Deux mois après un sérieux revers de la gauche aux élections municipales et régionales, ce scrutin du 23 juillet a déjoué tous les pronostics et permis au bloc progressiste de freiner la vague réactionnaire. Rien n’est pour autant joué et les risques de blocage politique sont réels.
La large victoire promise au Parti Populaire (PP) n’est pas survenue. La droite l’emporte mais point de vague bleue. Les néo-franquistes de Vox reculent fortement et la perspective d’un gouvernement de coalition droite/extrême-droite, sur le modèle italien, s’éloigne.
Ce scénario, inimaginable il y a encore quelques semaines, trouve son origine dans le sursaut de mobilisation de l’électorat de gauche et l’intelligence tactique du socialiste Pedro Sanchez.
En avançant la date des législatives, le chef du gouvernement faisait coïncider la campagne électorale avec la formation des exécutifs locaux issus du scrutin du 28 mai. Or les accords – et leurs contenus – avec Vox pour obtenir des majorités dans 150 municipalités et plusieurs communautés autonomes (Valence, Estrémadure, Baléares), ont représenté un coût politique majeur pour le leader conservateur Alberto Nunez Feijoo désireux d’afficher un profil « modéré » : dérogation aux lois sur les droits des femmes, les violences sexistes/sexuelles et la mémoire historique, négation du changement climatique, retour de la censure culturelle, combat contre le mouvement LGBTQI+ …. En clair, un grand bond en arrière.
Avec une fin de campagne qui a vu le PP radicaliser encore plus son discours, qualifier le gouvernement Sanchez d’« illégitime », tous les éléments étaient réunis pour accentuer l’inquiétude devant la possible arrivée au pouvoir du bloc réactionnaire dont l’un des partenaires – Vox – avait reçu le soutien des chefs de gouvernement européens d’extrême-droite (Giorgia Meloni, Victor Orban et Mateusz Morawiecki). Dans un pays où la mémoire du franquisme reste très présente, avec raison, la peur aura donc été un facteur dynamisant à gauche, à l’origine d’une hausse importante de la participation (70%).
Avec 33% des suffrages, 136 députés et 3 millions de voix supplémentaires, la droite arrive en tête du scrutin. Cette forte croissance se réalise au détriment ce qu’il restait du parti libéral Ciudadanos et surtout, de Vox, qui perd un tiers de ses parlementaires (et n’en conserve que 33). Avec comme seuls alliés le parti de Santiago Abascal et deux micros mouvements régionalistes de droite, le PP ne peut accéder au pouvoir.
Progressant en voix (31,7%) et en sièges (122 députés, +2,) le PSOE aura été le principal bénéficiaire (grâce à un très bon résultat de sa branche catalane, le PSC) du vote utile contre la menace perçue comme réelle de victoire de la droite extrême. A sa gauche, Sumar, nouvelle plate-forme électorale regroupant 15 partis et conduite par la ministre du travail Yolanda Diaz, perd du terrain (- 7 députés et 700 000 voix) par rapport à 2019. Mais si le résultat actuel (31 sièges,) est jugé positivement par Sumar (dont la modération programmatique n’aura échappé à personne) au regard de la déroute des élections locales de mai dernier, on reste néanmoins loin des succès de Podemos en 2015/2016.
Pourquoi le gouvernement de coalition progressiste n’a-t-il pas convaincu sur son bilan ? Il convient d’abord de signaler qu’aucune de ses composantes n’a véritablement fait campagne dessus.
Plus réformiste social-démocrate que de type Hollande/Valls/Cazeneuve, le gouvernement Sanchez aura pris quelques mesures positives telles l’augmentation significative du salaire minimum ou l’instauration de lois féministes sous la pression de Podemos. Cela n’en fait pas pour autant un gouvernement de rupture. Loin de là. N’ont ainsi pas été engagées la réduction du temps de travail (40h), l’abaissement de l’âge de départ à la retraite (67ans), la revendication fondamentale du mouvement des retraités (allocation minimum de 1080 euros), l’abrogation de la loi travail ni la ley mordaza (bâillon, portant atteinte à la liberté d’expression, d’information et de manifestation). De la même manière, ce gouvernement aura continué à inscrire sa politique dans le cadre du régime de 1978, se refusant à toute remise en cause de la monarchie, malgré les scandales à répétition de Juan Carlos. Et si les quelques gestes d’apaisement sur le dossier catalan (grâces des dirigeants indépendantistes poursuivis après le referendum de 2017 et suppression du délit de « sédition » du code pénal) s’apparentent à une tentative – veine – de « dégonfler » la crise politique en Catalogne, c’est qu’il n’a jamais été envisagé de régler d’une quelconque manière la question prégnante de l’état plurinational.
Plus critiquée pour ce qu’elle n’a pas entrepris que pour ce qu’elle a réalisé, la gauche gouvernementale sera parvenue à résister et à mobiliser pour faire échec au triomphe annoncé de Feijoo et Abascal. Elle s’évite ainsi un nouvel échec sans avoir totalement la main pour la constitution d’un gouvernement.
Sitôt les résultats connus, les tractations ont débuté en vue de l’investiture du prochain président de gouvernement. La tâche s’annonce compliquée, aucun des deux blocs ne disposant de la majorité absolue (fixée à 176 députés, il manque ainsi 23 députés à gauche contre 7 pour la droite). Mais au jeu des alliances, la coalition progressiste apparaît la mieux placée.
Arrivé en tête en Catalogne et au Pays Basque, le PSOE devrait pouvoir compter sur le soutien de la grande majorité des forces indépendantistes et autonomistes. A commencer par les basques d’EH Bildu et les catalans de l’ERC dont l’antifascisme est constitutif de leur identité politique. Une position en responsabilité alors même qu’ils gardent en mémoire l’attitude des socialistes qui ont préféré conclure en juin des alliances avec le PP pour priver ces forces de diriger plusieurs villes (Vitoria, Pampelune…).
Rien de tel du côté de Junts, le mouvement séparatiste du catalan Carles Puigdemont. Exilé à Bruxelles et poursuivi par la justice espagnole, celui qui vient de perdre son immunité parlementaire d’eurodéputé n’a nullement l’intention de faciliter la mise sur pied d’un nouvel exécutif progressiste à Madrid. Se sachant maître du jeu avec ses 7 députés à Madrid dont l’abstention est indispensable, Puigdemont veut faire monter les enchères et exige rien d’autre que l’amnistie totale pour les faits de 2017 et un referendum d’autodétermination. Deux concessions inenvisageables pour un Pedro Sanchez déjà en mal de majorité dans le reste de l’Etat espagnol.
L’ironie de la séquence électorale actuelle est que, tout en renforçant le bipartisme, le résultat de ces législatives oblige l’actuel chef de gouvernement à tout miser son avenir politique sur les formations politiques des territoires périphériques. Une nouvelle illustration de la profondeur de la crise du régime de 1978 qui pourrait déboucher en cas de blocage persistant sur de nouvelles élections d’ici la fin de l’année. Comme en 2015 et en 2019. Et il n’est pas certain que cette fois-ci, une autre opportunité de sortie par le haut soit laissée à une majorité progressiste.
Francis Viguié et Patrick Cassan
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