Gouvernement (France) – Convergence d’intérêts : la valse des pantins aux commandes de la santé

dimanche 20 août 2023.
 

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour Libération, il revient sur la nomination d’Aurélien Rousseau au ministère de la Santé.

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« Il n’y a pas de conflit d’intérêts qui puisse naître des responsabilités occupées par le couple », avait expliqué la semaine dernière Aurélien Rousseau, successeur de François Braun, « car nous poursuivons […] le même intérêt public, qui est celui d’assurer l’accès aux soins de nos concitoyens ». Sur le papier, le psychodrame né de sa nomination, en tant que nouveau ministre de la Santé alors que sa femme, Marguerite Cazeneuve, est directrice déléguée à l’assurance maladie, avec appels de certains à la démission de la femme pour éviter que le mari ne soit accusé de conflit d’intérêts, semble utiliser tous les ressorts du théâtre de boulevard politique français, à commencer par une grosse pincée de sexisme (puisqu’en situation de conflit, c’est apparemment à la femme de s’effacer).

Comme c’était attendu, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a finalement rendu son avis ce mardi 25 juillet en avalisant la situation, au motif que « la notion de conflit entre intérêts publics ne s’applique que si les intérêts en cause ne sont pas convergents ». Parmi les commentaires entendus dans le secteur, certains mettaient en avant le risque que les deux époux n’évoquent ensemble des dossiers de santé. La belle affaire… les cris d’orfraie des derniers jours masquent une réalité plus cruelle. Que Marguerite Cazeneuve et Aurélien Rousseau partagent les mêmes oreillers n’est en aucun cas un problème.

« Diktats élyséens » Le problème, c’est la fiction entretenue depuis des années d’une supposée autonomie décisionnelle de l’assurance maladie et du ministère de la Santé, par rapport aux diktats élyséens. Rappelons-le une nouvelle fois : le fantasme d’une Sécurité sociale gouvernée de manière paritaire, de négociations transparentes entre d’un côté les représentants des professionnels de santé, et de l’autre les représentants des assurés sociaux, n’existe plus que dans l’imagerie d’Epinal.

En 2004, Jacques Chirac a nommé à la tête de l’assurance maladie Frédéric Van Roekeghem, ancien auditeur chez AXA, proconsul pouvant imposer ses décisions sans l’aval des centrales syndicales, dont les représentants ne se sont pas soumis à élection depuis les années 80. En face, lorsque des élections ont amené les médecins à désavouer clairement certains syndicats signataires, comme ce fut le cas en 2006, les politiques se sont assis sur ce vote. Et au fil des ans, le profil de ceux et celles qui ont occupé les postes clés à l’assurance maladie, au ministère de la Santé et à Matignon, n’a pas changé.

Frédéric Van Roekeghem a quitté son poste pour intégrer Siaci Saint Honoré, courtier et conseil en assurance afin de prendre la tête de MSH International, une filiale spécialisée en assurance santé à l’étranger. Son successeur, Nicolas Revel, secrétaire général adjoint de la présidence de la République de 2012 à 2014 pendant le mandat de François Hollande, a dirigé la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) de 2014 à 2020 avant d’être nommé directeur de cabinet à Matignon sous Jean Castex, de 2020 à 2022.

« Un projet libéral de démantèlement de la protection sociale » L’actuel directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, ancien membre des cabinets de trois ministres de la Santé (Jean-François Mattei, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand), fut ancien conseiller santé de Nicolas Sarkozy, avant de devenir directeur de cabinet adjoint d’Edouard Philippe, et artisan de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Il porte, avec son adjointe Marguerite Cazeneuve la responsabilité de l’échec des négociations conventionnelles en février 2023. « A chaque fois que nous faisions une contre-proposition au powerpoint de la Cnam, Thomas Fatôme nous disait clairement : “Ah ça, ce n’est pas possible, ça a été décidé par l’Elysée” », explique Jérôme Marty, président du syndicat médical UFML.

Plus récemment, la question des arrêts de travail injustifiés a été ressortie par de nombreux ministres, Bruno Le Maire et Gabriel Attal reproduisant le discours standard du patronat se lamentant de la fainéantise des Français et de la complaisance des médecins, vieux serpent de mer, des maîtres des forges jusqu’à Geoffroy Roux de Bézieux. François Braun a alors cité, pour refuser la possibilité aux patients d’autodéclarer de courtes absences maladies lors d’épisodes d’infections virales ou de gastros, une enquête de la Cnam ayant « mis en évidence 40% d’abus sur les arrêts de travail Covid déclarés par les patients ».

Chiffre jamais confirmé depuis un mois malgré de nombreuses demandes, émanant d’une enquête fantôme opportunément fournie au ministère par l’assurance maladie, mais jamais communiquée à la presse pour analyse et confirmation. Soyons clairs. Derrière les déclarations de principe sur l’égal accès aux soins des Français se cache, plus ou moins efficacement, un projet libéral de démantèlement de la protection sociale, jugée trop dispendieuse et de nature à entraver l’attractivité de la France pour financiers et entrepreneurs.

« Jamais ne se pose la question des causes de la souffrance au travail » Ce projet, bien avancé, a amené à la situation actuelle de désertification médicale. Empilant les injonctions contradictoires envers les professionnels de santé, constamment incités à « prendre leur part » comme si leur métier ne tenait pas déjà du sacerdoce depuis plusieurs années, accusés de laxisme sur les prescriptions ou les arrêts de travail sans que jamais ne se pose la question des causes de la souffrance au travail ou des accidents du travail en France.

On apprend par la bande qu’avant de nommer Aurélien Rousseau, Elisabeth Borne avait un temps envisagé de nommer Frédéric Valletoux au ministère de la Santé, et… Marguerite Cazeneuve ministre déléguée à l’Organisation des soins. Frédéric Valletoux, député Horizons, ancien président de la Fédération des hôpitaux de France, qui désirait exporter à la médecine de ville les techniques de management qu’il imposa à l’hôpital pendant onze ans avec le brillant succès que l’on voit aujourd’hui.

Cette proposition ne fut pas retenue, uniquement parce que François Bayrou s’y opposa, pour des raisons de pur calcul politique. Cette anecdote en dit beaucoup sur l’interchangeabilité de ceux qu’on parade en premier plan tandis que l’Elysée, après l’échec du précédent plan Ma Santé 2022, décide un plan de refondation de la santé, censé se baser sur un audit au plus près du terrain, quand la seule proposition macroniste face à la désertification médicale consiste, comme pour les banlieues, en « un besoin de revoir, en quelque sorte, notre politique de répartition des difficultés ».

Christian Lehmann, médecin et écrivain

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