accepter des salaires plus faibles devenus nécessaires en raison de la baisse de la productivité du travail. C’est donc avant tout une mesure de guerre sociale visant à favoriser la position du capital dans un contexte de crise structurelle profonde.

Autoritarisme et répression

Et cela nous amène à la deuxième conséquence de cette évolution historique. Le néolibéralisme est de moins en moins légitime, mais il a besoin d’aller encore plus loin dans ses réformes contre le monde du travail. C’est ce paradoxe qui l’amène, particulièrement dans le contexte français où les réformes néolibérales ont toujours été rejetées, à durcir le ton et à emprunter un virage autoritaire.

Ce virage prend plusieurs formes. D’abord, celle des violences policières bien sûr, comme l’ont montré les répressions des mouvements sociaux depuis 2018 (et la non-répression actuelle du mouvement des agriculteurs, population propriétaire de moyens de production, ne fait que prouver le biais procapital de ces politiques).

Mais elle prend aussi la forme d’un « retour à l’autorité » qui vise à réduire « à la racine » la contestation, notamment chez les jeunes générations. Derrière des leçons de morale ou de républicanisme, l’ambition est bien plutôt d’obtenir l’obéissance de la société pour éviter toute remise en cause d’un ordre du capital fragilisé par ses propres contradictions.

Le terme de « réarmement » ne dit pas autre chose et la généralisation du service national universel n’a pas d’autres objectifs. Dans son discours du 30 janvier, Gabriel Attal a parfaitement résumé cette idée : « Tu défies l’autorité, tu apprends à la respecter. » Ce propos rappelle inévitablement les obsessions actuelles des chefs d’entreprise sur « l’autorité au travail ».

En cela, le néolibéralisme se rapproche des mouvements d’extrême droite et adopte certaines de leurs idées, alors même que ces derniers se « normalisent » en matière de politique économique. Cette convergence se retrouve autour d’ennemis communs comme la décroissance, « l’assistanat » ou le « wokisme ».

La décroissance est notamment souvent visée pour une raison simple : dans un capitalisme stagnant, mais de plus en plus violent et destructeur écologiquement, elle devient une idée raisonnable. Ce que ni l’extrême droite ni les néolibéraux ne peuvent accepter. Dans son discours, Gabriel Attal a ainsi dénoncé « la décroissance » comme « la pauvreté de masse ». Et de conclure : « Jamais, je ne l’accepterai. »

L’objectif néolibéral revient donc à limiter le débat politique autour de ce débat interne à ce que l’on peut appeler un « continuum néolibéral autoritaire ». Le choix porterait alors sur les cibles de la politique autoritaire et sur les secteurs prioritaires du capital. Mais l’union se fait sur la répression des mouvements sociaux et du monde du travail.

Finalement, l’obsession des « classes moyennes » développée par Gabriel Attal ce 30 janvier est le symptôme de cette évolution. Il définit un cadre de ce qui est discutable et qui ne remet pas en danger un système fragilisé et aux abois.

En prenant le temps d’une rapide analyse de la situation concrète, on comprend alors que le discours de politique générale de Gabriel Attal représente de façon chimiquement pure cette nouvelle évolution du néolibéralisme. Son aspect autoritaire presque surjoué va de pair avec une offensive féroce contre le monde du travail. La suppression annoncée de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) n’est qu’un premier pas, puisque, comme l’a révélé Mediapart, des scénarios de nouvelles coupes dans l’assurance-chômage sont mis sur la table.

Quant à la volonté de « désmicardiser » l’économie, elle révèle une réforme du salaire minimum qui n’annonce rien de bon pour l’ensemble des travailleurs. Un des traits distinctifs de ce nouveau néolibéralisme est bien celui de cette répression sociale au nom du plein emploi qui traduit l’état du capitalisme. Elle est parfaitement incarnée par Gabriel Attal dans son intervention du 30 janvier.

La volonté de certains de présenter Gabriel Attal comme un premier ministre « sans idéologie » ou « modéré » évite l’évidente réalité du pouvoir qui, depuis 2017, conserve les mêmes objectifs. Il n’y a donc aucun changement avec ce nouveau chef de l’État en dehors d’habits neufs qui sont le fruit d’une évolution de plus en plus autoritaire du néolibéralisme français.

Romaric Godin

• Mediapart, 31 janvier 2024 à 19h43 :


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