Hamas, son histoire, son développement. Une perspective critique

mardi 16 janvier 2024.
 

Dans cet article, le chercheur et militant internationaliste Joseph Daher revient sur les origines, le développement, l’orientation politique et la stratégie du Hamas, dans une perspective marxiste critique, tout en soulignant que « toute critique sérieuse du Hamas ne peut être formulée sans une opposition claire à l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël« .

L’armée d’occupation israélienne mène une guerre génocidaire contre la population palestinienne dans la bande de Gaza. Les 2,4 millions d’habitants de la bande de Gaza vivent sous des bombardements israéliens constants d’une violence sans précédent. Plus de 20 000 personnes ont été tuées par les frappes israéliennes. Plus de 1,9 million de Palestiniens sont déplacés dans la bande de Gaza, représentant plus de 85 % de la population totale du territoire. Il s’agit à bien des égards d’une nouvelle Nakba, après celle de 1948, au cours de laquelle plus de 700 000 Palestiniens ont été chassés de force de leurs foyers et sont devenus des réfugiés. Ce processus de nettoyage ethnique, qui ne s’est jamais arrêté, se poursuit aujourd’hui.

Le Hamas est diabolisé depuis ses attentats du 7 octobre 2023, qui ont entraîné la mort de plus de 1 139 individus, y compris 695 civils israéliens, 373 membres des forces de sécurité et 71 étrangers[1]. Quelles sont les origines de ce parti et comment s’est-il développé ? Quelle est l’orientation politique et la stratégie du Hamas, ainsi que ses alliances régionales ?

Avant de discuter de la nature politique du Hamas et de développer une perspective critique sur le parti islamique palestinien, il est nécessaire de clarifier certaines positions politiques. Premièrement, Israël a toujours été un projet colonial de peuplement visant à établir, maintenir et étendre son territoire, cherchant à déplacer continuellement par la violence les Palestiniens de leurs territoires. Des groupes comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International ont également qualifié l’État israélien de régime d’apartheid. Deuxièmement, tout au long de son histoire, le mouvement sioniste, puis l’État israélien, se sont alliés aux puissances impérialistes occidentales et ont obtenu leurs soutiens, d’abord celui de l’empire britannique, puis celui des États-Unis. Le génocide actuel dans la bande de Gaza se déroule avec le soutien actif de toutes les puissances impérialistes occidentales, des États-Unis à l’Union européenne. La très grande majorité des classes dirigeantes occidentales soutiennent la propagande meurtrière de l’Etat d’Israël sur le « droit d’Israël à se défendre ». Cela signifie que les Palestiniens ne luttent pas seulement contre l’État israélien, mais aussi contre l’ensemble du système impérial occidental.

Dans ce contexte, les partisans de la lutte palestinienne pour la libération et l’émancipation doivent réaffirmer le droit à la résistance des opprimé.es face à un régime d’apartheid, raciste et colonial. En effet, comme toute autre population confrontée aux mêmes défis et menaces, les Palestinien.nes jouissent de ces droits, y compris par des moyens militaires. Certes, il ne faut pas confondre cela avec le soutien aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens, ni avec toutes sortes d’actions militaires menées par ces acteurs, conduisant notamment au meurtre aveugle de nombreux civils comme le 7 octobre[2].

Pour l’État israélien, la question n’est en effet pas la nature de l’acte de résistance des Palestinien.ne.s, qu’il soit pacifique ou armé, ni même son idéologie, mais le fait que toute contestation des structures d’occupation et de colonisation doit être criminalisée et réprimée. Avant le Hamas et jusqu’à aujourd’hui, les factions de l’OLP, des organisations à la gauche du Fatah, les progressistes et démocrates palestinien.ne.s, ainsi que les civils sans idéologie affirmée, ont tous subi la répression israélienne. Tout comme les manifestations très largement pacifiques vers la barrière de séparation israélienne organisés par de jeunes manifestants au cours des derniers mois, et avant cela en 2018-19, également connues sous le nom de « Grande marche du retour », ont toutes été violemment réprimées par l’armée d’occupation israélienne, notamment par des tirs à balles réelles, des gaz lacrymogènes, et même des frappes aériennes. De nombreuses personnes ont été tuées, et des blessés parmi les manifestants désignés comme « terroristes ».

Plus généralement, la violence utilisée par l’oppresseur pour maintenir ses structures de domination et d’assujettissement ne devrait jamais être comparée ou mise sur le même plan que la violence de l’opprimé qui tente de restaurer sa propre dignité et qui cherche à faire reconnaître son existence.

La nature de l’État israélien et ses politiques ont créé les conditions pour le type d’actions qui se sont produites le 7 octobre, tout comme n’importe quel acteur colonial et occupant à travers l’histoire. Il est donc très important de situer l’attaque du Hamas dans le contexte colonial historique de la Palestine.

Dans cette perspective, toute critique sérieuse et honnête du Hamas ne peut être formulée sans une opposition claire à l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël, visant à son démantèlement, et à un soutien à l’autodétermination des Palestiniens, à leur droit à la résistance, et à leurs droits fondamentaux contre l’occupation, comprenant la fin de la colonisation, l’égalité pour les Palestiniens et un droit au retour garanti pour les réfugiés palestiniens.

Ce n’est qu’à partir de là que nous pouvons développer une critique du mouvement palestinien Hamas, son orientation politique et sa stratégie.

Origines et évolutions du Hamas Le Hamas, acronyme arabe de « Mouvement de résistance islamique », a été officiellement créé en décembre 1987, au début de la première Intifada palestinienne. Ses racines remontent cependant à l’organisation égyptienne des Frères musulmans (FM), active dans la bande de Gaza depuis les années 1940, et à l’association al-Mujamma al-Islami fondée par Cheikh Ahmad Yassin[3] en 1973 à Gaza et légalisée par l’armée d’occupation israélienne en 1979. Al-Mujamma al-Islami a été créé et a agi comme une organisation de façade pour les activités des FM à Gaza.

Les autorités d’occupation israéliennes ont initialement encouragé le développement des structures d’al-Mujamma al-Islami dans toute la bande de Gaza, en particulier les institutions sociales et les activités politiques. Pour les forces d’occupation israéliennes, il s’agissait naturellement d’affaiblir le camp nationaliste et de gauche, en encourageant l’alternative islamique. En effet, les FM avaient décidé d’adopter un comportement de non-confrontation envers les forces d’occupation israéliennes et se sont d’abord concentrés sur l’islamisation de la société. Le choix de la confrontation non armée avec l’occupant israélien a été contesté au sein des FM au début des années 1980 et une nouvelle entité politique, le Jihad islamique, dirigé à Gaza par Fathi Shikaki, a été créée sur cette division. Shikaki a également été inspiré par la révolution islamique en Iran et par l’idéologie de l’ayatollah Ruhollah Khomeini.

La confrontation non armée avec Israël a pris fin avec la création du Hamas en 1987, notamment sous la pression d’une partie de la base du parti, particulièrement de jeunes militants, qui critiquaient l’absence de résistance à l’occupation israélienne. Ils plaidaient pour une politique plus conflictuelle contre l’occupant israélien, contrairement à la pensée traditionnelle axée d’abord sur l’islamisation de la société. Le déclenchement de l’Intifada en 1987 a permis aux partisans d’une ligne de résistance contre l’occupation de gagner une position plus forte au sein du mouvement. Ils ont convaincu les plus récalcitrants, en arguant notamment que le mouvement des FM et al-Mujamma al-Islami dans les territoires occupés subiraient une grande perte de popularité s’ils refusaient de s’impliquer dans l’Intifada[4]. En même temps, la popularité croissante du Jihad islamique dans sa résistance militaire contre les autorités d’occupation israéliennes constituait de plus en plus une menace directe pour les FM en termes de base populaire.

Un accord a finalement été trouvé entre la vieille garde conservatrice, favorable à une approche non conflictuelle avec Israël et composée principalement de commerçants urbains et de membres issus de la classe moyenne supérieure, et une jeune génération de nouveaux cadres militants, favorables à la résistance et composée pour la plupart d’étudiants issus de la classe moyenne inférieure et des camps de réfugiés, par la création du Hamas en tant qu’organisation affiliée distincte. Les membres des FM qui n’étaient pas d’accord avec sa création pouvaient rester au sein de l’organisation sans rejoindre le Hamas. La création du Hamas était un moyen de rejoindre l’Intifada sans mettre directement en péril l’avenir des institutions du mouvement et de l’association al-Mujamma al-Islami. Avec cette formule, en cas d’échec de l’Intifada, c’est la responsabilité du Hamas qui serait engagée et non celle des FM. C’est exactement le contraire qui s’est produit puisque la participation de la nouvelle organisation Hamas à l’Intifada a été un grand succès. Ce dernier a intégré presque tous les membres du mouvement des FM en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et a surtout commencé à attirer des adeptes et des sympathisants qui n’étaient pas membres des FM.

Le développement du Hamas a également été stimulé par les événements régionaux tels que le boom pétrolier d’après 1973, permettant aux monarchies du Golfe d’augmenter leurs investissements dans les mouvements fondamentalistes islamiques, y compris à l’époque al-Mujamma al-Islami dans la bande de Gaza, et la création de la République Islamique d’Iran (RII). Les dirigeants de la RII ont en effet soutenu l’orientation politique fondamentaliste islamique à travers la région, y compris le Hamas à partir du début des années 1990. La consolidation des relations et futures alliances entre l’Iran et le Hamas se noue au moment de l’expulsion de centaines de membres du Hamas et du Jihad Islamique au Liban Sud à Marj al-Zouhour en 1992, y compris de l’actuel chef du bureau politique de l’organisation palestinienne Ismael Haniyeh. A cette période, le Hamas renforce également ses liens avec le Hezbollah au Liban.

D’un autre côté, les mouvements fondamentalistes islamiques dans les territoires palestiniens occupés (TPO) ont également bénéficié des revers majeurs de l’OLP, à commencer par la Jordanie en 1970 avec « Septembre noir » et la violente répression du régime jordanien contre les forces palestiniennes, qui a conduit à son transfert au Liban. Suite à la nouvelle expulsion des forces de l’OLP de Beyrouth vers Tunis en 1982, le mouvement national palestinien fut encore affaibli. Son leadership, sa stratégie et son programme politique étaient de plus en plus remis en question. Cela s’ajoutait à la concentration croissante de l’OLP, dirigée par le Fatah, sur la recherche d’une solution politique et diplomatique plutôt que sur la résistance armée. Cela était conforme à la dynamique politique de la guerre d’après octobre 1973, qui avait ouvert la porte à un règlement politique avec Israël, comme avec l’accord de paix avec l’Égypte.

En revanche, les dirigeants du Hamas ont refusé l’orientation de l’OLP et ont soutenu la résistance armée. Le Hamas a joué un rôle significatif dans la première (1987-1993) et la deuxième Intifada (2000-2005), tout en maintenant une position rhétorique forte contre l’accord de paix d’Oslo entre l’OLP et Israël. Après sa conclusion, l’accord d’Oslo a été de plus en plus largement perçu comme une capitulation totale de l’OLP face aux exigences d’Israël. Dans ce cadre, le Hamas a gagné en popularité au sein des TPO. Dans le même temps, l’Autorité Palestinienne (AP) a été de plus en plus critiquée en raison de son incapacité à atteindre les objectifs nationaux palestiniens face à l’occupation et à la colonisation israélienne continue, tandis que Ramallah était de plus en plus accusée de forte corruption et de pratiques clientélistes. De plus, la collaboration sécuritaire de l’AP avec Israël a également été vivement dénoncée au sein de la population et de la société palestinienne.

En même temps, le Hamas s’est lentement transformé d’un parti initialement refusant toute participation institutionnelle dans les années 1990 aux institutions héritées de l’accord d’Oslo à un accommodement politique avec ce dernier. Les responsables et dirigeants du Hamas ont expliqué leur changement de position par le fait que les accords d’Oslo avaient échoué, à la suite de la deuxième Intifada, alors qu’en 1996, participer à de telles élections aurait signifié les reconnaître et les soutenir.

Lors des élections législatives palestiniennes de janvier 2006, sous la forme de « Liste du changement et de la réforme », le Hamas a remporté la majorité des sièges, obtenant 42,9 % des voix et 74 des 132 sièges. Les puissances occidentales et Israël ont réagi en boycottant et en imposant un embargo sur le gouvernement dirigé par le Hamas, et en suspendant toute aide étrangère aux TPO[5]. Les tensions entre le Hamas et le Fatah se sont intensifiées et ont mené à un conflit entre les deux acteurs, le Hamas chassant le Fatah de Gaza en juin 2007, tandis que l’AP prenait le contrôle total de la Cisjordanie. La Cisjordanie et la bande de Gaza restent respectivement sous l’autorité de l’AP et du Hamas.

Parallèlement, le Hamas s’est considérablement renforcé militairement depuis la première incursion terrestre d’Israël lors de la guerre de 2008-2009, en partie grâce à ses liens croissants avec les Gardiens de la révolution iraniens et le Hezbollah, et au partage de l’expertise militaire de ses acteurs au mouvement palestinien. Les estimations des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas, concernant le nombre de combattants prêts au combat sont difficiles à estimer, avec des fourchettes allant de 15 000 à environ 40 000. L’aile militaire dispose de roquettes fabriquées localement, mais les roquettes à longue portée proviennent de l’étranger, d’Iran, de Syrie et d’autres pays, en passant par l’Égypte. Le Hamas utilise également de nombreux pièges armés, tels que les engins explosifs improvisés (IED), un type d’arme non conventionnelle qui peuvent être activés de diverses manières et sous diverses formes. La faction utilise des obus et des mines. Le Hamas fabrique une grande partie de ses propres armes, développe des drones et des véhicules sous-marins sans pilote et se lance dans la cyberguerre.

Programme et orientation politiques Le Hamas a adopté sa première Charte le 18 août 1988, dans laquelle il reconnait son affiliation aux FM. Le mouvement islamique palestinien « considère la terre de Palestine comme un waqf islamique pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection ». Le Hamas a déclaré dans la première charte concernant l’OLP que : « Notre patrie est une, notre malheur est un, notre destin est un et notre ennemi est commun ». L’opposition du Hamas à l’OLP a toujours été essentiellement politique et non religieuse. Le texte de la 1ère Charte avait cependant des connotations antisémites, avec une référence au Protocole des Sages de Sion (un faux créé par la police tsariste au début du XXe siècle), ainsi qu’une dénonciation des « complots » des loges maçonniques, des clubs du Rotary et de Lyon.

La dernière charte du Hamas publiée en 2017 a connu des modifications majeures et représente une véritable tentative par le leadership du parti d’exprimer ses orientations politiques principales, par rapport à la première charte de 1988 considérée comme caduque depuis de nombreuses années par les principaux dirigeants du parti palestinien. Le mouvement se décrit dans cette nouvelle carte de la manière suivante :

« Le mouvement déclare que le Mouvement de résistance islamique “Hamas” est un mouvement islamique palestinien de libération et de résistance nationale. Son objectif est de libérer la Palestine et de faire face au projet sioniste. Son cadre de référence est l’Islam, qui en détermine les principes, les objectifs et les moyens. »

Dans la nouvelle charte, le contenu antisémite a été supprimé et la lutte du parti se tourne contre le sionisme[6]. Le nouveau document ne mentionne plus aucun lien avec les FM, alors que l’Islam reste évoqué comme son cadre de référence. Dans le même temps, le parti islamique palestinien propose un programme politique implicitement en accord avec une solution temporaire à deux États, conforme à de nombreuses déclarations faites par les responsables du Hamas au cours des dernières décennies concernant l’approbation du parti pour une telle solution, et au droit international.

Dans ce contexte, la comparaison entre Daesh et Hamas telle que préconisée par certains acteurs israéliens et occidentaux doit être totalement rejetée. Alors que le Hamas est ancré dans l’histoire palestinienne et s’oppose à la colonisation et à l’occupation israélienne, Daesh est né de l’occupation américaine de l’Irak. Il est né d’Al-Qaïda en Irak, qui a combattu à la fois l’occupation américaine et le régime fondamentaliste chiite installé par les États-Unis et soutenu par l’Iran. Il s’est ensuite étendu à la Syrie alors qu’il tentait d’établir un califat islamique sunnite. Le développement de Daesh est le résultat de l’impérialisme et de la contre-révolution au Moyen-Orient.

Les tentatives d’Israël et des gouvernements occidentaux de présenter le Hamas, et plus généralement les Palestiniens, comme des terroristes similaires aux organisations djihadistes ne sont pas nouvelles[7]. Après le 11 septembre 2001, la classe dirigeante israélienne a déjà décrit sa guerre contre les Palestiniens pendant la Seconde Intifada comme sa propre « guerre contre le terrorisme ». Et ce, même si l’AP sous la direction d’Arafat et le Hamas ont condamné les actions d’Al-Qaïda. Les actions suicides du Hamas à Jérusalem et ailleurs dans la Palestine historique ont été présentées comme « étant un symptôme du terrorisme islamique mondial », comme l’explique Tareq Baconi[8]. La présidence Bush a défendu au début des années 2000 le droit d’Israël à se défendre contre le « terrorisme islamique », tout comme l’actuelle administration américaine et les États occidentaux. Indépendamment de ce que nous pensons des attentats suicides, les opérations du Hamas s’inscrivaient dans le cadre d’une opposition à l’occupation et à la colonisation israéliennes, et non dans le cadre d’une lutte islamique mondiale. Le Hamas a justifié le recours aux attentats suicides pour saper les discussions d’Oslo et empêcher toute sécurité de la population israélienne. De plus, elle cherchait à alimenter les contradictions au sein de la société israélienne, mais ces actions ont plutôt favorisé son unité et renforcé l’extrémisme politique israélien[9].

Des organisations telles que Daesh ou Al-Qaïda présentent des différences dans leur formation, leur développement, leur composition et leur stratégie avec des partis politiques tels que le Hamas ou le Hezbollah au Liban[10]. Le Hamas a par exemple participé aux élections et aux institutions héritées des accords d’Oslo, tout en acceptant la diversité religieuse de la société palestinienne. En revanche, les djihadistes comme al-Qaïda et Daesh considèrent généralement la participation aux élections des institutions étatiques comme non islamique et se tournent plutôt vers des tactiques de guérilla ou de terrorisme dans l’espoir de s’emparer à terme de l’État, tout en s’attaquant aux minorités religieuses[11]. De plus, des affrontements ont eu lieu entre le Hamas et des groupes jihadistes salafistes dans la bande de Gaza depuis qu’il en a pris le contrôle. Les forces militaires du Hamas ont combattu ces groupes et ont lancé des campagnes d’arrestation contre leurs membres[12], perçus comme des menaces pour la sécurité et, dans une moindre mesure, comme des rivaux politiques pour leurs bases populaires.

Plus généralement, les tentatives d’Israël et des impérialistes occidentaux de comparer le Hamas et les groupes djihadistes tels que Daesh, ou avant Al-Qaïda, font partie d’une stratégie plus vaste consistant à s’appuyer de plus en plus sur l’islamophobie depuis le 11 septembre pour justifier leur soi-disant guerre contre le terrorisme.

Cela dit, l’orientation politique du Hamas ne doit pas être présentée ou qualifiée de progressiste. Le mouvement islamique palestinien promeut un programme politique et une vision de la société réactionnaires et autoritaires, et son règne à Gaza est loin d’être démocratique.

Classe et économie politique À l’instar d’autres partis fondamentalistes islamiques, la base populaire du Hamas n’est pas ancrée dans une seule classe. La base électorale du Hamas s’est considérablement développée en deux vagues, d’abord lorsqu’il a rejoint la lutte contre Israël en 1987 et a mené une résistance militaire dans les années 1990 et 2000, et ensuite lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2006 et a pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007. La résistance militaire du Hamas et son opposition aux accords d’Oslo et, plus généralement, aux politiques oppressives israéliennes, aux côtés de ses réseaux d’organisations caritatives, basés sur les anciens réseaux des FM et d’al-Mujamma al-Islami, et du mécanisme d’islamisation de la société, a permis au mouvement islamique palestinien de constituer une large base populaire, issue principalement des couches populaires défavorisées de la population palestinienne des territoires occupés, tout en étant capable de maintenir des liens avec les forces traditionnelles bourgeoises comme les commerçants aisés et autres. Le mouvement islamique palestinien a en effet historiquement et généralement bénéficié du soutien et de la sympathie des hommes d’affaires, des propriétaires fonciers, et des commerçants[13].

Le milieu social des dirigeants de la bande de Gaza, initialement composé majoritairement de petits-bourgeois et de classes moyennes inférieures, était historiquement plus propice à son expansion que les dirigeants de Cisjordanie issus d’un milieu social plus aisé, majoritairement bourgeois et d’élites traditionnelles, et liés à la monarchie jordanienne en raison de ses liens initiaux avec les FM jordaniens qui ont constitué un soutien fidèle aux dirigeants jordaniens pendant de nombreuses décennies. Le mouvement des FM dans les TPO, comprenait généralement des commerçants, des hommes d’affaires et des sections de la classe aisée palestinienne, qui ont généralement continué à soutenir le Hamas par la suite[14].

Au niveau de ses dirigeants et cadres, l’une des caractéristiques majeures de l’organisation palestinienne est qu’une grande majorité d’entre eux a un niveau d’éducation élevé et tend à occuper des professions libérales. Il peut également exister chez un grand nombre d’employés du Hamas, en particulier ceux qui occupent des postes de direction au sein de l’administration gouvernée par le parti dans la bande de Gaza, une certaine mentalité « petite-bourgeoise » (même si la très grande majorité d’entre eux sont d’origine prolétarienne), par le fait de devenir des cadres salariés, signifiant une certaine revalorisation sociale. Cette dynamique est cependant réduite fortement par la réalité politique et sociale de Gaza, caractérisée par un siège mortifère et des guerres continues menées par l’armée d’occupation israélienne, maintenant un lien relativement important entre les cadres locaux du Hamas et les classes populaires palestiniennes.

Plus généralement, et contrairement à d’autres mouvements fondamentalistes islamiques de la région, il est important de noter que le processus « d’embourgeoisement » de la direction du Hamas a été limité. Ceci est lié aux limites d’un développement capitaliste significatif et d’un processus d’accumulation de capital important dans les TPO, et plus particulièrement dans la bande de Gaza depuis l’imposition du siège en 2005, résultant de l’occupation israélienne et des politiques de dé-développement imposées par l’État d’Israël. Ce dernier a mené une politique visant à limiter toute forme de développement économique et institutionnel autochtone susceptible de contribuer à la réforme structurelle et à l’accumulation de capital, en particulier dans le domaine industriel. Israël a empêché les Palestinien.nes de développer des industries locales susceptibles de concurrencer les industries israéliennes, augmentant et maintenant la dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis des importations israéliennes[15]. Les grands conglomérats palestiniens qui dominent l’économie en Cisjordanie sont en réalité principalement basés dans le Golfe. La stratégie économique de l’AP a d’ailleurs consisté à renforcer ces grands conglomérats palestiniens, tout en creusant les inégalités dans la société palestinienne[16].

Le Hamas a également pu construire une nouvelle classe marchande liée au parti, à partir de la fin des années 2000 et du début des années 2010, grâce à l’expansion massive des activités des tunnels avec l’Egypte. La bande de Gaza a même connu un « boom économique » selon un rapport de la Banque mondiale de 2011, la croissance du PIB atteignant 28 % au cours des six premiers mois de cette année-là[17]. Le marché du travail au premier semestre 2011 avait été caractérisé par une croissance relativement significative de l’emploi. Le taux de chômage au sens large était tombé à 32,9 % à la mi-2011, contre 45,2 % au second semestre 2010, selon le rapport sur la bande de Gaza pour les six premiers mois de 2011 réalisé par l’UNRWA[18]. L’emploi total avait augmenté de 21 % par rapport à l’année précédente, avec environ 41 270 personnes supplémentaires travaillant, les réfugié.es représentant environ la moitié de cette croissance. L’industrie des tunnels et les activités qui y étaient liées ou qui en bénéficiaient ont été le principal facteur de la hausse de l’emploi privé, notamment l’importation croissante de matériaux de construction. En termes géographiques, cette nouvelle prospérité a suivi les nouvelles opportunités d’emploi : le nord a décliné, tandis que le sud était en plein essor. Bayt Hanun, autrefois porte d’entrée de Gaza vers Israël, sombrait dans la dépression, tandis que Rafah, jusqu’ici la ville la plus pauvre de l’enclave, était en plein essor. L’économie des tunnels a été la principale raison de ce boom, estimé par les hommes d’affaires gazaouis à plus de 700 millions de dollars par an[19], et a renforcé le pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza. La plupart des tunnels ont été financés par des investisseurs privés, pour la plupart des membres du Hamas, qui se sont associés à des familles se trouvant des deux côtés de la frontière[20]. Un rapport de l’Organisation internationale du travail a cité l’émergence de 600 « millionnaires des tunnels », qui ont particulièrement investi dans l’achat de terrains et dans l’immobilier[21]. Les brigades al-Qassam ont établi une surveillance sur une grande partie du réseau de tunnels qui était auparavant sous l’autorité de clans disparates et d’autres partis politiques. Cependant, à partir de la mi-2012, mais surtout après l’arrivée au pouvoir du dictateur égyptien Sissi suite au coup d’État militaire contre la présidence de Morsi en juillet 2013, l’activité des tunnels a été durement touchée et a considérablement diminué. Le régime militaire égyptien a fermé de nombreux passages de contrebande reliant le Sinaï à Gaza et les a inondés d’eaux usées.

Le Hamas, à l’instar des FM, soutient une économie basée sur le capitalisme et le libre marché[22]. Le Hamas souscrit à la croyance générale au sein des cercles des mouvements fondamentalistes islamiques selon laquelle la religion islamique promeut la libre entreprise et consacre le droit à la propriété privée[23]. Dans une interview que j’ai réalisée en 2012 avec Ali Baraka, représentant du Hamas au Liban, il a déclaré que le Hamas était contre une économie socialiste parce qu’elle allait à l’encontre des droits individuels et d’entrepreneur du peuple et qu’il soutenait plutôt l’initiative privée[24]. Le modèle économique islamique évoqué par les membres du Hamas n’est en aucun cas en contradiction avec le système capitaliste. Les sources de financement du Hamas expliquent également l’absence d’opposition au système capitaliste et son programme économique plutôt conservateur. Le mouvement islamique palestinien est financé par la République islamique d’Iran, le Qatar, les dons d’hommes d’affaires palestiniens de la diaspora[25] et les collectes de fonds effectuées principalement dans les monarchies du Golfe, mais aussi dans d’autres pays comme la Turquie et la Malaisie, qui sont reversés au parti et/ou à des œuvres caritatives, institutions et projets de bienfaisance affiliées au Hamas au sein des TPO[26]. Le Trésor américain a accusé le Hamas d’avoir établi un réseau secret de sociétés gérant environ 500 millions de dollars d’investissements dans des entreprises de divers pays de la région, notamment des sociétés opérant au Soudan, en Turquie, en Arabie Saoudite, en Algérie et aux Émirats arabes unis (EAU)[27].

Autoritarisme et Hala Islamya Comme déjà souligné plus haut, le règne du Hamas dans la bande de Gaza depuis 2007 a été marqué par le siège mortifère imposé par l’armée d’occupation israélienne, avec l’assistance du régime égyptien, ainsi que par les politiques répressives de l’AP en Cisjordanie, particulièrement contre les membres, organisations et institutions du parti ou liés à ce dernier, mais pas seulement[28]. Ces éléments ont bien sûr influencé la politique du mouvement, caractérisée par un certain degré d’autoritarisme et de répression.

Dans le rapport 2022 d’Amnesty International, l’organisation de défense des droits humains a déclaré que « dans la bande de Gaza, un climat général de répression, suite à une répression brutale des manifestations pacifiques contre la hausse du coût de la vie en 2019, a effectivement dissuadé la dissidence, conduisant souvent à des formes d’auto-censure »[29]. D’autres organisations palestiniennes ont également condamné les violations des droits humains commises par le Hamas, notamment les détentions arbitraires, la torture et les coups punitifs[30]. Le parti islamique est également accusé de menacer les journalistes qui critiquent son gouvernement. De nombreuses protestations politiques publiques ont souvent été réprimées, comme les manifestations contre la division palestinienne du 15 mars 2011[31] jusqu’à plus récemment en juillet 2023, lorsque les forces de sécurité du Hamas ont une nouvelle fois réprimé dans plusieurs villes de la bande de Gaza, un mouvement de protestation contre les coupures d’électricité chroniques et des conditions de vies difficiles, mais aussi contre la gouvernance lacunaire, la corruption et l’autoritarisme[32].

Cet environnement autoritaire est reflété par différents sondages réalisés par le Centre palestinien de recherche politique et d’enquête (PSR), dans lesquels des larges secteurs de la population palestinienne basée à Gaza ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas critiquer les autorités du Hamas sans crainte, avec des taux atteignant 67,9 % en 2014 et 59% en 2023[33].

En même temps, le mouvement a poursuivi une politique renforçant un environnement islamique conservateur accompagné d’une plus grande politique d’islamisation de la société gazaouie, à travers son contrôle de l’administration publique, des organisations liées au mouvement et également par des mesures répressives. La diffusion de l’idéologie du Hamas à travers ses institutions et son réseau d’organisations est également un moyen pour consolider et reproduire son pouvoir sur de larges secteurs de la population palestinienne dans la bande de Gaza. Déjà à la fin des années 1980 et 1990, al-Mujamma al-Islami et le Hamas ont joué un rôle important dans une large mesure dans l’imposition par diverses formes de coercition des normes sociales conservatrices à Gaza[34]. Dans ce cadre, certains cybercafés ont été fermés pour protéger les « valeurs morales » et empêcher le mélange des hommes et des femmes. Le ministère de l’Intérieur a lancé des campagnes d’intimidation pour interdire aux coiffeurs masculins de coiffer une femme ou de travailler chez des coiffeuses féminines, tandis que les coiffeurs ne respectant pas cette règle étaient la cible d’attaques[35]. Les mesures répressives du gouvernement du Hamas et les attaques de groupes armés « inconnus » ont également visé des institutions ou individus ne respectant pas la hala islamyya, ou « sphère islamique ».

L’attitude du Hamas envers les femmes a évolué depuis sa création en leur octroyant davantage de place au sein du parti, mais toujours dans une perspective conservatrice islamique. Le parti encourage par exemple les femmes à poursuivre des études supérieures et à participer davantage à la vie publique, notamment au sein du activités du parti et des institutions à Gaza[36], mais dans le respect des « normes islamiques » telles que la ségrégation sexuelle et en favorisant principalement les emplois considérés comme une extension des rôles reproductifs des femmes, tels que l’enseignement, les soins infirmiers, etc.[37] Le mouvement islamique palestinien définit en effet la fonction première des femmes comme étant la « maternité » et, en particulier, l’inculcation des principes islamiques à la prochaine génération[38]. Il est certain que le Hamas n’est pas le seul acteur dans la région à promouvoir une vision patriarcale de la société, renforçant la domination masculine et une restriction des femmes à des rôles subalternes dans la société ; l’organisation palestinienne islamique a cependant renforcé et approfondi ces dynamiques à Gaza. Le Hamas a, notamment, encouragé et appliqué de plus en plus un code moral conservateur, œuvrant à la ségrégation sexuelle et la division du travail sexuée. Le gouvernement a mis par exemple en œuvre depuis avril 2013 la ségrégation sexuée dans toutes les écoles de Gaza pour les élèves de plus de neuf ans, sous prétexte de protéger « l’identité islamique » de Gaza[39]. Les autorités du Hamas ont, dans plusieurs cas, imposé des vêtements et des comportements particuliers censés préserver l’honneur des femmes[40] et celui de la famille, tandis qu’un tribunal islamique de la bande de Gaza a statué que les femmes avaient besoin de l’autorisation d’un tuteur masculin pour voyager[41]. Cela a provoqué des résistances au sein de la société palestinienne, mais pour le Hamas, comme d’autres mouvements fondamentalistes islamiques régionaux, le « modèle » islamique est considéré comme la seule « voie correcte » pour les femmes, sinon elles sont considérées comme étrangères à leur propre société et sous l’influence de l’impérialisme culturel occidental.

Stratégie et alliances régionales En termes d’alliances politiques régionales, les dirigeants du Hamas ont cultivé ces dernières années des alliances avec le Qatar et la Turquie[42], ainsi qu’avec la République islamique d’Iran qui est son principal soutien politique, financier et militaire. L’aide annuelle de l’Iran au parti est estimée à environ 75 millions de dollars[43].

Dans le même temps, le Hamas a tenté d’améliorer ses relations avec d’autres monarchies du Golfe, notamment le Royaume saoudien, depuis plusieurs années, mais avec plus de difficultés. Au début de l’année 2021, à la suite de la réconciliation entre le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, a salué les efforts du roi saoudien Salman bin Abdul-Aziz al-Saud et du prince héritier Mohammed bin Salman pour résoudre la crise du Golfe et parvenir à la réconciliation. En octobre 2022, le Royaume saoudien a libéré l’ancien représentant du mouvement palestinien Hamas, Mohammed al-Khudari, ainsi que son fils Hani al-Khudari, et les a expulsés vers la Jordanie, après plus de trois ans de détention.

Plus généralement, le Hamas a assisté avec une inquiétude croissante à la conclusion des accords d’Abraham négociés par les États-Unis à l’été 2020 et à la poursuite de la normalisation des relations entre Israël et les États arabes. Sans oublier le rapprochement entre la Turquie et Israël. En mars 2022, le président israélien Isaac Herzog a été le premier haut responsable israélien à se rendre en Turquie depuis 2008. Ce contexte n’a donc fait que renforcer l’alliance cruciale du Hamas avec l’Iran – et donc le Hezbollah. Ses relations avec Téhéran ont continué à fournir au Hamas une assistance militaire, notamment des armes et une formation, en plus d’un financement important[44]. L’un des principaux objectifs de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre était d’ailleurs de saper le processus de normalisation initié par Donald Trump et poursuivi par Joe Biden, entre Israël et certains pays arabes. Peu après le déclenchement de la guerre israélienne contre la bande de Gaza, le Royaume d’Arabie Saoudite a réagi en stoppant tout progrès sur les accords bilatéraux entre Riyad et Tel Aviv.

Les changements de direction au sein du mouvement politique du Hamas ont également eu un impact. Si les relations ont certainement été maintenues sur le plan politique et militaire au cours de la dernière décennie – malgré les désaccords sur le soulèvement syrien, notamment le refus des dirigeants de soutenir la répression du régime despotique de Damas contre le mouvement de protestation populaire – le remplacement de Khaled Meshaal par Ismael Haniyeh à la tête du Hamas en 2017 a ouvert la porte à des relations plus étroites entre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran. De plus, la nomination de Cheikh Saleh al-Arouri – l’un des fondateurs de la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam – au poste de chef adjoint du bureau politique du groupe, a également facilité cette évolution. Tout comme l’élection de Yahya Sinwar, autre membre fondateur des brigades al-Qassam, à la tête du mouvement à Gaza. En effet, la branche militaire a toujours entretenu des liens étroits avec l’Iran, contrairement au bureau politique du mouvement dirigé par Meshaal. En fait, les dirigeants des Brigades al-Qassam se sont opposés aux tentatives de Meshaal pendant son mandat d’éloigner le Hamas de l’Iran et du Hezbollah, en faveur d’une amélioration des relations avec la Turquie, le Qatar et même l’Arabie saoudite à un moment donné.

Les responsables du Hamas ont depuis multiplié leurs visites à Téhéran pour rencontrer le commandant des Gardiens de la révolution, Qassem Soleimani, tout en saluant à plusieurs reprises l’aide de l’Iran dans les médias. Ils ont déclaré à plusieurs reprises que le groupe avait réussi à développer de manière significative ses capacités militaires grâce à l’Iran qui leur avait fourni beaucoup d’argent, d’équipement et de savoir-faire.

Les relations renouvelées et approfondies avec l’Iran ne se sont toutefois pas faites sans critiques dans la bande de Gaza et même parmi les bases populaires du Hamas. Une photo du défunt commandant de la Force iranienne Quds, le général Qassem Soleimani, affichée sur un panneau publicitaire dans la ville de Gaza, a été vandalisée et démolie quelques jours seulement avant le premier anniversaire de sa mort. L’assassinat de Soleimani par une frappe américaine à Bagdad en 2020 a été fermement condamné par le Hamas, et Haniyeh s’est même rendu à Téhéran pour assister à ses funérailles. L’instigateur de l’action, Majdi al-Maghribi, a accusé Soleimani d’être un criminel. Plusieurs autres banderoles de Soleimani ont également été démontées et vandalisées, une vidéo montrant un individu le décrivant comme le « tueur des Syriens et des Irakiens ».

De même, le rétablissement des liens entre le régime syrien et le Hamas à la mi-2022 doit être vu comme une tentative de Téhéran de consolider son influence dans la région et de réhabiliter ses relations avec ses deux alliés. Cela dit, toute évolution dans les relations entre la Syrie et le mouvement palestinien ne signifiera pas un retour à la situation d’avant 2011, lorsque les dirigeants du Hamas bénéficiaient du privilège d’un soutien majeur de la part du régime syrien. Les responsables syriens réduiront très probablement leurs critiques publiques à l’égard du Hamas dans le cadre de leur alliance avec l’Iran, mais ne rétabliront aucune forme de soutien stratégique, militaire et politique, du moins à court terme. Les relations futures entre le régime syrien et le Hamas sont donc largement régies par des intérêts structurés et liés à l’Iran et au Hezbollah. De plus, la « réconciliation » reflète un problème plus général dans la stratégie politique de la lutte de libération du peuple palestinien.

Le Hamas n’est cependant pas une simple marionnette de l’Iran. Il dispose d’une autonomie propre par rapport à Téhéran, comme 4les désaccords sur la question syrienne ou le Bahrain[45] l’ont démontré dans le passé.

Conclusion Après le 7 octobre, le Hamas a réussi à se positionner, une nouvelle fois, comme l’acteur principal sur la scène politique palestinienne, marginalisant encore davantage une AP toujours plus affaiblie. Les derniers sondages menés dans les TPO démontrent une popularité croissante du Hamas et un affaiblissement continu de l’AP[46]. Dans le même temps, la question palestinienne est désormais de retour à l’agenda israélien et régional.

Cependant, le parti islamique, tout comme le reste des partis politiques palestiniens, du Fatah à la gauche palestinienne, ne considère pas les masses palestiniennes, les classes ouvrières régionales et les peuples opprimés comme des forces pour gagner leur libération[47]. Au lieu de cela, ils recherchent des alliances politiques avec les classes dirigeantes de la région et leurs régimes pour soutenir leurs batailles politiques et militaires contre Israël. Les dirigeants du Hamas poursuivent une stratégie similaire ; ses dirigeants ont cultivé des alliances avec les monarchies des États du Golfe, notamment le Qatar récemment, et la Turquie, ainsi qu’avec le régime iranien. Plutôt que de faire avancer la lutte, ces régimes limitent leur soutien à la cause aux domaines où il fait progresser leurs intérêts régionaux et la trahissent lorsque ce n’est pas le cas. La réticence de l’Iran et du Hezbollah à réagir et à lancer une réaction militaire plus intense à la guerre israélienne contre les Palestinien.nes afin de préserver leurs propres intérêts politiques et géopolitiques le démontre. L’objectif de l’Iran en soutenant le Hamas, ou le Jihad islamique, n’est pas de libérer les Palestinien.nes, mais d’utiliser ces groupes comme levier politique, en particulier dans ses relations avec les États-Unis et les puissances occidentales.

Un positionnement clair critiquant les orientations politiques, sociales et économiques du Hamas ne devrait, cependant, pas empêcher la gauche, localement et internationalement, de soutenir la lutte palestinienne contre un régime d’apartheid, colonial et raciste soutenu par l’impérialisme occidental. Pour celles et ceux qui disent que nous devrions soutenir uniquement la résistance communiste ou dirigée par la gauche, c’est une grave erreur et un manque de soutien internationaliste. Il s’agit en fait d’une vieille position d’ultra-gauche sur la question nationale que Lénine avait déjà vivement critiquée. Le soutien à une lutte légitime contre l’occupation étrangère doit être apporté quelle que soit la nature de sa direction. De même, nous ne condamnons pas les envois d’armes à la résistance palestinienne par des États autoritaires.

En conclusion, il est important de réitérer notre soutien au droit à la résistance du peuple palestinien, y compris à la résistance armée, sans confondre cette position de principe avec le soutien aux perspectives politiques des dirigeants ou des groupes politiques qui les dirigent, y compris le Hamas.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message