Alors que les protestations s’intensifiaient la semaine dernière à propos de la refonte judiciaire, le ministre des Finances israélien a déclaré pour ainsi dire la fin des accords d’Oslo.
Bezalel Smotrich est un fin stratège politique qui a su éviter l’erreur commise par son collègue de la coalition, le ministre de la Justice Yariv Levin. Contrairement à Levin, Smotrich, qui est à la fois ministre des Finances d’Israël et à la tête du Bureau d’administration des colonies, nouvellement créé au sein du ministère de la Défense – rôle qui lui accorde des pouvoirs de mise en application concernant la construction palestinienne, la planification des colonies et l’attribution des terres en Cisjordanie – n’a pas convoqué une conférence de presse pour annoncer la mise en œuvre de la refonte judiciaire massive qui s’est heurtée à une résistance généralisée de la part de vastes pans du public israélien.
Il n’a pas non plus proclamé, de son ton le plus militant, qu’il écraserait la démocratie israélienne. Smotrich semble comprendre qu’une action efficace, en particulier lorsqu’il s’agit d’une entreprise de colonisation, se fait discrètement et dans les coulisses.
Mercredi dernier, lors d’une discussion en Commission des affaires étrangères et de la défense, il a dévoilé son projet révolutionnaire d’annexion en Cisjordanie occupée. Pendant qu’il faisait cela, son ami, le député Simcha Rothman, menait une discussion tumultueuse et très médiatisée au sein de la Commission Constitutionnelle à propos du projet de loi très controversé qui limiterait la clause de « raisonnabilité », quelques jours seulement avant son adoption par la Knesset.
La discussion au sein de la commission des Affaires étrangères et de la Défense s’est tenue sous le titre « La prise de contrôle des zones ouvertes par l’Autorité palestinienne ». Au début de la réunion, le représentant de l’Administration civile – l’organe militaire chargé de surveiller la vie des civils vivant dans les Territoires occupés – a fourni des données montrant qu’il n’existe pas de voie légale permettant aux palestinien.ne.s de construire dans la zone C de la Cisjordanie, qui en couvre plus de 60 % et est entièrement sous contrôle militaire israélien. Environ 98% des demandes palestiniennes de permis de construire sont rejetées, a déclaré le représentant.
Ceci, en soi, n’a rien de nouveau ; on a connu des discussions similaires à la Knesset au cours des cinq dernières années. Ce dernier débat avait pourtant quelque chose de bien singulier. La plupart des précédentes discussions étaient caractérisées par l’emploi de la terminologie usuelle des organisations de colons et de l’extrême droite, qui travaillaient alors sans relâche pour amener les décideurs à adopter leur idéologie et leurs politiques. Mais maintenant, ce sont les représentants de ces organisations, dont Smotrich, qui dirigent le gouvernement, et leur idéologie s’est transformée en politique d’État.
Le premier signe du changement à venir fut la présentation de l’homme qui menait la discussion, le député Avihai Boaron, qui représente le mouvement colonisateur au Likud. La présentation de Boaron traitait de la construction palestinienne dans quelques zones ouvertes des zones A et B [la première est censée être sous le contrôle total de l’Autorité palestinienne, tandis que la seconde est partagée entre l’AP et l’armée israélienne], laquelle, selon lui, nuit à l’entreprise de colonisation en interrompant la contiguïté territoriale et en empêchant l’expansion. Suite aux remarques d’ouverture de Boaron, le comité est devenu la scène idéale pour que Smotrich présente sa révolution.
Smotrich conteste le fait que les citoyens et citoyennes d’Israël résidant dans les Territoires occupés soient sous souveraineté militaire et non sous celle d’un organisme civil israélien. De par sa nature même, l’armée, a déclaré Smotrich au Comité, est préoccupée par les questions de sécurité. Et bien que la sécurité soit importante, a précisé le ministre, un demi-million de juifs et de juives d’Israël ayant des besoins civils vivent en Cisjordanie et ont donc le droit, non seulement de profiter d’une gestion gouvernementale de leur vie, mais aussi de se voir assuré.e ;s que leurs besoins civils ne passent pas à la trappe devant des considérations de sécurité.
En outre, la bureaucratie militaire est alambiquée, a-t-il ajouté, et les services que l’administration civile fournit aux colons sont lents et encombrants. C’est précisément là qu’intervient son Administration des colonies, dont le bureau fut créé sous le gouvernement actuel dans le cadre du ministère de la Défense, pour transférer la responsabilité des Territoires occupés, actuellement entre les mains des militaires, aux mains des civils – en totale violation du droit international.
Pour Smotrich, la révolution qu’il inaugure est une célébration de la démocratie. En réalité, il s’agit tout simplement d’une déclaration d’annexion. Quant aux millions d’autres résident.e.s de la Cisjordanie – ceux et celles qui ne peuvent ni voter ni se faire élire au parlement israélien – Smotrich a clairement indiqué qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Le ministre a précisé que l’annexion ne s’appliquera pas uniquement à la zone C, et que « la mise en œuvre de la construction » – autrement dit la démolition de structures palestiniennes – aura également lieu dans les zones A et B. Bien que la construction palestinienne soit, selon le Accords d’Oslo, tout à fait légale dans ces zones, (où l’Administration civile n’a pas d’ailleurs le pouvoir de faire adopter des « master plans »), il sera toujours possible– si Smotrich parvient à ses fins – de justifier la mise en œuvre de la construction israélienne par d’autres moyens .
Israël démolit déjà des maisons palestiniennes dans les zones A et B pour des « raisons de sécurité ». Au cours de la dernière décennie, le général du Commandement central de Tsahal, qui, selon le droit international, est souverain en Cisjordanie, a émis des ordonnances interdisant la construction à proximité des routes utilisées par les colons ou dans d’autres zones qui pourraient mettre ceux-ci en danger. Ainsi, la possibilité de faire face à la « prise de contrôle » de son propre territoire par l’Autorité palestinienne — dépend finalement de comment Israël définit les « considérations de sécurité ».
Cette définition, selon Smotrich, devra également inclure la « sécurité nationale », ce qui permettra d’inclure de telles « considérations de sécurité » dans de futurs projets telle que la conservation de réserves de terrains pour assurer la continuité et l’expansion territoriales des colonies. Selon la proposition de Smotrich, les activités de l’AP seront proclamées « hostiles », ce qui permettra aux autorités israéliennes de confisquer ses fonds et d’imposer des sanctions supplémentaires.
Ainsi, pendant que le public avait son attention toute entière tournée vers la révolution judiciaire de Rothman à quelques mètres de là, Smotrich a annoncé son plan d’annexer toute la Cisjordanie sans accorder le statut civil aux résident.e.s palestinien.ne.s de la région, et l’annulation d’éléments clés des accords d’Oslo. Cette révolution ne sera pas ancrée dans la loi. Elle sera soumise au cabinet dans environ un mois, après quoi elle devra être approuvée par le ministre de la Défense et le Premier ministre, qui est, selon Smotrich, très impliqué et engagé dans le processus.
Smotrich n’a pas manqué de prononcer deux phrases destinées à calmer les critiques. La première était qu’ »il n’y a pas de changement dans le statut juridique des Territoires », et la seconde que « nous restons attachés aux accords d’Oslo ». Ainsi souhaitait-il sans doute jeter un os à la communauté internationale dans l’espoir de l’apaiser, cacher son tour de passe-passe et protéger Israël du prix diplomatique qu’il aurait à payer pour l’annexion.
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich visite le quartier de Nativ Ha’avot dans le bloc de colonies de Cisjordanie Gush Etzion, le 26 octobre 2022. (Gershon Elinson/Flash90) Le monde entier sait que toute occupation militaire est mauvaise. Une domination militaire étrangère sur un territoire ennemi n’est pas souhaitable ; c’est pourquoi l’occupation par un belligérant est légalement considérée comme une situation temporaire. L’annexion, en revanche, est illégale, c’est précisément pourquoi l’occupant ne peut pas étendre sa souveraineté sur le territoire, mais ne peut que le détenir sous sa tutelle. Des années de guerres sanglantes et d’expulsion de civils par les armées d’occupation des pays dans le passé ont conduit la communauté internationale à convenir qu’aucune puissance occupante n’est autorisée à utiliser les ressources du territoire occupé pour ses besoins, ni à transférer une population civile pour vivre dans des zones sous occupation. Afin d’éviter les incitations foncières aux guerres, les seules choses que le général de l’armée d’occupation peut légalement prendre en considération sont les intérêts de la population occupée protégée par la loi, et les préoccupations sécuritaires immédiates de l’armée concernant le territoire occupé.
Mais sous le gouvernement israélien actuel, des considérations de sécurité normalement limitées sont devenues des considérations nationales et s’expriment désormais sous la forme de vastes « master plans ». L’intégralité de la Cisjordanie est gérée uniquement au profit des juifs et juives citoyen.ne.s de la puissance occupante. Pour maintenir l’apparence que rien n’a changé, et puisque, selon Smotrich, il n’y a pas eu de changement dans le statut juridique des Territoires, c’est le général du commandement central de Tsahal qui signera les ordonnances.
Ainsi, le gouvernement, qui prétend que sa refonte judiciaire est menée au nom de « l’égalité des citoyens » et de la « démocratie », s’emploie en fait – à étendre son contrôle par la force militaire sur 3 millions de Palestiniens et Palestiniennes qui n’ont pas le droit de vote, à violer de façon flagrante le droit international, et à démanteler pour ainsi dire les accords d’Oslo.
L’annexion rampante de la Cisjordanie a lieu depuis des années. La politique de contrôle d’Israël sur les territoires occupés est basée sur la discrimination systématique, l’exclusion et le pillage. Toute prétention à une quelconque nature « temporaire » de l’occupation a disparu. La communauté internationale, les États-Unis en tête, s’est jusqu’à présent contentée de publier de vagues déclarations en réponse aux changements sur le terrain, et continue de réciter des platitudes creuses prônant la solution à deux États et affirmant son engagement en faveur de la paix. Aujourd’hui, la révolution de Smotrich fait tomber le masque qui fournissait un vernis de légalité et des allures d’ « état de droit » à Israël. Les élus et élues d’Israël clament que c’est ainsi que fonctionne la démocratie : vous obtenez ce pour quoi vous votez. En effet, nous paierons tous le prix de ce nouveau régime, et comme toujours, la principale victime sera le peuple de Palestine.
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