« Capital républicain » Un projet scolaire qui acte le retour du Parti Socialiste au hollandisme

mercredi 13 décembre 2023.
 

Que se passe-t-il au parti socialiste ? Depuis l’annonce de son « moratoire » avec la NUPES, et la multiplication des fausses polémiques contre LFI, le parti ayant recueilli 2% des suffrages à l’élection présidentielle accélère son retour au hollandisme.

Un retour en bonne et due forme à la case départ libéral. Récemment, Olivier Faure a défendu une idée présentée comme « nouvelle » (déjà portée en 2019) : l’instauration d’un « capital républicain ». Une proposition martelée sur tous les réseaux du parti. Défini comme une « dotation universelle à la naissance indexée sur les études suivies », l’idée est vendue comme « innovante » et parlerait « aux enfants des classes populaires » d’après Olivier Faure.

Qu’en est-il réellement ? Dans les faits, le principe a toutes les caractéristiques d’une prime assumée au décrochage d’études. Plus l’élève quitte tôt les bancs des études, plus la prime est conséquente : 60 000 euros pour un jeune qui arrêterait ses études à 16 ans, 30 000 euros au niveau bac, 0 euros pour un étudiant qui opterait pour de longues études. Sur Twitter, la co-présidente de l’Institut La Boétie, Clémence Guetté, a démonté, brique par brique, cette fausse « nouveauté » aux effets dévastateurs pour la jeunesse, et notamment celle des classes populaires.

Une idée à rebours de la proposition d’allocation d’autonomie pour les jeunes qui figurait en bonne place parmi les 650 propositions qu’Olivier Faure s’était engagé à porter en juin 2022. Hier, le premier secrétaire du PS déclarait : « Une coalition, c’est la recherche permanente de ce qui nous est commun pour porter les ruptures nécessaires, pas l’alignement sur qui que ce soit. C’est la promesse originelle de la Nupes ». Une rupture nécessaire et une promesse, c’est bien ce qu’Olivier Faure brise en enterrant le programme de rupture qu’il a signé et en ayant décrété un moratoire avec une union à laquelle il n’a vraisemblablement jamais cru. Notre article.

Le « capital républicain » : une idée au service du capital et contre la République

« Les enfants de cadres sont plus nombreux à suivre des études : à l’Université, ils sont trois fois plus nombreux que les enfants d’ouvriers. C’est ce qu’on appelle la réduction sociale » : le constat vient d’une vidéo publiée ce jour sur les réseaux du parti socialiste. Jusque-là, rien de choquant : le diagnostic d’une forte reproduction sociale en France est connu.

Le paradoxe vient après, dans le détail de la mesure censée elle-même réparer un « paradoxe » comme l’écrit Olivier Faure son ouvrage. Le premier secrétaire du PS veut « parler aux enfants des classes populaires ». Pour cela, il propose une « dotation universelle par jeune ». Une somme qui serait versée à chaque jeune. Présentée comme « nouvelle » et portée comme tel par Olivier Faure, ce « capital républicain » n’a pourtant rien d’une idée neuve. Olivier Faure défendait le même principe, à hauteur de 180 000 euros en 2019, et aussi en 2021, à hauteur de 20 000 euros lors du congrès du parti socialiste.

En quoi consiste cette mesure ressortie des tiroirs de Solférino (ancien siège historique du PS jusqu’en 2017, ndlr) ? Concrètement, chaque jeune disposerait symboliquement de cette « dotation » à hauteur de 60 000 euros. Plus tôt l’élève arrête les études, plus la dotation « universelle est élevée ». Ainsi, un jeune qui arrêterait les études à 16 ans se verrait attribuer 60 000 euros en capital mobilisable. Pour une sortie au niveau du bac, ce capital représenterait 30 000 euros. Pour les études les plus longues ? Zéro euro.

Quelles conséquences auraient cette proposition ? Elles sont évidentes pour quiconque connaît a minima la situation des jeunes en France aujourd’hui, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas des ténors du parti socialiste. Un jeune sur cinq ne mange pas à sa faim en France. Un étudiant sur deux survit avec moins de 100 euros de reste à vivre. Le nombre de jeunes dans les files pour accéder à l’aide alimentaire ne cesse de croître.

Dans de telles conditions, que feront les jeunes ? Comment penser sérieusement qu’un jeune de 16 ans refuserait les 60 000 euros, pour sa propre survie, pour s’engager dans les études supérieures s’il n’a lui-même pas les moyens de se chauffer, de se loger, de manger ? Comment concevoir un choix quand on ne mange pas à sa faim ? La réponse est évidente : d’abord la survie.

Une nouvelle source de capital pour les écoles privées pour un détricotage plus avancée du système scolaire

Le premier des effets pervers de la mesure est de laisser sur le carreau les enfants des classes populaires : d’abord la survie, au détriment des études. C’est le « risque de contre-démocratisation de l’université » que pointe la co-présidente de l’Institut La Boétie. Elle indique aussi que la problématique est prise « par le mauvais bout ».

En effet, pourquoi ne pas prendre le problème à la racine et injecter massivement des fonds pour améliorer le système scolaire et universitaire ? Comment aussi ne pas anticiper aussi l’effet d’opportunité pour les écoles privées ? À ne pas douter, toutes feront des pieds et des mains pour tenter de ramener à elles ce capital, en proposant des frais d’inscriptions exorbitants aux jeunes qui souhaiteraient reprendre leurs études. Même effet pervers pour les promoteurs et propriétaires immobiliers qui feront exploser leurs prix pour se gaver de ce nouveau marché.

Olivier Faure, l’homme qui ne tient pas ses engagements

À l’instar de l’ensemble des députés socialistes, Olivier Faure a été élu sur un programme de rupture, celui de la NUPES. Tous les commentateurs le constatent : cette proposition de « capital républicain » va à rebours de son engagement écrit de juin 2022.

Ce programme portait une mesure phare pour assurer à la jeunesse des conditions d’études dignes : une allocation jeunesse à 1063 euros mensuels, qui pourrait être rehaussée à 1158 euros pour suivre l’évolution du seuil de pauvreté en période d’inflation. La co-présidente de l’Institut La Boétie, Clémence Guetté le résume par ces mots : « Nous défendons l’héritage de la société, plutôt que la société des héritiers. »

La proposition de la NUPES est financée par une révolution fiscale ambitieuse : héritage maximal et réforme des droits de succession. La députée insoumise s’interroge ainsi sur les conséquences de la mesure quant au reste des propositions qu’Olivier Faure s’est engagé à porter : « Si Olivier Faure remplace une mesure moins ambitieuse, toujours financée par une réforme de l’héritage, cela signifie-t-il que sa réforme fiscale est moins ambitieuse ? »

Pour Clémence Guetté, le verdict est clair : « À trop vouloir se distinguer, on tape parfois à côté, quitte à défendre précisément le contraire de l’universalité et de l’égalité. ».

Au total, entre cet obscur « Capital républicain », le refus d’abroger la loi Cazeneuve, le recul sur la retraite à 60 ans, Olivier Faure multiplie les prises de positions pour liquider méthodiquement le programme de rupture qu’il s’était engagé à porter. Dernier coup d’éclat : le 30 novembre, le Premier secrétaire du PS a brillé par son absence de la niche parlementaire des insoumis dans laquelle étaient portées des propositions issues de ce programme.

À quelques voix près, la mesure d’encadrement des marges des industriels et de la grande distribution aurait pu être adoptée. À quelques voix près, dont celle d’Olivier Faure qui manquait à l’appel. Hier, il déclarait : « Une coalition, c’est la recherche permanente de ce qui nous est commun pour porter les ruptures nécessaires, pas l’alignement sur qui que ce soit. C’est la promesse originelle de la Nupes ». Une rupture nécessaire et une promesse, c’est bien ce qu’Olivier Faure brise, tant par l’éloignement du programme de rupture qu’il a signé que par son moratoire avec une union à laquelle il n’a vraisemblablement jamais cru.

Par Sylvain Noël, rédacteur en chef


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