Sarkozy, la Russie et Marine Le Pen

samedi 2 septembre 2023.
 

Il faut prendre au sérieux les propos de Nicolas Sarkozy à propos de la Russie, et plus encore ceux à propos de la dédiabolisation de Marine Le Pen. Non pour les approuver, mais pour en tirer des leçons.

Sur la Russie, on doit admettre des espaces d’opinions contradictoires, qui soient en quelque sorte des pauses dans la propagande de guerre pour réfléchir de façon ouverte. Pas de risque. La propagande est très bien faite médiatiquement : pas une faille sur les plateaux. Même quand y vont des gens dont on connait les convictions bien plus nuancées que leur propos. Et la cohésion des Français est assez largement garantie par le fait que personne en France n’approuve une invasion armée entre voisins en Europe. C’est la position du mouvement Insoumis depuis la première heure de l’invasion. Depuis cette date, les bavards prennent la pose, et le mouvement Insoumis de son côté accueille des opposants russes socialistes anti-guerre. Seul à gauche à faire quelque chose de concret.

Politiquement, le bilan de cette invasion est absolument désastreux pour tous ceux qui voyait dans le rattachement de la Russie à l’Europe la clef d’un nouveau monde, non enfermé dans le choix entre USA et Chine. Depuis cette invasion, deux pays hier neutres ont rejoint l’OTAN, et toute l’Europe est plus atlantiste que jamais. La ligne Poutine est un échec total. Pourtant le message français est inaudible. Les errements de la France de Macron n’ont rien arrangé : un jour il prône une « équidistance » entre Chine et USA, l’autre il regrette l’exclusion humiliante de notre pays d’une absurde coalition anti-chinoise grotesque, comme celle qui nous a été infligée par les USA, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

La ligne que nous défendons, le « non-alignement », n’est pas la neutralité. Ni l’équidistance. La Russie a envahi l’Ukraine et elle doit sortir d’Ukraine sans conditions. Et, dans ce cadre chacun, des deux pays doit avoir ses garanties de sécurité pour la suite de la vie, car le voisinage géographique ne se change pas. Ces garanties, Macron les avait évoquées, avant de se rétracter peureusement devant le tollé médiatique atlantiste. L’intérêt des Européens (et de ceux qui croient à une indépendance possible sur le vieux continent) est que la guerre d’Ukraine prenne fin. Et, avec elle, la montée des périls de toutes sortes qui viennent dans son sillage, depuis le risque sur les centrales nucléaires jusqu’à celui d’escalades incontrôlées… et même délibérées, compte tenu de la crise politique russe et de l’imprévisibilité de certaines composantes ukrainiennes.

Sur Marine Le Pen, nous recevons un signal. Nicolas Sarkozy est le personnage le plus écouté à droite. Il ne s’exprime pas dans le flot du bruit. Il ne parle pas « pour ne rien dire » comme tant d’occupants de temps d’antenne. Là encore, il doit être pris au sérieux. L’intégration, sous une forme ou sous une autre, du RN a une coalition majoritaire est la condition pour la construction de « l’arc républicain » électoral. Qui, de la droite ou bien des macronistes, prendra la tête de cette coalition ? Une leçon de l’histoire récente en Europe montre comment, pour finir, l’extrême droite peut tirer les marrons d’un feu préparé par d’autres. La Melloni en Italie en atteste.

En toute hypothèse cela passe par la dédiabolisation de Le Pen. Que Sarkozy se réfère à ce mot ajoute à la force de ce qu’il entreprend en le faisant. Sans cet apport, ni la droite, ni la macronie (par ailleurs incapable de se céder le pas) ne peuvent espérer de majorité. Nous savons que la diabolisation des Insoumis est une composante de cette opération. Nous ne sommes pas réellement autre chose qu’un prétexte pour donner des bonnes raisons à tout cet « arc » de s’unir, de reporter leur voix les uns sur les autres. Aux législatives, ce type de report est le responsable des 51 000 voix qui nous manquèrent pour avoir la majorité relative, ou des 300 000 qui nous manquèrent pour avoir la majorité absolue au deuxième tour. Je ne parle donc pas d’une lubie complotiste, mais d’un fait sérieux, avéré.

Ajoutons que les stratèges se demandent qui seront réellement les protagonistes de 2027. Et donc le second tour, pour eux aussi, dépend du premier. Et le second, alors, n’est pas un boulevard. Au point que d’aucuns, depuis quelque temps, rêvent même d’étendre la surface de leur « arc républicain » vers la gauche traditionnelle. L’hebdomadaire JDD publie à ce sujet un appel signé par « l’essayiste-traducteur-éditeur » (sic) Éric Naulleau. Contre les « délinquant rebaptisés émeutiers », soutenus par le « parti de l’étranger », woke et islamo-gauchiste, il donne une consigne : « Face à ce danger d’aujourd’hui, il faut tendre la main aux communistes ». Les malheureux communistes ! Comment ont-ils pu mériter une aussi dégradante affection ? « Pas un mot sur la Nupes », ajoute Naulleau le traducteur, « la page est tournée, l’heure est à l’union nationale, à un accord sur les valeurs essentielles ». Alors il lance son appel : « Républicains de tous les pays, unissez-vous ! Et demain, Fabien Roussel rimera avec Joseph Kessel ». Bigre ! Hélas, gémit-il « le PCF s’émancipe lentement, trop lentement de la Nupes pour s’éloigner d’une extrême gauche devenu un parti de l’étranger ! ». Trop lentement ? Qui croire ? Car « Le Figaro » annonce une séparation déjà claire et nette ! Invoquant lui aussi Fabien Roussel, l’éditorialiste de la droite mondaine affirme : « les émeutes du début de l’été ont souligné cette fracture entre ceux qui assimilent la police à une force ennemie et ceux qui au contraire défendent l’ordre républicain ». Ce détour montre la détermination qui anime la droite sur le sujet.

Il faut faire la part des choses évidemment. Jamais les communistes ne participeront à une telle tambouille, quoiqu’en pense Roussel. Pas de doute sur le sujet. Ce qui compte c’est l’ambiance qui est construite de cette façon. C’est la ligne de construction du « cercle de la raison » que prônait naguère « Le Monde » quand il s’agissait de construire l’alliance des libéraux de tous bords, dont Macron est l’héritier final. Puis celle qu’il a pratiqué ensuite en organisant, le premier, la dédiabolisation de Marine Le Pen. Désormais il assume avec énergie son corollaire qu’est la diabolisation des Insoumis, ciment du prétendu « arc républicain ».

Quand ce projet est porté par Nicolas Sarkozy, la semaine où l’un des siens, député LR, fait l’éloge de l’antisémite Maurice Barrès, on peut légitimement penser que projet devient consistant, et même officiel, car seul Sarkozy conserve à droite une capacité de parole et d’écoute, dans le fouillis créé par la parole démonétisée de Macron. Et on doit d’autant plus facilement y prendre garde, car c’est la pente dans toute l’Europe. Dernière nouvelle en date sur le sujet, la droite des Pays-Bas se dit prête à gouverner avec l’extrême droite. C’est ce projet qui mûrit sous nos yeux. Et la sempiternelle et lassante accusation d’antisémitisme en est une composante. Et Médine un prétexte !


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