Hôpital : Vous avez dit « libéral » ?

samedi 10 février 2007.
 

Le chef du service de gynéco-obstétrique d’un grand hôpital parisien, perçoit à ce titre un salaire de 8000 Euros net par mois versé par l’Assistance Publique. Mais il dispose en plus du privilège d’exercer son « art », dans le cadre d’une activité privée au sein de l’établissement. Il y facture la coquette somme de 120 Euros pour une consultation et réclame 1000 E. pour une ablation de l’utérus (Cf. Le Parisien du 25 janvier).

Ce statut particulier, déjà ancien, a de tous temps défrayé la chronique. Sur le principe même, permettant à un salarié de disposer simultanément d’une activité libérale en utilisant les locaux, matériels et personnels de l’établissement. Mais également sur le respect des conditions sensées réguler ce type d’activité : ces praticiens devraient limiter leur activité privée à 20% de leur activité totale, ne pas faire plus d’actes en privé qu’en public, ne pas accorder de priorité à leurs malades personnels, respecter « le tact et la mesure » dans le montant de leurs honoraires et reverser un certain pourcentage de leurs gains privés à l’hôpital.

Après constat des anomalies relevées dans ce domaine, en 1983, le Ministre de la santé de l’époque (J Ralite) avait publié un décret conduisant à la disparition du « secteur privé » en 1987. Une des premières mesures que prit le gouvernement de droite (J. Chirac) arrivé aux affaires en 1986 fut de rétablir et de pérenniser l’activité privée à l’hôpital.

Depuis, cette « verrue » n’a fait que grossir et actuellement plus de 4000 des médecins hospitaliers (sur 34 000) arrondissent gentiment leurs fins de mois (moyenne 64 000 E. annuels en 2005, en progression de 34% en quatre ans).

On a noté qu’il s’agit d’une moyenne, puisque certains « pontes » atteignent des honoraires de plus de 500 000 Euros annuels !

Evidemment, dans ce secteur privé, les médecins qui respectent les tarifs de remboursement de la « Sécu » sont rares et les malades se voient confrontés à des honoraires exorbitants : 100, 150 Euros pour une consultation sont les tarifs les plus courants dans le hit parade que Le Parisien des 25 et 26 janvier à constitué. Dans ce palmarès, on mettra en exergue le chef du service cancérologie d’un autre grand hôpital parisien qui n’hésite pas à taxer ses malades de 400 Euros la consultation... ! Imagine-t-on, ces personnes terrorisées par le spectre d’une fin dramatique, ces pauvres gens et leur famille, éperdus, dans une quête désespérée du miracle et qui, de surcroît, tombent dans ce genre de piège où, en plus de leurs souffrances, ils subissent forcément une dure sanction financière... ?

Le « tact et la mesure » dites-vous... !! Cette formule n’est pas comme on pourrait le croire un ornement philosophique. C’est une limite édictée par le Code de Déontologie, le Code de Sécurité Sociale et la Convention à laquelle les médecins adhèrent vis-à-vis de l’assurance maladie. Les infractions à cette règle (1) devraient être sanctionnées par les Caisses Primaires et par le Conseil de l’Ordre des médecins.

Qu’on se rassure, les Caisses où siègent pourtant les représentants des assurés sociaux regardent ailleurs et le Conseil de l’Ordre vieille à la protection des intérêts du corps médical !

On aurait tort de croire que ce que Le Parisien monte à juste titre en épingle est un scandale circonscrit au sein de l’hôpital public. Il faut même faire immédiatement obstacle à ce qui risque de stigmatiser un des fleurons de notre dispositif sanitaire. Car cette inqualifiable dérive des honoraires médicaux par rapport aux tarifs de remboursement pratiqués par la Sécu devient aujourd’hui, dans des proportions plus réduite, une généralité chez les médecins libéraux qui exercent en ville.

Dans certaines régions (Ex : Ile de France, PACA,...), les médecins qui respectent les tarifs conventionnels sont de plus en plus rares, chez les spécialistes en particulier. Les dépassements tarifaires augmentent de 10% par an depuis 1980. Aujourd’hui, en additionnant les dépassements des médecins et des dentistes, ce sont près de 6 milliards d’Euros qui sont abandonnés à la charge des ménages. Ils ne peuvent alors compter que sur une assurance complémentaire pour couvrir ce que la sécu n’a pas remboursé. Encore faut-il savoir que 8% de nos ressortissants n’ont pas d’assurance complémentaire et que 60% de ceux qui ont la chance d’en disposer ne peuvent prétendre qu’à une modeste participation qui exclue souvent les dépassements tarifaires.

Pour illustrer une formule désormais à la mode, un ministre disait récemment qu’il fallait rendre le droit au logement opposable comme l’est le droit à la santé... ! Avec les conséquences qu’entraîne la disparition des tarifs opposables en matière d’accès aux soins, on imagine la suite pour le droit au logement !

Si le recul de la protection sociale dans la prise en charge des soins ambulatoires, ne peut pas être mis au seul débit du gouvernement actuel (l’instauration du secteur « honoraires libres » date de 1980 - gouvernement Giscard/Barre -), la libéralisation des honoraires médicaux est une stratégie opiniâtre du pouvoir en place depuis 2002. La loi « Douste-Blazy » en 2003 et la dernière Convention médicale détériorent un peu plus la notion de tarifs opposables.

Et comme cela ne suffit pas, le ministre X. Bertrand, conseiller technique du candidat Sarkozy, dépense une énergie remarquable pour instaurer un secteur de liberté tarifaire supplémentaire (le secteur optionnel). Recalées par le Conseil Constitutionnel une première fois, les modifications législatives réintroduites viennent d’être agrées par la Haute juridiction.

Petit à petit, nous entrons dans l’éden libéral. Les Hommes vont enfin pouvoir profiter à plein de leur « liberté » dans une « compétition salvatrice » où « les meilleurs » pourront enfin émerger dans la hiérarchie sociale ! Vous entendez ceci dans la musique sarkozienne qui passe en boucle dans les médias. Evidemment dans cette compétition là, les plus forts gagneront. Par sélection naturelle, après qu’on ait éliminé ceux qui cumulent les handicaps originels et conjoncturels, on aboutira certainement à une élite humaine exceptionnelle !

C’est ce sentiment élitiste et incroyablement égoïste qui anime le professeur que nous citions au début de cette réflexion. Après les révélations du Parisien, interrogé sur les turpitudes auxquelles il participe (honoraires exorbitants, discrimination dans les délais d’attente entre le public et le privé, etc...) « il éprouve un profond sentiment d’injustice » et « ...ne se sent pas coupable... » et il ne porte pas de jugement sur la situation « ...puisque, par définition, l’activité libérale est personnelle... ». Quelle inconscience, ou quel cynisme !

L’activité libérale est donc personnelle ? Ce qui veut dire : ça concerne la personne... En dépit des autres ! Mais que représente ce statut « libéral », dans une économie où le revenu des médecins est financé par la collectivité qui, en premier lieu, solvabiliser une consommation dont serait incapables les malades, si la solidarité n’assurait pas la charge de la dépense ? Libéral, alors le prélèvement effectué sur le revenu des assurés sociaux paye une part très substantielle des cotisations sociales des professions de santé, que les assurances professionnelles de quelques spécialités sont désormais réglées aux 2/3 par la Caisse Nationale des salariés, etc..., etc... Libéraux, ces médecins salariés des hôpitaux, qui utilisent les structures et personnel des établissements à leur propre bénéfice ? C’est une imposture qui enferme les malades dans les logiques d’un faux marché !

La santé ne se limite pas au périmètre individuel. C’est un bien collectif. Notre société l’a consacré dans les devoirs de l’Etat (Art 11 du préambule de la Constitution). Les professionnels de santé y contribuent. Ils doivent être conscients de leurs devoirs vis-à-vis de cette collectivité qui organise et protège leur activité. Voilà la réalité.

Quant aux déviances que nous venons d’évoquer, c’est une sorte de concentré de ce que secrète une société fondée sur un individualisme intégriste, où seuls les démunis sont voués à cette « responsabilité » que les politiques au pouvoir ne cessent de nous seriner lorsqu’il s’agit notamment de maîtriser les dépenses de santé.

(1)La notion de tact et mesure, implique que les honoraires soient adaptés aux moyens du malade et que le supplément reste dans des proportions raisonnables (le double des tarifs de la Sécu avait indiqué le Conseil d’Etat dans le passé)


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